Le dernier mouvement de la danseuse perdue [ Ezarel ]

Chapitre 3 : Chapitre 2 : Déchaînement

2801 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 20/04/2017 18:22

La voix de ce mystérieux Ezarel retentissait dans l’esprit de Lazuli « … retrouver la princesse perdue d’Elefia »

Retrouver la princesse… perdue ?

« Pourquoi perdue ? » se demanda-t-elle

- Lazuli ?

La voix d’Ezarel l’arracha de son état second.

- Pourquoi perdue ? dit-elle à haute voix sans même s’en rendre compte.

Cette phrase résonnait en boucle dans son esprit.

Toujours plaqué au sol, Ezarel essayait tant bien que mal de la regarder droit dans les yeux pour se donner une contenance. En se raclant la gorge de manière gênée, il dit :

- Cela fait des années qu’on te cherche, on n’était même pas sûrs que tu sois…

- Vivante, compléta-t-elle.

« Perdue » chuchota-t-elle, comme si elle était en transe.

Les ronces attachant Ezarel se délièrent de leur prisonnier, et rejoignirent les abysses terrestres. Lazuli ne fixait rien et tout à la fois. Le bleu de ses yeux cristallins était glacial.

- Pars, dit-elle simplement.

Ezarel se leva et épousseta sa cape.

- Comment ça, pars ? demanda-t-il sceptique.

- Je ne veux pas en savoir plus. Je ne veux pas savoir ce qui t’amène, ce que tu veux de moi. Pars maintenant et je ne te ferais aucun mal.

Elle se leva, tourna le dos à Ezarel et marcha droit devant elle, sans aucune destination précise. Mais elle fit à peine un mètre quand elle senti une main puissante s’enrouler sur son bras.

- Mais où crois-tu aller ? demanda-t-il avec colère. Comment peux-tu me faire ça ?

- Ne me touche PAS !

Son nez se plissa de manière féline, et la rendit pareille à une panthère. Elle se dégagea brutalement.

- Tu n’as pas le droit de faire ça ! Tu te rends compte de tout l’effort que la garde a déployé pour toi ?! Des années qu’on te cherche, des années ! Sans même savoir si on va aboutir à quelque chose. Et tu veux partir comme ça, sans aucune explication ?

Avare de mots, elle répondit :

- Tu m’as libérée et je t’en remercie. Maintenant nos routes se séparent. N’essaye plus de me retrouver, ou je t’assure que je n’hésiterai pas à te tuer.

Ezarel, abasourdi, sentit ses muscles se tendre.

- Non mais je REVE ! Mais pour qui tu te prends ? Des mois que je te cherche, des mois ! Ça ne va pas se passer comme ça ! s’exclama-t-il

Un son monstrueux s’échappa de la gorge si fine de la jeune femme. Les oiseaux cachés dans les buissons battirent des ailes en paniquant.

- Pars j’ai dit ! cria-t-elle en sanglotant.

Ezarel senti un vent violent se lever. Secouée de spasmes, la forêt se mit à tanguer sous la voix déchirante de la jeune elfe. Elle criait à s’en arracher les cordes vocales. Ses yeux d’un bleu profond se mirent à tournoyer. Ezarel fut projeté à quelques mètres de là par le vent violent qui s’était levé. Il mit ses mains contre ses oreilles tant le cri de la danseuse était strident.

- Pars, pars…pars ! suppliait-elle de douleur. Ses cris étaient si déchirants qu’ils semblaient fendre le ciel. Ses larmes ne cessaient de couler. Ses longs cils noir mouillés gagnaient un degré d’intensité. Ezarel fut surpris de se sentir touché par cette peine si brûlante, qui témoignait d’une blessure profonde. Le vent continuait à fouetter le visage d’Ezarel jusqu’au sang.

- Lazuli !!

Il tenta de marcher vers ce tourbillon de tristesse, mais la vent était trop violent et l’empêchait de l’atteindre. Elle se mit sur le ventre et commença à ramper vers elle.

- Je suis perdue, je suis perdue, sanglota-t-elle en s’accroupissant.

Elle criait cette phrase en boucle, à ne plus en finir. Ezarel pris les chaînes discrètement, et continua son parcours.

- Lazuli, on ne te veux aucun mal, cria-t-il assez fort pour qu’elle puisse l’entendre.

Ezarel s’agrippait tant bien que mal au gazon pour éviter de s’envoler.

- Il y a tellement de personnes à qui tu manques Lazuli…

Le vent sembla perdre en intensité : ça marchait !

- Je suis perdue… sanglota-t-elle toujours

- Non ! Plus maintenant ! Tu es vivante, et ta place est à Elefia.

Ezarel n’était plus qu’à un mètre de Lazuli.

- Je ne vaux rien… 

- Personne ne te fera plus aucun mal… je te protégerai.

Promesse si belle qui allait être brisée…

Toujours au sol, il réussit à l’atteindre, tendit le bras vers elle et d’un mouvement rapide,

cella les chaînes magiques sur ses poignets.

Douleur.

Déchirement.

Plainte qui fêla le ciel.

Elle s’évanouit sur le coup, ainsi que le vent post-apocalyptique qui s’était réveillé avec ses souvenirs …


***

Lazuli se réveilla avec un mal de tête saisissant. Elle plissa les sourcils de douleur. Elle se sentait étrangement fatiguée…Sans repères, elle regarda un peu autour d’elle pour comprendre ce qui se passait. Lazuli sursauta lorsqu’elle vit le gazon se déplacer sous ses pieds, puis elle réalisa que c’était elle qui se déplaçait et non le contraire. En effet, elle était à plat ventre sur un cheval au galop, et Ezarel était en train de l’emmener quelque part. Elle voulut se gratter le nez, quand elle réalisa qu’elle était enchaînée. « Comment … ? » se murmura-t-elle. Ces fragments de visions lui permirent de reconstituer ce qui s’était passé. Ezarel venu la récupérer… sa colère… le vent… la tristesse… puis rien. Elle s’était évanouie. « Trop fatiguée » maugréa-t-elle intérieurement. Trop fatiguée pour penser, ou pour émettre un jugement sur ce qui s’était passé. Elle voulait juste dormir et oublier. Mais elle ne pouvait pas dormir. Elle devait se libérer, fuir, danser…Méli-mélo de demi-pensées…


Sentant quelque chose bouger derrière lui, Ezarel jeta un rapide coup d’œil, et vit Lazuli tenter tant bien que mal de garder les yeux ouverts.

- Tu pourrais ralentir s’il te plait ? demanda-t-elle si bas qu’elle crut qu’il n’allait pas l’entendre.

Au lieu de ralentir, Ezarel s’arrêta. Il descendit de son fier destrier, et porta Lazuli sur son épaule pour l’aider à descendre. Il était conscient de la fatigue de Lazuli, et ne souhaitait pas l’épuiser davantage. La jeune femme se sentait si faible qu’elle ne put lui ordonner de ne pas la toucher. Elle se laissa faire.

Ezarel étendit une nappe moelleuse au sol, puis posa Lazuli sur celle-ci, en évitant de la regarder dans les yeux. Mais de toute façon, à peine l’as-t-il posée qu’elle les ferma instantanément. « Les effets de ces chaînes sont si puissantes » se dit avec culpabilité Ezarel.

Il s’accroupit auprès d’elle en joignant ses genoux sur son torse, puis la contempla. Il se dit qu’elle était si belle. Qu’elle était si fragile. Que cette tranquillité apparente contrastait avec le déchainement de ses démons… Dieu sait quels malheurs et quelles souffrances elle a dû affronter.

Ou plutôt subir.

Qu’allait-il pouvoir lui dire au moment où elle se réveillera ? « Excuse-moi Lazuli mais je t’ai volontairement enchaînée pour que tu puisses me suivre sans protester à la garde d’Eel ? ». C’était inadmissible ! Il avait volé les droits de cette femme brisée. Mais c’était également de sa faute si elle était dans cet état quasi maladif. Les chaînes absorbaient son énergie vitale, et tout à l’heure, lorsque toute cette rage, tout ce tourbillon de colère s’acheva, que toute cette puissance fut confisquée, elle s’en évanouit. Le contraste entre sa toute puissance, sa toute liberté, et la toute faiblesse engendrée par les chaînes était sidérante. Il observa ces longs cheveux noirs, ces longs cils, ce teint de lait. Elle correspondait parfaitement à la description de Miiko. Un souvenir vient perturber l’esprit d’Ezarel :

« J’étais en salle d’alchimie, plongé au cœur d’un grimoire passionnant quand j’entendis quelqu’un toquer à la porte. Agacé, je répondit :

-Entrez !

La silhouette d’Ykhar apparut devant moi. Curieux de la voir ici, je me demandais ce qui pouvait bien l’amener.

- Ez, Miiko demande à te voir sur le champ.

- Et pourquoi cela ? Elle devrait savoir que je suis occupé à cette heure-ci ! râlais-je de mécontentement.

- C’est urgent, dit-elle en pâlissant.

Je laissais un long soupir s’échapper de ma gorge.

- J’arrive.

En joignant le geste à la parole, je me dirigeais vers la salle de cristal, intrigué.

J’entrais après avoir toqué à la porte, et vis Miiko et Leiftan en train de discuter. Gêné de les avoir interrompus, j’allais m’en aller quand Leiftan dit :

-Ezarel, nous t’attendions justement.

- Que se passe-t-il ? Quelque chose de grave est arrivé ?

- Pas exactement. Ezarel, on a une mission pour toi, posa Leiftan

-Une mission importante, compléta Miiko.

- De quoi s’agit-il ? demandais-je posément

- As-tu déjà entendu parler d’Elefia ?

- Oui.

Oui je me souvenais d’Elefia. Je m’en souvenais que trop bien. La douleur perça mon corps à l’évocation de ce lieu si cher. Ce lieu si cher brisé, perdu…

- Donc tu dois savoir ce qui est advenu de ce royaume.

- Oui, dis-je précipitamment, ne souhaitant pas éveiller une plaie pas tout à fait cicatrisée.

- Il faudrait que tu retrouves la Princesse Perdue, du nom de Lapis Lazuli D’Elefia. Tu n’auras aucun mal à la reconnaitre. Visage de porcelaine, joues rosies, longs cheveux noirs frôlant le sol, et des yeux d’une couleur à l’image de la pierre dont elle porte le nom, décrit Leiftan avec romantisme.

- J’ignorais qu’elle était toujours en vie, après tout ce qui est arrivé, dis-je avec surprise.

- Elle est bel et bien vivante, mais elle a été faite prisonnière, esclave, ce qu’on a mis du temps à découvrir. Nous savons maintenant où elle se trouve, après plus de deux ans d’investigation. Bien sûr nous ne savons pas exactement où elle est, mais le périmètre est assez réduit pour nous permettre de t’envoyer la retrouver. Nous avons réellement besoin d’elle.

- Pourquoi cela ?

Pourquoi avaient-ils besoin d’une princesse, qui n’avait plus de royaume à gouverner ? Quel est l’intérêt ?

L’intérêt…»


Un tintement métallique retentit, tirant Ezarel de son flash-back. Ce n’était que Lazuli bougeant, prise par ses rêves. Ezarel vit que le soleil ne tarderait pas à se coucher. Il s’empressa de chercher des brindilles sèches pour faire un feu de camp. Heureusement, au cœur de la forêt ce n’étaient pas les brindilles qui manquaient. Il établit un feu, et se posa à quelques mètres de Lazuli, puis tâcha de dormir.


Quelques heures plus tard, alors que le Soleil avait laissé place à la Lune, Ezarel fut réveillé en sursaut par des gémissement. Le feu étant éteint, il ne réussissait pas à discerner quoi que ce soit.

- La-Lazuli ? bégaya-t-il les yeux mi-clos.

Il chercha à tâtons une brindille qui pouvait servir de flamme mais il se dit qu’il allait devoir se contenter des rayons de la lune.

- N-non, ne… non… touche… non ! gémissait-elle

Il se leva et s’approcha de Lazuli en veillant à ne pas trébucher. Ses yeux s’habituèrent vite à l’obscurité et repèrent la jeune femme. Quand il fut près d’elle il murmura :

- Hé, Lazuli, réveille-toi,

- Ne me fais …pas de mal, pleura-t-elle, toujours plongée dans ses rêves.

- Lazuli, ce n’est que moi, Ez, réveille-toi !

Lazuli se réveilla en sursaut. Elle se mit à sangloter de peur.

- Je ne veux pas Ezarel, je ne peux pas… pleura-t-elle blottie entre ses bras

- Qu’est-ce que tu ne peux pas ? murmura-t-il en lui caressant les cheveux.

- Je ne peux pas, répéta-t-elle

Elle sembla se calmer. Lazuli se frotta les yeux.

- Oh, attends j’ai un mouchoir.

Ezarel chercha dans ses poches un tissu brodé qu’il avait l’habitude de garder dans les poches de ses vêtements.

- Tiens voilà ! dit-il en lui tendant ledit mouchoir.

Lazuli prit le mouchoir et chuchota :

- Ezarelounet ?

Ezarel écarquilla les yeux, et contre toute attente Lazuli éclata de rire.

- Haha, c’est écrit Je t’aime mon Ezarelounet ! C’est ta mamie qui te l’as confectionné ? dit-elle en s’esclaffant les larmes aux yeux.

Ezarel rougit de honte.

- Hé ho c’est bon… râla-t-il, gêné.

Alors qu’il aurait aimé sortir une boutade, deviner le sourire de Lazuli le dissuada de toute remarque sarcastique. Il lui sourit, toujours en lui caressant les cheveux.

- Tu arrives à voir dans l’obscurité ? chuchota-t-il,

- Comme tous les elfes.

Ezarel surprit, répondit en riant :

- Ou bien je suis un elfe muté qui n’a pas eu la chance d’avoir un quelconque pouvoir, à part mon charme irrésistible bien sûr, ou bien… je ne suis pas un elfe.

Ezarel mima un être en détresse et Lazuli éclata de rire.

- Je pense que tu es muté Ezarel, et que ton « charme irrésistible » n’atteint que ta chère mamie !

Ezarel ouvrit la bouche et chercha une vanne pour protester.

Resta coi.

Ce qui ne fit qu’accentuer le sourire de Lazuli.

Ezarel ne dit rien et soupira.

Mine de rien ça le rendait heureux de la voir rire avec tant de sincérité.

- Je pense qu’on devrait dormir, proposa-t-il

- Je ne peux pas, répondit la jeune femme

Ezarel arqua un sourcil en signe d’interrogation.

- J’ai mal,

Elle désigna ses poignets, ses chevilles. Ils lancinaient. Irritaient sa peau de lait.

Le cœur d’Ezarel se serra.

- Tu m’as pas laissé le choix, dit la voix sans conviction du jeune elfe.

- Je ne comprends pas pourquoi Eel a besoin de moi. Et je ne veux pas y aller. Je ne veux pas…

Lazuli se dégagea d’Ezarel, se rappelant qu’elle détestait la proximité.

- Tu ne m’as même pas laissé t’expliquer ! protesta-t-il. Tu souhaitais fuir, tu as été prise par une sorte de rage… et j’ai été obligé d’employer la manière forte.

- Quoi que tu souhaites, je ne pourrai pas coopérer dans cas-là, posa Lazuli.

Elle croisa les bras et le défia du regard. Les yeux bleus si profonds de Lazuli perçaient ceux, verts, d’Ezarel.

Ezarel ferma les yeux et sembla réfléchir. Il posa une main sur son front d’une manière réflexive.

- Je ne peux pas te libérer, conclu-t-il. Qui me dis que tu ne vas pas fuir et m’attaquer avec ces ronces vivantes ?

Lazuli se mordit les lèvres, et eut une expression qui voulait dire « je suis démasquée ».

Ezarel eut un pincement au cœur devant tant de charme.

« Je ne dois pas me laisser avoir par sa beauté, c’est une grande manipulatrice » se dit Ezarel en sentant qu’il cédait. « J’ai une mission, et je vais la mener à bien » réussit-il à se convaincre.

- Demain, nous continuerons notre chemin vers Eel. Je ne peux pas te libérer Lazuli.

Lazuli.

Tant de beauté en trois syllabes.

Tant d’harmonie.

D’intensité.

Lazuli.

Elle le regarda avec déception. Elle était au bord du gouffre.

- Moi qui croyais que tu avais ne serait-ce qu’une once d’humanité, lui cracha-t-elle au visage.

Elle se coucha sur son lit de fortune en lui tournant le dos.

Ezarel s’éloigna, en évitant de poser les yeux sur elle.

Il ne dormit pas.

Les sanglots silencieux de Lazuli l’empêchant de dormir.



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