♠ ♦ Alice in Wonderland ♥ ♣

Chapitre 33 : ♠ ♦ Toute question mérite réponse : Partie 1 ♥ ♣

7796 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/02/2017 18:22

La nuit tombe enfin sur le Pays des Merveilles. Une nuit calme et étoilée, couverte d'une brise légèrement fraîche. Je tremble un peu. Je n'ai pas froid, je suis simplement encore un peu sonnée des différents coups que j'ai reçu dans la même journée. Nuit blanche, exécution, survie, possession d'une montre magique, dégustation de Potion de Mémoire, hésitation entre deux mecs, sans oublier le retour de Togano et l’aveu des véritables raisons de sa trahison (qui, en fait, n'en est pas une)... J'avais oublié que c'était ça, une vraie journée au Wonderland. Une journée pleine de rebondissements, d'aventures, que dis-je ? De pure folie ! Même si j'en frissonne, tout ça m'avait cruellement manqué.

Lentement, d'une démarche tranquille, je me promène dans le grand jardin, une fois de plus aujourd'hui. Je me rapproche du labyrinthe, situé derrière le Château de Pique, et aperçois Blue assis sur un banc de marbre blanc. Son narguilé est posé près de lui. Il ne fume pas, pour une fois. Il semble pensif, et quelque peu impatient. Lorsque j’apparais dans son champ de vision, il esquisse un grand sourire, laissant pendre sa langue de caméléon, et s'exclame : « Ah, c'est pas trop tôt ! » Timidement, je m'assieds à côté de lui. Ça me gêne toujours autant d'être en retard. Je joue nerveusement avec mon petit tablier brodé à dentelles. Mes cheveux cachent mon visage car j'ai la tête baissée, mortellement confuse. Blue, installé de manière désinvolte, les jambes écartées et les coudes appuyés au dossier du banc, murmure en scrutant la Lune de ses grands yeux vert pomme soulignés d'eye-liner :

« Bon, je t'écoute Alice. Pose-moi toutes les questions qui te tourmentent... »

C'est si rare quand il ne surnomme pas ''sous-merde''... c'est bizarre, ça me dérange qu'il m'appelle par mon prénom. Ça le rend sérieux, ce n'est pas de lui, même si il est le plus grand sage du Wonderland. Retirant ma mèche de devant mon regard, je finis par me lancer :

« Tout d'abord, j'aimerais avoir des explications au sujet de ce que vous appelez les ''Clefs du Pays des Merveilles''. Je ne sais pas ce que c'est exactement et ça attire ma curiosité.

-Ta fameuse curiosité... continue Blue de sa monstrueuse voix cassée.

-Ensuite, j'aimerais comprendre ce que c'est que cette ''nouvelle'' propriété du Wonderland, celle qui stoppe le temps et empêche ses habitants de grandir et vieillir.

-Okay... Il ne me regarde même pas, signe qu'il sait que j'ai d'autres questions.

-Après, je veux savoir pourquoi sous l'emprise de la Potion d'Oubli, je me souvenais quand même de Kuro. Pourquoi lui et pas quelqu'un d'autre ? Je veux savoir...

-Tu sauras...

-Et puis il y a LA question, Blue... Celle qui me tue, et ce depuis ma première visite. Pourquoi moi ? Pourquoi suis-je la seule Terrienne qui ait accès à ce monde parallèle ? Pourquoi pas une autre fille, ou même un garçon ? Est-ce-que ça aurait pu tomber sur n'importe qui, ou est-ce-que j'étais une sorte ''d'élue'' ? Je dois comprendre !

-Tu vas comprendre... Autre chose ?

-Oui, mais ce n'est pas quelque chose qui m'angoisse de par mon ignorance... je souhaite connaître votre histoire, à vous les Rebelz. Votre enfance avant que je ne débarque dans vos vies. Je veux que tu me racontes ça, juste histoire de nourrir ma ''fameuse curiosité''... »

Pour toute réponse, Blue se lève du banc, s'avançant un peu en me tournant le dos. Je décide de me lever à mon tour, m'approchant de lui. Je lui lance un regard interrogateur, même si il ne me regarde pas. Il m'a l'air... étrange. À la fois triste et douteux.

« Alice... une maligne coïncidence a fait que toutes tes questions sont étroitement liées.

-Ah bon ? Mais... elles sont si différentes...

-C'est ce que tu crois, Alice. »

Il prend une grande inspiration, récupère son narguilé, puis se place à nouveau prés de moi.

« Le narguilé contient encore de la Poussière Temporelle. Et figure-toi que nous allons en avoir besoin pour répondre à toutes tes questions.

-Tu veux dire que l'on va voyager dans le temps ?

-C'est le seul moyen de tout te faire comprendre d'une traite.

-Mais c'est génial ! »

Sous l'excitation, je sautille de joie. Mais Blue presse ses puissantes mains contre mes épaules, comme pour me sortir de mon rêve euphorique. Il est hésitant, ça me perturbe.

« Ce n'est pas si génial que ça Alice...

-Oulah... ton regard ne me dit rien qui vaille, Blue. Explique-moi, je t'écoute.

-Comme tu l'as deviné, nous allons voyager dans le temps. Contrairement à ce que tu peux croire, ce ne sera que des visions de souvenirs du Pays des Merveilles. Nous y assisterons, mais nous serons seulement des esprits : les personnes appartenant au passé que nous verrons ne pourront pas nous apercevoir, et nous ne pouvons absolument pas changer le cours de l'histoire. Il baisse les yeux. Nous serons un peu comme des fantômes qui assistent à un spectacle, tu comprends.

-Oui, je comprends... Mais en quoi ce ne serait pas ''génial'' ?

-Nous n'allons pas voir de jolies choses Alice. Vraiment pas. Dis-toi bien que si je te fais voyager dans le Temps avec moi, c'est uniquement pour répondre à tes questions...

-C'est aussi terrible que ça ?

-Si ça ne tenait qu'à moi, je ne te ferais jamais voir ça ! Mais nous sommes obligés, tu dois connaître toutes ces vérités...

-Je vais encore pleurer, n'est-ce-pas ?

-Il y a de fortes chances. Quoiqu'il en soit, tu restes à côté de moi tout le long de ce voyage, compris ? Ça va être difficile pour toi comme pour moi… donc nous devons être du plus grand soutien l'un envers l'autre, c'est clair ?

-Oui Blue... Je prends une grande inspiration, en frissonnant. Je pense que je suis prête. »




Son fidèle narguilé étant posé sur l'herbe entre nous deux, Blue se saisit de l’embout et murmure : « La Poussière Temporelle est très puissante, tu n'auras pas besoin de beaucoup fumer. Une seule inhalation suffira. »

Pour une fille qui n'a jamais fumé de sa vie, que ce soit du tabac ou toute autre étrange substance, cela ne me rassure pas plus. D'une main tremblante, je saisis l'embout qu'il me tend, le place maladroitement entre mes lèvres et aspire. Je retire brusquement l'embout, le passant à Blue alors que je m'étouffe, blottie contre lui. Il fume à son tour et m'entoure de ses longs bras, me tapotant le dos légèrement pour calmer ma toux irritée.

Un tourbillon psychédélique nous entoure, me donnant atrocement le tournis. Toujours accrochée à mon Conseiller, les cheveux au vent, je cache mes yeux contre son torse, étant trop éblouie par la lumière qui nous entoure.

Mes oreilles sont soudainement attirées par le doux gazouillement des oiseaux. J'ouvre les yeux et me dégage doucement de l'étreinte de Blue. Mon ami aux cheveux d'émeraude est d'ailleurs très sérieux, bien droit, enroulant l'embout du narguilé entre ses doigts nerveusement. Je regarde autour de moi. Je suis dans une forêt. Blue et moi sommes entourés d'arbres et de buissons d'un vert éclatant. Putain, ce lieu m'est familier...

« Tu reconnais probablement cet endroit, Alice...

-Oui... c'est le bois situé derrière l'école/orphelinat Cloverjack's... »

Je suis bouche bée… Je ne comprends pas vraiment ce que nous faisons là, et pourquoi il est nécessaire d'aller à Londres pour notre voyage dans le temps.

Un homme arrive soudainement devant nous, se frayant un chemin à travers les arbustes encombrants. Âgé d'une trentaine d'année selon moi, il est élégamment vêtu mais ne semble pas pour autant être quelqu'un de sophistiqué. Au contraire, il m'a l'air bien simple d'esprit, et une lumière pétillante brille dans son regard : la lueur de la bonne folie.

« Je te présente Jefferson, dit Blue. »

Comme Blue me l'a expliqué, nous ne sommes que des ''esprits qui assistent à un spectacle'', donc l'homme ne nous entend pas parler, pas plus qu'il ne nous voit. Il a des cheveux bruns courts légèrement décoiffés, une barbe de trois jours et de grands yeux marrons. Il n'y a pas à dire, c'est un homme charmant.

« Jefferson est l'ancien directeur de l'établissement Cloverjack's, Alice. C'est pourquoi il se permet de se balader dans la forêt qui se trouve juste derrière l'internat. »

Intéressant ! Je n'ai pourtant jamais vu cet homme de ma vie, et d'ailleurs c'est à présent une vieille femme aigrie qui est à la tête de Cloverjack's, Madame Kingston... peut-être que nous avons remonté le temps encore plus que je ne l'imagine. La forêt est pourtant ici comme je la connais, il n'y a aucune différence.

« Figure-toi Alice que Jefferson, tout comme toi, est quelqu'un de très curieux. Ce jour-là, il se promenait pour vérifier qu'il y ait un emplacement assez grand pour agrandir l'orphelinat, en rasant la forêt.

-Pourtant, à mon époque, dis-je maladroitement car je ne sais pas exactement en quelle année nous sommes dans ce voyage temporel, la forêt est toujours comme ceci, et le bâtiment n'est donc pas agrandi...

-En effet, Jefferson va faire une rencontre inattendue qui va chambouler ses plans... »

Tout en parlant, Blue et moi suivons le dit ''Jefferson''. Blue le montre soudainement du doigt. En me tournant vers la direction qu'il pointe, je constate que ce n'est pas Jefferson qu'il souhaite me désigner, mais un petit lapin blanc qui lui fait face. « Kuro ! », je pense aussitôt. Mais pas le temps de réfléchir, l'animal détale et Jefferson le suit, ce qui pousse Blue à courir après lui, tenant son narguilé d'une main et mon bras de l'autre.

Le lapin nous sème un petit bout de temps. Tout comme je l'ai fait deux fois dans ma vie, Jefferson ne baisse pas les bras et court encore plus vite pour le retrouver. Notre course folle est stoppée net : une magnifique femme aux longs cheveux blancs munis de longues oreilles de lapins et aux yeux d'un délicieux rouge sang se tient devant nous. Elle regarde Jefferson, toute tremblante, reculant légèrement. Derrière elle se trouve le fameux terrier qui conduit au Pays des Merveilles. Je regarde furtivement Jefferson. Ses joues sont rouges, sa bouche entrouverte et ses yeux attendris. Il faut vraiment être idiot pour ne pas comprendre qu'il est tombé sous le charme de cette magnifique créature. La femme-lapine recule encore un peu. Jefferson approche, la main tendue vers elle. Elle gémit de peur en cachant son visage derrière ses mains frissonnantes. « Non, n'aie pas peur, je t'en prie. Je ne te veux aucun mal... » Il s'approche d'elle d'un pas doux, un sourire rassurant éclairant son visage. Elle tremble de moins en moins. D'une voix apaisante, il dit :

« Je m'appelle Jefferson... et toi ?

-Je... je m'appelle Ruby. »

Elle a une voix cristalline, pure, qui séduirait n'importe quelle personne. Elle baisse timidement les yeux. Avec curiosité et innocence, il demande ensuite :

« Tu... tu n'es pas humaine, je me trompe ?

-Si, à moitié... Je suis une femme-lapine... je viens du Wonderland. »

Jefferson penche légèrement sa tête sur le côté, agréablement intrigué. Ses yeux remplis de bienveillance soulage Ruby, qui ne tremble plus du tout désormais. Elle aussi, elle rougit, ce qui contraste avec sa peau laiteuse. Elle semble également sous l'emprise d'un coup de foudre envers le beau Terrien qui lui fait face. Précautionneusement, Jefferson prend sa main délicate et murmure : « Il s'agit d'un monde parallèle ?

-O-oui... Elle explique en remuant ses oreilles. Chez moi, nous connaissons tous l'existence de ta planète Terre... Mais les habitants du Wonderland ayant essayé d'y aller n'ont pas survécu. Le passage entre les deux mondes a donc été formellement interdit d’accès. Cependant, j'ai désobéi à la règle et j'ai tenté à mon tour. Sauf que moi, j'ai réussi. »

Elle sourit, et a l'air fière d'elle... Alors comme ça elle est la première habitante du Pays des Merveilles à avoir traversé le terrier ? Je sens que je vais en apprendre, des choses. Jefferson sourit aussi, ravi de la voir si enthousiaste. Il ose demander :

« Et... tu peux m'y conduire ? »

Ruby sursaute, et réfléchit.

« Je... je ne sais pas si tu survivrais à ce voyage... plusieurs personnes y ont péri... »

Elle frissonne de nouveau, mais Jefferson la serre contre lui. Il chuchote :

« Chut, ne t'en fais pas pour moi. Je veux courir le risque de te suivre dans ton monde.

-La curiosité est un vilain défaut... dit-elle adorablement.

-Et la folie est le plus beau des fléau ! Continue-t-il bravement en lui faisant un clin d’œil. »

Sur ces mots, il prend la main de Ruby, et les deux se mettent à rougir de plus belle. La belle femme-lapine s'approche du terrier, lance un beau regard à Jefferson, et saute à l'intérieur avec lui. Cette chute libre que je redoute tant...

Blue se tourne vers moi sans un mot et effectue un ample geste de main. Le décor est subitement flou, et nous nous retrouvons dans un nouvel endroit.




Nous voici en plein milieu du Wonderland. Il est...différent de la manière dont je le connais depuis toujours. Il est moins sombre. Plus coloré et lumineux. Son côté lugubre et mystérieux a disparu... ou du moins, n'existait pas à cette époque-là.

« Un an s'est écoulé depuis leur rencontre, m'explique Blue. »

Nous voyons passer Jefferson et Ruby, main dans la main, un mignon petit couple. C'est avec un agréable étonnement que j’aperçois le ventre de Ruby, légèrement arrondi.

« Oh ! Blue, elle est enceinte ? Je m'exclame le cœur en joie.

-Oui, Alice, de quatre mois. »

Je souris à pleines dents... mais pas Blue. Le romantique duo s'enfonce dans la Zone Trèfle, que je reconnais à ses nombreux jardins. Nous les suivons calmement jusqu'à l'emplacement de l'immense Champignon de Blue. Il y est, comme dans le présent, mais un homme que je ne connais pas est installé dessus, un joint entre les lèvres. Il a de -très- longs cheveux vert foncé coiffés en pics, légèrement en arrière, ainsi qu'une longue langue et de grands yeux anis semblables à ceux de Blue. D'ailleurs...

« Blue, c'est toi là ?! »

Je désigne un tout petit garçon, sûrement âgé d'à peine deux ou trois ans, assis au pied du champignon. Il est tout vêtu de bleu et s'amuse avec les fleurs plantées devant lui.

« Oui... c'est bien moi Alice, dit-il avec un léger sourire. »

Qu'il est adorable ! Je n'en reviens pas de voir mon fidèle Conseiller aussi jeune. Mais ça veut donc dire que le temps n'est pas si remonté que ça.

« Et l'homme-chenille sur le champignon, c'est Azur, mon grand frère... »

Sa voix cache un sanglot soudain, qu'il tente de dissimuler au mieux. Je ne lui fais pas remarquer pour ne pas le gêner. Jefferson et Ruby s'approchent de Azur, se plaçant face à lui alors qu'il tire sur son joint. Ruby passe un main affectueuse dans les cheveux du bébé Blue, qui tire sa langue de caméléon avec un sourire craquant.

« Azur, tu souhaitais nous consulter ? Demande Jefferson d'une voix fébrile.

-En effet, lance le mage de sa puissante voix. Depuis que tu es arrivé au Wonderland, Jefferson, tout a changé dans notre monde. Et je ne parle pas seulement de l'union entre un Terrien et une Wonderlandienne.

-Explique-toi Azur... murmure Ruby de sa voix sucrée.

-Ce que je ne comprends pas, c'est que Jefferson soit le seul qui puisse voyager entre la Terre et le Pays des Merveilles quand il le souhaite, alors que même toi tu peux en mourir si tu recommences... de plus, à son arrivée, le temps semble s'être arrêté. Les heures défilent toujours, tout comme les jours et les semaines... mais n'avez-vous pas remarqué que la croissance de nos enfants se stoppe, et que nous ne vieillissons plus malgré le temps qui court ? De plus, lorsqu'il retourne quelques fois sur Terre, avez-vous pris en compte que ceci s'annule, et que nous reprenons de l'âge normalement ? C'est drôlement étrange...

-Tu penses que c'est grave ? Demande Jefferson inquiet.

-Non... tu apportes quelque chose de nouveau à ce monde, quelque chose d'essentiel. Mais je ne parviens pas à le comprendre, et ça me ronge. J'espère un jour pouvoir expliquer ce phénomène qui émane de toi, ou du moins, à quoi il peut bien servir pour le Wonderland... »

Tout en écoutant les paroles du sage frère de Blue, je regarde ce dernier... Le bébé, je veux dire. Le petit Blue qui s'amuse innocemment, en faisant semblant de ne pas écouter, et surtout de ne pas comprendre ce que dit son prédécesseur. Le ''vrai'' Blue murmure :

« Tu vois, j'ai l'air d'un simple bébé qui joue... pourtant, à ce moment précis, j'avais la réponse aux interrogations d'Azur, concernant Jefferson. Je les ai longtemps gardé pour moi... »

Là, il m'intrigue. Je remarque que le petit Blue lance un regard espiègle au ventre rond de Ruby, avant de se rouler dans l'herbe en riant. Son frère le prend alors dans ses bras, en passant une main fraternelle dans ses cheveux, les ébouriffant un peu.

« Alice... chuchote Blue les larmes aux yeux.

-Oui ?

-Est-ce-que tu es prête à voir la suite ? Si tu veux que je te fasse sortir de ce voyage temporel, dis-le moi maintenant. La suite est très dure à voir...

-Non, je dois continuer Blue. »

Je tremble un peu, son regard me faisant comprendre qu'il ne dit pas des paroles en l'air, et que je vais réellement souffrir de ce que je vais voir. Mais je suis curieuse. Je veux comprendre. Je prends sa main fermement, et il effectue un nouveau mouvement de bras léger qui nous conduit dans un nouveau décor, que j'aurais préféré ne jamais voir de ma vie...




Jefferson arrive en courant, auprès de Ruby qui tient un bébé dans ses bras. Leur enfant. Je m'approche pour le regarder : aucun doute, c'est Kuro ! Je le reconnaît à ses yeux rouges munis de longs cils, à ses longues oreilles blanches qui s'agitent, et à ses lèvres déjà pulpeuses malgré son très jeune âge. Autour de nous, le Wonderland est apocalyptique : le ciel est cendré, les paysages au loin sont en flammes, et plusieurs personnes courent dans tous les sens. Je ne comprends rien, mon esprit est complètement embrouillé, et je tremble comme une feuille. Blue m'explique, dos à moi :

« Jefferson est revenu au Pays des Merveilles après une absence de quelques mois. Ce départ a permis à son fils de grandir, puisqu'il arrête le temps malgré lui en se rendant au Wonderland.

-Le bébé, c'est Kuro... ? Je demande en étant sûre de la réponse affirmative qui allait suivre.

-Oui...

-Mais que se passe-t-il ici ?

-En cette journée du 14 Juin... une immense guerre a éclaté entre le tyrannique Royaume de Cœur et ses opposants du Wonderland. »

En prenant ma main, Blue me force à me tourner, et à regarder dans la même direction que lui. Une horrible vision me fait face : des Cavaliers Rouges d'un côté, les Résistants de l’autre, tous armés et tuant sans aucune pitié. Les cris, les pleurs, le sang... toutes ces atrocités reprennent vie autour de moi, même si ironiquement c'est la Mort qui y est prédominante. D'une main si frissonnante que j'ai l'impression d'en perdre progressivement l'usage, je cache ma bouche, sous le choc. Blue lâche ma main, la mâchoire contractée et le poing serré, et murmure : « Je ne peux pas regarder ça Alice... Excuse-moi... »

Il s'éloigne légèrement de moi, me laissant seule face à ces horribles scènes. Je ne peux pas le blâmer, même si il m'a dit que nous devions mutuellement nous soutenir. Lui, il a vraiment vécu cette monstrueuse guerre comme en témoigne le petit Blue âgé de quatre ans courant devant moi en tenant la main de Azur. Je lâche des cris, sans pouvoir me retenir, ayant l'impression de faire partie de cette scène. Je comprends que le Blue du présent ne veuille pas revoir ce cauchemar réel. Un coup de feu retentit soudainement. Azur s'écroule au sol, tenant son ventre. « Azur ! Relève-toi ! », hurle le jeune Blue, en tentant de tirer l'autre bras de son grand frère. Ses grands yeux maquillés sont embués de larmes. Jefferson accourt et le serre contre lui. Azur parvient à murmurer : « Jeff... regroupez les enfants... »

Il se tourne ensuite vers son petit frère avec un sourire triste et chuchote :

« Blue... toi au moins tu comprendras la prophétie qui entoure Jefferson... »

Affaibli, Azur ferme les yeux, plongeant dans un sommeil éternel. Blue lui crie, alors que Jefferson le prend dans ses bras pour le protéger et le conduit loin d'ici :

« Je l'ai déjà comprise Azur ! Tu peux dormir tranquille, grand frère... »




Courant aussi vite que je le peux, je laisse le Blue du présent seul quelques instants pour suivre Jefferson. Il pose le petit Blue dans une sorte de mini-grotte, près de Kuro que Ruby vient de coucher dans un panier. Blue pleure à chaudes larmes, sans parvenir à s'arrêter. « Aller Blue, on est là, tu es le petit garçon le plus fort que je connaisse ! »

Jefferson ne sait pas trop quoi dire de plus, étant donné sa mine perdue. Il regarde ensuite Kuro et se saisit délicatement de la minuscule main de ce dernier, âgé d'à peine quelques mois. Après avoir essuyé ses larmes avec rage, Blue lance de sa petite voix :

« Ne t'en fais pas, Jefferson. Je vais surveiller votre bébé.

-Ne t'embête pas, murmure Ruby à voix basse, je veille sur lui.

-Non ! Hurle Blue. Il faut faire comme Azur a dit ! Vous, vous devez mener tous les enfants ici, et moi je les garde ! »

Surprise de la soudaine colère de cet enfant qui vient de perdre son frère, l'être le plus cher à ses yeux, Ruby finit tout-de-même par céder et chuchoter :

« D'accord... On va faire comme Azur a dit. Reste bien ici, okay ? »

Sur ces mots, elle s'en va en courant accompagnée de Jefferson et d'autres adultes Résistants, afin de protéger les gamins. En les suivant, je constate avec horreur que certains enfants sont gisants sur le sol, en sang... Comment, comment peut-on s'en prendre à des gosses ? Une pointe de colère monte en moi.

Je vois Jefferson courir vers la grotte en tenant la main d'un garçon blond, âgé de six ans je dirais, hurlant à la mort. Il me fait cruellement penser à Frère Marto de Cloverjack's... mais je reconnais Marshall à ses oreilles de lièvre et à ses yeux bridés oranges. Il crie, et ne s'arrête plus, tendant désespéramment sa main vers le cadavre d'une adolescente qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Je déduis qu'il s'agissait de sa grande sœur, et recule brusquement comme si je venais, moi-même, de me recevoir une flèche en plein cœur. Marshall, maintenant assis près de Blue qui lui frotte amicalement le dos, passe ses mains tremblantes dans ses cheveux, convulsant et gueulant toujours plus fort.

Un homme qui m'était inconnu jusqu'à présent passe ensuite devant moi. Il porte une sublime armure, ternie par la poussière, la cendre et le sang. Ce soldat porte les couleurs du Royaume de Cœur, mais une lueur innocente brille dans ses yeux. Il accourt vers une femme aux cheveux châtain clair coiffés en chignon négligé et la blottit contre lui. Elle porte un bébé contre sa poitrine. L'homme l'embrasse amoureusement et chuchote : « Protège Togano. » Je comprends alors qu'il s'agit du Valet de Cœur et reste bouche bée. Il fonce se battre héroïquement contre les Chevaliers Rouges, alors qu'il est censé être de leur côté. Kotaro a donc menti à Togano en lui faisant croire que tous les Heartace avant lui étaient de fidèles Valets de Cœur ! Celui-ci s'est battu par amour et pour protéger son fils ! Je suis immédiatement sortie de mes pensées par une flèche empoisonnée qui vient s'enfoncer dans la jambe du père de Togano, qui tombe à genoux en gémissant de douleur. Sa compagne, après avoir déposé son fils dans les petits bras de Blue, accourt vers son homme, tétanisée par le chagrin. Mais un cruel sujet du Roi passe près d'elle, et la tue avec un sourire, avant de détaler. Voir les parents de Togano morts en s'étreignant l'un contre l'autre fait verser de nombreuses larmes sur mes joues. Je savais que j'allais pleurer à cause de ce voyage. Mais jamais je n'aurais cru atterrir en Enfer...




Je ne sais plus où donner de la tête tant je suis encerclée de morbides actes. Je ne sais même pas quelle étrange force me pousse à continuer de regarder cette guerre de mes yeux impuissants. J’aperçois Jefferson revenir à l'emplacement où se trouve les jeunes habitants du Wonderland en tenant le poignet d'un petit garçon chauve de la main droite, et celui d'un petit garçon avec de courts dreadlocks de la main gauche. Les jumeaux sont en larmes, venant de voir leurs deux parents se faire tirer dessus en pleine tête. Marshall, un peu plus apaisé, tend ses bras pour accueillir les Tweedle près de lui, et les rassurer du mieux qu'il le peut. J'assiste également au meurtre d'un homme aux cheveux blond platine, qui tenait un bébé contre son torse. Il s'écroule, gardant le nourrisson dans ses bras, et lâche son dernier soupir... mais voilà ce connard de Cavalier Rouge, celui qui a poignardé la mère de Togano dans le dos, qui assène un coup de couteau au bébé. Par chance, Ruby plaque l'homme à terre et lui assène plusieurs violents coups de poings, l'empêchant donc de blesser l'enfant gravement. Elle finit par le tuer en l'étranglant férocement et longuement, son instinct de mère reprenant le dessus. Elle récupère le tout petit garçon, le câline tendrement, et le conduit dans la cachette. Les Tweedle s'approche du bébé, et constatent avec un douloureux pincement au cœur que la joue dodue du nouveau né est profondément entaillée. Ruby finit par craquer en le déposant dans les bras de Marshall :

« Déjà que sa mère est décédée à l'accouchement... en plus il ne connaîtra jamais son père. »

Avec une douceur enfantine si singulière, Blue s'approche d'elle, et essuie ses larmes en la regardant avec tristesse. La jeune mère se lève après lui avoir souri quelques instants pour le remercier, et retourne sur le champ de bataille, alors que les jumeaux soignent la plaie du bébé en la pansant avec leurs vêtements. Lorsque le sang est essuyé, ils remarquent tous que la cicatrice de l'enfant est en forme de croix.

Jefferson, de son côté, a retrouvé un bébé tout aussi jeune que le survivant balafré que Ruby vient de sauver. Il hurle, remuant ses petits bras dans le vide, allongé sur le sol. Derrière lui, d'immenses flammes entourent ses parents, pris au piège et sur le point de mourir carbonisés. Tremblant de tout son corps, Jefferson attrape le bébé avant que le feu ne s'approche trop de ce dernier. Tout en courant jusqu'à la planque, il aperçoit un logo cousu sur la couverture de l'enfant, qui crie toujours à pleins poumons. Cet écusson est un haut-de-forme. « Oh... tu es un Hightopp. » L'homme continue sa course, mais aperçoit un garçon, selon moi âgé de huit ans, tout recroquevillé près du corps d'un vieil homme. Le gosse, roulé en boule et possédant de grandes oreilles de rongeur, pleure silencieusement, en tenant la main de l'homme âgé, mordillant le pouce de son autre main.

« L, vient avec moi, tu ne peux pas rester là...

-Je ne veux pas partir sans mon grand-père ! Murmure-t-il entre deux sanglots. »

S'y sentant cruellement obligé, Jefferson relève puissamment le garçon-loir, le porte sur son épaule gauche alors qu'il tient le bébé Edge de son bras droit, et les conduit auprès des autres gamins. Faiblement, je me tourne vers Blue, celui qui a voyagé dans le temps avec moi.

Il est recroquevillé face à un arbre, ses mains plaquées sur ses oreilles et les yeux sauvagement clos. Je me précipite vers lui, m'exclamant de ma voix cassée d'avoir tant crié sans m'en rendre compte : « Blue, je ne peux plus voir ça, je ne tiens plus !

-Je ne contrôle pas le Temps, Alice. J'ai pu légèrement accélérer le voyage tout-à-l'heure. Mais mes pouvoirs s'affaiblissent à cause de cet affreux souvenir. Nous ne pourrons reprendre le voyage que lorsque cette maudite guerre sera passée. Il hurle. Moi aussi je ne veux plus voir ça Alice ! » 




Blottissant Blue contre moi, je vois un couple arriver en courant et laisser leur bébé à côté de L. Ce dernier, ayant séché ses douloureuses larmes endeuillées, pose sa main sur l'épaule du nouvel arrivant, un petit garçon-chat qui doit avoir deux ans à tout casser. Le petit Hiruma s'écrit entre deux sanglots : « Maman, où tu vas ? »

Pour toute réponse, sa mère, une belle blonde aux yeux verts perçants, lui attache un collier autour du cou, celui dont le bocal-pendentif contient la Poudre de Lune. Un immense sourire innocent souligne soudain les lèvres du chaton aux cheveux noirs, qui tripote le flacon du bout de ses griffes. Elle murmure d'une voix tendre : « Continue simplement de sourire, mon petit cœur, et reste avec tes nouveaux amis. Maman t'aime très fort, Hiruma. »

Je frotte le dos de Blue pour l'apaiser, me lève malgré moi en ne quittant pas la mère d'Hiruma des yeux, et constate avec horreur qu'elle retourne sur le champ de bataille au côté de son mari : tous les deux sont tués, d'une lance dans le cœur. L serre à présent Hiruma très fort contre lui. Brusquement, les Chevaliers Rouges s'écartent, comme pour former un chemin. Un homme tout vêtu de rouge, le menton hautainement relevé et les yeux assoiffés de violence et de sang fait son arrivée, sous l'impuissance des quelques Résistants survivants. Personne n'ose bouger. À sa sublime couronne, la même que Kotaro, je comprend qu'il s'agit de l'ancien Roi de Cœur. Il possède des courts cheveux indigos impeccablement coiffés, un regard châtaigne empli de dédain et de rage, et est incroyablement grand. Il avance les poings serrés. Ruby et Jefferson, après avoir caressé les joues de Kuro et embrassé son front, se place face au puissant tyran. Le jeune Blue se lève alors, tend les mains devant lui et, en se concentrant, crée un champ de force autour de la petite grotte pour protéger les autres enfants et lui-même.

« Tu as fais quoi ?! Lui demande Marshall, tout frissonnant en griffant ses joues.

-Grâce à ce champ de force, plus personne ne pourra entrer ici. Nous sortirons de là une fois la guerre terminée, explique posément Blue, d'une voix chevrotante qui trahit une profonde tristesse qu'il tente de cacher.

-Mais, comment vont se protéger Ruby et Jefferson ? Demandent les Tweedle d'une même voix. »

Le garçon-chenille à la langue de caméléon ne leur répond pas, les joues à présent trempées de larmes qui ne cessent de se suivre, les unes après les autres. Son silence veut tout dire.

Blue, celui qui a voyagé dans le temps avec moi, chuchote sans se retourner, en sentant la présence du Roi de Cœur : « Lui, c'est Kyokai, et je pense que tu as deviné son statut... »

Jefferson est debout, bien droit et les poings serrés, le regard dur face à ce souverain qui le toise avec cruauté. Ruby est à droite de son homme, ses yeux rouges contenant une terrible colère. Le dit ''Kyokai'' ricane en les voyant si déterminés :

« Ce que vous pouvez être pathétiques tous les deux ! Il calme son rire sarcastique et lance un regard sévère à Jefferson. Toi, misérable Terrien, tu as apporté du nouveau dans le Wonderland ! Tu stoppes le temps... tu peux voyager librement entre nos deux mondes... et maintenant tu dresses le p'tit peuple contre moi ! Tu es tellement naïf. Complètement con même. Il sort un pistolet rouge décoré de cœurs noirs et d'arabesques et vise la poitrine de Jefferson. Tu ne comprends donc pas que tu es inutile pour ce monde ? »

Jefferson chancelle, en suppliant Kyokai du regard. Les enfants les plus jeunes se blottissent contre les plus grands, qui tournent le regard ou bercent tendrement les bébés. Le coup de feu retentit. Blue se recroqueville encore plus sur lui même en serrant son narguilé contre son torse. Le sang gicle.




Ruby tient fermement son ventre, ses doigts étant crispés à son corset blanc couvert de sang. Son propre sang. Elle s'est jetée devant Jefferson pour le sauver. Il l'a rattrape alors qu'elle titube, sans un mot, complètement choqué. Elle le pousse gentiment, saisit une hache laissée à l'abandon à ses pieds, et rassemble les dernières forces qu'il lui reste pour couper la tête du Roi de Cœur Kyokai. Le corps de ce dernier s’effondre mollement alors que sa tête roule aux pieds de ses Cavaliers Rouges. Ruby tombe dans les bras de Jefferson, légère comme une plume malgré le poids de la Mort qui s'abat sur elle. Il est désespéré. « Ruby ! Non ! Ne me laisse pas Ruby ! Ne meurs pas ! »

En esquissant un léger sourire à travers ses dernières larmes, Ruby caresse tendrement la joue humide de Jefferson. Elle murmure simplement dans son ultime souffle : « Je t'aime. »

Mes mains toutes tremblantes couvrant ma bouche, je ne parviens pas à quitter Jefferson des yeux. Il regarde longuement sa défunte compagne, la serrant contre lui en lui répondant « Je t'aime aussi » des dizaines de fois. Blue se lève enfin, mais ne regarde toujours pas la scène. Jefferson sort de ce moment de deuil en apercevant un enfant qui s'avance vers lui. Un petit garçon de trois ans environ, aux cheveux noirs coiffés en banane, aux quelques reflets bleutés. Ses yeux chocolat aux longs cils sont grands écarquillés et rivés vers le cadavre du Roi de Cœur. Il chuchote, sa voix étant cassée et tremblotante :

« Vous... avez tué mon Papa... »

J'observe le jeune Kotaro, à présent agenouillé près de la dépouille et fondant en larmes en criant sa rage. Ça m'arrache la gueule de le dire, mais il me fait réellement de la peine à ce moment précis. Jefferson pose délicatement Ruby au sol, tendant une main à Kotaro :

« Je...je suis vraiment désolé... »

Le petit garçon pousse la main de l'homme d'un geste plein de hargne, récupère la couronne de son père, et la met sur sa petite tête en hurlant aux Cavaliers Rouges :

« Maintenant, je suis le Roi. Il montre Jefferson du doigt. Qu'on lui coupe la tête ! »

Jefferson sursaute et lance un regard furtif vers la planque où sont cachés tous les enfants. Il doit certainement penser à Kuro, qui est à présent orphelin de mère. Il prend une grande inspiration et détale vers la Zone Trèfle, à l'emplacement du terrier. Tous les Chevaliers Rouges sont à ses trousses, et Kotaro retourne au château accompagné de quelques majordomes. L'un des sujets de son père (et qui sont donc maintenant les siens) le porte pour éviter qu'il ne se salisse en marchant sur les corps inanimés. Kotaro ne cesse de pleurer, ses petits poings essuyant ses larmes avec haine.

Je sens la main de Blue sur mon épaule. Je me blottis contre lui, mes larmes venant s'écraser contre ses somptueux vêtements bleus. Je ne sais pas quoi dire, quoi penser...

« Tu as donc la réponse à l'une de tes demandes : voici l'histoire des Rebelz, Alice. Leur enfance. C'est depuis ce jour que nous ne nous quittons plus et que nous nous battons contre le Royaume de Cœur, pour honorer la Résistance. Il se tait un instant et lance avec un sourire triste. Tu comprends un peu mieux pourquoi nous sommes tous fous à lier... »

Je recule légèrement. J'ai écouté ce qu'il a dit, buvant même ses mots, mais un étrange bruit a retenu mon attention. En ayant l'oreille près de son cœur, j'ai eu la surprise de ne pas entendre un naturel ''Boum Boum'' … mais un curieux ''Tic Tac''.

« Blue... ton cœur...

-...est une horloge. Toutes les Chenilles Bleues du Wonderland ont une horloge à la place du cœur. C'est ce qui nous confère la magie, et la capacité de créer les montres magiques. »

Il a répondu à une question que j'avais oublié de poser... Ses pouvoirs m'ont toujours intrigués, je n'arrive pas à croire qu'il ait une pendule comme organe vitale. Je murmure :

« Blue, lorsque je suis revenue au Wonderland tu as posé ta main sur ton cœur-horloge. Pourquoi donc ?

-Une simple palpitation à la vue d'une Terrienne tu penses ? Patience, Alice. Tu sauras. »

Silencieusement, il prend ma main, et se tourne vers le refuge des enfants. Je regarde dans la même direction que lui. Nous calmons tous deux nos sanglots difficilement. Il chuchote : 

« Tu ne vas pas tarder à avoir la réponse à la toute première question que tu m'as posé... »

Il porte l'embout du narguilé à sa bouche, aspire une bouffée, et souffle devant nous.




La fumée nous entoure, prenant différentes couleurs, scintillant à quelques endroits, et créant des formes veloutées semblables à des aurores boréales. Ce décor parvient à m'apaiser. Je tiens fermement la main de Blue dans la mienne, tremblant beaucoup moins et ayant séché mes larmes maintenant que ce souvenir de guerre est passée. Mais mon cœur et mon esprit n'en sont pas encore cicatrisés : je ne verrai plus jamais les Rebelz et le Wonderland en général de la même manière. Blue, étant également parvenu à cesser de pleurer, me montre du doigt des formes qui apparaissent dans la fumée, comme sur un écran de projection. Notre voyage dans le temps semble en pause.

« Pour tenter d'oublier ce cauchemar qui s'est pourtant réellement produit, voici la réponse à ta question concernant les Clefs du Wonderland. Sans transition. Je t'ai montré l'enfance des Rebelz avant que tu n'arrives. Tu sais maintenant pourquoi je peux faire des Montres Magiques. Donc je vais maintenant t'expliquer ça. Concernant tes trois autres questions, on verra plus tard, on doit reprendre nos esprits posément. »

Blue m'a dit ça en me regardant enfin dans les yeux. Ils sont encore pleins de larmes, mais il est plus détendu, il respire tranquillement et sa voix est moins vacillante. Le voir remis sur pieds me fait du bien. Je lui souris pour lui faire comprendre que je le soutiens et que je suis à son écoute. Il me rend mon sourire, et j'en suis plus qu'heureuse.

Une immense créature apparaît dans la fumée. Il s'agit d'un dragon, imposant et semblant invulnérable, volant autour de nous.

« Voici le Jabberwocky. Tu en as déjà entendu parlé, notamment grâce aux Tweedle qui possède sa force. Je leur ai attribué ce pouvoir car ils sont en admiration pour ce dragon depuis leur plus jeune âge. Cependant, c'est bien la première fois de ta vie que tu le vois, même si c'est seulement une image temporelle.

-Pourquoi n'ai-je jamais eu l'occasion de le voir avant ?

-Il faut savoir que le Jabberwocky est invincible, sauvage, que personne ne peut l'apprivoiser. Il est en quelque sorte le Cerbère du Wonderland, et veille sur ce monde du haut de la montagne de la Zone Carreau. C'est le gardien des cieux... »

Le visage de Kuro bébé apparaît soudainement face à nous, ainsi qu'une magnifique clef dorée. Elle est ornée de pierres précieuses, des onyx taillés en pique et en trèfle, ainsi que des rubis en forme de cœur et de carreau.

« Après la Guerre, le Jabberwocky a compris que tout serait différent au Pays des Merveilles. Mais il a également vu que notre monde avait besoin d'un Gardien, qui devrait connaître le Wonderland comme sa poche et pourrait en sortir librement pour aller sur Terre. Et, comme son père, Kuro est le seul qui en est capable. C'est pourquoi le Jabberwocky lui a confié la clef la plus importante, celle du Wonderland tout entier. Il a donc accès à tous les lieux, peut passer n'importe quelle porte... C'est en partie pourquoi il est le ''souffre-douleur'' préféré du Royaume de Coeur : Kotaro redoute la Clef de Kuro, sans oublier qu'il le hait car son père a été tué par Ruby. »

Je comprends un peu mieux... enfin, je crois. Tout est si étrange... Ce Jabberwocky qui ''règne'' sur le Wonderland de par son imposante carrure et son regard cinglant... Cette Clef du Pays des Merveilles... Cette haine de Kotaro envers Kuro depuis le meurtre de son père... Tout est lié, Blue avait raison. Mais...

« Mais je croyais qu'il y avait plusieurs clefs ! Dis-je soudain en haussant un sourcil.

-On y vient ! Blue effectue un grand geste de bras, faisant apparaître les visages de Kotaro, Edge, Jumonji et lui-même, tous les quatre à des âges différents. Il désigne d'abord Kotaro et lui, qui sont représentés aussi jeunes qu'au moment de la Guerre. Juste après avoir donné à Kuro la Clef du Wonderland, le Jabberwocky a attribué la Clef de Cœur à Kotaro. Comme celle du Pays des Merveilles, elle déverrouille toutes les portes... mais uniquement dans la Zone Cœur. On peut dire que cette Zone appartient carrément à Kotaro, qu'il en est le maître. Un clef rouge brillante en forme de cœur tombe dans la main du petit Kotaro, fraîchement roi. Puis, une clef noire plus mate en forme de trèfle se pose entre les doigts de l'enfant Blue. Quant à moi, qui ai proposé à Marshall et L d'élever tous les plus jeunes avec moi afin de fonder les Rebelz dés la fin de la Guerre, j'ai obtenu la Clef de Trèfle. Suite à cela, deux nouvelles clefs jaillissent devant un Edge âgé d'environ huit ans et un Jumonji pré-adolescent. La première semble être en bronze rouillé, avec un carreau sur l'embout, et la seconde est d'un blanc éclatant, sertie d'un pique. Edge a eu sa Clef à force de traîner à la grande table avec L et Marshall dans la Zone Carreau.

Tous traumatisés de ce que nous avons vécu, nous sommes tous plus ou moins devenus tarés. L, Marshall et Edge ont toujours tenté d'oublier en se réunissant autour d'une tasse de thé, en chantant à tue-tête et en gueulant leur joie d'être ensemble. Ils sont devenus officiellement Les Trois Fous du Wonderland lorsque le Jabberwocky a laissé cette Clef de Carreau à Edge. Quant à Jumonji, il a reçu sa Clef une fois que tu es partie après ta première visite. Comme tu lui as conseillé, il n'a jamais abandonné son projet de Royaume de Pique malgré le terrible départ de Togano. Et suite à son deuxième couronnement, le dragon a légué à Jumonji la Clef de Pique. Il claque des doigts et tous les dessins dans la fumée colorée disparaissent. Voilà, tu sais tout au sujet des Clefs du Wonderland. Tous ceux qui en possèdent sont donc les propriétaires des zones en questions. Et Kuro est tout simplement le Gardien du Pays des Merveilles.

-C'est vraiment très intéressant Blue, je murmure pleine d'admiration.

-Maintenant, si tu le veux bien, chuchote-t-il en passant une main nerveuse dans ses cheveux en arrière, concentrons-nous à nouveau sur les choses sérieuses... »





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