Humiliations

Chapitre 6

Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 06:46

Chapitre 6

Les rayons froids du soleil l'accablaient avec une impitoyable puissance. Sa tête lui tournait et son ventre creux ramait dans la bile. Il avait mal à la gorge, le teint cireux et les membres tremblants. Tout son corps hurlait de mal, chacun de ses nerfs noueux se contorsionnaient sous sa peau translucide et le sang qui irriguait ses veines était glacé.

Il n'avait personne

… Ou presque. Son ultime espoir résidait dans l'amour démesuré de sa mère et dans sa fugace amitié avec Alexa… Qu'il n'avait plus revue depuis samedi, d'ailleurs.

Il errait ainsi dans la rue, bousculé par des gens qui ne le voyaient pas, se dirigeant d'un pas mal assuré jusque chez lui. Il avait peur de rentrer et de trouver sa mère parfaitement lucide… Les coups sur son visage, les nouvelles traces de sang qui maculaient son pull usé et son air rachitique allaient forcément lui mettre la puce à l'oreille. Et son entêtement ferait le reste.

Il soupira encore et plaqua ses bras trop maigres contre son torse creux. Il semblait essayer de retenir à lui un peu de chaleur mais il était depuis si longtemps dépouillé d'humanité et de joie qu'il ne retenait qu'un peu plus le froid, la douleur et la honte qui sévissaient en lui.

Après de longues minutes, il parvint à leur immeuble… Il monta, l'estomac noué, les marches vers leur palier et arriva enfin devant la porte branlante. Il l'ouvrit, le souffle court, entra silencieusement, déposa son sac dans l'entrée et se rendit directement dans le salon où sa mère, assise bien droite sur sa chaise, écrivait des mots, des lignes et des paragraphes pour d'obscures et folles raisons.

-Bonjour maman…

Un regard franc et critique se leva vers lui et il sut à cet instant qu'elle était parfaitement lucide. Elle le détailla de haut en bas, la bouche entrouverte et sèche de mots. Elle finit par se lever brutalement et l'agrippa de ses doigts crochus comme des serres de rapace.

-Spencer ! Mais… mais… Qu'est-ce qu'on a fait à mon bébé ?

Son esprit avait cherché durant un long moment une excuse potable pour les coups. Mais rien de bien concret n'était sorti de son intelligence parfois si capricieuse.

-Je… euh… Je me suis battu…

Les mains désagréablement baladeuse de sa mère couraient sur son corps meurtri, le tâtaient à la recherche d'une quelconque blessure cachée sous l'amas de vêtements qu'il portait pour camoufler son corps.

-Oh mon Dieu… ! Tu es blessé ? Mais… et tes amis ne t'ont pas défendu ?...

Diana sentit le corps de son fils se raidir sous ses doigts légèrement ankylosés. Elle remit ses mains sur le beau visage tellement abîmé de son fils et sentit les battements irréguliers et rapides de son cœur affleurer sous sa peau diaphane.

-Je n'ai rien… Euh… Ils sont intervenus… trop tard… Mais ils m'ont vengé, ne t'inquiète pas…

Ses mains devenaient moites et son cœur s'affolait contre ses côtes, résonnant dans ses tempes et ses oreilles : il ne savait pas mentir et détestait ça.

-Tu mens, Spencer.

Les muscles de sa mâchoire se contractèrent violemment sous les doigts de sa mère.

-Je… euh…

Il aurait soudainement voulu la repousser, pour ne pas qu'elle puisse lire la vérité, pour que ses yeux scrutateurs et ses mains qui harponnaient son visage le laissent enfin en paix, vautré dans ses agréables mensonges, dans ce monde qui n'existait pas et dans lequel il avait sa place.

Il leva des yeux implorants et pleins de larmes vers elle, mais elle avait déjà compris. Ses mains chaudes quittèrent ses joues qui devenaient déjà froides.

-Tu m'as menti… Tu n'as pas de… de…

Elle se recula un peu, sans finir sa phrase et se mit à détailler son fils, comme si elle le voyait pour la première fois, cherchant ce qui pouvait donc bien repousser les autres.

Le garçon, le corps secoué de sanglots sans larmes, s'éclipsa alors brutalement du salon et courut jusqu'à sa chambre pour s'y enfermer, ne voulant pas affronter ce regard empli de pitié, si perçant, si réel… Trop terre à terre.

Et il ne faisait apparemment pas partie de ce monde. Son père avait sans doute été le premier à le comprendre et à être déçu. Couché sur son lit trop petit et baigné de larmes, il le comprenait maintenant, à son tour.


Le soleil n'était pas encore levé et les rues étaient aussi vides que son estomac. Spencer n'avait pas réussi à manger ce matin. Il vomissait tout, comme si son corps se révoltait lui aussi contre l'être qui l'occupait. Vacillant de faim dans la pénombre de l'aube, il se dirigeait une fois de plus vers l'abattoir.

Il commençait les cours à huit heures aujourd'hui, mais il préférait être en avance au cas où il ferait de mauvaises rencontres capables de le retarder. Le ciel était aussi lourd et sombre que ses pensées. Il savait que cette journée serait pire que la précédente, mais moins que celle de demain. L'horizon était bouché et étouffant. Il était comme ces oiseaux difformes, goudronnés sur une plage, privés du ciel devant leurs compagnons de destinée,… Oiseaux qui crevaient dans leur boue noire.

Il se sentait mourir.

Il arriva enfin, la nausée au bord de lèvres, sur le site de l'université et se dirigea vers le bâtiment principal. Il avait les mêmes vêtements que le jour précédent mais avait tout de même frotté les taches de sang, dessinant ainsi une grosse auréole brique sur son pull déjà si pitoyable. Les regards des élèves matinaux glissaient de ces traces suspectes au visage baissé de Spencer. Il savait que tout le monde le prenait pour une balance… même si c'était faux, pour un type comme lui, il n'y avait jamais le moindre doute possible. Il était coupable avant d'avoir agi.

Tout en pensant au jour précédent, il marchait lentement, l'œil aux aguets, prêt à décamper si le danger survenait… Il vit soudainement Rudy apparaître tel une ombre menaçante à l'embouchure du couloir. Il se dirigeait vers lui, l'avait déjà aperçu et chargeait. Le garçon, paniqué, fit volte-face et s'élança pour lui échapper, mais il percuta brutalement Jackson… accompagné de Michael, d'Ethan, de Frank… et de tous les autres.

Il était pris dans un filet inextricable et si violent.

Jackson l'avait déjà attrapé par les poignets et brutalement tiré dans les toilettes pour hommes, faisant dégager quelques gars qui pissaient et fumaient tranquillement. La porte n'eut pas le temps de se refermer que Rudy entra à son tour, un sourire malveillant sur les lèvres. Il attaque directement, allant droit au but, comme pour se donner une excuse –insuffisante de toute manière- pour la future torture qu'il allait lui infliger.

-Salut Spenci. Alors comme ça on va se plaindre au préfet, hein ?

Le jeune homme se mit alors encore à pleurer, sachant qu'il était inutile de se défendre contre ce genre d'accusations. Il était impuissant face à cette meute dont les pulsions semblaient insatiables.

Il tenta quand même, entre deux sanglots, de se justifier, de s'excuser de ces crimes qui n'en étaient pas et qu'il n'avait même pas commis.

-Je… je ne l'ai… pas appelé… Il est venu… comme ça… J'ai rien dit. Je le jure…

Un violent coup de pied fit résonner son ventre creux et il eut la respiration coupée.

-Menteur… ! Et tu sais ce qu'on fait au menteur ?

Les rires sardoniques de ses bourreaux giclaient dans la pièce et souillaient ses oreilles. Sa cage thoracique se soulevait de manière erratique, sous l'angoisse et la tristesse. Une main attrapa son visage et le força à lever les yeux vers Rudy.

-Tu réponds, bâtard ?!

Les doigts qui s'enfonçaient dans ses joues évidées, semblaient vouloir lui décrocher la mâchoire. Un non étouffé et plaintif sortit de sa gorge éraillée.

-On leur lave la bouche…

Goguenards, les jeunes hommes se mirent à rire de façon nasillarde, sans pour autant comprendre plus que Spencer la situation et l'idée de Rudy. Ce dernier empoigna Spencer par la nuque et le traîna jusqu'à une cuvette, ce qui fit rugir de plaisir ses idiots compagnons. Spencer piailla tout en tentant de fuir, ayant enfin compris le but de cette mascarade.

-On va te laver tout ça avec l'eau que tu mérites.

Il riait déjà de sa sordide invention et attira encore un peu plus le garçon paniqué au bord de la cuvette crasseuse. Il put ainsi voir que la chasse n'avait même pas été tirée.

-Pi… pitié… stop… pas ça…

Il tremblait sous les doigts implacables qui serraient son cou chétif. Rudy sourit, impitoyable.

-J'ai pas entendu…

Spencer n'eut pas le temps de répéter. Une énorme pression le poussa tête la première vers le fond du WC et il émit un bref cri effrayé avant de plonger la tête dans l'eau sale et d'en avaler quelques gorgées. Il se débattit d'abord légèrement sous l'effet de la surprise puis se mit à battre violemment des bras et des jambes en se sentant étouffer dans la cuvette répugnante. Sa tête tournait de plus en plus, il ne voyait rien, avait mal dans la poitrine et à la nuque et n'entendait rien à par son cœur qui battait violemment dans ses oreilles. Il devait relever la tête.

Il allait crever dans un WC.

Même pour lui, c'était une mort trop pitoyable. Il se sentit soudainement aspiré vers l'avant et des trombes d'eau aspergèrent sa nuque : on tirait la chasse. Il avala de longues gorgées d'eau, les poumons en feu, dans un cri étouffé par les torrents d'eau qui dévalait à l'intérieur de lui. La main le tira alors brutalement en arrière. Il émit un rot suivi de flots d'eau à la couleur limite sous les rires de la bande.

-Encore une petite fois, pour que tu comprennes bien…

Pris de toux humides, plus mort que vif, Spencer n'eut pas le temps de répliquer qu'il se retrouva encore la tête sous l'eau. Il ne se débattit presque pas, comme s'il avait accepté ce traitement inhumain. L'eau entra à nouveau dans sa gorge à vif et dans ses narines avides d'air et son corps fut secoué de soubresauts compulsifs. Dans un ultime instinct de survie, ses membres finirent -contre sa raison propre- par tenter de repousser Rudy.

En vain.

Une nouvelle fois, il fut tiré, au bord de l'asphyxie de la cuvette. Avant même qu'il ait pu esquisser un geste, on le traîna hors de la cabine et on le mit de force devant une pissotière. Ses yeux rouges et brouillés ne distinguèrent même pas qui exactement l'avait propulsé ici, mais ça avait peu d'importance, vu la situation. Rudy se mit encore à parler.

-Ma mère disait toujours que les menteurs… il fallait leur laver la bouche… avec du savon. Il faut toujours écouter sa mère, hein, Spenci ?

Le garçon se frotta les yeux d'une main tremblante avant de lui jeter un regard rempli d'incompréhension, de sanglots et de peur. Il suivit ensuite le faisceau diabolique que traçaient les yeux de son bourreau et regarda la vespasienne dans laquelle trônait un petit savon imbibé d'urine. Il eut un hoquet de dégoût en saisissant le sens de sa phrase.

-Non… non… Je ferais… tout … mais non…

Son estomac se révoltait déjà bruyamment face à l'odeur de l'urinoir.

-Bouffe-le ! Si tu vomis, je te le ferais entrer par un autre endroit. Faut bien t'apprendre à ne pas mentir.

Les épaules trempées du jeune homme qui, à genoux devant un urinoir, ressemblait à un chien mouillé, se mirent à tressauter sinistrement.

-Non… Pitié…

Un coup de pied l'atteignit dans les côtes et un craquement morbide résonna dans les rires disparates. Il fut plié de douleur mais aucun cri ne put franchir le seuil de ses lèvres humides.

-T'en veux un autre ?

La voix de Rudy était ferme. Horriblement ferme. Il s'exécuta alors : il savait qu'il le battrait à mort s'il le fallait… Il prit avec ses mains tremblantes l'ignoble savonnette, sous les exclamations d'un public fou et sordidement heureux. Il ferma les yeux et la fourra dans sa bouche. Il fallait qu'il mâche. Des nausées le submergèrent encore et il porta les mains à sa bouche. Le goût était atroce, amer, âcre et la texture pâteuse et immonde collait à ses dents et moussait horriblement. De la bile remonta dans sa bouche. Il devait impérativement ne pas vomir… car il avait peur de l'endroit par lequel Rudy glisserait ce savon s'il le rendait. Il avala alors tout. Ce mélange d'urine, de savons, de mousse et de bile. Un filet de bave mousseux et jaunâtre s'écoulait de la commissure de ses lèvres.

Les autres riaient aux éclats, applaudissaient, le traitaient de porc… Il n'entendait plus vraiment, trop concentré pour ne pas vomir.

-J'espère que ça t'a donné une leçon, sale con.

Rudy regarda la médiocre chiffe molle qui gisait sur le sol : il était déjà lassé par ce spectacle. Il s'amuserait plus tard, quand l'envie et le besoin lui reprendraient. C'était tellement facile avec lui. En quelques secondes, il dégagea les toilettes avec sa bande, laissant leur victime à terre, trempée et tremblante.

Spencer, une fois qu'ils furent sortis, vomit à même le sol de la mousse acide et des morceaux de savon qui le salissaient plus qu'ils ne le nettoyaient. Ses côtes lui lançaient horriblement, sa tête allait éclater et son estomac n'arrêtait pas de se vider, encore et encore, de mousse de bile, de sang…

Chaque jour était plus terrible que le précédent. Il ne savait pas s'il pourrait encore tenir longtemps…

Ou s'il voulait encore tenir.

A suivre…

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