Clair-Obscur

Chapitre 12 : Blanc - partie 1

Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/11/2016 13:50

 

Blanc (partie 1)

 

Trop, trop, trop !

Il lui faut une fraction de seconde, un battement de cœur, deux tout au plus pour assimiler, arranger les mots dans son esprit en une information qui ait du sens, qu’il puisse comprendre.

Et il réalise, et le choc est si fort, tellement imprévu qu’il vacille un instant sur ses jambes, qu’il a l’impression qu’il va tomber.

L’enfant est mort.

Et la douleur est en lui, subite, immédiate et déchirante, le sentiment d’échec immense qu’il n’a jamais su supporter. Qu’il ne veut pas pouvoir supporter, parce que cela signifierait que la mort du bébé d’O-kana n’a pas de signification, pas d’impact.

Pas d’impact. Oh, Seigneur

 

 La jeune femme est couchée sur la paillasse, le visage tourné vers la paroi. Elle n’a pas tressailli quand ils sont entrés, elle ne frémit pas maintenant. Elle dort d’un sommeil artificiel sans doute et une fraction de seconde Naruto est infiniment reconnaissant envers Hinata et Ojiro qui l’ont endormie, qui lui épargnent la douleur. Mais cela ne peut durer. Et quand elle s’éveillera…

Il ne peut pas y penser.

Ils ont échoué, il a échoué. Il était censé la protéger, protéger le bébé.

Le ventre rond, et sous ses doigts les mouvements de l’enfant à naître… Mais plus maintenant. Plus jamais.

 

En face de lui Hinata dit quelque chose, des mots de réconfort sans doute, mais il ne l’entend pas. Et le vieil Ojiro parle aussi, mais il ne l’entend pas. Il ne l’entend pas et il a tellement mal, les voix sont noyées sous le battement du sang contre ses tempes.

C’est injuste, tellement injuste !Le bébé... Naruto s’est - ils se sont battus, ils ont donné tout ce qu’ils avaient. Et même la douleur, la déchirure entre lui et Sasuke auraient valu le coup si en échange ils avaient réussi.  Mais ce n’est pas assez, ce n’est jamais assez. Jamais.

Ça brûle, et il veut que ça s’arrête.

 

Hinata s’avance vers lui, les mains devant elle, paumes en avant dans un geste universel d’apaisement, et quelque chose comme de l’inquiétude dans ses yeux blancs, une supplication incrédule. Mais il s’en moque.

Il ne l’entend pas, il ne la voit même pas, pas vraiment. Ça brûle et c’est trop, trop. Il ne veut plus penser, plus voir le tas de tissu informe et tellement minuscule toujours dans les bras de Shino… Il a tellement mal, c’est tellement injuste, et sa vision se nimbe de rouge.

Mais il s’en moque.

 

Et soudain il y a une main sur son épaule, et il ne voit plus rien d’autre que les yeux écarlates de Sasuke plongés dans les siens, qui transpercent à travers le voile, à travers la douleur.

Ils sont en lui.

Ils sont en lui, ils se tiennent debout les pieds dans l’eau, et tout autour d’eux la caverne au-delà des portes est déjà envahie de conglomérats informes, d’amas purulents de chakra d’un rouge luminescent qui suintent à travers le sceau.

Et les yeux de Sasuke ne quittent jamais les siens mais il secoue la tête, une fois, et murmure de manière presque inaudible.

« Ça suffit Naruto. Pas comme ça. »

Et c’est assez pour qu’il réalise.

 

-

 

Avec un haut-le-corps Naruto s’arracha à sa retraite intérieure, repoussant le démon au-delà des barrières d’une poussée mentale, comme on ferme une fenêtre en luttant contre la tempête, en s’arc-boutant contre les battants pour parvenir à les rabattre.

Le voile rouge qui couvrait sa vision reflua.

La douleur insupportable était encore là, de même que la fatigue, la peur, l’infini regret. Mais il en était de nouveau maître.

 

Sasuke se trouvait toujours devant lui, son regard dans le sien, sa main droite fermement agrippée à son épaule, au point de faire mal. La différence était que cette fois c’était le vrai Sasuke, pas la projection mentale, et son autre main était placée en coupe contre la ligne de sa mâchoire, maintenant avec fermeté son visage immobile face au sien, yeux dans les yeux.

Naruto laissa échapper une expiration vacillante, et Sasuke laissa retomber sa main.

« Na- Naruto-kun ? »

Il délaissa les yeux de Sasuke pour regarder vers Hinata, pâle comme la mort, qui se tenait devant le vieil Ojiro, entre lui et le coin où reposait O-kana. Sa posture était plus relaxée, mais elle se tenait en garde.

En garde. Entre lui et la femme qu’il était censé protéger.

Oh, Seigneur, qu’ai-je fait ?

 

Il recula d’un pas, puis d’un second, manquant de trébucher sur ses propres pieds. Il découvrit qu’il lui était impossible de soutenir le regard blanc d’Hinata. Il pouvait y lire un tel choc, une telle déception…

« Naruto-kun, ça va ? 

— Je… je suis désolé. »

Ce fut Sasuke qui se chargea de répondre, par un haussement d’épaules et un regard redevenu de pierre noire avant de se détourner et de faire face à Hinata comme si rien ne s’était passé. Comme s’il n’avait pas…

« Je suppose que ce sont les clones qui sont venus vous chercher ? »

Malgré une pointe de quelque chose ressemblant vaguement à de la politesse ce n’était pas vraiment une question, et Hinata ne parut pas réaliser qu’il s’adressait à elle. Son regard papillonnait encore de Naruto à Sasuke puis aller-retour. Comme si elle cherchait quelque chose. Ou peut-être qu’elle avait trouvé, et qu’elle cherchait désespérément une autre réponse. Il avait envie de vomir.

Ce fut Shino qui répondit.

 

« Oui. L’un des clones nous a retrouvés avec l’aide d’un serpent. C’est lui aussi qui nous a permis de localiser Ojiro-san. »

Sasuke hocha la tête.

« Alors elle a utilisé le parchemin d’invocation que je lui avais laissé. 

— C’était ingénieux. Si elle ne l’avait pas fait les choses auraient pu tourner bien plus mal. Elle aurait pu mourir en couche. Mais grâce à cela Hinata et Ojiro-san ont été capables de la rejoindre et de l’aider. »

Sasuke accepta l’information d’un mouvement de tête, impassible.

«  Où est Inuzuka ? 

— En ville. Il aide les civils à arrêter les incendies. Il aurait été inutile ici. 

— Comment… va O-kana ? » Une fêlure, pour la première fois. Trop légère peut-être pour que Shino la remarque, mais pas Naruto. De manière instinctive, son regard monta se poser brièvement sur le profil à demi tourné de Sasuke, avant de redescendre se gluer au sol. La tête lui tournait, et la douleur tambourinait dans ses tempes. Il aurait tout donné pour que tout s’arrête à présent, pour  pouvoir se coucher et oublier, pour que la Courte Nuit n’ait jamais eu lieu. Pour n’avoir pas prononcé les mots, pour ne pas se tenir à présent devant la preuve hurlante de son échec.

 

Hinata prit une petite inspiration, et toute sa posture redevint neutre et détachée. D’une voix qui ne tremblait plus et qui lui rappela terriblement celle de Sakura quand elle passait en mode « professionnel», elle expliqua que la jeune femme allait aussi bien qu’il était possible d’aller. Il lui faudrait quelques jours pour que son corps se remette, mais elle était physiologiquement en parfaite santé.

« Mentalement c’est moins facile à dire. Elle semblait calme avant que nous l’endormions, mais c’est toujours un choc très dur, surtout quand c’est un premier-né.» acheva Ojiro-san d’une voix calme. Son visage ridé était tendu, et son regard ne se posait pas directement sur Naruto, mais il s’exprimait avec la même certitude acide qu’à l’accoutumée. « Mais Dame O-kana est forte. Je pense qu’elle ira bien, à terme. »

À cela Sasuke ne répondit rien, mais il laissa finalement aller l’épaule de Naruto qu’il n’avait pas lâchée durant la conversation. Ce fut à la brusque cessation de douleur qu’il réalisa à quel point la poigne de son équipier sur son épaule était forte, et il dut se retenir pour ne pas masser la peau abusée d’un geste machinal.

 

Il y eut un instant de silence qui s’étira désagréablement. Ce fut Shino qui finit par le rompre, de nouveau.

« Je crois, »  murmura-t-il de sa voix égale, « que nous devrions aller enterrer l’enfant. Et voir si Kiba n’a pas besoin d’aide… Hinata, ils sont blessés, tu voudrais jeter un œil ? »

La jeune fille acquiesça avec empressement, et le relâchement dans ses épaules indiqua son soulagement de voir son équipier prendre la direction des opérations.

« Attendez ! Est-ce… est-ce qu’O-kana sait pour- pour le bébé ? » Les mots étaient sortis tous seuls. C’était étrangement important de savoir cela, soudain.

Hinata hocha la tête doucement.

« Elle sait. Elle l’a vu avant qu’on l’endorme. »

Les yeux de Naruto se refermèrent d’eux-mêmes, et il laissa ses mains retomber le long de son corps.

« C’est bon alors. »

 

 

Ses gestes étaient machinaux lorsqu’il commença à chercher sa veste pour l’enlever –avant de réaliser qu’il ne portait qu’un T-shirt passablement lacéré, noirci de sang et abordant deux incisions jumelles devant et derrière, là où le sabre avait frappé.

Merde alors, c’était son T-shirt préféré, celui avec le bol dans le dos et la légende en orange qui disait “Ramen-toi !”… Il était définitivement foutu, quelle pitié.

« Naruto-san. Sasuke-san. »

Le vieux médecin s’était Dieu sait comment rapproché sans qu’il le remarque, et il était planté devant lui, les bras croisés sur son torse maigre.

— Ojiro-san ? 

— J’accompagne Shino-san pour enterrer l’enfant. Mais… » Il soupira, et passa une main sur son visage. « Je n’aime pas les ninjas, pour de nombreuses raisons. Mais vous avez fait tout ce qui était possible pour protéger O-kana. C’était une grossesse à risque dès le début, le sixième mois est souvent le plus risqué, et le simple fait de voyager est un facteur aggravant qui aurait pu suffire à déclencher une fausse-couche. Même votre Hokage n’aurait pu prévenir un accouchement si prématuré dans de telles conditions. Ce n’est pas votre faute, Naruto-san. 

Naruto baissa les yeux.

— C’est injuste. »

— C’est la vie Naruto-san.La moitié des femmes font des fausses-couches et nombre d’entre elles ne survivent pas à leur enfant. O-kana a eu de la chance… Elle est vivante et elle est jeune. Elle pourra avoir d’autres enfants si elle le désire.»

Il s’étrangla un instant avec les mots.

« Ce n’est pas… Ça n’a rien à voir ! Comment- on ne peut pas juste remplacer un enfant par un autre ! »

Au moment où le vieil homme allait répondre, Shino l’interpella depuis la porte.

« Ojiro-san. Il est temps. »

— J’arrive. » Le vieux médecin se tourna de nouveau vers les deux ninjas. « Ne prenez pas la responsabilité pour une telle chose, Naruto-san. Nul n’aurait pu l’empêcher. Et faites-moi le plaisir de vous faire soigner. Je ne sais pas de quoi vous êtes fait, mais le peu que je vois de vos blessures aurait dû vous mettre à genoux. Et vous aussi Sasuke-san, vous êtes plus blanc qu’un linge.» termina-t-il avec un regard qui ne souffrait aucune contradiction tout en fouillant dans sa sacoche, « Tenez, donnez cela à la jeune Hinata-san, elle saura quoi en faire. »

 

Tandis que le médecin quittait la pièce, Sasuke poussa rudement Naruto en direction d’Hinata qui finissait de déballer son kit médical d’urgence.

« Va. Je monte la garde. »

Il se contenta d’obéir, parce qu’il n’avait plus rien en lui, plus de force ni pour discuter, ni se rebeller, et il s’assit auprès de la Hyuuga après lui avoir fourré dans la main le flacon fourni par le vieil Ojiro.

 

« Je vais bien, » marmonna-t-il quand elle commença à éponger le sang qui maculait son torse, découvrant l’ampleur des blessures. « C’est déjà presque tout cicatrisé. Tu devrais t’occuper de Sas’ke d’abord… Y dirait rien et y se laisserait crever sur pied…

— Naruto-kun… Ce n’est pas encore cicatrisé, les blessures suintent, et- et tu as un trou dans le torse. »

Il baissa les yeux, pour découvrir qu’effectivement les vestiges laissés par la dernière attaque de la kunoïchi de la brume ne s’étaient pas aussi bien refermés qu’il l’aurait cru. Hinata exagérait en parlant de trou, mais le sang coagulé marquait effectivement une dépression au centre de la cicatrice en étoile laissée par Sasuke près de cinq ans auparavant.

« Ha, c’est parce que j’ai déjà été blessé là. Mais ça va cicatriser. » Il ferma les yeux, pour ne pas voir l’expression dans ses yeux blancs. « Ça finit toujours par cicatriser. Tu peux faire confiance au démon. Me faire confiance pour ça, à défaut d’autre chose.»

 

Il ne s’attendait pas à la gifle, et sa tête partit sur la droite avec tellement de force qu’il bascula sur le côté. Quand il ouvrit les yeux, ce fut pour voir le visage enflammé d’Hinata, la lèvre inférieure tremblante et la main encore levée.

Derrière lui il sentait Sasuke en alerte, mais ce dernier n’intervint pas.

« Je- Je t’interdis de dire ça Naruto-kun ! Tu… tu… » Hinata le foudroyait du regard, mais les larmes commençaient à perler dans les yeux d’albâtre. « Comme si le démon était plus fort que toi et que tu… Tu n’as pas le droit d’abandonner, jamais ! Ce n’était pas ta faute, et tu as fait tout ton possible ! Et le démon… Le démon ce n’est pas toi, tu es plus fort, et tu l’as repoussé…» Elle pleurait à présent, et Naruto, bouche bée, ne pouvait que la contempler avec consternation. Il avait toujours été terrifié par les larmes des filles.

« Moi je crois en toi, et tu n’as pas le droit de dire des choses comme ça, parce que ce n’est pas vrai ! Tu vas au bout de ce que tu crois, et tu changes les gens en mieux… Tu as changé Neji, tu as changé Gaara, tu as changé Sasuke-san ! » Elle illustra ses paroles par un geste en direction de l’intéressé, immobile à la limite de son champ de vision. « Tu… Tu m’as changée… »

Elle renifla un grand coup et détourna le regard, devenant encore plus rouge, si c’était humainement possible.

« C’est pour ça que tu n’as pas le droit de dire ça. Les gens ont confiance en toi, et tu dois avoir confiance en toi aussi. 

— Je… Tout à l’heure. Je n’ai pas repoussé le démon. C’est Sasuke… »

C’était la seule chose qui lui était venue à l’esprit en cet instant, une protestation devant cette profession de foi dont il n’était certainement pas digne, mais il le regretta aussitôt lorsqu’il vit l’expression sur le visage d’Hinata.

 

« C’est faux. »

Sasuke se tenait près de la fenêtre, tourné vers l’extérieur, les bras croisés devant lui, et à la neutralité de sa voix Naruto n’aurait pu dire ce qu’il pensait –mais c’était presque toujours le cas, avec Sasuke.

« Je n’ai rien fait. Je me suis contenté de te faire réaliser ce qui se passait. Tu l’as repoussé seul. »

Seul ?Etait-ce…

Il aurait tout donné pour voir le visage de Sasuke en cet instant précis.

Hinata essuya rageusement les larmes qui coulaient, et eut un pauvre sourire.

« Tu vois ? Tu es plus fort que lui. » Elle sembla tout à coup réaliser tout ce qu’elle venait de faire et dire, et se ratatina sur elle-même, fixant ses genoux et atteignant dans le rouge des sommets flirtant avec la couleur de la lave en fusion.

« Et… Tu ne dois… jamais abandonner, pa- parce qu’un jour tu deviendras Hokage, et- et que je- que tu-… Alors s’il-te-plaît Naruto-kun, ne dis plus jamais des choses comme ça. » Elle leva un instant les yeux vers lui puis les baissa de nouveau à toute vitesse. « Et… Heu- je-suis-vraiment-désolée-de-t’avoir-frappé… »

Et sur cette sortie presque inintelligible, elle attrapa un spray antiseptique et entreprit de désinfecter les blessures sans jamais croiser le  regard de Naruto.

 

-

 

Il était affalé dans un coin de la pièce, tentant de rester éveillé et de ne pas penser en essayant –vainement- de calculer le rythme de répétition de la respiration d’O-kana qui s’accélérait lentement, signe que le somnifère cessait de faire effet.

Sasuke était agenouillé torse nu dans un coin de la salle, et Hinata, dont les joues restaient d’un rose soutenu, s’activait à panser les blessures ouvertes tout en posant des questions à mi-voix, auxquelles il répondait avec son laconisme habituel, mais bien moins de mordant que ce à quoi Naruto se serait attendu.

La lueur jaune de la lampe à essence qui brûlait au centre de la pièce découpait nettement les ombres de son dos, mettait en relief le tracé arachnéen des cicatrices. D’où il se trouvait, Naruto pouvait voir les trois virgules du sceau à l’attache de son cou, l’encre noire incrustée dans la chair pâle.

Il s’efforça de ne pas penser au regard que Sasuke avait eu, aux mots sans nom que lui-même avait prononcés, à son impassibilité totale à présent, alors que le fratricide, l’assassinat de son frère aîné qu’il avait haï plus que tout au monde venait de lui apporter le Mangekyou Sharingan. Il s’efforça de ne pas penser non plus à O-kana près de lui, dont les yeux s’agitaient sous le voile abaissé de ses paupières rougies.

À vrai dire, il ne savait pas auquel il devait essayer de penser le moins. Comment l’aurait-il pu ? Quoi qu’il fasse, son esprit allait de l’un à l’autre dans un cercle vain. Sasuke, O-kana et l’enfant mort, le démon, les paroles irrationnelles d’Hinata et ainsi de suite, comme un cauchemar dont il ne parvenait à trouver l’issue. Un cauchemar qui n’avait pas d’issue, car il était éveillé.

 

Docilement, Sasuke présenta sa main droite à Hinata quand celle-ci le lui demanda, –avait-elle pensé ce qu’elle avait dit ? mais alors pourquoi…-, et malgré le fait que l’épaule de son équipier lui dissimule en partie son visage, il devina le mouvement de tête désapprobateur quand elle ouvrit la main de Sasuke et découvrit sa paume. Elle parla à mi-voix, trop bas pour qu’il l’entende, et Sasuke répondit de même, plus bas encore.

Elle regarda dans la direction de Naruto à travers la pièce plongée dans la pénombre, et détourna vivement les yeux quand elle vit qu’il les regardait, comme si elle s’était brûlée.

Et en réponse, immédiate, une nouvelle lance de douleur le traversa, vint compresser la boule dure et douloureuse en lui, non pas physique, mais de l’ordre de celles qui le transperçaient déjà, ajoutant à la confusion, à l’incertitude. Un poison lent qui se répandait en lui au gré de ses pensées chaotiques, profitant de la fatigue, de la confusion. Nourrissant le brouillard rouge qu’il tenait bon gré mal gré à distance, hors des bordures de son champ de vision, au-delà de la barrière du sceau.

Qu’importait ce qu’elle avait dit ? Elle avait peur elle aussi.

 

De l’autre côté de la pièce, Sasuke suivit le regard de la kunoichi, retira sa main avec un murmure sec. Hinata sembla un instant prête à rentrer dans le sol, secoua la tête et bafouilla quelque chose, mais reprit finalement sa main dans la sienne, paume vers le haut, et passa son autre main par-dessus, infusée de chakra lumineux, sans laisser la moindre chance à Sasuke de se dégager. Elle parla un peu plus fort, et il distingua des remontrances sur la nécessité de s’occuper de sa main brûlée avant que le chakra ne l’infecte.

Jamais, il n’aurait jamais cru qu’Hinata puisse s'opposer à Sasuke, -mais enfin, il n’aurait jamais cru qu’elle le frapperait non plus, qu’elle se mettrait en colère et qu’elle dirait toutes ces choses, comme si elle les croyait… Qu’il était important. Que ce n’était pas sa faute. Hinata n’était pas le genre de personne qu’il aurait jamais imaginé en colère comme cela, pour cela. Elle avait réagi comme Sakura l’aurait fait, la rougeur et les bégaiements en plus.

Peut-être ne devrait-il pas être si surpris qu’elle tienne tête à Sasuke. Elle était médic après tout, et Sasuke avait toujours été du genre à se laisser crever de septicémie plutôt que d’aller se faire soigner, s’il pensait qu’une égratignure ne valait pas la peine de s’attarder dessus.

C’était une autre chose qui méritait sans doute réflexion, le comportement d’Hinata à ce moment de la Courte Nuit, mais il n’avait plus le courage de penser, vraiment.

Comment l’aurait-il pu ? La fatigue et le deuil brouillaient tout, il ne se tenait éveillé que par pure obstination, pure résilience.

Plus tard.

 

-

 

Il les sentit venir, et lorsque Kiba entra il était debout auprès du lit, appuyé contre le mur parce qu’il ne faisait pas entièrement confiance à ses jambes. O-kana dormait encore, mais d’un sommeil naturel à présent, susceptible de prendre fin à tout instant, et il fit signe au nouveau venu de parler à voix basse.

Kiba lui accorda un regard, puis un autre en biais dans la direction de Sasuke, et laissa échapper un sifflement impressionné entre les dents.

« ‘Tain, j’ai croisé Shino, il m’avait prévenu que vous étiez dans un sale état, mais là… 

— Hey, Kiba. 

— Naruto, mec, tu verrais ta tête… Tu fais peur. »

Il découvrit à peu près à ce moment-là qu’il n’avait plus la force de maintenir sa façade devant qui que ce soit, pas même Kiba –mais à la réflexion, le fait qu’il ne s’en soit pas même souciédevant Hinata aurait sans doute dû être un indice plutôt évident-, et il haussa les épaules en réponse.

« Comment ça se passe dehors ? »

Kiba haussa les épaules, et essuya la sueur de sa joue d’un revers de main, étalant un peu plus une traînée de suie.

« Mieux. J’ai maîtrisé les plus gros foyers, les civils peuvent s’occuper du reste. J’ai fait un tour du côté de votre terrain de jeu aussi, histoire que les champs ne prennent pas feu, ça aurait été bête. Vous n’y avez pas été de main morte… C’est ce jutsu sur lequel vous travailliez ? Putain d’impressionnant si tu veux mon avis. »

En temps normal, Sasuke aurait choisi ce point de la conversation pour faire remarquer d’un ton acide que son avis n’avait justement pasété sollicité. Là il resta silencieux, le regard fixé droit devant lui.

Kiba n’était pas un foudre, mais il n’était pas non plus stupide au point de ne pas réaliser lorsque quelque chose n’allait pas. Il enfonça les mains dans ses poches et renifla, soudainement plus sobre.

« Shino m’a dit pour le gamin. C’est moche ce genre de truc..." Il jeta un coup d'oeil vers le coin où dormait O-Kana, et passa sa langue sur ses lèvres. "Dîtes... les déserteurs, vous vous êtes débarrassés de leurs corps ? »

Leurs-…

Naruto échangea un coup d’œil avec Sasuke.

« Non. On les a laissés sur place. Pourquoi ? »

Kiba fit une grimace sombre, qui découvrit bien plus de dents qu’il n’aurait dû l’être humainement possible.

« C’est ce que je craignais. Les corps ne sont plus là. Il y avait une trace qui sortait de la zone brûlée vers une flaque de sang, mais pas de corps. La trace s’éloigne de Kaga vers la rivière et se perd. Je pourrais sans doute la retrouver avec du temps, mais bon… 

— Merde. »

 

Naruto se massa les tempes.

« Bon. Zen. Même si le type est encore vivant, il est très salement amoché. Je l’ai vu, il est brûlé au moins au troisième degré… Et la fille, même si elle ne s’est pas vidée de son sang Sasuke… –il jeta une œillade oblique vers la gauche- Sasuke l’a plongée dans un sale genjutsu. Je ne pense pas qu’ils soient un danger immédiat… 

— Dans leur état, ils prendront le large le plus vite possible,» analysa froidement Sasuke de sa place dans le coin opposé de la pièce. « Ils savent que si nous les rattrapons, ils sont morts. »

— Et vous allez le faire ? Je veux dire, les rattraper. »

À cela Sasuke hésita un instant, pencha la tête de côté avec un regard minéral sur O-kana, ou peut-être Naruto, c’était difficile à déterminer.

« Non. Nous ne pouvons pas laisser O-kana seule une nouvelle fois. On gèrera s’ils reviennent, mais je doute que ce soit le cas. »

Kiba hocha la tête, et tendit la main à Hinata quand celle-ci se rapprocha de lui.

« Ouais. J’ai une autre nouvelle pour vous, vous n’allez sans doute pas apprécier. Faut attendre que Shino revienne, j’ai pris les devants mais il ne devrait plus tarder. »

 

Avec un sens du minutage tout à fait approprié, Shino choisit ce moment-là pour pénétrer dans la pièce, précédé d’Ojiro-san. Son visage sous la protection des lunettes avait son habituelle impassibilité, mais la manière dont sa main droite était refermée sur le poignet de la femme qui le suivait –qu’il traînait, presque, car elle résistait en lançant à la ronde des regards terrifiés- contredisait toute apparence de calme.

En une fraction de seconde Sasuke fut debout, et Naruto sentit sa tête tourner, tandis que l’adrénaline et la colère remplaçaient un instant la douleur.

« Takara-san. »

La servante se figea lorsqu’elle les vit, et son regard vola de la couche d’O-kana aux deux ninjas.

Naruto ne sut pas ce qu’elle vit dans l’expression de Sasuke, mais elle blêmit, et tira en arrière avec un gémissement, dans une vaine tentative de se libérer de la prise inamovible de Shino. « Naruto-san, Sasuke-san… Je suis tellement soulagée de vous voir, » balbutia-t-elle. « Aidez-moi, vous connaissez cet homme ? Dites lui de me lâcher, il me fait mal ! Ojiro-san ! »

 Le visage du vieil homme était de pierre quand il se retourna pour lui faire face.

 

« Takara-chan. »

Elle se tut, alors, cessa de se débattre. Sa lèvre inférieure tremblait, et elle était très pâle, presque autant que Sasuke à ce moment-là, en dehors des murs de Kaga, puis de nouveau, quand ils avaient pénétré dans la pièce endeuillée. Ses yeux étaient rougis, que ce fût dû à la fumée ou à autre chose, et elle avait l’air pitoyable, perdue et inquiète.

Il eut pitié d’elle, presque.

« O-kana, comment va-t-elle ? 

— L’enfant est mort. Elle vivra. »

Naruto serra les poings lorsqu’elle se mit à sangloter.

 

« Vous le saviez, avant qu’ils n’attaquent. Vous étiez nerveuse. »

C’était Sasuke, la voix plus coupante encore que la soie d’une lame, pas même accusatrice, simplement… implacable. Descriptive, et une justesse dévastatrice.

« Non ! 

— Vous l’avez vendue. 

— Non !

— Combien ? 

— N- non ! Je n’ai pas fait ça ! Jamais ! »

De sa main libre, Shino tira une bourse de cuir d’une de ses poches, et la laissa tomber à terre. Elle atterrit entre eux sur le parquet avec un tintement et quelques ryos s’en échappèrent pour aller rouler jusqu’à leurs pieds.

« Elle avait ça sur elle quand on l’a croisée en train de quitter la ville. 

— Je… C’est faux… »

Sasuke fit un pas vers elle, juste un seul, et elle recula autant que la main de Shino refermée sur son avant-bras le lui permettait.

« O-kana… O-kana sait que je ne ferais jamais ça ! Je ne quittais pas la ville ! Je… Je vous cherchais ! Lâchez-moi !

— Vous mentez. »

Toujours ce même ton implacable, mort.

« Non, par pité, je le jure, je n’y suis pour rien… »

— Vous étiez nerveuse avant même que nous arrivions à Kaga, j’aurais dû le voir. 

— O-kana… Je vous en supplie, vous devez me croire, je n’ai jamais voulu ça ! »

 

« Est-ce vrai ? »

Naruto fit volte face. O-kana était à demi redressée sur la paillasse, ses cheveux détachés tombant en mèches irrégulières dans son cou, blême, les traits tirés. D’un geste hésitant elle tira sur le revers de son kimono souillé, le ramenant un peu plus contre elle, et il sentit son cœur se serrer.

« Est-ce vrai, Takara ? »

La servante laissa échapper un gémissement et crispa sa main libre sur son ventre, dans un geste de défense futile.

« Vous ne devez pas les croire O-kana… Ce n’est pas ma faute ! »

O-kana ne réagit pas à cela, se contenta de la fixer sans ciller.

« Est-ce vrai ? 

— Je ne voulais pas ça O-kana, je le jure… »

 

Shino relâcha sa main, et recula de quelques pas. La servante resta plantée sur place, tremblante et en larmes.

« O-kana… »

La jeune femme se laissa aller en arrière, contre le mur, et ferma les yeux un instant.

Quand elle les rouvrit son regard était dur.

«  Je vois. 

— O-kana, non… 

— Tuez-la. »

Sa voix ne tremblait pas.

 

 

Naruto fit un pas en avant et Takara recula avec un sanglot aigu, mais Sasuke fut plus rapide que lui. En un mouvement il fut devant elle, proche à la toucher, presque.

 

« Je vous en supplie… »

 

Un kunai avait fait son apparition dans sa main droite, celle qu’Hinata avait bandée –non pas qu’il en eût réellement besoin. C’était une civile après tout, n’importe lequel d’entre eux, même Hinata, aurait pu lui rompre le cou à main nue, le cas échéant. Mais le kunaï avait une signification songea vaguement Naruto en contemplant le profil impassible de Sasuke.

 

Vengeance, châtiment. Deux choses si proches, et pourtant si différentes. Il n’était pas certain de savoir s’il devait être soulagé ou non que Sasuke ait fait sienne l’exécution. De sa main ce ne serait qu’une part de plus de la mission, un prolongement.

 

Naruto savait ce qu’était la vengeance, et eût-il tenu le kunaï à la place de Sasuke, il ne se serait pas fait confiance s’il lui avait fallu affirmer que ce n’était pas la vengeance qui guidait son bras.

 

 « Par pitié, non… »

 

 

Mais de pitié il ne pouvait y en avoir. Pas maintenant, ce soir-là –ou peut être ce matin-là, déjà-, durant la Courte Nuit. Pas avec tout ce qui avait été dit, été fait. Pas avec tout ce qui avait été souffert.

 

Pas avec l’enfant mort.

 

La lame pénétra la chair, s’y enfonça sans résistance, un mouvement propre et ample, du bas vers le haut. Takara ouvrit la bouche, comme pour une dernière supplique, mais resta silencieuse, les yeux écarquillés, incrédule, les mains ramenées contre son ventre ouvert. Le sang rouge et sombre coulait, sans même éclabousser l’avant-bras ou le torse de Sasuke. Et quand bien même ? Son t-shirt était tellement imbibé de fluides que nul autre que Kiba n’aurait su dire la différence.

 

Il recula d’un pas, et le corps de la jeune femme s’effondra au centre de la flaque de sang qui s’élargissait en silence, se glissait dans les rainures du parquet comme une rivière écarlate dans autant de canaux et de gorges artificielles.

 

 

O-kana ramena ses mains sur son visage, les doigts crispés contre sa bouche. Seulement alors un sanglot sec la secoua, suivi d’un autre, puis d’un autre encore, agitant ses épaules, brisant l’apparence de force et de distance qu’elle avait maintenue jusque-là.

 

Naruto sentit ses yeux le piquer, mais il avait perdu le droit de pleurer en laissant mourir l’enfant. Il tendit une main hésitante vers l’épaule de la jeune femme, la laissa retomber contre son flanc, inutile. Il recula d’un pas quand Hinata vint s’agenouiller auprès de la femme et glissa une main derrière sa nuque, l’attirant contre son épaule avec des gestes doux. O-kana se laissa faire.

 

Elle pleura longtemps, en sanglots brisés qui finirent finalement par se tarir. Quand elle se dégagea finalement de l’étreinte et les regarda, les yeux cernés de rouge, il y avait quelque chose de terriblement ouvert et vulnérable en elle, comme s’il pouvait voir directement au cœur de son être. Et ce qu’il voyait n’était que douleur et perte.

 

« Ramenez-moi chez moi », murmura-t-elle. « Maintenant. »

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