Rêver éveillée

Chapitre 1 : Sauvetage gallifréen

2332 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 29/07/2016 01:43

Parfois, j'ai l'impression d'être différente du reste du monde.

Pas parce que je suis narcoleptique, pas parce que je peux contrôler n'importe quel ordinateur de cette planète. C'est juste qu'il m'arrive des trucs bizarres. Tenez, je me suis fait casser une côte par des malfrats avec qui j'avais refusé de collaborer et, avant même que j'aie eu le temps de me relever, elle était réparée ! Comme par magie ! Il y a aussi ces rêves étranges. Chaque fois que je m'endors, je rêve d'une guerre énorme dans un genre de ville futuriste avec des lasers qui fusent de partout. Je vois une femme mettre hâtivement un coffret et une lettre dans une petite cabine en verre, pianoter sur des boutons multicolores, puis répéter la même opération avec moi. Lorsque je parle de ça à ma mère adoptive, elle me répond : "Ma petite Judie, je sais que tu voudrais savoir comment tu es arrivée parmi nous, mais ce n'est pas une raison pour inventer des histoires aussi farfelues." d'un air tendre.

Lorsque je ne suis ni en train de programmer ni en train de dormir, je note des détails importants à propos de ce rêve récurrent. J'ai entendu plusieurs mots qui m'étaient inconnus comme Gallifrey et Dalek. A part ça, rien ne me différencie vraiment des gens de mon âge. Juste une prédisposition à l'informatique, rien de plus. Après avoir réussi à me tenir éveillée pendant toute la récréation, ce qui est déjà pas mal, je dois me rendre en cours de physique. Il parait qu'on doit avoir un nouveau professeur, d'ailleurs. J'espère qu'il sera indulgent par rapport à mes petites siestes incontrôlées.

Lorsque je suis entrée dans la salle, en même temps que la plupart des élèves, un homme brun habillé en costume bleu, cravate rouge et Converses blanches était assis sur son bureau, détaillant un à un les élèves qui passent devant lui. Il jette un regard en coin dans ma direction et son regard s'éclaire derrière ses lunettes rectangulaires noires. Bizarre, ce prof. Pas aussi bizarre que mon rêve récurrent ou mon super-pouvoir de guérison, mais bizarre quand même. Le mot Physique était écrit au tableau, juste en cas de rappel, ainsi que Mr Smith, qui doit très probablement être son nom. Tout le monde sort bruyamment ses affaires, bavarde un peu quelques instants, puis le silence s'installe dans la salle. C'est alors que l'enseignant bondit de son siège en s'écriant :

"Physique !"

Il a répété ce même mot plusieurs fois, alors que tout le monde regardait tout le monde, l'air ahuri. Mais d'où sort ce prof ? C'est quoi ce délire de crier le nom de sa matière ? Je tâche d'y réfléchir pour me tenir éveillée, et commence même à faire l'inventaire de ce qui se trouve dans ma trousse. Il y a un taille-crayon, une gomme, un surligneur, deux surligneurs, trois surligneurs...

Zut ! Voilà que je me suis endormie comme une nullarde ! Je me réveille approximativement dix minutes plus tard et relève la tête avant de me rendre compte que j'ai un crayon dans la narine droite. Quelle élégence... Je le retire et croise le regard du prof fou qui est maintenant juste devant ma table. Parfait, je viens de me faire remarquer une fois de plus et j'entends même certains de mes camarades ricaner. Bravo, Judie ! Monsieur Smith me fixe toujours d'un regard irrité.

"Je vois que certains profitent de mon cours pour faire la sieste..."

Je suis encore à moitié dans les vapes et incapable de donner une réponse cohérente, je crois que c'est ce que mon médecin appelle une "ivresse du sommeil". L'homme aux Converses me regarde et soupire d'un air agacé. C'est vrai, je ne me suis pas justifiée à propos de cet incident. Je secoue brusquement la tête pour me réveiller et tend un certificat médical à l'adulte en face de moi. Il le lit rapidement, me regarde, lâche un petit "Oh, je vois." et retourne au tableau pour continuer ce qui semble être un genre de quizz-concours ou un truc comme ça.

J'ai terminé cinquième, avec un score de neuf points. Pas mal, pour quelqu'un qui n'a joué que quarante minutes. Je décide de sortir en dernière pour aller m'excuser personnellement de mes interruptions involontaires, parce que j'ai un minimum de manières, tout de même.

"Désolée pour... enfin la narcolepsie, quoi. Y a des moments où j'essaye de me concentrer comme ça et...

- Et tu repars dans Gallifrey.

- Co-comment pouvez-vous savoir ça ? V-v-vous avez déchiffré m-mon carnet ?"

Devant mon air gêné, il m'a adressé un regard interrogateur.

"Pourquoi tu fais cette tête ? Tu as bien trouvé la bonne orthographe pour le mot Gallifrey en anglais, rassure-toi. Personnellement, je préfère l'écrire comme ça..."

Se saisissant d'une feuille volante et d'un crayon à papier, il griffonne d'étranges symboles circulaires qui me semblaient pourtant familiers. Je me souviens, il y a des symboles similaires gravés sur le coffre argenté dont je rêve. Monsieur Smith m'a regardé d'un air bienveillant avant de reprendre la parole.

"Raconte-moi ces rêves que tu caches dans des lignes de code. Tu peux avoir confiance, tu sais."

Je sais que cela peut sembler surréaliste, mais je me suis entièrement confiée à cet homme que je connais à peine. J'ignore combien de temps j'ai mis à raconter dans les moindres détails mes rêves récurrents durant mes petites siestes et mes expériences d'auto-guérison, mais ça m'a fait un bien fou. A la fin de mes récits, l'enseignant s'est calmement levé, a fouillé dans ses poches et en a sorti le coffret argenté que j'ai décrit il y a moins d'une demi-heure.

"Avant toute chose, je ne m'appelle pas John Smith, mais le Docteur. Je suis, tout comme toi, un Seigneur du Temps et je viens, tout comme toi, de Gallifrey. Tiens, dit-il en poussant l'objet vers moi. Je pense que tu es en âge de recevoir tout ce bric-à-brac, maintenant."

J'ai à peine fait attention à ce qu'il m'a dit, tant je suis fascinée par le coffret que je caresse du bout des doigts. Je l'ai ouvert sans difficulté, il a réagi au contact de mon index sur la serrure. Voyons ce que ce coffret abrite... Une montre à gousset dorée avec un symbole semblable à ceux que mon professeur a dessinés plus tôt, un carnet bordeaux, et un papier dans une sorte de porte-feuille. Le Docteur a fait glisser vers moi une petite clé argentée attachée à une lanière en cuir.

"Je compte pas rester ici une éternité après t'avoir retrouvé... Ca te dit de partir avec moi ?

- Partir ? Mais pour aller où ?

- N'importe où, mais également n'importe quand ! Allez, dis oui, dis oui !"

La façon dont il insiste et ses yeux marrons pétillant de malice ont achevé de me convaincre. Mais quand j'ai ouvert la bouche pour répondre, des sortes d'hommes-chats au pelage ocre tâcheté de noir sont entrés dans la salle de classe et m'ont pointée du doigt avant de se ruer sur moi.

"Judie... COURS !"

J'ai à peine eu le temps de m'emparer du coffret et son contenu, ainsi que la petite clé en métal. Je n'ai pas osé me retourner, effrayée par les cris bestiaux des créatures mi-félines derrière moi. Bon sang, mais qu'est-ce qu'ils peuvent bien me vouloir ? J'ai rien fait, moi ! Nous sommes finalement arrivés devant une vieille cabine théléphonique bleue. Je suis sur le point de dire que ça n'est pas la meilleure des planques, mais le Docteur me tire par le poignet et m'entraîne dans la boîte bleue, qui est définitivement plus grande de dedans que de dehors.

"Mais... c'est... plus grand de l'intérieur !"

Pour seule réponse, j'ai eu droit à une petite jubilation enfantine de la part du propriétaire de l'engin. En me regardant, il a ajouté :

"Et tout ça, c'est la technologie des Seigneurs du Temps, la technologie de ton peuple ! Super, hein ?

- En parlant de mon peuple, j'aimerais bien savoir ce qu'est un Seigneur du Temps. Je veux dire... On m'a élevée pendant quinze ans en me disant que je suis une humaine, donc...

- Eh bien, pour faire un condensé, tu ressembles à s'y méprendre à une humaine, tu as deux cœurs, et tu peux vivre plus de neuf cents ans en te régénérant.

- Neuf cents ans ? Hé, j'ai pas envie de finir fossilisée, moi !"

Il a arrêté de bidouiller les leviers et autres boutons avec lesquels il jouait et s'est retourné vers moi avec un air outré exagéré.

"Comment oses-tu me traiter de fossile ?"

J'ai gloussé face à son intonnation exagérée et théâtrale, puis ai commencé à examiner la montre à gousset. Lorsque je l'ai ouverte, elle a fait un drôle de bruit et s'est éclairée d'une lumière jaune. Je l'ai soudainement lâchée et, suite à mon petit hoquet de surprise, mon semblable l'a rattrapée et l'a examinée.

"Ah, on voit bien que c'est du travail de pro. Inspiré de la technologie d'ici. Décidément, chaque objet sonique créé par L'Œil est une véritable œuvre d'art !

- C'est qui L'Œil ?

- C'est celle qui a créé cette magnifique montre sonique et ce tournevis sonique, là, dit-il en brandissant ledit tournevis. Et c'est également ta mère biologique."

J'ai de suite relevé la tête et regardé le Docteur.

"Docteur, emmenez-moi sur Gallifrey, montrez-moi où j'aurais dû vivre ! Et mon père... Peut-être qu'il est encore vivant !

- Je crains que ce ne soit pas possible.

- Mais pourquoi ? La guerre est terminée, non ?

- La grande Guerre du Temps ? Oui, elle est finie. Il n'y a d'ailleurs que trois survivants.

- Qui ça ?

- Toi, moi, et celui qui a envoyé ces Cheetahs à tes trousses. Et non, il ne s'agit pas de ton père. Et avant que tu ne pose la question, Gallifrey a été détruite dans la Guerre.

- Ok..."

J'ai de nouveau baissé les yeux sur la montre et l'ai accrochée à la poche intérieure de mon blaser. Tiens, je ne me suis pas rendormie depuis l'entretien à la fin du cours. Ca voudrait dire que je suis guérie ? Prévoyant ma question, le Docteur m'a expliqué que ma narcolepsie est en réalité dûe à un conflit entre mes souvenirs de Gallifrey, d'où les rêves, et mon refus d'admettre son existence. Il a ajouté que maintenant que j'avais conscience de ma vraie nature, les crises devraient se raréfier voire disparaitre complètement.

Mais une question reste en suspens.

"Docteur, qui est-ce qui m'en veut au point d'envoyer des hommes-chats à ma poursuite ?

- Hmm ? Ah, ça... C'est vrai qu'il faudrait qu'on s'en occupe.

- Et c'est que maintenant que ça fait 'tilt' !"

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