Le Corbeau. Saison 1

Chapitre 92 : IX Justine Bénis

2677 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 06:03

           CHAPITRE IX : JUSTINE BENIS

 

           Gladius s’arrêta mais ne se retourna pas. Ce nom lui paraissait si éloigné maintenant. Comme si des années s’étaient passées depuis la dernière fois que quelqu’un l’avait appelé ainsi. Et pourtant, il se souvenait de qui était Pierrick Chaldo. Un homme. Un chasseur. Quelqu’un dont la vie s’est construite au fil du temps, des joies et des peines. Mais quelles joies et quelles peines ? Il avait du mal à s’en souvenir.

« Pierrick Chaldo a disparu, dit-il.

-Vous me paraissez bien vivant pourtant, fit Degard.

-Je n’ai pas dit qu’il était mort. J’ai dit qu’il avait disparu.

-Tu ne peux continuer à vivre ainsi. »

L’ancien s’approchait, soutenu par Andrei. Gladius comprenait pourquoi il n’avait pas pu combattre les pillards. Son corps décrépi ne tenait plus que par le seul soutien de son flux magique. Par le passé, il avait dû être un très puissant mage.

« Tu dois trouver ta place dans ce monde,continua t-il.

-Et si je n’y ai pas ma place ?demanda Gladius.

-Je vis depuis très longtemps. Trop sûrement. Mais cette très longue vie ma appris que qui que nous soyons, nous avons toujours notre place quelque part. Le seul obstacle est d’accepter cette place. Je ne connais pas ton passé. Je ne sais rien de toi. Mais je sens le trouble en toi. Un trouble profond.

-Quel est l’endroit dont vous me parliez tout à l’heure ?

-On l’appelle la Grotte aux Etoiles. Elle est située à au moins trois cents kilomètres au sud, dans la vallée de la Toungouska. C’est un lieu où les forces mystiques sont très fortes. Tu y trouveras peut-être des réponses. Si tu es assez fort pour les accepter.

-Vous y êtes déjà allé ?

-Oui, il y a quelques années. Quand je pouvais encore marché seul. Mais je n’y ais rien trouvé car j’avais déjà accepté ma place. »

           Gladius resta silencieux. Puis il se tourna vers Degard et Massil.

« Attendez que je revienne avant d’emmener Andrei, dit-il. Car je sens quelque chose de pas clair dans cette histoire.

-Nous ne pouvons pas rester, contredit Massil.

-D’accord, acquiesça Degard. Nous vous attendrons. Revenez vite. »

Gladius disparut en un claquement de fouet.

« Pourquoi avoir accepté ? questionna Massil. Nous devons rentrer.

-Nous pouvons attendre quelques jours, fit remarquer Degard. Cet homme est considéré comme le meilleur chasseur actuel. Quand on atteint un certain niveau, on possède un instinct pour les affaires pas nettes. Je l’ai. Et lui aussi. Je n’ai rien décelé par rapport à ces récupérations mais j’ai dû me rouiller un peu. Cela ne nous coûtera rien d’attendre. »

 

           Maldieu et Garde se rendirent en Suisse, à Genève. Charles Maldieu était en dehors de sa juridiction mais tant pis. Le temps n’était plus aux risques calculés. Ils devaient acquérir une information cruciale, et une seule personne au monde pouvait la leur donner.

           A l’instar de la Suisse moldue, le Ministère helvète de la Magie avait choisi une certaine neutralité. Par contre, ses Gardiens, un service regroupant les prérogatives de la Police Magique et des unités anti-mages noirs comme les Chasseurs ou les Aurors, demeuraient intraitables avec ceux qui menaçaient la tranquillité de leurs concitoyens. Mais si les mages noirs se tenaient tranquille, ils n’étaient pas inquiétés. Cela faisait de la Suisse, non pas une base arrière mais un refuge pour les mages noirs. Beaucoup de mangemorts recherchés s’y étaient cachés. Certains menant une vie publique normale. Et malgré les demandes des autres Ministères demandant leur extradition, le Ministère suisse refusait toujours, avançant qu’ils n’avaient commis aucun crime sur leur sol.

           « Tu es sûr qu’elle vit ici ? demanda Garde.

-Elle a essayé de cacher sa présence mais j’ai tout de même plusieurs sources qui m’ont appris qu’elle s’était installée sous une identité moldue dans cette ville, expliqua Maldieu. Elle n’a pas intérêt à être retrouvée.

-Mais comment la retrouver ? La ville est grande.

-Elle a beau vouloir se cacher en se faisant passer pour une moldue, il y a certains réflexes de la vie sorcière qu’elle ne pourra que difficilement gommer. De plus, si elle veut être sûre de ne pas être retrouvée, il faut absolument qu’elle garde quelques contacts avec le monde magique. Histoire de se tenir informé.

-Les journaux. Elle pourrait tout aussi bien se rendre incognito dans un lieu secret et l’acheter en kiosque.

-Ce serait la solution la plus sûre. Mais au bout de trente ans, elle a dû se relâcher et s’abonner. Et heureusement, j’ai un ami au « Sorcier des Montagnes » qui me devait un service. Il m’a envoyé la liste des abonnés de Genève. On peut éliminer tous ceux vivant en zone magique. Il n’y en a pas tant que ça en zone moldue.

-Tes relations dans tous les domaines m’ont toujours impressionné. »

           Durant toute la journée, Garde et Maldieu parcoururent la ville d’adresse en adresse. Ils restaient parfois plusieurs heures devant une maison pour identifier qui vivait là. Ce fut finalement le soir, alors qu’ils observaient la quarantième maison de leur liste, qu’ils virent une femme d’une soixantaine d’années, les cheveux grisés par l’âge.

« C’est elle, dit Garde. Elle a beau avoir vieilli, je saurais toujours la reconnaitre.

-Suivons-la et attendons le bon moment pour lui mettre le grappin dessus. Attention, je n’ai pas besoin de te dire de quoi elle est capable. »

           Les deux hommes commencèrent à suivre la femme discrètement. Elle parut ne pas les repérer. Elle entra dans une épicerie et y resta au moins vingt minutes. Quand elle en ressortit, se fut pour reprendre le chemin de chez elle, alourdie par deux sacs cabas. Et au moment où elle se retrouva sur le perron, les deux hommes sortirent discrètement leurs baguettes et approchèrent.

« Tu t’es ramollie Justine, lança Maldieu. »

La femme se retourna, l’air apeuré et surprise. Elle resta figée durant au moins deux secondes avant de se décider à réagir, cherchant sa baguette dans sa poche. Mais elle n’eut pas le temps de s’en servir, elle l’avait à peine sortie que Garde lui tordit le poignet et lui arracha de la main.

« Je vois que l’air alpin t’as fait du bien au teint, continua Maldieu.

-Charles Maldieu, dit-elle. Que vient faire le directeur du Département des Chasseurs ici ? Et François Garde, je te croyais retirer.

-Je le suis autant que toi, Justine Bénis, dit Garde. Mais parfois, il faut bien reprendre un peu de service.

-Nous n’allons pas parlé dehors, fit Maldieu. Tu vas bien nous inviter à l’intérieur.

-Comme-ci j’avais le choix, grommela t-elle. »

           Ils suivirent Justine Bénis jusqu’à ce qui devait être son salon. Elle s’assit dans l’unique fauteuil de la pièce.

« Tu n’avais pas prévu d’avoir des invités on dirait, sourit Maldieu.

-Arrêtes avec ton humour, lança Justine. Si vous voulez vous asseoir, démerdez-vous.

-Ce ne sont pas des mots jolis dans la bouche d’une femme, ajouta Maldieu en faisant apparaître deux chaises.

-Vous allez me dire ce que vous venez faire ici, ordonna Justine. Vous n’avez pas le droit de venir m’arrêter, le gouvernement magique suisse…

-Nous connaissons les lois, coupa le directeur des Chasseurs. Nous ne sommes pas venus te chercher pour te ramener en France où tu devrais être jugé pour un certain nombre de crimes mais pour avoir un renseignement. Tu es la seule personne connue ayant servi sous les ordres de Janus. Tu es la seule pouvant nous mener à lui.

-Si vous venez me voir après trente ans, c’est qu’il reprend ses activités. Ça faisait un moment qu’il n’avait pas bougé à vrai dire.

-Tu connais son visage. Dis-nous qui il est.

-Si je suis venu en Suisse, ce n’est pas uniquement pour me cacher des Chasseurs. Sinon, je n’aurais pas besoin de faire mes courses en secret.

-Nous le savons. Tu te caches de Janus.

-Pourquoi te caches-tu de lui ? questionna François Garde.

-Parce que je l’ai trahi. A l’époque, il cherchait un livre, un vieux grimoire traitant d’une magie qui n’est plus pratiqué de nos jours. Mais cette magie pouvait lui donner plus de puissance que Vous-savez-qui, devenant, ou plutôt redevenant le mage noir le plus à même de prendre le pouvoir. Même si Vous-savez-qui ne recherchait pas vraiment le pouvoir mais plutôt l’immortalité. Le pouvoir n’était pour lui qu’un moyen d’atteindre son but, celui de vaincre la Mort. Mais si Vous-savez-qui apprenait l’existence de ce grimoire et des pouvoirs qu’il recélait, il le rechercherait sûrement. A l’époque, Malgéus dirigeait les mangemorts français. Je suis tombée entre ses griffes. Il m’a torturée et je lui ais avoué l’existence de ce grimoire.

-Le Grimoire de Malchauzen, n’est-ce pas ? demanda Maldieu. La suite est facile à deviner. Malgéus décide de rechercher le grimoire pour son propre compte, dans l’espoir de prendre la place de Vous-savez-qui. Il le recherche discrètement durant tous le temps où Vous-savez-qui est encore en activité, gardant ainsi un contrôle sur les mangemorts fidèles au Seigneur des Ténèbres. Mais en octobre dernier, coup de théâtre, Vous-savez-qui disparaît mystérieusement en essayant de tuer le jeune Harry Potter. Comme tous, il ignore tout de cette disparition. Mais une chose est sûre : Vous-savez-qui n’est plus là. Les mangemorts français sont livrés à eux-mêmes. Ils se tournèrent donc vers la seule autorité qu’ils reconnaissent encore : Malgéus. Fort de cette armée et n’ayant plus à cacher ses desseins de Vous-savez-qui, Malgéus a décidé de rechercher plus activement le Grimoire de Malchauzen. Il découvrit qu’il était caché au Département Secret et attaque en janvier dernier. Mais le grimoire a disparu. Alors qu’il y était encore la veille. A croire que tout a été fait pour l’attiré là-bas. Dans quel but ? Le faire éliminer par les Chasseurs sûrement. Mais il parvient à s’enfuir. Nous avions tout sous les yeux. La seule pièce qu’il nous manquait était de savoir que Janus avait recherché le Grimoire de Malchauzen par le passé. Tout s’explique. C’est Janus qui a le grimoire.

-Mais comment aurait-il pu le récupérer au Département Secret sans se faire remarquer ? questionna Garde.

-Je te l’ai dit : il doit y être autorisé. Je pense même qu’il peut donner des ordres à tous les services du Ministère. Est-ce que je me trompe, Justine ?

-Tu avais déjà des soupçons sur son identité, dit-elle. Tout ce que tu voulais, c’est une confirmation.

-Nous sommes arrivés à un point où nous ne pouvons nous permettre la moindre erreur. Nous ne pouvions continuer à avancer sans être sûrs. Alors c’est bien lui ?

-Oui. Janus n’est autre qu’Erwan Riliam, le Ministre français de la Magie. Vous avez le mage noir actuel le plus terrible qui vous donne des ordres depuis plus de dix-sept ans. N’est-ce pas risible ? »

           Maldieu se tourna vers Garde et les deux hommes se levèrent. Justine Bénis eut un petit sourire moqueur.

« Que comptez-vous faire ? demanda t-elle. L’attaquer. C’est lui qui vous tuera. Je vous offrirais bien votre dernier repas, mais je n’ai pas acheté assez d’ingrédients.

-Ce n’est pas grave, dit Maldieu en lui souriant. Nous n’avions pas faim. Par contre, nous t’avons dit que nous ne pouvions nous permettre la moindre erreur. Depuis trente ans, tu te caches car Janus considère ton aveu à Malgéus comme une faiblesse et une trahison vis-à-vis de lui. Mais en le prévenant que nous savons qui il est et que nous allons le combattre, tu aurais tes chances de revenir dans ses bonnes grâces. Et nous ne pouvons te faire confiance quand bien même tu nous jurerais de rester en dehors de cette histoire. Après tout, tu étais une mage noire. Il n’existe qu’une seule solution. »

Justine blêmit. Elle se leva de son fauteuil et se mit à reculer sans lâcher les deux hommes des yeux. Son regard allait d’une baguette à l’autre. Laquelle lancerait le maléfice de mort.

« Non, supplia t-elle. Je ne veux plus jamais revoir Janus. Je vous le jure. Je vous en supplie. Ne me tuez pas.

-Désolé, fit Charles Maldieu avec un dernier sourire. Avada Kedavra. »

L’éclair vert frappa la femme sans qu’elle ne puisse ébaucher un mouvement d’esquive. Elle s’effondra sur le sol de son salon les bras en croix, les yeux dans le vague.

           Garde s’approcha du cadavre, comme pour vérifier qu’elle était bien morte. Il alla même jusqu’à tâté son pouls. Rien. Elle était bien morte. Il se releva et se tourna vers son ami.

« Maintenant que tes doutes sont confirmés, nous allons attaquer, n’est-ce pas ? demanda t-il.

-Le combat est inévitable, répondit Maldieu. Car nous n’avons aucune preuve formelle et recevable pour traîner le Ministre de la Magie devant les tribunaux. Surtout qu’il ne faut pas le sous-estimer. Il a trompé tout le monde durant plus de vingt ans, menant une carrière politique jusqu’à atteindre le poste suprême de notre gouvernement. Nous passerons sûrement pour des traitres, mais il faudra l’éliminer nous-mêmes.

-Si déjà, nous survivons.

-Crains-tu la Mort ?

-Je suis mort il y a vingt-et-un ans. Je ne fais qu’attendre que ce cœur arrête de battre.

-Et moi qui espérait une mort tranquille et sans douleur pour dans quelques années. Mais après tout, nous avons vécu en combattant, nous devons mourir en combattant. Au final, pouvons-nous vraiment choisir notre destin ?

-Je ne peux pas répondre à cette question, mon ami. Mais pour moi le destin n’existe pas. Tout n’est que la causalité de nos choix. Le destin n’est que l’excuse des faibles pour expliquer leurs erreurs et ne pas les assumer.

-Rentrons en France. Je dois encore mettre des affaires en ordre avant que nous demandions une audience au Ministre. »

 

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