Lorcana: Monde Patchwork

Chapitre 1 : Fantasia

1669 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/05/2024 19:35

Au cœur des univers se trouvait Lorcana.

Au cœur de Lorcana se trouvait le Livre Des Anciens.

Au cœur de ses pages affluait l'encre donnant vie à tous les récits.

Circulant dans ses chapitres, roulant sous sa reliure, ce précieux sang noir se gorgeait de la magie des récits passé, présent et à venir.

Pendant des siècles, l'Encre a permis aux Illuminés de forger le monde de Lorcana, invoquant depuis les contes et les légendes les habitants et les lieux formant la mosaïque de leur univers.

Des divergences parmi les gardiens naquirent des conflits entre les différents royaumes de Lorcana. Ainsi avançait la grande roue de l'Histoire, entre paix et tourmente, imprimant sur les héros la marque du changement.

Nul ne savait depuis quand les gardiens avaient disparu. Nul ne connaissait l'emplacement du Livre des Anciens.

Les adeptes de l'occulte aimaient à penser qu'en l'absence des Illuminés, le livre continuait d'invoquer de lui-même les héros, les monstres et les évènements donnant vie au monde de Lorcana.


Notre récit commence dans un autre temple, un autre temps, avec l'arrivée du plus improbable des protagonistes.


Chapitre Un : Fantasia



La lumière du matin passait sous l'imposante arche de pierre du balcon, réchauffant sur son passage les arômes de moisissures qui embaumaient l'endroit. De-ci de-là, les ronces soulevaient les dalles, courant sur le sol pour aller déchausser quelques lourdes pierres des murs. Émergeant de l'orbite d'un crâne polie par les années, une petite araignée s'en alla se dégourdir les jambes et vérifier ses toiles. Toujours posé sur le menton du cadavre, une longue barbe blanche retombait sur la robe bleue du sorcier allongé là depuis plusieurs décennies, une main décharnée posée sur le torse.

Contournant les mares d'eau croupies, enjambant la végétation qui avait envahi les lieux, un petite créature cheminait dans les ruines.

De sa voie douce, ronde mais terrorisée, il appelait :

-Hey ho... Il y a quelqu'un ?

Il était l'être le plus innocent de la création, le réceptacle des rêves et des espoirs d'un petit garçon qu'il ferait tout pour revoir. L'ours en peluche jaune, généreusement rembourré et vêtu d'un maillot rouge, déambulait au milieu d'un cauchemar.

Les lieux, bien qu'ensoleillé, inquiétaient Winnie l'ourson autant que sa mémoire. Il n'avait aucun souvenir de son arrivée et pas le moindre indice de son emplacement. Ses souvenirs de la Forêt des Rêves Bleus était aussi vague que précis. Il se souvenait de Coco Lapin, Porcinet et les autres, mais l'ourson n'aurait su dire ni quand ni dans quelle circonstance il avait vu ses amis pour la dernière fois.

Il était là. C'était la seule chose dont il était certain. Et cela ne le rassurerait nullement.

-Jean-Christophe? Es-tu là?

Il se raccrochait à l'image de son ami, son petit garçon, cherchant le courage d'avancer.

Son pied heurta le tibia du sorcier, qui se détacha du reste de la jambe sous le tissu. Winnie venait seulement de découvrir le cadavre.

-Ho, misère...

Plus Winnie l'ourson était inquiet plus il se parlait à lui-même. Il devint soudain bien loquace :

-Et bien aujourd'hui ne sera pas mon jour préféré... Allez mon petit Winnie, tu es plus courageux que tu ne le crois, plus fort que tu ne le parais et plus intelligent que tu ne le penses.

Alors qu'il reculait, gardant un œil sur le corps, un grondement sourd monta de son estomac.

-Et je suis également plus affamé que je ne le pense, ajouta-t-il.

Suintante des pierres du plafond, une fine goutte de condensation vint atterrir sur l'une des oreilles rondes de l'animal en peluche.

Que faire? Winnie se mit en quête d'une idée. Il ferma les paupières, et se tapota la tempe. Les yeux clos, il tourna sur lui-même tout en motivant ses méninges :

-Pense, pense, pense ...

Une nouvelle goutte toucha le sommet de son crâne, Winnie rouvrit les yeux, et il était là : le chapeau.

De feutrine bleue, orné d'étoiles et de lunes, il semblait avoir été oublié sur le coin d'une table de bois brute. Imperceptiblement, Winnie s'était rapproché du couvre-chef pointu, marchant sans s'en rendre compte sur le reste d'un vieux balais brisé.

Il passa sa main sur le haut de son crâne humide.

-Oui, voilà qui tombe à pic, commenta l'ourson.

Il se saisit du chapeau et le posa sur sa tête.

L'ourson jaune senti son corps fourmiller, comme traverser par les vibrations d'une musique. Son maillot se mua doucement en une longue robe rouge aux manches trop grandes qui recouvraient désormais les mains de Winnie. Au bout de ses doigts, la magie semblait danser.

Le plantigrade en peluche n'eut pas le temps d'apprécier ce subtil changement : son ventre émit à nouveau un grognement contrarié. Frottant son petit ventre rond, il tenta de le calmer d'une voix douce :

-Je sais Petit Estomac, je sais...

C'est alors que de concert, ses sens captèrent un mélodieux bourdonnement accompagné d'un agréable parfum de miel.

Son fin museau guida Winnie sous l'arche puis sur le balcon. Appuyé sur le rebord de pierre, presque penché au-dessus du vide, il repéra sa cible : sous un astre approchant de son zénith, au cœur d'une verte prairie, accrochée à l'une des branches abondantes d'un arbre fleuri pendait une ruche.

L'effervescence des abeilles allait de pair avec le bourdonnement joyeux du travail bien fait.

La magie de l'ourson se mit au diapason de la vibrante mélodie. Du bout des doigts, il dessina d'harmonieux mouvement, devenant le chef d'orchestre de ces pourvoyeuses de miel et de pollen.

Un essaim se forma bientôt pour s'envoler vers les hauteurs de la tour. La nuée d'insectes fut bientôt rejointe par celles de ruches voisines, formant un petit nuage noir.

Les travailleuses soumises entourèrent Winnie, le soulevant, l'agrippant de leur milliers de minuscules pattes, l'emportant dans les airs.

Le petit sorcier d'ambre s'envolait désormais en direction de la ruche et de son miel.

Joyeux, remuant du popotin dans le vide, Winnie l'ourson chantonnait :

-Je suis un tout petit nuage noir, qui roule et tangue au gré du vent. Un frêle, timide nuage noir, qui se promène innocemment.


...


Le vin était qui coulait de la carafe de cristal était épais et charriait de sombres résidus jusque dans le fond des verres à pied ouvragés.

La cruelle diablesse était arrivée au Royaume de Cœur depuis plusieurs semaines. De par sa nature, elle n'avait eût aucun mal à se faire accepter à la cour. Pour être tout à fait précis, la distinction apparente, les manières et le goût pour la mode et le dépeçage animal de son invitée étaient tout à fait au goût de la Reine. Nous pourrions aller jusqu'à dire qu'elle en était folle.

Mais folle, la Reine l'était. Purement et simplement. Comme le reste des habitants du Pays des Merveilles.

Cela ne gênait en rien Cruella qui, sans comprendre ni pourquoi ni comment elle avait échoué sur ces terres, n'avait eut aucun mal à s'en accommoder, devenant en quelques jours la plus proche ami de couple royale et la confidente de la Reine, qu'elle n'écoutait en vérité que d'une oreille distraite.

-...j'ai alors ordonné qu'on lui tranche la tête...

Avachi dans son fauteuil, Sa Majesté faisait le résumé de sa journée, faisant glisser son sceptre orné d'un cœur sous son double menton.

La main décharnée de Cruella tendit l'une des coupes a l'acariâtre couronnée. Elle singea un vague intérêt au récit royal.

-Mais quel était son crime très chère ?

Son hôte sembla réfléchir.

-Ce charpentier avait une quelconque doléance au sujet d'un vol d'huîtres...

Elle balaya d'une main cette préoccupation, de l'autre se saisit du verre. Elle précisa, courroucée :

-Ce n'est pas tant le fond de problème qui importe, mais le timing, mon amie. Voyez-vous, je me sentais à ce moment là d'humeur à décapiter.

Cruella, après avoir reposé le pichet sur la table basse, alla s'installer dans un fauteuil semblable à celui de la Reine. Les deux femmes étaient richement vêtues: la Régente d'une énorme robe rubis couverte de cœur, de froufrous et de dentelles, Cruella d'un corset duveteux blanc à pois noirs, d'une longue jupe crayon et de bottes à talons en peaux de crocodile.

Les deux femmes n'étaient éclairées que par le feu de l'âtre dont l'ardeur découpait les ombres sur le visage anguleux de la fashionista anglaise aux cheveux noirs d'un côté, blanc de l'autre.

-Vous possédez un tel pouvoir, c'en est fascinant, sembla-t-elle avouer.

La Reine s'en flatta. Le rire qui en résulta fit danser la petite couronne posée au sommet de sa chevelure alambiquée.

-Est-ce de la jalousie très Chère ?

Sans attendre de réponse, Sa Majesté bu une gorgée.

Cruella faisait danser le liquide dans sa coupe, s'amusant à faire scintiller la lueur des flammes à sa surface. Elle répondit calmement :

-Disons qu'il s'agit de convoitise, mon amie.

La reine de cœur faisait claquer sa langue. Son verre était vide désormais.

-Ce vin a un goût de noisette, non ?

Ses yeux roulèrent dans leurs orbites, sa tête imita le mouvement puis tomba en arrière. Sa main lourde glissa de l'accoudoir. La coupe roula sur le parquet ciré. Cruella se leva calmement, vida son vin dans la carafe et se pencha sur le corps inerte de la régente.

-C'est fort probable, ma bonne amie, mais je n'ai pas l'habitude de goûter un vin après l'avoir empoisonné.

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