Le trèfle à douze feuilles

Chapitre 2 : Prologue

2131 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 00:26

« Du commencement on peut augurer la fin. »Quintilien13 mars 1964, 08:19 a.m.

Le ciel était magnifique. Teinté d'orangé, avec des nuances de rose immaculé et d'un bleu rare, parmi lequel quelques petits nuages se prélassaient. Une brise de début de printemps les déformait à peine, se contentant de les agiter fébrilement vers le sud. Sous une aube calme s'agitaient pourtant tous les Dublinois. Ils étaient tous affairés à accrocher telle guirlande de fleurs ici, tels lumignons là-bas, ceux-ci parlaient affaires, ceux-là parlaient organisation de la fête... Dublin, noir de monde, semblait n'être bâti que de plein pied, les habitants s'entassant tous dans les rues même par ce début de matinée encore fraîche. Les habitations paraissaient désertes, toute la vie grouillant à leurs pieds. Il devait être dans les huit heures, pas plus. Le soleil n'était levé que depuis une trentaine de minutes, à peine. Peut-être vingt.Un jeune adolescent regardait la vie urbaine d'un regard rêveur, du haut de la fenêtre de sa chambre d'hôtel. Un léger sourire planait sur son visage. Il ne bougeait pas ; c'était une statue vivante. Rien ne semblait pouvoir l'animer à nouveau.Rien, et pourtant il finit par tourner sa tête, lentement, vers son bureau. Il était assis face à lui, sur une chaise d'un bois semblable au meuble. Celui-ci était vide ; presque vide. Une petite feuille de papier blanc noire de texte lui faisait également face. Un stylo à plume était posé à même le bois à sa droite. Dans un simple petit verre d'eau se prélassait un superbe trèfle à quatre feuilles, qui avait été cueilli récemment.L'enfant accentua son sourire ; la petite plante glissa sur le côté, le long du verre. Comme pour acquiescer.Comme s'il s'agissait d'un signal, le jeune garçon s'anima réellement. Luke, car ainsi se nommait-il, se saisit alors doucement de la feuille de papier, la pliant soigneusement. Il recula ensuite sa chaise, lui permettant ainsi de tirer la poignée à moitié oxydée du tiroir de son bureau. Il en sortit une enveloppe. Insérant la lettre à l'intérieur, car il s'agissait d'une lettre, il la referma aussitôt avec toutes les précautions possibles et la scella avec un peu de cire rouge foncé. Finalement, il inscrivit l'adresse au dos.L'apprenti du professeur Layton se précipita à l'extérieur, lettre en main, trottinant jusqu'à la boîte aux lettres. Il y glissa sa précieuse missive, puis s'éloigna de même qu'il était venu, saluant amicalement au passage les Irlandais en plein travail dès la matinée. Un sourire satisfait prenait place sur son visage.Il fredonnait sur le chemin. 

 

« Est-ce que tu es prête ?- Oui.- Il aurait tout de même pu te dire ce que tu devrais faire, au moins...- Il ne savait rien, Maman. Personne ne sait rien. Personne, à part « lui ». »Deux silhouettes féminines se trouvaient dans une immense salle obscure. Les murs étaient blancs, mais sombres à cause de la faible luminosité. L'une était visiblement la mère de l'autre.« Tu aurais tout de même pu attendre un peu... Le jour de ton anniversaire, tout de même...- C'est plus important que n'importe quel anniversaire, Maman. »L'adulte acquiesça lentement.« C'est vrai. Mais je m'inquiète tout de même... Pense au moins à la règle numéro deux.- Toutes les règles ont des exceptions, Maman.- La règle numéro cinq, alors.- Si tu veux. Mais seulement jusqu'au vingt-et-un. »L'aînée soupira.« C'est sérieux. On ne plaisante pas avec ça.- Je suis sérieuse. Je dis la vérité.- Sans les compter. »L'enfant esquissa un sourire mystérieusement satisfait.« Là, je suis d'accord. Fais-moi confiance. »Elle termina d'accrocher un ruban dans ses longs cheveux. Sa teinte était indescriptible, faute de luminosité.« Est-ce que ça me va ?- Tu es parfaite. Essaie juste de paraître naturelle, et tous n'y verront que du feu. »La plus jeune fit la grimace.« J'espère que j'y arriverai. Mais Koga commence sérieusement à avoir des doutes...- Koga te connaît depuis plus de sept ans, maintenant. Eux, ne t'auront jamais vue...- ...et ne me verront plus jamais. Je sais, Maman. Règle numéro trois. »La mère esquissa un sourire tendre, mais pincé, nerveux et inquiet. Était-il prudent d'y envoyer sa fille seule, alors qu'elle était si jeune ?Comme si elle avait compris le courant de ses pensées, l'enfant reprit.« Maman, tu sais qu'il le faut.- Oui. Bonne chance, ma chérie. Si jamais tu as des ennuis, appelle-moi.- Je trouverai une excuse pour m'absenter. », sourit la jeune adolescente.La femme lui rendit son sourire.« Prends soin de toi. Ne fais pas de bêtises, tu sais où cela peut mener...- Règle numéro un. », répliqua-t-elle simplement en s'éloignant.Elle était tendue, mais marchait d'un pas décidé. Elle fit un dernier signe de main à sa mère avant de partir.Elle avait un violon sur le dos. 

14 mars 1964, 10:47 a.m.

« Cher Professeur Layton,Cela fait si longtemps que nous ne nous sommes plus vus ! Comment se passe donc la vie à Londres ? Êtes-vous toujours aussi occupé ? J'espère que vous restez tout de même raisonnable. Après tout, que feraient vos élèves, sans vous ? Et Flora, aussi ? Il vaudrait mieux que rien ne vous arrive à cause de la fatigue !Je me trouve actuellement dans un hôtel de Dublin avec ma famille. Dans quelques jours, la fête du 17 mars sera prête, j'ai tellement hâte ! C'est pourquoi, avec l'accord de mes parents, je suis ravi de vous inviter prendre un séjour dans la capitale de l'Irlande, vous et Flora. J'ai également invité Emmy, votre assistante... Vous ne l'avez pas oubliée, n'est-ce pas ? Je tenais à ce que nous soyons tous réunis pour cette fête qui s'avère si prestigieuse ! Dans les rues, tout le monde s'occupe de la préparer. Personne ne parle d'autre chose que ça autour de nous, raison de plus pour croire que ce sera un spectacle inoubliable !Je compte sur vous. Faites en sorte de prendre un peu de repos là-bas, au moins pour cette journée... Cela ne pourrait pas vous faire de mal.J'ai tellement hâte de vous revoir, après ces deux longues années !

Votre apprenti, Luke Triton »

Un homme, assis à son bureau fraîchement ensoleillé car faisant face à une grande double-fenêtre aux rideaux tirés, tenait ces quelques mots dans sa main et venait apparemment d'en terminer la lecture. Demeurant calme, il rajusta son couvre-chef tout en esquissant un sourire. Il s'agissait d'un superbe haut-de-forme couleur terre au ruban bordeaux, peut-être un peu plus élevé qu'à l'habitude londonienne, ce qui eut pu lui donner un air excentrique... Mais peu lui importait.Son regard était naturellement attiré par la lumière, de l'autre côté du verre poli de son bureau. Il s'agissait d'une rue londonienne tout ce qu'il y avait de plus banale ; sereine et paisible, pour une fin de vingtième siècle. Les passants allaient et venaient, d'un pas tranquille. En ce vendredi de quatorzième jour du mois de mars, tout était calme. Le soleil brillait, voilé par quelques rares nuages, mais restait malgré tout un peu frais. Mais c'était tout-à-fait normal pour le troisième mois de l'année. Les averses semblaient loin pour au moins une petite semaine ; c'était bon signe, le printemps s'avèrerait chaleureux.Le professeur d'archéologie se détourna finalement de cette vision à laquelle il avait quotidiennement droit pour jeter à nouveau un furtif regard à la lettre que lui avait envoyée son apprenti. Finalement, il se tourna vers la porte ouverte de son bureau pour appeler gentiment une jeune fille. Le sourire aux lèvres, il attendit calmement qu'elle vînt avec entrain, puis lui annonça leur départ imminent pour l'Irlande. L'adolescente rit d'un rire cristallin et innocent, agréablement surprise d'ouïr une telle nouvelle.Comme à son habitude, elle s'était fait une petite queue de cheval à l'aide d'un ruban écarlate, le tout lui donnant un aspect soigné et attentif. La mèche enroulée au-dessus de ses deux grands yeux noirs et pétillants montrait qu'elle avait dû y passer du temps et de l'énergie, comme chaque jour, pour être un minimum élégante.« Un peu de repos ne vous fera pas de mal ! rit-elle finalement, heureuse que le gentleman qui prenait soin d'elle nuit et jour pût enfin prendre congé de son travail épuisant.- Tu as raison, Flora... Cependant, j'ai comme un pressentiment... »Une moue légèrement attristée et peut-être boudeuse s'installa subitement sur le visage de la jeune lady, sans pour autant briser le tableau qu'elle avait pris du temps à composer.« Oh, Professeur ! Vous êtes toujours si angoissé... Je pense que cette invitation arrive exactement au bon moment ! »Elle sembla réfléchir, levant ses deux grands yeux au ciel, avant d'ajouter avec la même vitalité qu'elle aimait montrer :« Je sais ! Je vais vous faire du thé ! »Le professeur Layton s'apprêtait à répliquer, mais l'adolescente était déjà partie comme une flèche vers la cuisine.« Toujours aussi enthousiaste... », murmura-t-il pour lui-même, esquissant un sourire.Pour une fois, il rangea les livres qui siégeaient en capharnaüm sur son bureau, puis l'homme au haut-de-forme se dirigea vers le téléphone afin de prévenir de son absence l'université de Gressenheller où il enseignait. Ceci fait, il monta les escaliers vers sa chambre et boucla ses valises, l'enfant s'étant déjà attelée à la tâche quelques minutes plus tôt.Une fois dans la paisible rue londonienne, Flora reprit en se tournant vers celui qui portait les deux imposants sacs de voyage.« Professeur... J'ai entendu dire que les Irlandais parlaient étrangement*, est-ce vrai ?- Eh bien, j'ai moi aussi entendu de telles histoires venant de touristes, mais il ne s'agit que d'un accent, nous ne devrions pas avoir trop de problèmes à converser.- Je suis rassurée... »Ce sont sur ces mots que deux silhouettes prirent un taxi qui les mena à la gare, puis au port de Holyhead, le plus proche de leur destination.Note :* : En effet, les Irlandais ont un accent très différent des Britanniques.

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