Les chroniques d'Arkanie T.1 : Cybard

Chapitre 1 : Une journée importante

4144 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/02/2017 22:58

Les ténèbres voilaient la pièce et seul le bruit régulier d'une respiration venait troubler le silence. Au cœur d'un lit rendu invisible par l'obscurité alentour, quelqu'un dormait paisiblement. À l'exception de cet individu assoupi, la chambre était totalement déserte.

Soudain, des bruits de pas précipités se firent entendre dans le couloir. Ils se rapprochèrent, jusqu'à s'immobiliser devant la porte. Cela ne suffit pas à éveiller celui qui somnolait sans crainte. Le grincement lugubre qu'émit le battant en pivotant sur ses gonds, toutefois, y parvint.

Le prince Cybard d'Arkanie sursauta, arraché à sa rêverie. Il fallut quelques secondes à son esprit pour se mettre en alerte, mais dès que ce fut le cas, sa première initiative fut de fondre sur son épée. Cette visite nocturne ne lui inspirait aucune confiance.

Son père lui avait intimé de toujours garder son arme à proximité de son lit afin d'être prêt à se défendre dans n'importe quelle situation. Lorsqu'il voulut se pencher dans le vide pour l'atteindre, son torse fut retenu par la couverture dans laquelle il était emmêlé et il bascula vers l'avant pour tomber sur le sol dans un bruit sourd.

Bruyamment, Cybard se redressa en prenant appui sur sa table de chevet, mais se cogna maladroitement le pied dans un angle, ce qui lui arracha un gémissement de douleur. Lorsque sa main se referma enfin sur le pommeau, il entendit un rire délicat s'élever dans son dos.

- Je vous félicite, mon frère. Si j'avais été quelque ennemi hostile, vous seriez déjà mort depuis longtemps.

Un candélabre à la main, une jeune femme se tenait désormais sur le seuil. Les flammes se mariaient avec ses sublimes cheveux roux, qui encadraient un visage clair aux traits fins et au menton proéminent. Un nez à la courbe élégante rehaussait une bouche charmante et des yeux pareils à des émeraudes sertissaient ce beau minois.

Elle ne portait sur elle rien d'autre qu'une chemise de nuit presque transparente, ainsi qu'un châle avec lequel elle avait entouré ses épaules, de manière à se préserver des courants d'air froids qui soufflaient parfois dans les corridors du château. Peu soucieuse de son apparence négligée, elle adressa un sourire à son interlocuteur.

- Freya, quelle idée saugrenue a pu vous traverser la tête ? Vous m'avez causé une telle frayeur ! L'espace d'un instant, j'ai cru que l'on m'attaquait.

- Une chance pour vous, ce n'était pas le cas.

- Vous devez être frigorifiée. Venez donc ici.

Cybard reprit sa place sous les couvertures encore tièdes et invita sa sœur à le rejoindre. Comme elle était pieds nus et que la pierre était glacée, elle ne se fit pas prier. Elle posa son chandelier sur la table de nuit, puis s'installa dans le lit, aux côtés du prince.

À présent que la lumière dansante l'illuminait également, il était possible de distinguer ses cheveux blonds, qui prenaient des allures orangées sous le reflet des chandelles. Décoiffés par la nuit, quelques mèches sauvages tombaient devant deux prunelles bleu ciel à l'expression ingénue. Avec son nez retroussé et les fossettes qu'il possédait à la commissure des lèvres, le jeune homme était doté d'un air angélique qui allait de pair avec son doux caractère.

Freya et Cybard étaient si proches l'un de l'autre et ils nourrissaient une telle affection mutuelle que quiconque, eux les premiers, oubliait qu'ils n'étaient pas frère et sœur de sang. En effet, le prince était né du premier mariage de son père, le roi Gildas d'Arkanie. Après la mort de la reine, celui-ci avait épousé en secondes noces une noble dont tout le royaume louait la beauté, dame Auréa. Elle-même était déjà mère d'une petite fille, que le souverain avait rapidement appris à considérer comme la sienne.

Freya, qui n'avait jamais réellement connu une autre famille que celle qu'elle avait rejointe à l'âge de dix ans, l'aimait et la chérissait de tout son cœur. Quant au peuple du royaume, il lui accordait toute sa sympathie, au point de la considérer comme une princesse légitime.

- Que me vaut le plaisir de vous recevoir à cette heure-ci, très chère ? s'enquit Cybard. Souffrez-vous d'insomnie au point de n'avoir mieux à faire que déambuler dans les couloirs jusqu'à ma chambre ?

- Le soleil sera levé d'ici peu, aussi n'ai-je guère d'avance sur lui. Je tenais simplement à être celle qui vous souhaiterait avant tous les autres un heureux anniversaire.

- Ne cesserez-vous jamais de me surprendre ?

- Pourquoi donc ? Je sais que vous m'adorez grâce à cela.

Ils échangèrent un sourire complice, puis Freya embrassa avec tendresse la joue de son frère, tout en lui pressant la main dans une étreinte affectueuse. Bien qu'elle soit plus jeune de quelques années, elle ne pouvait s'empêcher de veiller sur lui avec autant de soin que si elle avait été son aînée. Cybard avait beau célébrer en ce jour ses vingt-cinq ans, il n'en demeurait pas moins un rêveur très étourdi qu'elle chercherait toujours à protéger.

- Votre sollicitude me touche et m'honore, petite sœur, mais je crains qu'à présent, il ne me faille vous conseiller de partir. Si votre suivante découvre votre chambre vide, je redoute qu'elle fasse un malaise. Vous lui causez suffisamment de tourments ainsi au quotidien.

Les paroles du prince firent apparaître une lueur malicieuse dans les yeux de Freya. En dépit de son caractère respectable et de sa gentillesse naturelle, elle commettait de nombreuses frasques qui déplaisaient à son entourage, bien que celui-ci finisse toujours par en rire.

Elle appréciait la solitude et la liberté, deux sentiments qui l'emmenaient souvent à fausser compagnie aux gardes ou aux domestiques chargés de veiller sur elle pour partir se promener sans escorte dans les environs du château. Contrairement à Cybard, docile et plus timoré, elle était dotée d'un fort tempérament aventureux.

Freya arrangea sa chemise de nuit et laissa ses jambes glisser hors du lit. Elle frissonna lorsque sa peau retrouva le contact désagréable du sol et se dressa sur la pointe des pieds. Avec enthousiasme, elle affirma :

- Je vous vois tout à l'heure. Oh ! Qu'il me tarde d'être au début des festivités !

- Quel engouement ! Dois-je en conclure que Père a organisé dans le plus grand secret et, je suppose, sur votre recommandation, un tournoi d'épée ?

Les joues de la princesse rosirent alors que son frère venait de la percer à jour. Elle avait effectivement convaincu le roi de préparer un tel évènement, or elle savait que ce divertissement n'était pas le favori de Cybard, médiocre épéiste. C'était en revanche le sien et elle n'avait pu résister à la tentation.

- Si cela peut vous réconforter, il y aura également une représentation théâtrale, ainsi qu'un spectacle de saltimbanques. Vous me connaissez assez bien, mon frère, pour vous doutez que je ne me suis pas montrée égoïste au point de vous priver de ce plaisir.

- Et vous me connaissez assez bien pour vous douter que cette nouvelle me comble de joie.

- Feignez tout de même un air étonné le moment venu. Je m'en voudrais que Père découvre que je vous ai révélé tout ceci alors qu'il devait s'agir d'une surprise. Sur ce, Altesse, permettez-moi de prendre congé.

Freya s'inclina devant Cybard avec bonne humeur, tandis que le jeune homme lui adressait un signe de la main, radieux. Après ce dernier échange, elle tourna les talons et quitta la pièce, pour rejoindre sa chambre avant que sa domestique ne s'alerte de sa disparition.

***

Bien qu'il soit encore très tôt et que le soleil soit à peine levé sur le royaume d'Arkanie, les invités commençaient progressivement à arriver au château de Maarmé, capitale du pays où était installée la famille royale. Le premier équipage à franchir les fortifications fut celui du roi Lydéric de Calverne, la contrée voisine.

Son carrosse s'immobilisa au milieu de la cour, où des écuyers se pressaient déjà autour des chevaux, afin de leur prodiguer les meilleurs soins pour les aider à se remettre du voyage. Des serviteurs attendaient également, prêts à exaucer les moindres désirs du souverain.

Le roi Gildas en personne était venu saluer celui qu'il considérait comme un ami sincère. Cela faisait longtemps, désormais, que les deux pays avaient tissé des liens étroits, même si aucune alliance officielle n'avait été signée. Ils projetaient de le faire dans un futur proche, grâce à un arrangement qui les comblerait aussi bien l'un que l'autre.

Les deux monarques se saluèrent avec déférence. Ils étaient en tous points l'opposé l'un de l'autre. Lydéric, qui fut autrefois un grand chef de guerre avant de monter sur le trône, avait conservé la musculature puissante et la stature robuste d'un chevalier. Dans la force de l'âge, il avait été défiguré par une cicatrice qui lui barrait la joue, récoltée lors d'une sanglante bataille.

Il s'efforçait de la dissimuler en rabattant une mèche de ses longs cheveux cuivrés devant son visage, mais dès que le vent l'écartait, la blessure redevenait visible. Elle n'altérait cependant presque rien à sa beauté altière, qu'il devait à son menton carré, son nez longiligne et ses yeux noirs si expressifs.

Gildas, au contraire, prenait désormais de l'âge et perdait peu à peu toute sa grâce d'autrefois. Il approchait de ses soixante ans, comme en témoignaient sa chevelure blanchissante et les rides qui striaient sa peau. Il avait également tendance à s'empâter, à force de participer à plus de festins que de combats. Ses prunelles claires pétillaient, comme pour démontrer que son âme, elle, resterait éternellement jeune. S'il s'efforçait d'enseigner à son fils comment agir le jour où il le remplacerait, il espérait encore régner au moins une décennie supplémentaire, voire davantage.

Malgré leurs grandes différences, Lydéric et Gildas partageaient une caractéristique commune : leur bienveillance. Tous deux étaient extrêmement appréciés par leurs sujets respectifs, pour la compréhension et la bonté dont ils faisaient preuve à leur égard. En montrant de la loyauté envers eux, ils avaient obtenu la leur.

- Quel joie de vous revoir, mon ami ! Avez-vous fait bonne route ? s'enquit le roi d'Arkanie.

- Les voies de Maarmé sont sûres, nous n'y avons rencontré aucune embuche. J'ose espérer que vous vous souvenez de ma reine, sa Majesté Valdrade.

Une femme très guindée descendit à son tour du carrosse, avec l'aide d'un valet qui vint la soutenir en lui offrant sa main. Elle était un peu pâle et dotée d'une silhouette très mince. Cette apparence lui conférait une allure maladive, pourtant elle paraissait en bonne santé.

Gildas s'inclina devant l'épouse de son interlocuteur, puis baisa sa main en lui adressant un compliment poli. Cela fait, il s'étonna de constater que leur fille, la princesse Énimia, ne s'était pas jointe à eux pour venir assister à l'anniversaire du prince.

- Elle vous prie de bien vouloir l'excuser, mais elle n'apprécie guère les mondanités. L'effervescence lui cause de douloureux maux de tête et, même en Calverne, il est rare qu'elle prenne part à des évènements de cette envergure.

- Voila qui est bien fâcheux. J'espérais qu'elle serait présente, de façon à ce que Cybard puisse la rencontrer.

- Il en a déjà eu l'occasion, souvenez-vous. C'était il y a six ans, lorsqu'il vous avez accompagné à Encerran lors d'une visite officielle.

- À cette époque-là, son Altesse Énimia n'était encore qu'une enfant, sans vouloir l'offenser. Depuis le temps, elle est sûrement devenue une sublime jeune femme, tout à fait apte à conquérir son cœur.

- Elle le fera, je n'en ai aucun doute.

- Je m'en remets à votre jugement, Sire. À présent, permettez-moi de demander à l'un de mes domestiques de vous conduire jusqu'à vos appartements.

- Bien volontiers.

Gildas héla l'un des serviteurs qui n'était pas en train de descendre les malles du carrosse et ordonna à ce que l'on montre au roi et à la reine de Calverne l'endroit où ils logeraient pour la durée de leur séjour en Arkanie.

***

- Votre Altesse sera toute en beauté, aujourd'hui.

Freya était assise sur un tabouret devant son miroir et sa domestique venait de démêler ses cheveux, qu'elle s'apprêtait désormais à nouer d'un ruban vert, dont la nuance était assortie à celle de ses yeux. La princesse la remercia d'un sourire, enchantée par ce compliment.

Elle portait une nouvelle robe, dont sa mère avait fait l'acquisition en vue de cette journée si spéciale. Également couleur émeraude, afin de se marier avec le reste de son apparence, elle lui seyait à merveille, révélant les formes gracieuses de son buste, dont elle paraissait affiner la taille. Sa gorge était dégagée, dévoilant sa pureté.

- Merci beaucoup, Alpaïde. Dis-moi, sais-tu si Judicaël est arrivé ? Il me tarde qu'il soit là.

- Je ne crois pas, Altesse. J'ai seulement aperçu le roi Lydéric, ainsi que la reine, et quelques seigneurs arkanes. Il est encore très tôt, les invités vont sans doute arriver au cours de la matinée.

- Sans doute...

- Je suis persuadée qu'il vous trouvera tout à fait ravissante, Altesse.

Freya eut un petit rire. Judicaël était originaire de Véronas, un territoire soumis l'Arkanie depuis plusieurs décennies. Son père, le duc Rustic, était le plus vieil ami et allié de Gildas. Cybard, qui avait cinq ans de plus que le jeune noble, le connaissait depuis sa venue au monde. Tous deux s'appréciaient énormément.

L'affection que Judicaël lui portait s'était étendue jusqu'à Freya lorsque celle-ci avait rejoint la famille royale. Leur proximité avait fait naître plusieurs idées dans l'esprit de leur entourage, notamment l'espoir de les voir s'unir un jour, ce qui resserrerait définitivement les liens des deux familles.

Ils se trompaient tous, cependant, s'ils espéraient voir le Véronien demander la main de la princesse, car il n'en avait aucunement l'intention, pas plus qu'elle de l'épouser. Il était doté de nombreuses qualités qui faisaient de lui l'un des êtres les plus chers à son cœur, mais elle connaissait sa passion pour l'art de la séduction. Véritable charmeur, il avait le don de s'attirer les faveurs de n'importe quelle dame.

Il respectait trop Freya pour se jouer d'elle de la sorte. Elle était sa confidente, témoin de ses conquêtes indénombrables, mais jamais il n'avait tenté de la courtiser et elle ne le désirait pas davantage. Le mariage ne faisait pas partie de ses préoccupations.

- Puis-je faire autre chose pour vous, Altesse ? interrogea Alpaïde dès qu'elle en eut terminé avec sa coiffure.

- Non, je te remercie. Cela suffira. Je pense descendre immédiatement pour guetter l'arrivée de Judicaël.

La domestique s'écarta pour permettre à Freya de se lever et lui emboîta le pas lorsqu'elle se dirigea vers la porte de sa chambre. Son rôle lui imposait de suivre constamment sa maîtresse, afin d'être prête à exécuter chacun de ses ordres à tout instant. Si cela pouvait s'avérer pratique dans certains cas, cela se révélait généralement problématique.

La princesse avait de plus en plus de mal à se soustraire à elle. Son père avait sans doute demandé à Alpaïde de garder un œil sur elle dans le but de réduire le nombre de ses fredaines. La roi Gildas insistait sur le respect des convenances et du protocole, face auquel sa belle-fille n'était pas à son aise.

Freya était impatiente de retrouver Judicaël, car elle savait qu'il pourrait l'aider. Il ne laissait aucune femme indifférente, qu'elle soit noble ou roturière, et avec sa complicité, elle parviendrait à fausser compagnie à sa suivante. Elle avait besoin de se rendre au village, or c'était normalement la tâche d'Alpaïde d'effectuer ce genre de déplacement.

***

- Majesté, vous êtes encore plus sublime que le souvenir que j'ai gardé de vous. Le temps n'a décidément aucune emprise sur votre beauté.

Auréa était aussi magnifique que Judicaël était flatteur. Elle venait d'avoir trente-huit ans, pourtant presque aucune ride ne striait son visage. Il était fin, élégant et exprimait une douceur constante. Encadré par une chevelure châtaine aux nuances rousses, il avait des lèvres charnues, ainsi que des yeux sombres, rehaussés par deux sourcils à la ligne incurvée.

De taille moyenne, elle était plus petite que sa fille, mais elle portait sous sa robe bleue des talonnettes qui lui permettaient de gagner quelques centimètres. Toujours parée des plus ravissantes toilettes, elle était une référence en matière d'élégance.

Sa main, qu'elle offrit à baiser à Judicaël, était partiellement recouverte par une mitaine en dentelle. Le jeune homme effleura le tissu de sa bouche, avant de se redresser promptement avec un sourire éclatant. Il maîtrisait à la perfection les bonnes manières et l'éloquence.

Il avait pour lui la jeunesse, de même que le charme et le raffinement, et il n'hésitait jamais à jouer de ses atouts. Son teint légèrement hâlé lui conférait l'allure d'un vaillant aventurier et ses cheveux marron aux multiples nuances, toujours décoiffés, donnaient l'impression qu'il sortait d'un combat à l'épée.

Sans avoir le physique musculeux d'un chevalier, il possédait un corps sculptural qui se dessinait sous la tunique blanche qu'il portait ce jour-là, salie par endroits à cause du voyage qu'il avait réalisé à cheval, en compagnie de son escorte et de son père.

Ils avaient déjà salué le roi Gildas, qu'ils avaient croisé alors qu'il supervisait les derniers préparatifs pour la célébration de l'anniversaire de Cybard, avant de venir honorer son épouse. Celle-ci se détourna d'ailleurs poliment de Judicaël pour entamer la conversation avec le duc Rustic.

Au contraire de son fils, ce dernier était solidement bâti. Ses épaules étaient larges, son torse semblable à un roc et ses mains puissantes. Son cou était plutôt trapu, dominé par une large tête aux sourcils épais. Ils surplombaient des yeux bruns profonds, un nez droit et une bouche fine, qui ne souriait presque jamais.

Tandis qu'il discutait avec Auréa, Judicaël décida de partir se promener dans les couloirs du château. Après une longue distance parcourue à cheval, il avait grand besoin de se dégourdir les jambes. Il espérait également croiser Freya et Cybard dès que ceux-ci auraient fini de se préparer.

Le jeune homme connaissait bien les lieux pour les avoir arpentés souvent. Enfant, il avait passé des heures à explorer chaque salle, chaque corridor et même chaque recoin en compagnie du prince et de la princesse. Dans ce dédale où n'importe quel étranger se serait déjà égaré, il n'avait aucune difficulté à trouver son chemin.

Si la bienséance aurait voulu qu'il aille d'abord souhaiter un heureux anniversaire à Cybard, il choisit de visiter en premier la sœur de ce celui-ci. Même s'il les affectionnait tous les deux, elle demeurait sa favorite.

La famille royale logeait dans l'aile ouest, qu'il avait presque atteinte. Il marchait désormais dans un long couloir, uniquement éclairé par les fenêtres devant lesquelles il passait. Alors qu'il était à mi-chemin, il entendit des bruits de pas. Il s'immobilisa de justesse, manquant de heurter les deux personnes qui débouchèrent d'un passage à sa droite.

- Je suis confuse, je... Oh ! Judicaël !

Avant même qu'il n'ait eu le temps de réagir, une cascade de cheveux roux vint obscurcir sa vision et deux bras entourèrent son cou. Freya aurait dû réfréner son enthousiasme, mais elle en était incapable. Revoir le Véronien la comblait de joie.

- Ma chère, quel accueil ! Suis-je certain de mériter une telle effusion ?

- Assurément, car la présence d'aucun invité aujourd'hui ne saurait me procurer plus de bonheur que la vôtre.

Elle glissa ses mains entre les siennes et le fixa avec tendresse durant quelques secondes, avant de s'enquérir de la santé de sa famille, ainsi que des nouvelles en provenance de Véronas.

- Père n'aurait manqué cela pour rien au monde, informa-t-il. Quant à Mère, son équipage arrivera certainement à temps pour le déjeuner. Elle sera tout aussi enchantée que moi à l'idée de vous revoir. Elle éprouve beaucoup d'estime à votre égard, comme vous le savez.

- Ce sentiment est réciproque. Puisque vous évoquez le voyage, êtes-vous venu sur le dos de ce magnifique cheval noir avec lequel je vous ai vu la dernière fois ?

Selon Freya, il n'existait pas de meilleur cavalier que Judicaël, ce qui lui conférait un avantage certain lorsqu'il participait à des joutes. Elle n'avait jamais cessé d'admirer le don qu'il possédait avec les équidés. Il parvenait à dompter les plus fougueux d'entre eux et à réaliser ensuite de véritables prouesses en leur compagnie.

- En effet. L'un de vos écuyers l'a mené aux écuries pour l'y panser. Souhaiteriez-vous le voir ? proposa-t-il.

- Ce serait avec un immense plaisir. Alpaïde ?

La domestique, jusqu'alors restée en retrait par politesse, fit un pas en direction de sa maîtresse. Elle inclina docilement la tête, signe qu'elle était prête à écouter sa requête. Judicaël l'observa avec un intérêt certain. Son rang de roturière n'altérait en rien la joliesse qui était la sienne.

Ses boucles blond vénitien disparaissaient en partie sous un carré de tissu destiné à les retenir. Il dégageait ainsi un visage pâle au grand front et au nez pointu. Ses lèvres nacrées étaient entrouvertes, ses joues légèrement rosies. Quant à ses yeux, elle les gardait baissés, ce qui était une marque de respect.

- Veux-tu aller chercher ma cape, s'il te plaît ? demanda Freya. J'ai trouvé qu'il faisait frais, à la fenêtre, et je ne tiens pas à prendre froid, ce matin.

- Tout de suite, Altesse.

La suivante s'inclina, puis s'éloigna d'un pas rapide dans le corridor étroit par lequel elles venaient d'arriver ensemble. L'Arkane attendit patiemment que le bruit de ses chaussures sur le sol ait totalement disparu pour ramener son attention sur Judicaël, qui l'interrogea :

- Votre domestique n'est pas celle dont j'ai gardé souvenance, n'est-ce pas ?

- Rien n'échappe à votre attention, je puis le constater. Alpaïde est tout nouvelle, elle est à mon service depuis à peine quelques semaines. Je me doutais que vous la jugeriez à votre goût.

Un sourire malicieux fendit le visage de Freya et le Judicaël fut intrigué. Il la connaissait suffisamment pour savoir qu'un tel comportement signifiait qu'elle avait une idée à l'esprit. Comme elles étaient toujours saugrenues, il lui fallut attendre qu'elle la lui révèle afin de découvrir de quoi il en retournait.

- Mon ami, votre talent avec les femmes, comme avec les chevaux, n'est plus à démontrer. Alpaïde est extrêmement dévouée, mais je crains que, justement, elle ne le soit un peu trop. Voyez-vous, j'ai besoin d'un moment où elle ne serait pas en train de m'épier et de me suivre partout, comme son devoir l'exige. Pensez-vous être en mesure de m'aider ?

- Douteriez-vous de moi ? répondit Judicaël d'un ton complice. Vous pouvez me faire confiance. Je vous accorderai tout le temps que vous désirerez. Je suis tout de même curieux de savoir à quelle mystérieuse escapade vous vous apprêtez, cette fois-ci.

- Cela n'a rien d'aussi mystérieux que vous semblez le croire. Je prépare une surprise pour Cybard et je tiens à m'en occuper personnellement. Puisqu'il s'agit de mon frère, je refuse de déléguer cette tâche à d'autres.

- Je suis certain que ce sera fantastique, comme toujours avec vous, Freya.

Elle approuva ses propos d'un hochement de tête. Elle-même était assez fière du présent qu'elle réservait au prince et elle ne craignait pas une seconde qu'il n'en soit pas satisfait.

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