Humiliations

Chapitre 7

Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 02:06

Chapitre 7

Il n'avait pas pu. Affronter leurs yeux, leur unique visage moqueur et leur regard critique était impossible.

Ses cheveux emmêlés et encore humide se plaquaient contre son visage émacié et maladif. Il n'arrêtait pas de vomir, penché au dessus d'un WC sans doute plus propre que lui. Tantôt de la bile, tantôt du sang. Et rien n'arrivait vraiment à vider sa tête et son corps convulsé par la douleur. Son dos était encore courbé par le poids de la honte. Il n'avait pu que fléchir devant ces dents carnassières qui sortaient de leur tanière sur son passage, telles des bêtes rampantes, et qui, en un rire sec et mordant, s'enfonçaient dans chaque centimètre de sa peau. Poursuivi par cette agonisante douleur, il avait fui, renforçant les insultes, les moqueries, les terribles morsures à chaque enjambée maladroite.

Il ne s'était arrêté qu'une fois fondu dans une foule disparate, dans une rue qu'il ne connaissait que pour avoir étudié son emplacement sur une carte, seul, inconnu… devant des personnes indifférentes bien qu'intriguées par cet adolescent si pâle, trempé et en larmes. Essoufflé, il avait marché droit devant, se laissant guider par sa mémoire à chaque angle, à chaque carrefour… Luttant contre son irrépressible besoin de vomir encore.

Il était ensuite rentré chez lui, manquant par la même occasion une journée de cours… Chose impensable pour sa morale d'élève studieux, appliqué…

Mais il n'aurait pas pu rester.

Maintenant, secoué de sanglots au dessus de la cuvette, il se tordait de douleur. Sa mère avait déjà frappé trois fois à la porte, inquiète bien que dans un monde parallèle, mais il n'avait pas répondu : malgré ses connaissances infinies, il n'avait pas de mots pour répondre à un éventuel et stupide « Ca va ? » ou à un vague « Que se passe-t-il ? ».

Justement. Que s'était-il passé pour qu'il en soit là, aujourd'hui ? C'était une question intéressante et difficile. Toutes les universités s'étaient battues pour l'avoir, mais une fois acquis par l'une d'entre elles, il avait été l'objet de jalousies mal placées de la part des élèves et d'un déni pénible de la part du corps professoral… Il était l'attribut à montrer, mais il n'était pas à préserver. Il savait pertinemment qu'il ne rapportait rien, à part une poussière de prestige, à l'université. Par contre, Rudy et sa bande avaient des parents riches et généreux.

S'il avait voulu réellement avoir une place, il aurait fallu qu'il ait de l'argent pour se forger un trône, comme ses bourreaux.

Mais il n'avait rien. Les fins de mois étaient difficiles ; ses vêtements, usés et trop petits couvraient mal son corps malingre; son matériel scolaire étaient soit de seconde main, soit dus à la vente d'objets de valeur ; la nourriture qu'il mangeait, peu variée et achetée dans les supermarchés axés sur les sous-marques, n'arrangeaient en rien son poids trop léger… et malgré ça, malgré le fait qu'il était un fétu de paille face à ses adversaires, il était encore trop lourd pour réellement tout quitter.

Le suicide.

Il y avait beaucoup pensé… mais il restait sa mère. Il ne pouvait pas la laisser seule, ici bas… Même s'il était une source de déception nouvelle pour elle, il ne pouvait pas l'abandonner comme son père autrefois. Elle l'aimait, non ? Elle avait beau le juger comme les autres –et il avait beau le savoir- jamais aucune critique n'avait franchi le seuil craquelé de ses lèvres. Diana avait besoin de lui et il avait besoin d'elle. Il était le seul à encore s'occuper de cet éclat de conscience dans un amas de folie et, lui, il n'existait que pour cette tâche, que par ses yeux. Même si souvent, ils brassaient le vide, il savait qu'une part de son être s'était définitivement accrochée à lui.

Il n'avait donc pas le droit de mourir, d'être enfin en paix… De se suicider.

Quelque part, il trouvait ça injuste… Il était accablé par le monde et se devait de tenir sous ce poids juste pour la personne qui l'avait envoyé sur cette terre qu'il voyait comme une galaxie étrangère à la sienne…

Après un dernier soubresaut suivi d'un écoeurant bruit d'éclaboussure, il releva la tête : il aurait beau cracher ses tripes, rien ne pourrait effacer le goût du savon, de l'urine… mais surtout, la saveur putride de l'humiliation.

Il s'assit sur le carrelage froid et aussi fissuré que lui et mit sa tête entre ses genoux.

Certains disaient que la condamnation à mort était la pire punition pour les hommes… mais lui savait que c'était faux : être condamner à vivre était bien pis.


Fuir. Toujours se fondre aux murs gris. Ne pas se retourner… Ne pas tarder. Comme un voleur. Il marchait le plus rapidement possible, droit devant. Il pensait déjà à l'abri qu'il allait gagner. Plus que quelques mètres…

Il poussa la porte de la bibliothèque en même temps qu'un soupir de soulagement. Jamais ici, il ne pourrait rencontrer les brutes qui le traquaient comme des bêtes féroces depuis qu'ils n'avaient pas pu l'humilier une seconde fois le jour avant.

Il avança entre les tables, ignorant son cœur qui battait toujours avec acharnement dans sa poitrine creuse, sous les regards apathiques des élèves… Il ne savait pas si c'était la crainte qui le rongeait encore -celle de découvrir son dernier repli occupé, par exemple- ou s'il était encore excité par l'image obsédante d'Alexa, assise bien droite sur sa chaise, dans le fond de la bibliothèque. Quelque part, il espérait toujours la revoir là, sous la lumière poussiéreuse de la petite pièce -même si cela était interdit- concentrée sur un roman quelconque et sans doute futile, en l'attendant.

Mais elle ne reviendrait jamais.

Sa mémoire avait pourtant vite appris à omettre les instants de bonheur, ces bouffées d'air si rares, pour ne pas le faire sombrer dans cet univers vicié : la vraie vie… La comparaison était trop brutale, trop insupportable et trop douloureuse.

Mais quand il revenait ici, il avait beau se battre contre lui-même, ranger dans un tiroir cette image douce comme du miel,… Elle s'imposait sans cesse.

Evidemment, elle n'était jamais là. Mais alors, il imaginait ce qu'aurait pu être leurs moments à eux… Il imaginait des dialogues amusants, il la voyait rire, il se voyait heureux. Et, définitivement seul dans le fond de la bibliothèque, il se forgeait un petit monde à part. Quelque chose de privé que personne ne pouvait troubler ou lui arracher. Il s'accrochait à ces petits films et arrivait presque à les croire, pris au piège de sa propre imagination.

C'était son honteux secret… cette passion, cette folie, cette vie heureuse qu'il créait de rien, pour en faire un tout qui résumait ses nouveaux moments de bonheur.

Il gagna enfin le fond de la bibliothèque –vide bien sûr-, il ne prit aucun livre et s'assit sur une chaise, tout en fixant celle qui se trouvait à sa droite. Alexa se matérialisa alors dans son esprit et ils purent enfin reprendre leur discussion sur la question homérique… Ils purent également à nouveau plaisanter, parler de tout, de rien…

Ceux qui se seraient tentés dans cette pièce auraient vu un garçon souriant béatement dans le vide, qui rigolait de temps en temps, heureux dans sa tête et totalement hors de toute réalité.

Ainsi, il avait découvert Paris et sa monstrueuse dame girafe, il avait visité les pyramides sous un ciel azur, vu la puissance des chutes du Niagara… avec Alexa. Sans pour autant voyager… mais juste en imaginant ce que seraient ces voyages avec elle. Et il vivait ces instants intensément, en se mentant impunément sur sa véritable et misérable situation qu'il ne manquerait pas de retrouver d'ici quelques minutes : il sentait le soleil de l'Egypte sur sa peau diaphane, la fraîcheur des trombes d'eau sur son visage et la main d'Alexa dans la sienne.

Toutes ses pensées étaient tournées vers cette paume chaude et offerte… sans pour autant virer dans ce qu'il jugeait d'indécent. Jamais il n'aurait pu s'abaisser à l'imaginer nue, en train de… Non, il ne pouvait pas penser à ce genre de choses sans être dégoûté et revoir les grossiers et licencieux dessins qui maquillaient de noir ses cours.

Il était encore plongé dans ses agréables pensées lorsqu'une large main se posa sur son épaule. Il déchira ses rêves d'un brusque sursaut, les replia loin dans sa tête, comme le ferait un adolescent pris sur le fait, en train de lire des magazines interdits. Il se retourna vivement et vit un grand noir qui lui souriait bêtement entre ses énormes lèvres.

-Hey ! Man ! Calmos !

Haper Hillman du haut de ses deux mètres dix levait ses longs bras en l'air d'un air innocent. Le cœur de Spencer ralentit légèrement la cadence effrénée qu'il avait prise.

-Euh… désolé…

Il reçut une violente tape qui servait sans doute d'accolade et le vit s'asseoir à côté, remplaçant définitivement l'image d'Alexa. C'était tout de suite une vue moins agréable.

-J'dois t'causer d'un truc…

Machinalement, Spencer se demanda de quel devoir il s'agissait.

-Même si t'avais l'air fort occupé… A rire tout seul…

Le garçon rougit violemment à cette réflexion, comme un petit garçon pris en faute. Il baissa les yeux devant le regard amusé et ironique de son interlocuteur et se racla la gorge.

-Euh… Tu venais pour quoi ?

Harper, les traits figés dans une mimique stupide et moqueuse, sourit et baissa d'un ton, ce qui ne lui ressemblait que moyennement.

-Pour un rencard.

Les yeux de Spencer s'agrandirent brusquement et sa moue stupéfaite et hébétée incita Harper à continuer.

-Euh… Pas de moi, tapette ! J'te cause d'un rendez-vous avec mam'zelle Alexa Lisben… A 16h sur le terrain de foot…

Le garçon lui sembla encore plus ahuri que lorsqu'il avait cru qu'il voulait sortir avec lui.

-Hé man… J'te jure que ça m'a surpris aussi… mais j'pense que cette meuf est vraiment trop bonne envers ton cas. Enfin, vaut mieux pas tu t'en vantes, car tu risques d'avoir des problèmes mon gars.

Ses iris aussi noirs que sa peau montèrent, comme une bulle dans un aquarium blanc, dans leur orbite éclatant pour se fixer au plafond. Oui, Spencer savait qu'il risquait d'avoir des problèmes si ça se savait… mais tout était secondaire à côté de cette nouvelle.

Alexa voulait le voir.

Etait-il encore seul, pitoyablement isolé et complètement fou dans le fond de sa bibliothèque ? Ou bien la réalité avait-elle enfin décidé de se plier à ses désirs les plus profonds ?

-T… Tu… rigoles ? Ce n'est pas une blague ?

Il tentait de contrôler ses pulsations cardiaques et de rester terre à terre.

En vain.

Il ne pouvait cependant pas se laisser aller trop vite à la joie. Il connaissait excessivement bien la fulgurante douleur de la déception… Le grand noir lui sourit, complice.

-J'vois pas pourquoi j'te mentirais… Ca m'ferait un ennemi et tu n'voudrais plus faire mes devoirs, alors…

Sa poitrine si creuse semblait sur le point d'imploser. Tandis que sa tête lui tournait, une vague vibrante de bonheur s'écrasa contre son corps. Il frémit légèrement et ne vit pas Harper Hillman se lever et s'éloigner après lui avoir à nouveau bourré dedans de sa main de géant.

Son rêve dévorait enfin sa vie. C'était la seule lueur qu'il voyait depuis longtemps.


La journée s'était lentement écoulée. Mais rien n'avait jusqu'alors gâché sa joie. Pas de Rudy, pas d'humiliations… Le vent du destin tournait-il enfin en sa faveur ? Spencer souriait malgré lui, heureux.

Il comptait pour deux personnes. Vraiment. Elle voulait le revoir.

En cachette… mais elle savait que s'ils le faisaient encore publiquement, il en paierait les pots cassés. Quelque part, ça ne l'aurait pas dérangé tant qu'il volait des instants de bonheur avec elle.

Il marchait, le cœur tellement léger qu'il semblait s'envoler en lui, vers sa bouche, pour le forcer à sourire niaisement. Elle devait s'être attachée à lui, avoir pensé à lui… pour prendre ce risque pour le revoir. Il était non seulement quelqu'un à ses yeux, mais également une personne importante.

Il avait la tête pleine de phrases préparées dans la solitude et la quiétude de la bibliothèque… Il aurait voulu lui dire tant de poésie, toute sa joie et ses sentiments.

Oui, il semblait totalement amoureux d'elle.

Il était sidérant de voir à quel point il s'accrochait à elle, à quel point chaque souvenir aussi insignifiant soit-il, ayant un rapport plus ou moins proche avec elle le rendait heureux et cotonneux.

Sur un nuage, il arriva enfin au point de rendez-vous. Il la vit, seule, debout au bord du terrain. Ses cheveux blonds étaient plaqués en arrière par un vent froid et sec. Ses pas s'accélèrent pour aller à sa rencontre, elle le vit et elle sourit.

-Salut Spencer.

Alexa s'approcha de lui et avant qu'il puisse répondre, elle se mit déboutonner sa belle chemise –mise spécialement pour cette rencontre- sans ajouter un mot. Le jeune homme, pétrifié et muet, la laissait faire. Elle déboutonna entièrement sa chemise le faisant frissonner. Il ne savait pas comment réagir et se sentait étrangement bien, bien que découvert, contre elle. Elle semblait concentrée sur son torse. Il prit enfin son visage d'une main et le releva vers le sien, hésitant, ayant plus besoin qu'envie, de l'embrasser.

Il se stoppa alors net en voyant son regard sardonique… Ce n'était ni de la douceur, ni de la sensualité qui se lovait dans ses yeux bleus… mais du mépris.

Elle leva alors son visage parfait vers le ciel, le repoussa d'une main, et cria brusquement, parfait contraste avec les gestes qu'elle venait de poser :

-Le fils de cinglé est prêt !

Il eut la terrible impression de voir le sol se dérober sous ses pieds et ses rêves éclater par la même occasion.

Il vit alors la bande de Rudy surgir de derrière les vestiaires, suivie par plusieurs dizaines d'élèves goguenards. Le grand terrain vide s'emplit d'un flot de sifflements et de rires plus mordants les uns que les autres.

Le regard perdu et voilé de Spencer passa de la fille qui s'était imposée dans son cœur, implosé désormais, à la foule qui fondait sur lui.

-FILS DE TARE ! FILS DE TARE !

Alexa sourit méchamment, alla embrasser son copain et laissa l'attroupement encercler le jeune homme violemment percuté par l'hymne qu'entonnaient ces êtres qui le haïssaient. Blessé, il recroquevilla ses maigres bras sur son torse malingre et exposé à la vue de tous.

Elle l'avait trahi.

Non seulement elle l'avait emmené ici, mais en plus elle leur avait tout déballé…

-FILS DE TARE ! FILS DE…

Il se mit à pleurer de honte face à cette vérité qui sortait de ces bouches si arrogantes. Des mains l'attrapèrent brutalement… Rudy. Le jeune homme, railleur, hurla à ses sous-fifres :

-Et si on terminait le travail d'Alexa ?

Ces poumons échauder par le désir de faire du mal hurlèrent de joie à l'unisson.

Sa belle chemise fut arrachée de son dos, déchirée, piétinée… C'était sans aucun doute la seule chose de valeur qu'il possédait encore, qui finissait sous ces semelles boueuses.

Son corps, quant à lui, semblait vendu aux mains de ses bourreaux qui le tiraient, le déshabillaient et l'attachaient.

Il n'avait plus de rêves, plus d'amis et plus de protection

A suivre…

Laisser un commentaire ?