Humiliations

Chapitre 4

Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 09:32

Chapitre 4

Les illusions sont souvent plus meurtrières que la gangrène. Elles se propagent plus vite et assassinent les pensées, le cœur et le corps dés qu'elles affrontent la vérité.

Le regard éclairé d'une lueur d'espoir, sa plus belle chemise enfilée, ses cheveux mi-longs légèrement bouclés coiffés, il marchait d'un pas sûr jusqu'à la bibliothèque. Une odeur de pomme et de cannelle enveloppait son sac et son corps. Il se sentait bien. Une sordide espérance embrumait ses pensées : il comptait enfin pour quelqu'un. On ne peut-être homme que sous le regard des autres. Alexa l'avait humanisé.

Il marcha rapidement jusqu'à la salle du fond, sous le regard suspicieux de la vieille bibliothécaire, et vit l'objet de toutes ses pensées de loin, assise à la table, plongée dans un petit bouquin. Il ralentit aussitôt le pas et l'observa... Chacun de ses traits étaient concentrés sur les quelques lignes qui couraient sous ses yeux bleus, ses cheveux blonds et soyeux miroitaient sous la douce lumière des lampes poussiéreuses. Il s'en voulait presque de la sortir de cette beauté figée, mais toussota légèrement pour qu'elle relève la tête.

Sans se départir de grâce, ni de son air concentré, elle referma calmement le livre, regarda le garçon et lui sourit.

-Salut ! Ca te dit qu'on sorte d'ici ? Qu'on se promène un peu sur le campus ? C'est samedi... On pourra trouver un truc sympa à faire !

Il était surpris par cette demande. Cela signifiait qu'elle n'avait pas peur d'être vue avec lui. Il sentit une nouvelle bouffée de joie remplir ses poumons habitués à la morne solitude, aux tristesses constantes et à l'infâme honte. C'en était presque douloureux.

-Euh... Comme tu veux... Au fait, j'ai quelque chose pour toi...

Il fit passer son sac-à-dos devant et l'ouvrit, sous les yeux curieux et pétillants de la jeune femme. Il sortit enfin un petit paquet emballé par une feuille d'aluminium.

-Ma mère a fait des petits gâteaux aux pommes...

Alexa sembla ravie et prit avec joie le paquet.

-Merci ! C'est vraiment trop gentil ! Remercie-la bien de ma part.

Il se sentait idiot, totalement vide d'intelligence face à elle. Il se contenta d'hocher la tête, incapable de lui dire tous les compliments qui fusillaient son crâne, ni de crier sa joie de voir qu'ils semblaient être amis. Il sentit une main aussi fine que la sienne attraper son poignet et se raidit violemment au contact. Elle lui sourit encore, sans se départir de son entrain, et le tira à sa suite, tout en goûtant un gâteau.

-Viens... Mmmh... Ils sont vraiment délicieux !

Il rougit un peu et trembla en sentant cette main persister sur lui. Mais ce n'était pas comme les autres mains, celles qui le frappaient, qui l'humiliaient, qui l'insultaient. Non, cette paume-ci était tendue pour le tirer et non pour le battre. Il était confus. Sa tête tournait, une douce chaleur irriguait tous ses membres. Il emboita le pas à Alexa. Il ne vit pas les regards surpris qui les gobèrent quand ils passèrent entre les tables de la bibliothèque. Il était dans un autre monde, juste bien.

L'air frais des rues le réveilla enfin. La main chaude tenait toujours son poignet. Il avança à ses côtés, en frissonnant doucement, et trébucha légèrement sur un pavé. Un rire doux et compréhensif s'éleva à côté de lui. Sans moqueries. Un rire sincère qui n'accuse pas, mais qui pardonne. Il lui fit un sourire d'excuse. Elle se mit alors à parler. Peu importe de quoi. Elle lui parlait. Elle racontait sa vie, le nom de son chat, la dernière folie de sa mère et la musique qu'elle aimait. Peu importe. Il l'écoutait.


La tête pleine de souvenirs joyeux, il enfila sans aucun dégoût le tablier et la toque obligatoires pour les étudiants qui travaillaient dans le cinéma «StarsFilms». Il faisait, comme tous les samedis, les heures pénibles. C'est-à-dire, qu'il était seul et qu'il commençait à 21h30 pour finir à 02h du matin. C'étaient les heures les mieux payées et les moins réclamées par les étudiants. Mais il avait besoin d'argent et ne pouvait pas cracher sur une place comme celle-ci.

Il voyait donc défiler tous les pervers et les détraqués du campus et des environs qui venaient soit voir un film d'horreur, soit un film porno. Il n'osait souvent pas imaginer ce qui se passait derrière, au-delà des murs qui le séparaient des salles... Toutes ces images obscènes, toutes ces images sanglantes, dégoûtantes qui passaient en boucle sur ces grandes toiles blanches, pourtant si souillées...

Il soupira et chassa de sa tête les dessins de ses manuels qui revenaient à la charge chaque fois que ses pensées s'égaraient vers ce genre de chemins escarpés et scabreux. La porte vitrée et encadrée de néons tapageurs s'ouvrit sur un homme, le visage coupable et déformé par l'angoisse. Il posa son argent sur le comptoir.

-Hum... Une place pour « Sex and the Pussy »...

Spencer n'osa pas imaginer ce que réservait un titre pareil. Il encaissa les billets et lui tendit une place, aussi gêné que lui.

-Première salle à droite... Le film commence dans quinze minutes. Bon... euh... film.

La formule de politesse habituelle lui semblait déplacée pour ce genre de films, mais bon... Le type grommela quelques borborygmes et s'éloigna furtivement jusqu'au sombre couloir. Le garçon, une fois le client parti, remplit la machine à Pop Corn, même si en général, ceux qui venaient voir du gore, pour ne pas vomir, ne prenaient rien, et que les amateurs de sexe se nourrissaient uniquement des images lascives.

La porte s'ouvrit sur deux personnes. Deux places pour un film d'horreur. Un homme avec un regard inquiet. Un film porno. Trois jeunes garçons avec de fausses cartes d'identité. Un film porno. Une bande de deux filles et deux garçons. Un film d'horreur. Et quelques Pop Corn ou Chips pour certains. Puis vint le silence et le vide... Pour deux bonnes heures au moins.

Et l'ennui suivit rapidement. Il sortit de son sac quelques livres qu'il aurait vite fait de dévorer. En deux heures, il pourrait facilement les relire chacun trois fois. Soudain, la porte s'ouvrit et l'interrompit dans la trame tragique de « Caligula » de Camus. Il sursauta devant ces visages familiers et pâlit vivement.

-Je... euh... Plus de séances... avant... euh...

Il recula légèrement derrière son comptoir, maigre rempart contre ces visages furibonds.

-On va t'en faire une rien que pour toi, sale morveux.

Spencer se mit à trembler violemment sous la menace et plusieurs brutes de Rudy firent le tour du comptoir pour venir le chercher.

-M... mais... stop... Vous ne pouvez... pas... Réservé... Personnel...

Il bafouillait tellement de peur sous ses tremblements convulsifs que les membres de la meute ne purent s'empêcher de ricaner. Ils le tirèrent violemment et l'amenèrent au centre de la pièce avant de le pousser à genoux, aux pieds de Rudy. Il lança un regard plein d'incompréhension et de terreur vers le jeune homme dont le corps irradiait une haine dévastatrice. Un poing partit violemment et atterrit sur sa joue dans un bruit mat. La brutalité du choc l'envoya au sol.

-Sale petit con... Tu l'as montée contre moi ?

Un coup de pied le percuta juste à l'entrejambe et il poussa un cri de douleur qui se termina rapidement dans un râle convulsé. D'autres pieds se joignirent au premier et il sentit une dizaine de douleurs simultanées l'atteindre de toutes parts, le forcer à crier et à supplier.

-Tu peux beugler, sale merde ! Vas-y, beugle comme le porc que t'es... Peut-être que cette leçon te fera comprendre que les merdes comme toi n'ont pas le droit de s'approcher de filles comme elle !

Une poigne de fer souleva sa tête et un poing de feu s'abattit sur son visage. Le calvaire frappait encore, toujours, sans s'arrêter, martelant ses traits, sa tête, son corps... Il avait trop mal pour crier et sa tête sans cesse renvoyée du sol au poing n'avait plus assez de repères pour comprendre les insultes balancées et les nouveaux torts qu'on lui reprochait. Ils le lâchèrent enfin, à moitié assommé et le visage ensanglanté, sur le sol, recroquevillé dans une position fœtale. Sa respiration rapide et saccadée de pleurs se mêlait aux rires satisfaits de ses bourreaux.

-Tu crois que t'as une chance, en plus ? Qu'est-ce que tu voulais lui faire, Spenci ? Tu ne sais même pas utiliser ce que tu as entre les jambes pour pisser debout, j'parie.

Les autres se mirent encore à ricaner bêtement, comme des hyènes affamées devant un cadavre décharné. Le garçon tentait d'ouvrir ses yeux scellés par le sang qui coagulait et gémit faiblement. Son corps et sa tête semblaient avoir été broyés... Plus aucune douleur ne pouvait cependant franchir le seuil de ses lèvres tuméfiées par les coups. On le ramassa violemment du sol.

-On va te donner un cours, tu veux ?

Ils le trainèrent sans qu'il ait la force de résister dans le couloir qui menait aux salles... Arrivés devant un escalier, le plus costaud –Jackson- le prit par les bras et le tira comme un vulgaire sac, à sa suite. Chaque marche s'enfonçait brutalement dans son corps meurtri par les coups et gémissait sous son poids en même tant qu'il gémissait à ce contact. Il se demanda pourquoi ils l'emmenaient là-haut, là où se trouvaient les bandes de films et l'endroit réservé aux machines pour chaque salle.

En tête, Rudy ouvrit les portes une à une et trouva enfin celle qui collait au mieux à ses idées détraquées.

-Fous-le là-dedans... Ca lui fera un joli documentaire...

Ils ricanèrent encore et le traînèrent, tremblant et presque inerte dans la pièce sombre où une machine ronronnait en déroulant une bobine de film sur l'écran qui se trouvait en face d'elle. Une grande vitre percée d'un trou la séparait des spectateurs hagards, pantalons sur les chevilles.

En voyant de telles images, Spencer ne put s'empêcher d'hoqueter de dégoût et de surprise.

-Fais-toi plaisir. Montre-nous ce que tu fais quand tu penses à ma copine.

Le ton était incisif, moqueur. Spencer ne comprenait pas. Il détournait doucement le regard du spectacle débauché et licencieux et posa ses yeux remplis de larmes vers un Rudy railleur.

-Regarde ce film et touche-toi.

Les autres hurlèrent de rire en voyant la mine décomposée et stupéfaite de Spencer.

-T'as jamais fait ça Spenci ?

Hébété, il fixait Rudy sans pour autant oser comprendre ce que ça signifiait. Il reçut alors une violente gifle sortie de la pénombre.

-REGARDE !

Il tourna son visage baigné de larmes et de sang vers l'écran mais ne consentit pas à la suite de la demande. Il avait un mal fou à poser son regard embrumé devant quelque chose d'aussi choquant, d'aussi humiliant pour la race humaine. Il ne supportait pas de voir ces corps emmêlés, souillés, grognant de plaisir comme des porcs. Il était parcouru de nausées et la douleur toujours présente dans son corps endolori le faisait frissonner.

Une puissante main s'attaqua soudainement à sa ceinture et il se mit à pousser de courts cris aigus et plaintifs. Il repoussait ces doigts, ces bêtes grimpantes qui couraient sur son pantalon pour l'avilir. Une chaussure s'écrasa sur son nez et ses cris furent étouffés par le sang qui coulait désormais dans sa gorge. Il sentit son pantalon s'abaisser, ainsi que son caleçon.

-Touche-toi...

Il s'exécuta enfin, secoué de sanglots, devant l'exultation de ses bourreaux. Leurs rires augmentaient au fur et à mesure que le dégoût montait en lui. Une nausée l'emporta durant son avilissante besogne et il vomit à terre, ayant juste le réflexe de tourner la tête pour ne pas se souiller encore plus.

-Quel con ! Putain !

Ils riaient tous aux éclats, tandis que Spencer cachait son corps en pleurant dans son vomi. Quelqu'un –sans doute Rudy- se racla la gorge et lui cracha en plein visage. Il entendit ensuite les moqueries s'éloigner, quitter la pièce de la honte, descendre les marches trop dures pour finalement résonner dans l'entrée éclaboussée de sang. Elles s'effacèrent dans la rue sombre, mais pas dans la tête de Spencer.

« La moquerie est le langage du mépris, et l'une des manières dont il se fait le mieux entendre : elle attaque l'homme dans son dernier retranchement, qui est l'opinion qu'il a de lui-même. » Jean de La Bruyère

A suivre...

Laisser un commentaire ?