Quand souffle le vent d\'automne...

Chapitre 1 : Regard

Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/11/2016 21:10

 

Il pleuvait.

L’eau ruisselait sur les murs, le long de la nervure délicate des feuilles d’arbres rougissantes comme une dame courtisée en cette soirée d’automne humide, gouttant des lampadaires déjà allumés à cause de la pénombre pour fondre sur le sol en un discret tintement. Dans la lueur diffuse du crépuscule, le gens se pressaient sur le trottoir humide, réfugiés sous de vastes parapluies tandis qu’ils se dépêchaient de rentrer chez eux pour retrouver leurs vies, leurs amis et leur famille…

  Mais dans une ruelle perpendiculaire à celle qui respirait la vie, il y avait un être de mort.

  La créature était adossée au mur couvert de graffitis, noir de saleté, tandis que ses pieds griffus repoussaient faiblement les ordures que les poubelles non loin vomissaient sans vergogne. Elle avait mal. La plaie béante sur sa poitrine blanche et recouverte d’une sorte de carapace la brûlait de manière atroce, déversant un sang noir sur le reste de son corps qui allait finir sa course sur le pavé du sol.

  Une mauvaise rencontre engendrait de mauvaises choses, et le monstre avait du mal à guérir.

  Il devait se nourrir.

  Et vite.

  • Qu’est ce que tu as, Monsieur ?

  Surpris et sur le qui-vive, la bête releva la tête et son regard bleu nuit rencontra les yeux gris argent d’une fillette.

  Elle le fixait, à l’abri sous un parapluie rouge et blanc, accroupie devant celui qui pouvait, dans l’instant, devenir le pire prédateur de sa vie, son petit visage d’ange auréolé de boucles blondes.

  Et elle le voyait, c’était ça qui gênait le plus le monstre. Personne ne le voyait, normalement, jamais. Seuls ses semblables et ceux qui les chassaient, lui et les siens le pouvaient.

  Il décela alors en elle une énergie spirituelle encore balbutiante, comme un bébé peinant à tenir sur ses jambes pour la première fois. Elle pouvait, elle était puissante pour pouvoir le voir à son âge, parce qu’elle ne devait pas avoir plus de 5 printemps…

  Si appétissante…

  • Tu as mal, Monsieur ? , demanda-t-elle en penchant la tête sur le coté, comme pour mieux entendre.

  Le monstre ne répondit pas. Comment cette enfant, cette simple petite humaine, ne pouvait-elle pas avoir peur ?

  La fillette baissa les yeux vers les gouttes de sang maculant le sol et mêlées à l’eau de la pluie, puis son regard remonta sur la plaie béante sur le sternum de cette créature, avant de relever la tête. L’argent replongea impitoyablement dans la nuit.

  • Tu saignes, donc c’est que tu as mal… Tu pleurais ?

  La bête secoua la tête, incrédule malgré sa douleur. Quelle petite singulière ! Elle l’intriguait…

  Puis il la regarda fouiller dans sa poche.

  • Tiens, Monsieur ! , fit-elle avec un sourire lumineux, Ce n’est pas beaucoup, mais je n’ai pas mes pansements, alors…

   Elle lui tendit, sans peur aucune, un mouchoir en tissu d’un blanc neigeux.

   Effaré, le monstre hésita, puis avança une main griffue et attrapa l’innocent et modeste présent de l’enfant. Il mourrait d’envie de se jeter sur elle pour arracher son âme encore pure et ainsi pouvoir repartir dans son monde glacial et ténébreux, mais quelque chose le retenait.

  Quelque chose de nouveau pour lui.

  • YUNA !

  Une voix inquiète, se demandant où la fillette était passée. La petite se redressa, offrit un autre sourire pétillant à la créature et lui lança :

  • Au revoir, Monsieur ! Soigne toi bien !

  Avant de partir à toutes jambes vers une grande femme qui ne pouvait être que sa mère, projetant de l’eau partout en marchant dans les flaques.

  Resté seul, le monstre baissa les yeux vers l’innocent mouchoir entre ses larges griffes. Il pouvait déchirer ce bout de tissu si aisément, sans même y penser. Mais pour la première fois depuis très, très longtemps, il se sentait… perdu.

  Pour la première fois depuis le début de sa vie de bête uniquement guidée par ses instincts, quelqu’un pouvant le voir l’avait approché sans peur ni attentions belliqueuses et agressives.

  Juste de la compassion.

  Et une énorme gentillesse teintée d’innocence.

  Alors, le Vasto Lorde releva son inquiétante tête masquée, la pluie crépitant avec acharnement sur la blancheur de l’os de son crâne, et lâcha une longue plainte pour exprimer sa douleur, sa faim insatiable, son éternelle solitude et surtout, son désarroi…

Laisser un commentaire ?