Le Corbeau. Saison 1

Chapitre 97 : XIV Partie d'Echec

2559 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 04:00

           CHAPITRE XIV : PARTIE D’ECHEC

 

           Laura et Hans étaient partis se coucher. La jeune fille refusait de laisser son petit ami seul. Il avait trop besoin de quelqu’un auprès de lui. Hermione ne s’opposa pas à ça. Frida se joignit au couple. Elle non-plus ne voulait pas encore dormir seule.

           Thomas avait beau avoir passé les jours précédents à parcourir le pays, il ne voulait pas rester enfermé à l’intérieur. Il sortit pour profiter de la nuit claire seulement troublé par un vent léger et quelques nuages pour aller faire une promenade. Il n’avait pas encore atteint le portail qu’il perçut un frôlement derrière lui. Il se retourna et vit Marion finir de traverser la porte. Il lui sourit.

« Tu sais, une porte ça peut s’ouvrir, plaisanta t-il.

-Je n’ais pas encore l’habitude, souffla la fille-fantôme.

-Ce n’est pas grave. Tu veux venir te balader avec moi ? »

Pour toute réponse, la fille aux yeux de nacre vint à côté de lui.

           Les deux jeunes gens marchèrent un moment. Aucun des deux ne parlait. Marion ne faisait que regarder devant elle. Elle n’osait pas lui parler. A vrai dire, elle ne savait pas quoi lui dire. Ils s’arrêtèrent près d’une barrière de bois délimitant un champ. Thomas s’appuya nonchalamment contre la plus haute traverse. Il regardait les étoiles en essayant de penser le moins possible. Mais ce monde ne basculait-il pas de nouveau dans les ténèbres ? Marion ressentit son trouble et posa une main timide sur son bras. Thomas fut un instant surpris de la chaleur de sa main.

           Le jeune professeur se tourna vers elle. Le visage de la jeune fille était toujours inexpressif. Et pourtant, si elle souriait, elle serait si radieuse. Déjà qu’elle était belle. Ses yeux blancs, qui auraient dû lui donner une apparence cadavérique, reflétaient la pureté qui émanait d’elle. Il lui fit un timide sourire.

« Ce monde est encore au bord du désastre j’ai l’impression, dit-il. Heureusement, il reste des choses bonnes ici-bas.

-Tu vas te battre ? murmura Marion.

-S’il le faut : oui. Je ne pourrais pas rester en arrière alors que d’autres risquent leurs vies. Ce n’est pas ça que m’a appris ma mère. J’ai beau n’avoir pas grandi dans ce pays. Maintenant, j’y ais des gens à qui je tiens. Comme Laura, Chun, Hermione, Hans, mes élèves, Pierrick, mes amis. Et puis toi bien sûr. Je ne veux pas que tu vives dans un monde où règne les Ténèbres. Tu mérites de vivre en paix avec seulement les problèmes quotidiens comme soucis.

-Je n’ai jamais vécu ainsi. J’ai même un peu peur de cette vie là. Alors que ma vie précédente, faite de morts, de complots et de dangers, me semblait plus rassurante. C’était simple. Je n’avais que mes missions à remplir. Ma vie elle-même m’importait peu. Je n’étais personne. Juste un outil. Et maintenant, tu m’offres une vie totalement différente. Une vie simple, mais beaucoup plus compliqué pour moi. Je ne sais pas si j’y arriverais. »

           Le regard de Marion s’était perdu dans le lointain. Les étoiles étincelaient dans ses yeux en poussière d’argent. Thomas s’approcha d’elle et la serra contre lui. La fille-fantôme ne se défendit pas, trop surprise d’apprécier étrangement la chaleur émanant de son torse et l’étreinte de ses bras.

« Si tu as peur, tu peux toujours te réfugier ici, dit-il. Mes bras te protègeront toujours. »

D’un geste timide et fragile, Marion leva les bras pour en entourer à son tour Thomas. Un sourire se dessina sur son visage.

C’était si facile de sourire avec lui.

 

           L’ambiance était plus que maussade au Département des Chasseurs. Quelques fidèles de Dakus venant de la Police Magique avaient été placés à des postes clés. Heureusement, le Bouffeur de cadavres n’avait pas encore osé s’attaquer aux chefs de section. Mais William Urdi commençait à se dire que son temps à la tête de la section AI serait de très courte durée. Il n’occupait ce poste qu’en remplacement de Georges Nide. Dakus pourrait se servir de cette situation comme excuse pour le mettre sur la touche ou du moins à son poste initial, et ainsi, mettre un homme à lui au commande des « dragons bleus ».

            La journée venait à peine de commencer. Andreo Filipelli buvait son café en lisant le journal du matin. Il se doutait, comme d’autres, que la presse était contrôlée par le Sanglier. Le contrôle de l’opinion publique était l’une des choses à s’assurer pour avoir le Pouvoir Absolu. Filipelli entendit des pas montant dans les escaliers. Il attendit que les pas soient suffisamment près pour baisser son journal. Il reconnut immédiatement les cheveux blonds surplombant des yeux bleus et un visage émacié. Le regard de cet homme était dur. Mais étrangement, Filipelli y perçut autre chose.

« Albert Chergnieux, dit le vieux chasseur. Que viens-tu faire ici ?

-Je suis muté de la Police Magique, répondit-il. Je suis attendu par le directeur.

-Je vois. Je n’ai pas été prévenu mais vas-y. »

Chergnieux allait passer mais il s’arrêta.

« Que se passe t-il ?

-Je te croyais assez intelligent pour le deviner tout seul.

-Maldieu n’aurait jamais quitté les Chasseurs sans donner de raisons. Et surtout, il n’aurait jamais laissé Dakus prendre sa place.

-Je suis bien d’accord. »

           Chergnieux ne dit rien de plus. Il connaissait assez Andreo Filipelli pour savoir qu’il ne dirait rien qui puisse mettre quelqu’un en danger. Il se dirigea sans tarder vers le bureau directorial. La secrétaire l’annonça et il put entrer. Dakus avait déjà changé la décoration du bureau. Les tons bleus du temps de Maldieu avaient été remplacés par un rouge bordeaux sombre faisant penser à du sang séché.

« Chergnieux ! accueillit Dakus. Asseyez-vous. Vous voulez un café ?

-Non merci monsieur. J’ai appris hier que j’étais muté aux Chasseurs. Puis-je savoir à quel poste et pourquoi moi ?

-Pourquoi vous ? Parce que j’ai confiance en vous bien sûr. Et le Ministre également. Vous m’avez déjà plusieurs fois démontré votre loyauté à la Police Magique. Je me devais de vous récompenser. Nous sommes tous les deux des évincés des Chasseurs du temps de Maldieu. Alors que nous aurions plus apporté que lui. Ou que Pierrick Chaldo. Maintenant que l’on reconnaît que ma place est ici, je devais faire venir tous ceux dont la place est ici. C’est pourquoi j’ai demandé votre mutation. Vous n’irez malheureusement pas au poste pour lequel j’estime que vous êtes le plus apte. Mais patience, je suis sûr que dans peu de temps, cette gourde de Suzanne Janis va commettre l’erreur qui me permettra de nous débarrasser d’elle. Ainsi, je vous mettrais à la tête de la section S. Mais pour le moment, vous allez commander la section AI.

-Et Georges Nide ?

-Nide a choisi de s’opposer verbalement à moi. Je l’ais donc renvoyé. Jusqu’à aujourd’hui, c’est son second, William Urdi qui assure l’intérim. Mais je préfère vous en confier les rênes. Même provisoirement.

-Et Urdi ?

-Il n’a pas encore les épaules pour une telle responsabilité. Il reprend son poste d’adjoint. Etes-vous satisfait ? »

           Chergnieux ne répondit pas tout de suite. Les pensés se bousculaient dans sa tête, se percutant contre les circonvolutions de son cerveau. Une fois de plus, il pensa à ce qu’il croyait impensable : le Ministère était-il entre les mains des mages noirs ? Il savait que Georges Nide ne serait jamais parti sans raison. Mais surtout, il savait qu’il ne laisserait pas les mages noirs prendre le pouvoir sans agir. Plutôt mourir. La situation devait être vraiment grave pour qu’il en vienne à faire ça.

           Une seule chose était sûre actuellement pour Albert Chergnieux : il devait en apprendre plus. Tant pis pour son envi de retrouver le Corbeau et régler ses comptes avec lui. Et la place que lui offrait Dakus était parfaite pour ça.

« J’accepte, dit-il.

-Parfait, sourit Dakus d’un air satisfait. Je vous laisse aller en aviser Urdi. J’ai malheureusement beaucoup de travail. Maintenant que les Chasseurs vont enfin appliquer les directives du Ministre, je dois réorganiser certaines choses. »

           Chergnieux aurait préféré ne pas prendre la place d’Urdi. Il le connaissait bien, ayant commencé en même temps que lui aux Chasseurs. Il savait qu’Urdi n’avait qu’une médiocre opinion de lui depuis qu’il avait choisi de quitter l’unité anti-mage noire pour rejoindre la Police Magique. Mais pour sa part, il ressentait du respect et de l’admiration pour ce chasseur d’exception. S’il était parvenu jusqu’au poste de second du chef Georges Nide, c’était uniquement par mérite personnel. Dire qu’il n’avait pas la carrure pour assuré le commandement de la section AI n’était rien de plus qu’une fausse excuse.

           Chergnieux toqua à la porte du bureau de William Urdi. Il attendit poliment qu’il l’invite à entrer. Lorsqu’il entra, le noir se leva immédiatement en le toisant.

« Albert Chergnieux, que viens-tu faire ici ?

-Dakus vient de me confier la section AI, répondit Chergnieux sans répondre au ton accusateur d’Urdi. »

William Urdi mit quelques secondes à réagir.

« Je vois, finit-il par dire. J’attendais qu’il envoie quelqu’un. C’est pour ça que je ne me suis pas installé dans le bureau de Nide. La porte n’est pas verrouillée. »

Visiblement, Urdi ne voulait pas prolonger l’échange. Chergnieux tourna les talons pour sortir mais s’arrêta avant de passer la porte.

« Je suis sûr que ce n’est que temporaire, dit Chergnieux.

-Pourquoi dis-tu cela ? Tu n’es pas content d’être revenu ?

-Si. Mais j’aurai préféré dans des temps moins troublé. Ou plus peut-être. Actuellement, je me demande trop ce qui se passe pour profiter réellement de la situation.

-Alors c’est que tu es resté en partie le jeune Albert Chergnieux, chasseur de talent à l’avenir prometteur. Et pas seulement un arriviste se vendant à n’importe qui. »

Le ton avait été ouvertement moqueur mais Chergnieux y décela seulement une tentative pour cacher le fait qu’Urdi avait dit ce qu’il pensait sur l’instant.

 

           William Urdi se rendit au bureau de Luc Fabre. Suzanne Janis s’y trouvait déjà. Dés qu’il referma la porte, la chef de la section S lança un Assurdiato.

« Ça y est, commença Urdi. Je ne dirige plus la section AI.

-Nous le savons, dit Fabre. Dakus a encore mis un homme à lui parmi nous.

-Nous ne pouvons malheureusement rient faire contre ça pour le moment, fit Janis. Les Chasseurs deviennent un véritable panier de crabes. Nous devons nous montrer de plus en plus prudents. La prochaine étape qu’il cherchera à atteindre sera sûrement de nous émincer définitivement tous les trois.

-Vous plutôt que moi, contredit Urdi. Mon pouvoir est plus limité. Mais… commença t-il avant de s’interrompre.

-Quoi ? demanda Janis.

-C’est peut-être une idée un peu saugrenue, mais quand j’ai parlé avec Chergnieux tout à l’heure, il m’a semblé qu’il doutait.

-Doutait ? répéta Fabre. De quoi ?

-Des véritables raisons de son retour aux Chasseurs.

-Si c’est le cas, il doute sûrement aussi de la nomination de Dakus et de la nouvelle administration. Ses doutes vont peut-être même jusqu’à Riliam. Tout n’est peut-être pas perdu.

-N’allons pas trop vite, tempéra Janis. Avec les hommes que m’a imposés le Bouffeur de cadavre, j’ai maintenant des subalternes en qui je n’ai nullement confiance et qui feront fi de mon autorité.

-Pareil pour moi, acquiesça le chef de la section IRIA. Mais si nous commençons à perdre espoir, c’est que nous avons déjà perdu cette guerre avant même qu’elle n’ait commencé.

-Espoir. Charles m’avait parlé d’espoir avant d’aller voir le Ministre. Et à ce moment là, il parlait de Chaldo. Je me demande ce qu’il voulait dire. Tout comme je me demande où se trouve Chaldo.

-Si Charles l’a dit, c’est que ça doit être vrai. Il n’était pas du genre à mentir là-dessus. Même s’il était habitué à mentir. Qu’est-ce que tu penses exactement de la situation actuelle ?

-Tout se jouera très vite. Nous saurons bientôt si nous avons perdu ou gagné. Le problème, c’est qu’on peut perdre sans même pouvoir se défendre. Et que pour gagner, je ne vois aucune autre solution que d’aller à la bataille. Une bataille dont personne ne peut prévoir la fin. »

           Personne n’ajouta quelque chose. Janis dissipa son sortilège et sortit, suivit par Urdi. Luc Fabre resta seul. Il était d’accord avec Suzanne. Il y aurait une bataille. Mais alors, qui combattre ? Comment savoir qui était avec Janus et qui souhaitait se battre contre lui ? Il n’était pas du genre à se reposer sur son instinct. Pour lui, la réflexion prédominait sur tout. Comme sur un échiquier. Le combat contre les mages noirs était pour lui une immense partie d’échec. Une partie où le plus intelligent gagnerait. Pourrait-il encore penser ça dans quelques jours ? Voir quelques heures ?

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