Hot Church

Chapitre 3 : Le gars qui rêvait d'un Cornetto et d'un bidon d'essence (partie 1)

2149 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 30/04/2024 11:39

Alangui sur le marbre du comptoir d’un café / hôtel / pub du fin fond du pays de Galles, Crowley dut se rendre à l’évidence : le destin lui en voulait personnellement. Ces dernières vingt-quatre heures avaient été les pires de son existence… avec toutes les autres heures qu’il s’apprêtait à passer ici, dans ce trou paumé. Il leva les yeux vers le calendrier accroché au mur et comprit que sa journée était définitivement placée sous de très mauvais auspices en découvrant la date du jour. Il y avait de cela deux ans, à la même époque, il avait passé une nuit tout à fait délicieuse et avait prétexté une indigestion – lui, le bourreau de travail ! – pour consacrer un peu de son précieux temps aux pieds charmants de Samaël. À cette époque, il était la petite vedette de la Met’ et recevait des appels du ministre de l’Intérieur en personne ; il ne s’était pas encore intéressé à cette histoire d’Antéchrist, de couvent et de potager qui lui coûterait sa glorieuse auréole.


– Capitaine Crowley, vous êtes bien matinal !

Il se redressa et poussa un soupir exagéré qui lui valut toute la compassion de la chère Maggie aux petits soins pour lui depuis son arrivée. Elle avait exigé de connaître ses préférences alimentaires afin de lui mitonner des petits plats à son goût. En regagnant sa chambre la veille, il avait même découvert posé sur son lit, un petit paquet de caramels mous faits maison et une écharpe noire – Maggie lui avait précisé, lorsqu’il était descendu pour la remercier, que celle qu’il portait ne convenait pas au climat maritime.

– Maggie, ma lumière, mon phare, mon étoile ! s’exclama-t-il lorsqu’elle prit place à ses côtés. Vous êtes mon unique espoir dans ce monde de désolation !

– Hé ! protesta Nina qui venait de se glisser derrière le comptoir, n’en faites pas trop ! Je vous rappelle qu’elle est casée.

– Qui sait … répliqua Crowley bien décidé à asticoter sa propriétaire, peut-être qu’un changement d’air lui ferait du bien.

La disquaire se déclara ravie par cette proposition mais la déclina bien volontiers en adressant un sourire à sa compagne :

– J’ai tout ce qu’il me faut à la maison.

– De toute façon, marmonna Crowley, ce n’est pas mon genre de voler le bien d’autrui.

– Mis à part quelques retraités et Furfur, les cœurs libres sont rares par ici, fit une Maggie bien désolée.

– Et Shax ?

– À votre place, je ne m’y risquerais pas ! s’écria Maggie. On n’a jamais retrouvé la tête de son mari !

– Ni ses bras, reprit Nina d’un ton songeur.

Voyant l’air ébahi du policier, Maggie s’empressa de le rassurer :

– Ça ne s’est pas passé à Tadfield. À cette époque, Shax vivait à Heavell.

– N’empêche, c’est dans la Crique aux Anges qu’on a retrouvé ses orteils et sa langue.


Crowley s’apprêtait à demander davantage d’explications au sujet du pauvre Mr. Shax qui avait visiblement perdu quelques membres, lorsqu’une fillette fit son apparition dans le café, en traînant un sac de cours élimé derrière elle. Elle portait des baskets dépareillées et un manteau de couleur vive, fort peu adéquat pour pratiquer le vol à l’étalage et le chapardage dans les vergers.


– Ma fille, déclara Nina, Pippin Galadriel Moonchild.


Arrêtons quelques instants la narration de cette histoire afin de permettre à nos lecteurs d’assouvir leur curiosité au sujet de ce nouveau personnage. Pippin Galadriel Moonchild qui avait la chance d’être venue au monde dans une famille aimante et qui lui laissait suffisamment de liberté pour profiter des joies ineffables de l’enfance, était le fruit des amours de Nina et d’un explorateur – collecteur de légendes ayant débarqué à Tadfield pour récolter des légendes galloises. Une fois son livre né et la conception de Pippin achevée, notre aventurier était reparti en quête de nouvelles histoires. À ce jour, Pippin avait une sœur vivant à Sidney (Samwell Arwen Rainchild) , un frère habitant à Osaka (Merry Legolas Stormchild), un autre à Athènes ( Frodon Boromir Windchild) et une sœur nouvellement née à Kirkjubaejarklaustur (Rosie Eowyn Sunchild). Notre conteur projetant un futur voyage aux États-Unis, Pippin Galadriel attendait avec impatience la venue au monde d’un nouveau membre à ajouter à cette famille plus composée que décomposée.


– C’est Pepper, la reprit la jeune fille en dardant son regard curieux vers Crowley.

– Veux-tu bien te dépêcher, tu vas encore être en retard !

– C’est lui, le « grand con » ?

– Pepper ! s’indigna une Maggie rougissante tandis que Nina étouffait un ricanement. Ce n’est pas une façon de s’adresser au capitaine de la police !

– Bah quoi ! C’est l’oncle Zira qui l’a dit !

– Il n’a pas tout à fait employé ce terme, protesta une Maggie de plus en plus confuse.

– Un écornifleur, c’est la même chose !


Il ne fallait pas être devin pour comprendre que « l’oncle Zira » n’était autre que son nouvel équipier qui le prenait pour un voleur de promotion et dont il avait quelque peu abîmé le vélo. Maggie se confondit en excuses, assurant que Pepper avait mal interprété une conversation. Nina, elle, observait la scène avec amusement et après que Maggie eut obtenu un « pardon, m’sieur » de la part de sa charmante progéniture, l’incident fut clos et Pepper fut autorisée à rejoindre son meilleur ami – un gamin à qui on aurait donné le Diable et Dieu sans confession – l’attendant devant la porte du café.


Nina se tourna vers Crowley.

– Je vous offre quoi ?

– Rien du tout, répondit Crowley en songeant à l’état désastreux de ses finances.

– Je ne vous le compterai pas sur votre note, vous pouvez remercier Pepper et ses oreilles qui traînent partout. Un café aux amandes, ça vous tente ?

– Foutez-moi plutôt six shots d’expresso dans un grand mug.


À sa grande surprise, Nina accéda à sa requête et déposa la boisson désirée sur le comptoir. Il se saisit du mug et en avala le contenu d’un trait, tout en se souvenant de la dernière fois où il avait dégusté un café dans une relative tranquillité et non à son bureau. La dernière fois ? Cela devait remonter à l’un de ces dimanches paresseux et crapuleux passés sous les draps – soie noire de haute qualité – ses jambes entremêlées à une paire de gambettes un brin plus musclées que les siennes, la tête appuyée contre un torse recouvert d’un fin duvet blond, confortablement installé pour regarder un épisode des Craquantes avant de reprendre une activité qui n’aurait pas déplu à Blanche Deveraux.


Il termina son café, qui avait à présent un goût quelque peu amer, et quitta les lieux en marmonnant quelques mots de remerciements. Lorsqu’il franchit la porte, il bouscula un jeune homme vêtu d’un K-way vert et portant une besace débordant de journaux. Il s’excusa, mais le jeune homme prit ses excuses pour des remontrances, et traversa la rue.


– Ennon ! l’accueillit Maggie avec un grand sourire. Tu es bien matinal aujourd’hui !

– Ouais… grommela le jeune homme en retirant sa capuche pour secouer ses cheveux trop longs dégoulinants de pluie. Pa’ a besoin de moi à la ferme… C’est qui ce vieux grincheux ?

– Le capitaine Crowley, il semble un peu bourru au premier abord, mais il a un bon fond.

– Ma parole, chérie, tu t’es entichée de lui ! s’écria Nina en décochant un regard malicieux à sa compagne.


Le jeune livreur déposa quelques journaux sur une table et attrapa une orange dans la corbeille à fruits posée sur le comptoir. Il lança un furtif regard à la silhouette élancée franchissant la porte de la supérette.


– Ce poste aurait dû revenir à m’sieur Aziraphale, bougonna-t-il, en commençant à peler son fruit favori.

– En tout cas, répliqua Nina avec un curieux sourire, je connais quelqu’un qui a du souci à se faire…

En voyant l’air intrigué des deux personnes se tenant face à elle, elle s’empressa d’ajouter :

– À une époque, l’écornifleur aurait été tout à fait le type d’un certain lieutenant…


Maggie éclata de rire avant de réfuter les propos de sa compagne. Elle aussi, avait eu un « type » dans sa jeunesse, plutôt du genre Boys Band, mais qu’elle avait bien changé ! Nina, curieuse d’en savoir plus, la bombarda de questions et toutes les deux se mirent à se taquiner en s’interrogeant sur leurs amours de jeunesse. Le jeune livreur de journaux, ne goûtant guère à cette conversation, serra ses doigts autour du fruit, si fort que la peau se rompit et qu’un peu de jus en jaillit.


♠♠♠


Loin de se douter qu’il était devenu la cible de la jalousie d’un livreur de journaux, Crowley déambulait dans les allées de la petite supérette proprette, surveillé par le géant rivé à sa caisse. Le policier dénicha enfin de quoi mettre à exécution le plan BTK (Bazardage, Triage et Kérosène). Il prit un petit bidon d’essence et muni de son achat, s’approcha de la caisse. Il y ajouta une boîte d’allumettes et déposa le tout devant le vendeur muet.


– Bonjour, euh… Goliath, fit-il en jetant un coup d’œil au badge épinglé à l’imposante poitrine.

N’obtenant qu’un vague grognement, il s’empressa de poursuivre :

– Chouette boutique ! Vous ne devez pas vous y ennuyer !

Le géant se contenta de scanner le bidon d’essence. Crowley avisa alors le bac à surgelés près de lui. Il souleva le couvercle et en retira deux Cornettos qu’il plaça devant la caisse.

– Un peu de sucre, ça ne fait jamais de mal, pas vrai, vieux ?

Seul un regard menaçant lui répondit. Alors qu’il s’apprêtait à payer et à filer sans demander son reste, un jeune homme tout en blondeur se glissa près du géant et lui offrit son plus affable sourire.

– Oh, vous devez être notre nouveau capitaine de police ! Nous avons rarement de vols ici !

– On se demande bien pourquoi… répondit Crowley en passant sa carte bancaire dans le lecteur qui afficha un « paiement refusé ».

Le géant fit craquer les jointures de ses mains. Crowley prit son air le plus aimable.

– Elle un peu de mal à s’habituer à l’air marin, fit-il tout en frottant la carte récalcitrante contre sa manche, avant de réessayer la manipulation et d’obtenir le même résultat.


Cette fois-ci, le géant fit craquer les os de son cou. Tout en s’excusant, Crowley attrapa son téléphone et consulta son compte courant : six mois de suspension et ses récentes dépenses avaient plongé ses finances dans le dernier cercle du découvert.


– Écoutez, commença-t-il, ma carte ne parvient pas à s’acclimater au Pays de Galles… la traversée de frontière, vous comprenez… Alors si vous pouviez me faire une petite, minuscule faveur…

Le géant s’apprêta à faire un geste vers lui, mais son associé le retint par l’avant-bras. Il se pencha vers Crowley. Son sourire marchand se changea en un rictus truand.

– Au Petit Géant, nous n’avons pas l’habitude de négocier et nous exigeons toujours les paiements des sommes dues…

Le géant parut sur le point d’ouvrir la bouche mais son compère lui cloua le bec d’un regard assassin.

– Payez ou nous saurons vous retrouver.


L’arrivée du vendeur de tapis, son roquet sur les talons, offrit une porte de sortie à Crowley. Tout en bénissant les dieux gallois d’avoir placé le moustachu sur son chemin, et tout en évitant le chien s’attaquant déjà au bas de son pantalon, Crowley se saisit de ses articles et s’enfuit de la supérette. Brown lui adressa un grand signe de la main et lui cria de passer une bonne journée. Il se tourna ensuite vers le jeune vendeur, prénommé David, pour lui demander s’il avait renouvelé le stock de raisins secs, ingrédient indispensable pour préparer des Welsh cakes.


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