Le Clan Dolores : plume et aiguille

Chapitre 1 : Chapitre 1 : De nouvelles têtes

3784 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/03/2017 19:21

"blablablablabla Sweet Amoris, nous vous prions de blablablabla..."


C'était le moment d'attraper mon pachyderme de valise et de m'éclipser de ce train avant de vomir mes tripes. Je supportais mal les transports.


Il me fallait ensuite repérer ma tante. Je fouillais le quai du regard lorsqu'une masse rose attira mon attention.

C'était elle, elle sautillait sur place comme un lièvre sous coke, tenant une pancarte avec "AURORE ♥" inscrit en grand au rouge à lèvres. Je levai les yeux au ciel avant de m'approcher. Super, elle avait l'air encore plus timbrée que dans mes souvenirs. 


"Oh Aurore, ma petite fraise des bois, que tu es belle, tu n'as pas changé ! Tu m'as tout de suite reconnue ! En fait j'avais même pas besoin de ramener cette pancarte avec moi, hihi !

- A l'endroit, c'est mieux, Agatha, lui dis-je en retournant le morceau de carton qu'elle tenait à l'envers dans sa main trop manucurée.

- Je vais te montrer ta chambre... tu vas voir elle est sublime ! Et ta salle de bain... et ton dressing ! Hiiiii ! On va bien s'amuser, chérie !"


Dressing ? Cela commençait à beaucoup m'intéresser.


Le trajet jusqu'à chez-elle était long ; nous avions eu le temps de parler. Au fur et à mesure de la discussion, mon hystérique de tutrice se calmait et je découvrais une tante beaucoup plus agréable que son apparente hyperactivité le laissait croire. Bien sûr, une part de burlesque demeurait dans ses expressions, ses gestes, et les "hihiiii" par lesquels elle ponctuait ses phrases, mais je m'estimais heureuse d'avoir été envoyée chez elle plutôt que chez ma grand-mère maternelle, en Israël. Cette dernière, juive intégriste, m'aurait sermonné sur mon athéisme jusqu'au retour de mes parents de leur voyage en Asie. À mon plus grand soulagement, Agatha n'avait pas pour projet de me visser une kippa sur le crâne et encore moins de me faire fêter Chabbat tous les samedis. 


Son loft devait être une ancienne usine ou quelque chose comme ça : la hauteur sous-plafond était impressionnante. Des tableaux impressionnistes étaient parsemés dans le séjour, et certains avaient seulement été posés sur le sol, contre le mur, entre deux vases de bambou. Agatha y avait posé quelques livres et des statuettes en marbre noir, qui encadraient une large télévision. Elle avait également eu l'idée de transformer des parpaings bruts en pots de fleurs en y versant du terreau avant d'y planter spathiphyllum et petites fougères. Ce loft était un contraste homogène entre le design et l'industriel. Malgré sa couleur de cheveux douteuse, Agatha avait du goût.

Il ne me restait plus qu'à découvrir ma chambre... ou plutôt ma suite. J'étais bouche bée et un peu mal à l'aise devant l'espace de cette pièce. Ma tante était plutôt du genre... expansive avec ses invités. C'était bien plus que ce dont j'avais besoin : le grand dressing dont elle m'avait parlé (qu'elle avait déjà eu la folie de remplir de vêtements) était ouvert sur la pièce. J'étais la poupée que ma tante n'avait jamais eu.

Et c'était légèrement flippant...


En face, un énorme lit croulait sous les coussins, de sorte qu'on ne voyait plus que la moitié du matelas. Un bureau noir laqué trônait non loin de la table de nuit. Elle n'était visiblement pas au courant que je faisais mes devoirs sur mon lit. Ce meuble allait irrémédiablement me servir de contenaire sur lequel je jetterais mes vêtements en rentrant des cours. En revanche, je n'allais pas cracher sur l'immense bibliothèque qui allait de la porte d'entrée à un coin de la pièce.


"Je sais que tu adores lire, mais on ne m'a jamais précisé quoi. Donc, ben, j'ai tout acheté hihi : du classique, du policier, de la science-fiction, de la poés...

- Agatha, t'es géniale, l'interrompis-je.


Et complètement tarée. Elle avait sincèrement acheté tous ces bouquins rien que pour moi ?

Il devait y avoir toute l'oeuvre de la Pléiade, là-dedans.


- Bon, ma chérie, il se fait tard. Au dodo ! Demain, tu vas en cours ! Ah, comme je t'envie, il y a tellement de jolis garçons dans ton lycée ! Je les ai vus sortir du lycée hier et ils sont...

- Bonne nuit Agatha bisous je t'aime !" la coupai-je en fermant la porte et en espérant qu'elle avait vu ces garçons seulement parce qu'elle passait devant le lycée et pas parce qu'elle les épiait. Une tante cougar, non merci. 



***



Le lendemain matin, bien sûr, il fallait que je sois en retard. C'était habituel chez moi, de toute façon. Je bondis sur mes pieds et je fonçai vers le dressing pour... constater que tante Agatha avait beau avoir un goût très sûr en matière de déco, la mode n'était pas sa tasse de thé. Mon dressing était plein de fanfreluches et de robes roses et bleues.

Hors de question de m'habiller comme un sachet de paillettes ambulant pour mon premier jour de cours. Après deux minutes de recherche, je trouvai dans mon énorme valise mon skinny noir préféré, un débardeur gris chiné, la veste en jean délavé que j'avais piquée à mon père, et mes bonnes vieilles Doc Marten's. J'ajoutai à cette tenue une tonne de bagues de phalanges et un chapeau panama noir de chez Bogart. Je voulais faire soft, mais les accessoires étaient indispensables pour moi, déjà que je devais couvrir le tatouage que j'avais eu l'intelligence de me faire faire sur l'avant-bras ; il paraît qu'une croix chrétienne accompagnée d'une main de Fatma et d'une étoile juive, c'est mal vu dans les lycées laïcs. 


Comment ne pas trouver ça ironique alors que j'étais complètement athée...


Un peu de mascara et de blush et j'étais prête pour me rendre en cours avec une heure et demie de retard.


En attrapant mon sac à dos en cuir, je me souvins qu'il restait dans l'une des entailles que j'avais faites dans sa doublure de quoi me rouler au moins deux ou trois gros joints purs. 

Aurore, tu vas vraiment te défoncer le jour de la rentrée ?



***



"Eeeeenfin !


Il faut dire que je ne m'étais pas pressée sur la route.

Je détaillai l'immense pancarte qui surmontait le portail du bâtiment. Il y était écrit "Lycée Sweet Amoris" avec tout plein de cœurs partout. Waaah. Dans quel endroit débile j'avais encore débarqué ?

Ma montre indiquait 10 heures. Mmh... je crois que je suis en retard. 


L'avantage avec les Doc Marten's, c'est que c'est très pratique pour courir jusqu'à sa salle quand on est un boulet comm...


"Stop !"


Une voix masculine avait retenti derrière moi. J'étais au milieu du couloir, essoufflée : 


- Quooooi ? répondis-je au ralenti


J'avais peut-être un peu trop fumé.


- On ne court pas dans les couloirs, tu ne connais pas le règlement ?


Il me passait un savon pour ça ? Quel casse-couilles.

Je pointai mon doigt vers sa cravate. Ahah, une cravate.


- Toi... t'es un casse-couilles.

- Ah, c'est toi la nouvelle, fit-il. Défoncée le jour de la rentrée. Moi qui croyais voir le nombre de junkies diminuer ici.

- Ahah, une cravate. Ahah. Hah.


Il soupira.


- Je suis Nathaniel, le délégué principal. Tu as de la chance, le professeur d'anglais n'est pas là ce matin. Tu as une heure de permanence.

- Han...


J'aurais pu dormir une heure de plus ? Merde...


- Je vais te faire visiter le lycée. Après tout je suis obligé.


Ce garçon avait l'air grave coincé avec sa cravate et sa chemise... le portrait craché de mon grand-père plus jeune.



***



J'avais ensuite une heure de littérature. Un boulet restant un boulet, j'avait réussi à me perdre en cherchant ma salle. Heureusement, deux filles m'avaient aidée. Elles s'appelaient Iris et Melody. La première était très sympathique, mais ce n'était pas une lumière. L'autre me fusillait du regard dès qu'Iris avait le dos tourné... flippant. 


En arrivant dans la salle, tout le monde me dévisageait. C'est alors que je me rappelai que j'étais "la nouvelle", que ces gens ne me connaissaient pas et qu'ils devaient se demander ce que je fichais dans leur classe. La prof de littérature m'appela et me demanda de me présenter à ma classe. Qu'est-ce qu'elle voulait que je dise ? Bon, on va pas se prendre la tête, hein. En plus j'étais encore raide à cause des quatre purs que j'avais fumés... Oui, en fait j'avais assez d'herbe pour en rouler quatre. J'avais serré le tout, mais ils étaient plutôt consistants. 


"Biiijour.. Moi c'est Aurore, j'ai... 17 ans en... décembre. Je viens... d'un petit trou paumé qui s'appelle Morpert. J'aime bien... lire, la musique... lire... mes parents sont partis en voyage sans moi... et ils m'ont laissée toute seule, donc je suis venue squatter chez ma tante... le temps qu'ils se rappellent que j'existe.


Je me mis à rire bêtement pendant une seconde, puis je me repris immédiatement.


- Heu... bienvenue, Aurore, bafouilla-t-elle. Tiens, assied-toi à côté d'Alexy, juste ici.


Le dénommé Alexy, un mec aux cheveux bleus et aux fringues colorées, me fit un signe de la main. Je lui adressai un sourire niais en me dandinant tout en m'approchant de lui. 


- Pas mal ta biographie, railla-t-il.

- Marki. J'envisage de la faire publier.


Là, ça me rappellait bien trop cet épisode de South Park où une serviette de bain toxicomane décide d'écrire son autobiographie sous le nom de Steven McServietsky.

Ahah, South Park. Je me mis à rire bêtement en me repassant les images mentales du best-of du dessin animé, sous le regard amusé de mon voisin aux cheveux Technicolor.


- Kestuveu Grimmjow Jaggerjack ?

- Cette année scolaire risque d'être plus intéressante que ce que je croyais, commenta-t-il.


Il se contorsionna pour sourire niaisement en direction des tables de derrière. Je me tournai et j'y vis un mec avec des cheveux noirs qui me fixait de ses yeux bleus tout en ayant l'air de se marrer. Ouaaaaah, la phase. C'était comme si Alexy était la version New School de cet autre élève. Mes yeux firent alors au moins cinq allers-retours entre Alexy et lui. Quelque chose clochait il y avait comme une ressem...


- Jumeau, me souffla Alexy.

- Haaaaan."



***



Alexy m'invita à manger avec lui et son jumeau. Ce n'était pas de tout repos : ils passaient leur temps à se chamailler. Alexy m'avait piqué mon chapeau, ce qui fit tiquer Armin :


"La synagogue a appelé, railla-t-il. Ils veulent récupérer leur rabbin.

- A croire que tous ces pixels t'ont rendu aveugle : tout le monde me dit que j'ai une tête à chapeau.


Alexy partit se servir des frites pour la troisième fois. 

Pendant qu'il négociait avec Doris, la grosse dame de cantine, pour qu'elle lui remplisse son assiette sans rechigner, je remarquai que son jumeau me regardait fixement. Le pire, c'est qu'il n'essayait même pas d'être un tant soit peu discret ; il se penchait vers moi et me contemplait avec des yeux ronds. Ma tête basculait un peu vers l'arrière à cause de la marijuana. Je décidai d'attendre que quelque chose se passe... peut-être essayait-il de communiquer avec moi ? Les gens sont graaaave bizarres ici. 


Brusquement, Armin se redressa, et il s'écria :


- Tu as les mêmes yeux que Lara Croft !


Heu.. il était complètement barré.


- Heinnn ? fis-je

- Tu connais pas Lara Croft ? Tomb Raider, ça te dit rien ? 

- Heu... si. Mais là je suis carrément déééfoncée.

- Ça se voit. Et pas qu'à tes yeux. 


Soit ces derniers étaient rouges, soit ils étaient plissés. Dans le premier cas, j'aurais eu des yeux de souris de laboratoire, dans le deuxième ceux de Pucca. Mais Lara Croft... pourquoi m'avait-il comparée à Lara Croft ? D'ailleurs, qui regarde les yeux de Lara Croft ? Même moi, je lui mate les seins.


Son frère arriva avec les bras pleins de bouffe.


- Hey, vous deux ! Regardez ce que Doris m'a filé ! Gay et habile avec les femmes, frangin, prends-en de la graine.


Il balança un paquet de gâteaux à son frère, qui me regarda avec surprise :


- C'est bizarre, d'habitude tout le monde est étonné quand il apprend qu'Alex est gay.

- Intuition, répondis-je en haussant les épaules. 


En réalité, j'avais compris qu'Alexy était gay en le voyant mater les fesses d'un garçon aux cheveux blancs pendant la pause du cours de littérature. Je l'avoue, je ne m'étais pas gênée pour l'imiter. 



Ces jumeaux n'avaient pas des estomacs, mais des puits sans fonds. Après qu'Armin se soit servi du steak pour la quatrième fois et Alexy de la pizza pour la deuxième, je décidai de m'en aller. En plus les effets des joints étaient presque partis. 


"Bah... qu'echque t'as ? fit Alexy la bouche pleine

- Mes règles. 


Il me fallait bien une excuse.


- Beurk, glapit son frère.

- Chauuud devant !" chantonnai-je en bousculant les secondes agglutinées devant la sortie.




***



 

A peine sortie de la cantine, je vis le mec coincé de ce matin, Nathaniel. Il lisait un bouquin, tout seul, installé à un banc. Melody était assise à celui d'à côté et regardait le blondinet avec une insistance vraiment flippante. Bon, Aurore, tu t'es promis d'être plus sociable cette année. 

Je m'approchai de Nathaniel.


"Salut, tu te souviens de moi ? lui lançai-je du tac au tac.


Il releva sa tête blonde de son livre.


- Hein... oh, Aurore, bien sûr que je me souviens.


Quelle question, il n'avait pas pu m'oublier, j'étais complètement raide et je m'étais moquée de sa cravate. 

Je pliai légèrement son livre pour voir ce qu'il lisait. Et ce que je vis me plu beaucoup.


- Tu lis du James Hadley Chase ? J'adore cet écrivain.

- Vraiment ? demanda-t-il étonné. Je connais pas beaucoup de monde qui le lise, ça fait plaisir de croiser quelqu'un qui l'apprécie.


Il posa son livre, se redressa un peu et je pus voir Melody me mitrailler de son regard de psychopathe.


- En fait, je connais pas grand monde qui aime lire tout court, poursuivit Nathaniel.

- Euh. Ben... moi j'adore.

- C'est super, alors. Dans la ville, il y a un petit libraire qui vend des livres. Il a souvent du Sarraute, du Hadley Chase, du Maalouf et même du Jeanne Champion. Je pourrais te le montrer, si l'occasion se présente.


Houla, du calme blondinet. Il avait l'air beaucoup trop motivé par cette idée, et les rencards intellectuels c'était pas vraiment mon genre.


- Ouais, génial, mentis-je. Tu me montreras."


La sonnerie retentit. Le délégué principal et moi partîmes à notre cours d'histoire. 



***



Devant la salle, Armin et Alexy discutaient avec un autre garçon, un brun aux cheveux en bataille qui faisait une dizaine de centimètres de moins qu'eux. Il portait une paire de trellis et une chemise blanche ouverte sur un débardeur noir. Son col était remonté, ce qui lui donnait un air de Roberto dans Un Dos Tres. Il aurait eu besoin d'un bon relooking. Je ne savais même pas que ça existait encore, le motif camouflage. 

Lorsqu'il me vit arriver, il détourna le regard. Je ne notai pas vraiment ce geste. 


"Salut les obèses, dis-je aux jumeaux sans me soucier de lui. 

- Salut Lara Croft la camée, répondit Armin. T'as pas chaud comme ça ? demanda-t-il en pointant ma grosse veste en jean.


Je suffoquais, je brûlais, j'agonisais, je...

- Non, ça va, mentis-je.


En classe, les jumeaux se mirent côte-à-côte. J'avais voulu me mettre à côté de Nathaniel, puisque c'était la seule autre personne que je connaissais, mais Melody avait presque couru pour me devancer. Je dus donc prendre le brun qui parlait avec Armin et Alexy comme voisin.

 



"Salut, lui dis-je en le rejoignant au troisième rang.


Il me répondit par un sourire timide.


- Moi c'est Aurore.

- Je sais.


Ouf. Le plus gros stop de ma vie.


- ... et toi ? insistai-je.


Il baissa la tête en souriant timidement.


- Tu te souviens pas? Moi aussi j'habitais Morpert.


Ce mec ne me disait rien du tout. On s'était peut-être vus à une fête, ou à la feria. Je devais être bourrée... 

Ou bien sous DMT.


- Kentin, ou bien... Ken, dit-il.


Je crus avoir mal entendu.


- Ken ? Le Ken qui a demandé à l'administration à se retrouver dans ma classe jusqu'en terminale quand on était en sixième ?

- Lui-même. Le binoclard d'un mètre cinquante avec une coupe au bol, celui qui était amoureux de toi et qui te collait tout le temps aux basques. Je suis parti de la ville en troisième, tu te rappelles ?


Et comment... il m'avait chanté une sérénade d'adieux au milieu de la cafétéria.


- Heu... oui, oui. En tout cas t'as vraiment changé, c'est incroyable.

- Mon père est militaire, il m'a envoyé dans une école spécialisée quand il a vu que même les filles me cherchaient des noises et se foutaient gratuitement de moi. Et puis je suis arrivé ici cet été.


Une question me trottait dans la tête. Bon, je me lance :

- Tu es... enfin tu n'es plus...

- Amoureux de toi ? Non, t'inquiète pas, anticipa-t-il en souriant. J'ai décidé de te laisser tranquille. Tu sais, j'ai pas changé seulement au niveau du physique."


Nous ne nous sommes pas beaucoup parlé pendant le cours ; ça me faisait vraiment bizarre que le bouc émissaire de la classe pendant la quasi-totalité de ma scolarité se soit muté en beau brun ténébreux. Et puis de toute façon il n'avait pas l'air très intéressant, je n'avais pas spécialement envie de discuter avec lui. 


Pendant que M. Faraize nous racontait la vie passionnante de Napoléon Bonaparte, j'essayais de ne pas penser au fait que je suffoquais sous ma veste. Pourquoi il fait aussi chaud ? Je vais tomber dans les pommes, moi ! Bon... il reste me combien de temps dans ce crématorium avant de rejoindre l'air frais ? ... une demie heure ?! Je vais mouriiiiiiiiir.


- Euh... ça va, Aurore ? me demanda Kentin en voyant les grimaces de désespoir que je faisais instinctivement.

- Non ! Je meurs de chaud.


Il pinca les lèvres, l'air de se dire "elle n'a qu'à enlever sa veste, cette attardée". Bon, il l'aura voulu...

Je me mis à retirer la responsable de mon agonie, et les yeux de Kentin s'arrondirent de plus en plus.


"Au-Aurore. C'est quoi ça ?

- Tu comprends pourquoi j'hésitais à enlever ma veste..."


Ses yeux contemplèrent longtemps les trois insignes soi-disant "ostentatoires" sur mon avant-bras gauche, avant de remonter vers le code barre surmonté d'un "Product of society" qui figurait sur mon biceps, avec avec une croix celtique, puis il essaya de déchiffrer la date qui était sur mon autre bras en chiffres romains. Mon avant-bras droit portait la citation de Baudelaire "Hue donc, bourrique ! Sue donc, esclave ! Vis donc, damné !", le mot "Résistance" était ancré en Grec sur mon poignet gauche, et j'ôtai mes bagues pour lui montrer tous mes tatouages de phalanges.


- J'aurais dû m'en douter, tout bien réfléchi, c'est d'usage chez... vous. T'as fait ça quand ?

- J'ai commencé y'a deux ans et demi, et j'en ai d'autres. Le cancer de la peau me guette...

- D'autres ? Tu fais perdurer la tradition. 


J'eus un léger hoquet. Il faisait référence à d'autres tatoués de Morpert auxquels je n'avais aucune envie de penser.


- Dans mon ancien lycée, ils n'aimaient pas beaucoup mes tatouages, expliquai-je. Le dernier que j'ai fait, c'était celui là. 


Je lui montrai la croix, la main de Fatma et l'étoile juive qui étaient sur mon avant-bras gauche.


- Ma prof principale m'a signalée au directeur, qui m'a renvoyée pour "incitation à la haine et affichage d'insignes ostentatoires". Dans ce lycée privé pour bourgeois où règnent les dogmes, j'étais coupable de félonie.

- Sérieux ? Il sont débiles. C'est pas comme si tu t'étais fait tatouer une croix gammée."


La sonnerie retentit. En traversant la salle pour rejoindre les jumeaux dehors, je sentis trente paires d'yeux braquées sur moi... ou plutôt sur mes bras. Nathaniel me fixait vraiment bizarrement. Melody la tarée avait ouvert la bouche, comme si mes tatouages faisaient l'apologie d'une forme de terrorisme. Trois pimbêches, dont une blonde et une asiatique, se mirent à faire des messes basses. Super, j'avais une belle brochette de greluche dans ma classe. Le professeur eût l'air étonné, mais il ne me fit aucune remarque. 


"Hey, lancai-je aux jumeaux une fois arrivée dans le couloir.


Ils saisirent mes bras et les tordirent dans tous les sens pour regarder toutes mes marques indélébiles.


- C'est bon, vous avez fini ? Je suis pas contorsionniste !

- C'est génial, commenta Alexy en lâchant mon bras.

- Je confirme, fit Armin, ils sont tous cools."


Aucune réflexion indignée ? Bon.


- Super. Vous viendrez avec moi pour celui que je me fais faire cette semaine."




Mot de l'auteure :


Salut à tous, ce chapitre est nul, vous en conviendrez ! Mais c'était de pures formalités : présentation d'Aurore, du cadre spaciotemporel, de quelques personnages et de l'élément central de la fiction : les tatouages (d'où le titre "Plume et Aiguille"). Et, évidemment, Aurore est défoncée. C'était exceptionnel, et elle aura l'air bien plus intelligente plus tard, promis ! Les deux prochains chapitres auront sûrement le même style, et à partir du quatrième je pourrai ENFIN m'amuser avec des informations bien plus intéressantes.

Laisser un commentaire ?