Etoiles et chaos

Chapitre 15 : Chapitre quatorze

6339 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/05/2015 13:15

TITRE : Etoiles & Chaos

AUTEUR : Ardell

DISCLAIMER : Les personnages et l'univers de Saint Seiya appartiennent à Masami Kurumada. Seul le personnage de Cinnamon est à moi.

CHAPITRE QUATORZE

Cinnamon sursauta lorsque l'attaque l'atteignit en pleine tête. Effrayée, elle porta la main à son front et, ne constatant aucune blessure, adressa au Chevalier un regard confus.

— Qu'est-ce que c'était ? demanda-t-elle.

— Phénix Gen Ma Ken.

— Et c'est quoi, ça ? Qu'est-ce que c'est que ce truc ?

Ikki resta silencieux. Elle n'allait pas tarder à le savoir... Jusqu'au dernier moment, il avait hésité. Qui pouvait dire ce que l'illusion du Phénix provoquerait chez une personnalité aussi perturbée ? Cinnamon était déjà suffisamment instable sans qu'il y rajoute. Cependant, il n'avait plus le choix. Avec un peu de chance, un électrochoc suffirait à la ramener à la raison...

— Pourquoi tu ne réponds pas ? C'était quoi ce truc, qu'est-ce que tu m'as fait ?

Elle se mit à crier :

— Qu'est-ce que tu m'as fait ?!

Elle allait ajouter autre chose mais aucun son ne sortit plus de sa bouche. Son corps se figea et ses yeux se firent vitreux.

Extrait du journal de Saga – samedi 13 septembre 1986

Je viens de jeter un coup d'œil depuis le balcon. La nuit est tombée mais elle est toujours là.

Évidemment.

Il n'avait pas tort en disant qu'elle ne bougerait pas. Comment peut-il la connaître aussi bien ? Elle était sur le point de s'effondrer avant qu'il ne fasse son apparition. J'aurais préféré.

Me pardonnera-t-elle un jour de lui avoir infligé un traitement aussi inhumain ? Il ne tient pourtant qu'à elle que tout s'arrête.

Il suffirait qu'elle abandonne. Quelques mots de reddition, qu'est-ce donc pour une non-chevalier ? Je hais son entêtement, et je l'admire. Elle n'a même pas conscience de toutes les ressources dont elle dispose. Elle se croit faible, et il aurait mieux valu pour elle que l'Autre le pense aussi.

L'Autre... Je ne peux m'empêcher de sourire en songeant au surnom dont elle l'a affublé. Heureusement pour elle, elle ne l'utilise qu'en privé. Elle sait parfaitement qu'il vaut mieux ne pas le contrarier. Alors pourquoi joue-t-elle avec le feu ? Hier une hardiesse qui n'est qu'innocence, aujourd'hui un acte de rebellion caractérisé. Comme s'il allait laisser passer ça... Les heures se sont écoulées, le châtiment s'est transformé en véritable bras-de-fer. C'est une lutte inégale.

Abandonne, Cinn, abandonne... Cesse de le défier. Tu ne comprends donc pas que, plus tu résisteras, et plus il prendra plaisir à te briser...

Celui qui était là tout à l'heure, le seul parmi eux qui soit venu, pourquoi l'a-t-il encouragée ? Pour le plaisir de la faire souffrir davantage ? Pourquoi n'a-t-il pas gardé pour lui ce qu'il a découvert ? A présent, l'Autre en veut plus.

Abandonne, Cinn... Fais mentir celui qui a su déchiffrer l'énigme que tu es. Ou l'Autre t'utilisera comme il se sert de tous.

Les premiers rayons du soleil pointent à l'horizon. Cinnamon vient de s'évanouir. Enfin. J'en soupire de soulagement, même si je n'ignore pas ce que cela signifie.

Cinnamon a gagné cette partie.

Mais l'Autre s'est trouvé un nouveau jouet.

Yomotsu Hirasaka

Terreur glaçante, confusion extrême, douleur atroce.

Cinnamon était tombée à genoux. Livide et tremblante, elle luttait contre les souvenirs qui l'envahissaient, se débattait dans ce passé dont elle avait souhaité s'éloigner et qui la rattrapait. A vrai dire elle n'avait rien oublié, et ce n'était pas tant ces réminiscences qui la faisaient souffrir que les émotions qui s'y rattachaient.

Des émotions qu'elle avait niées, refoulées, cadenassées pour ne pas endurer l'humiliation des vaincus.

Pour ne pas se trouver à nouveau dans ce rôle de victime qu'elle n'aurait su admettre.

Pour être digne du Sanctuaire. Ce lieu terrible qui prônait la force de caractère, le courage et la volonté... et qui méprisait tant les faibles.

Pour pouvoir supporter l'horreur. Pour survivre, tout simplement.

A présent, sous l'impulsion du Phénix, ce à quoi elle avait cru échapper lui revenait en pleine face.

Une larme roula sur sa joue.

Ikki l'observa un instant puis se détourna. Pour la première fois, il avait honte d'avoir utilisé cette attaque. Son but n'était pas de la torturer, mais s'il fallait en passer par-là pour lui ouvrir les yeux... Parfois mieux valait un choc salutaire qu'une vie passée toute entière dans le mensonge, même si celui-ci était plus doux.

"Shaka avait donc vu juste, pensa-t-il. Voilà ce qui t'est arrivé, avant que mes frères et moi ne parvenions au Domaine Sacré. Combien de fois ? En huit mois, combien de fois a-t-il..."

Il y avait autre chose.

Ikki reporta son attention sur Cinnamon. Son illusion venait de lui révéler, ou plutôt de lui confirmer un élément de son passé, cependant il semblait que ce ne fut pas le seul à hanter la jeune fille.

Qui venait de se relever.

Elle se tenait devant le Chevalier, tête basse et les yeux révulsés. Lorsqu'enfin ses iris furent visibles, elles avaient la noirceur du jais.

— Comment... commença-t-il en constatant que son attaque n'avait plus aucun effet.

Ce n'était absolument pas normal. Le Phénix Gen Ma Ken était censé révéler les mystères les mieux cachés et les plus douloureux. Or, l'esprit de Cinnamon n'avait pas tout livré. Il subsistait une zone d'ombre à laquelle l'oiseau de feu n'avait pas accès. Une petite pièce verrouillée et condamnée qui gardait jalousement des secrets inavouables. Ceux que l'adolescente ne voulait pas que l'on sache. A un tel point que le Phénix avait beau agiter ses ailes et frapper du bec, la porte demeurait hermétiquement close. Son illusion était vaincue, son attaque déjouée.

Pas tout à fait, en fin de compte. Visiblement, Cinnamon luttait pour continuer à dissimuler la vérité. Ikki se concentra et intensifia son attaque. Il fut aussitôt projeté en arrière sur plusieurs mètres.

La jeune fille n'avait pas bougé. Son cosmos noir, qui avait diminué jusqu'à s'éteindre, venait de se réveiller avec encore plus d'intensité.

Cette aura obscur ne cessait de s'étendre.

Telle une monstrueuse pieuvre aux multiples tentacules, elle s'allongeait autour de l'adolescente et Ikki remarqua quelque chose d'inquiétant. Chaque fois que cette énergie sombre recouvrait une flamme bleuâtre, celle-ci s'éteignait. Le cosmos de Cinnamon en souffla des dizaines d'un seul coup.

Le SekiShiki séparait les âmes des corps. Il ne détruisait pas les âmes, contrairement au cosmos de Cinnamon qui annihilait apparemment toute forme de vie sur son passage.

— Nie la réalité tant que tu veux, ça ne servira à rien. Tôt ou tard, tu devras y faire face !

Peine perdue, l'adolescente paraissait hors d'atteinte. Enfermée dans son monde, elle n'entendait plus rien.

Plus rien que la colère.

Cette colère, le Chevalier la percevait parfaitement. Cétait une rage écarlate, une fureur bouillonnante qui submergeait et envahissait tout. Quel que fut le secret de Cinnamon, celui-ci provoquait chez elle une ire dévastatrice.

Extrait du journal de Saga – jeudi 15 janvier 1987

Ils viennent de rentrer au Sanctuaire, après deux jours d'absence. Pourquoi ont-ils tant tardé ? Cela n'aurait dû leur prendre que quelques heures. Si l'Autre a autorisé le Chevalier d'Or à l'emmener avec lui, c'est bien parce qu'il sait qu'il ne l'aurait jamais laissée s'échapper... et qu'il n'aurait eu aucune hésitation à la tuer si nécessaire.

Dès son arrivée au palais, Cinnamon est allée se réfugier dans sa chambre : elle refuse de me voir, de me parler. Ce que j'ai lu dans ses yeux m'a fait mal. Il y a de l'amertume dans son regard, une ombre désormais permanente. Comme si elle était brisée.

Ce que j'ai craint durant tous ces mois est finalement arrivé.

Oh, maudit soit l'Autre de l'avoir ainsi livrée à cet assassin, ce rebut de la Chevalerie !

Assassin ? Rebut de la Chevalerie ? Mais qui suis-je pour porter un tel jugement ? Qui suis-je ?

Athéna... j'ai si mal.

Il est venu me faire son rapport, tout à l'heure. Comme d'habitude, la mission a été un succès. Plus que cela, même. Je l'ai interrogé sur Cinnamon et je me souviens encore des mots qu'il a employés avec un sourire cynique : "Au-delà de toute espérance."

C'est à cause de moi que c'est arrivé. J'ai beau essayer de me voiler la face, je sais que c'est moi qui ai décidé, ordonné une telle ignominie.

Par ma faute, Cinnamon est passée de l'autre côté.

Et moi, je l'ai perdue.

Yomotsu Hirasaka

Que s'était-il donc passé pour la mettre dans un tel état ? Qu'est-ce qui pouvait être pire que ça ?

— Ça suffit, maintenant !

Ikki s'apprêtait à utiliser les Ailes du Phénix, quand soudain Cinnamon reporta son attention sur le côté comme si elle avait vu ou entendu quelque chose. L'effarement se lut sur son visage et son aura sombre s'atténua considérablement. Elle regarda autour d'elle et lâcha d'une toute petite voix :

— Je suis désolée.

Le cosmos noir avait disparu, à présent. Devant le Chevalier, toujours sur ses gardes, l'adolescente baissait la tête et courbait les épaules à la manière d'une enfant sévèrement réprimandée. Ikki la vit d'ailleurs tortiller une mèche de cheveux entre ses doigts et la porter à sa bouche comme une petite fille nerveuse.

Elle était toujours sous l'influence de son illusion. Il fronça les sourcils alors qu'un doute s'insinuait en lui. Était-ce une hallucination due à son attaque, ou à son esprit dérangé ?

Elle jeta un coup d'œil craintif là où devait se tenir celui qui lui était apparu, puis ses yeux croisèrent ceux d'Ikki.

Il ne put s'empêcher de frémir devant ce regard éperdu où se lisait une innocence terrifiée. Ce n'était plus une jeune fille d'une quinzaine d'années qui se tenait devant lui mais une fillette de quatre ans tout au plus.

— Cinnamon ?

Ses paupières papillonnèrent et quand elle fixa Ikki de nouveau, son expression reflétait sa contrariété.

— Ça va, tu t'es bien marré ?

Il en fallait plus que ce ton acrimonieux pour décourager le Phénix.

— Je constate que mon illusion n'a pas totalement fonctionné avec toi. Félicitations, tu es très forte.

Elle émit un petit rire méprisant.

— Tu crois ça ? murmura-t-elle.

— Je le pense. Cependant tu as surtout besoin d'aide, insista-t-il. Je ne peux pas te laisser seule ici, tu dois venir avec moi.

— Bon sang mais tu vas me lâcher, oui ?! hurla-t-elle. T'as pas encore compris que j'ai rien à voir avec vous ?! Tu t'imagines qu'Athéna va me toucher avec son cosmos et que tout s'arrangera, que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes ? T'as pas encore compris que c'était trop tard ?! Tu crois savoir ce qui s'est passé mais tu sais rien, rien du tout !

— Alors explique-moi.

A bout de résistance, Cinnamon ouvrit la bouche et Ikki vit ses lèvres remuer... sans proférer le moindre son.

Il essaya de parler lui-aussi et dut se rendre à l'évidence. Sa propre mâchoire, mais également tous ses muscles étaient comme paralysés. Autour de Cinnamon le cosmos noir recommençait à tout recouvrir... Non, ce n'était pas ça.

Énervé et frustré, le Chevalier comprit que le problème venait de lui. Sans rien pouvoir y faire, il sentit son corps partir en arrière tandis que, devant lui, tout s'enténébrait. Une voix lui parvint de très loin :

Ikkiii !

"Shun ! Non, pas maintenant ! Pas mainte..."

Une secousse, une lumière aveuglante, et Ikki aperçut le visage inquiet de son frère penché sur lui.

— Pourquoi m'avez-vous ramené ? Elle était sur le point de parler !

Ikki refusa la main tendue de Shun et se releva seul, après avoir un peu vacillé. Près de lui se trouvaient Mû et Shaka, visiblement épuisés. Tiens donc... Ce genre d'exercice n'aurait pourtant pas dû poser de problème à ces deux experts en pouvoirs psychiques. Quant aux autres Golds... Décidément, il se passait quelque chose d'étrange.

— On ne pouvait pas te laisser là-bas plus longtemps, expliqua Andromède. Encore un peu et tu n'aurais pas pu revenir.

— Tu as pu en apprendre plus ? demanda Seiya.

— Pas vraiment.

Le regard du Phénix accrocha celui du Bélier, et il savait que la Vierge était attentif lui-aussi.

"C'est bien ce que nous pensions ?" fit la voix de Mû dans son esprit.

"Oui, mais ce n'est pas tout. Il y a pire, apparemment."

— Hé ! s'exclama Seiya. Qu'est-ce que c'est que ces messes basses ? Ikki, si tu sais quelque chose...

— Je n'ai rien appris de vraiment intéressant, si tu veux le savoir. C'est pourquoi j'ai l'intention d'y retourner dès que possible...

— Il en est hors de question !

Tous les Chevaliers se tournèrent vers la porte où Saori venait d'apparaître.

Saori ? Non, Athéna, droite et majestueuse, une lueur terrible dans ses yeux pers.

Yomotsu Hirasaka

Ikki avait tort.

Cinnamon n'avait pas pu échapper au Phénix Gen Ma Ken. Cette attaque, elle l'avait subie de plein fouet. La seule façon pour son esprit d'y résister un tant soit peu avait été de se scinder en deux. Pendant qu'elle faisait face au Chevalier, une partie d'elle, bien cachée, avait dû revivre dans le détail tout ce qui lui était arrivé depuis qu'elle était entrée sur le Domaine Sacré. Tout. Les actes mais aussi les émotions et les sensations. Et tandis qu'elle parlait à Ikki et dévoilait sa colère, une voix dans sa tête ne cessait de pleurer. A en devenir folle.

A présent réunifié, son esprit ployait encore sous le joug des souvenirs.

Livide, les yeux fous de douleur, Cinnamon se mit à hurler. Elle cria de toutes ses forces dans le silence de ce lieu désolé.

Le cri s'arrêta brusquement, et la jeune fille tomba évanouie sur le sol.

Maison du Bélier

— Ikki, je peux savoir qui t'a autorisé à risquer ainsi ta vie ?

Athéna était furieuse mais Phénix soutint son regard.

— Il fallait faire quelque chose, dit-il calmement.

— Cela t'est-il donc égal que je me sois inquiétée ? Vous venez à peine de terminer une bataille que vous trouvez le moyen de vous mettre à nouveau en danger !

— Non, Ikki a raison, intervint Hyoga. Si Cinnamon représente un danger, on doit le savoir.

— On n'a pas fait ça pour t'ennuyer, Saori, renchérit Seiya.

— De toute façon, tu connais Ikki, ajouta le Cygne. L'autorité et lui...

— Pardonne-nous mais nous n'avions vraiment pas le choix...

Ikki prit la suite de Shiriyu :

— Étant donné que tu ne nous dis rien.

Des murmures de protestations se firent entendre du côté des Chevaliers d'Or.

— Faites attention, prévint Aiolia. C'est à Athéna que vous vous adressez...

La déesse le calma d'un geste. Elle-même paraissait soudain bien lasse.

— Tout va bien, Aiolia. J'aurais dû vous en parler beaucoup plus tôt.

Palais du Grand-Pope – Salle du Crusos Sunagein

Seuls les Golds étant admis dans la salle dorée, Athéna avait prié les Bronze de l'attendre dans le salon où elle les rejoindrait le plus vite possible. Pour l'instant, elle avait à s'entretenir avec sa garde rapprochée. Les jeunes garçons avaient bien sûr protesté, et il avait fallu toute l'autorité de la déesse pour les convaincre de patienter.

A présent, les Chevaliers d'Or étaient installés autour de la table, les yeux rivés sur celle qu'ils avaient juré de protéger et de servir. Comme le silence s'éternisait, Milo prit la parole, exprimant ainsi à voix haute la question qui hantait tous les esprits :

— Athéna, qui est Cinnamon exactement ?

— Une jeune fille qui a certaines... dispositions, répondit-elle.

— Comment cela ?

— Un instant.

Mû s'était levé. Ses frères d'armes remarquèrent alors le livre relié de cuir qui était posé devant lui.

— Athéna, si vous me le permettez, j'aimerais d'abord aborder le problème de nos armures.

La déesse acquiesça silencieusement et tous les regards se portèrent sur le Saint du Bélier. Celui-ci inspira un grand coup en vue de ce qui l'attendait, et commença :

— Voilà ce que nous savons. Pour une raison jusque maintenant inconnue, nos protections sacrées ont subi quelques... changements. Certaines d'entre elles ne sont pas plus efficaces que des armures en fer-blanc, tandis que les autres ne reconnaissent plus leurs porteurs légitimes. Pourtant, celles qui nous semblent mortes ne sont en réalité qu'endormies. Quant à ceux d'entre nous qui ont été rejetés par leur Cloth... Et bien, ils ont toujours une Cloth.

— Que racontes-tu ? demanda Milo. Mon armure me refuse, et cependant tu prétends qu'elle est toujours à ma disposition ?

— Milo n'a pas tort, appuya Aldébaran. J'ai un peu de mal à te suivre, Mû.

Le Bélier secoua la tête. Lui-même avait dû reprendre ses calculs de nombreuses fois, pour être certain de n'avoir commis aucune erreur. Et encore... si Athéna lui déclarait tout à coup qu'il n'avait absolument rien compris, il en aurait été plus soulagé qu'autre chose. Il observa discrètement le visage de sa déesse. Douceur, tristesse mais aussi détermination, voilà ce qu'il lut dans ses yeux. Sans mots, elle l'encouragea à continuer.

— Très bien, soupira-t-il.

Comment leur présenter ça ? Surtout, comment allaient-ils réagir ? Ce n'était peut-être pas plus mal que leurs cosmos soient diminués...

— Le grimmoire que vous voyez là m'a été nécessaire pour résoudre cette énigme. En fait, cet ouvrage date de la création des premières protections sacrées. A cette époque, comme vous le savez, les constellations ont été associées aux armures, leur accordant ainsi leurs protections. En ce qui concerne les Cloths dorées, ces dernières sont non seulement liées aux douze constellations du zodiaque, mais également au cycle des saisons. Ainsi par exemple, le signe du Scorpion correspond à l'automne, c'est-à-dire du 23 octobre au 21 novembre. Or, ce qui était exact à l'origine ne l'est plus aujourd'hui.

Mû s'arrêta un instant. Tous le fixaient avec attention.

— En réalité, les constellations et les signes zodiacaux, ce n'est pas tout à fait la même chose...

L'Ayanâmsha, intervint Shaka avec un sourire. Compris, Mû.

— L'Aya quoi ? Ça vous dérangerait de nous expliquer ? fit Aiolia en fronçant les sourcils.

— L'Ayanâmsha. La différence entre le zodiaque occidental et le zodiaque hindou.

Yomotsu Hirasaka

Cinnamon reprit conscience et se redressa. Le regard qu'elle promena autour d'elle était empreint d'angoisse et de tristesse. Elle resta ainsi un moment, ses yeux s'écarquillant d'horreur au fur et à mesure que les émotions liées à certains événements de son passé s'emparaient d'elle. Elle sentit une humidité sur sa joue et essuya ses larmes.

Quel salaud, ce Phénix. Elle avait pourtant si bien réussi à faire comme si ce qui était arrivé n'avait rien de catastrophique. A force de se répéter que ce n'était pas grave, elle avait fini par y croire. C'était le seul moyen qu'elle avait trouvé pour ne pas s'effondrer... et pour continuer de sourire.

Elle ne pouvait plus rester ici. Cet endroit, qu'elle considérait comme son refuge il y avait si peu de temps encore, était devenu menaçant. Il faudrait un moment avant qu'elle puisse revenir.

Le coeur gros, elle se leva et regarda autour d'elle. Puis elle disparut.

Salle du Crusos Sunagein

Mû continua :

— Le zodiaque occidental prend comme repère le point vernal, c'est-à-dire le jour de l'équinoxe de printemps pour l'hémisphère nord. Autrement dit, il débute toujours le 21 mars, avec le signe du Bélier. C'est le zodiaque tropique parce qu'il amène un changement, sous-entendu de saison. Le zodiaque hindou est basé sur les astres, c'est pourquoi il est aussi appelé zodiaque sidéral par les occidentaux. Il commence par un point fixe étoilé qui marque le début du signe du Bélier.

Shaka prit la suite :

— L'Ayanâmsha, c'est la distance entre ce point fixe étoilé et le point vernal. A cause de ce décalage, les signes zodiacaux ne correspondent plus tout à fait aux constellations.

— Nos armures étant liées à ces constellations, cela explique pourquoi elles se comportent ainsi. Elles ne reconnaissent plus leurs porteurs légitimes parce qu'elle n'obéissent plus au système tropique. Quelqu'un a réussi l'exploit de reconditionner les protections sacrées.

Cap Sounion – ancien Temple de Poséidon

L'ennui, lorsque l'on quitte une dimension sans prendre de précautions, c'est que l'on risque d'avoir quelques problèmes... d'atterrissage.

Cinnamon était apparue tout au bord d'une corniche, les pieds à moitié dans le vide.

Elle cria et battit des bras tout en oscillant dangereusement. Enfin, elle parvint à se jeter en arrière et tomba assise. Un coup d'oeil autour d'elle lui apprit qu'elle se trouvait tout près des ruines de l'ancien Temple de l'ennemi d'Athéna. Etait-ce un signe ? A cette pensée, un mince sourire lui échappa. De toute façon, elle ne pouvait plus retourner au Sanctuaire. Pas après ce qu'elle avait fait. Dans ce cas, où aller ?

Retourner là d'où elle venait ? Non ! Pas question !

Son séjour dans le Domaine Sacré n'avait peut-être pas été une sinécure, loin de là, cependant c'était encore mieux que son ancienne vie. Rien que de se s'en rappeler lui donnait envie de se taper la tête contre les rochers. Pourtant, d'un point de vue objectif, ce qui lui était arrivé au Sanctuaire était mille fois pire. Pendant les huit derniers mois elle avait été retenue prisonnière, menacée de mort, sans cesse rabaissée car n'étant pas Chevalier, battue et... Bon sang, elle était toujours incapable d'associer le mot à l'acte. Sans doute parce que refuser de reconnaître ce qui s'était passé lui permettait de croire que ce n'était pas vrai.

En comparaison, son passé était idyllique. Pas pour elle. Etrangement, c'était plutôt le contraire.

Au moins, au Sanctuaire, elle avait découvert qu'elle possédait des talents particuliers. Elle avait appris à se défendre contre des hommes ordinaires et, surtout, on l'avait laissée dévoiler ce qu'elle avait au fond d'elle. Se défouler, exprimer cette colère qui la rongeait depuis tant d'années. Comment aurait-elle pu haïr l'homme qui l'avait comprise mieux que personne, celui qui lui avait permis d'être elle-même ? Elle lui était reconnaissante pour cela, alors quelle importance qu'il... De toute façon, il avait tous les droits sur elle. Il avait toujours eu tous les droits, depuis le premier jour.

Revenir à son ancienne vie... Après tout, son expérience lui avait un peu donné confiance en elle, cela devrait mieux se passer maintenant. Il lui était possible de quitter définitivement le Domaine Sacré en passant par Yomotsu.

A peine avait-elle pris cette décision que quelque chose en elle se révolta. Non, non, non et non ! Elle ne retournerait pas chez elle, d'ailleurs elle n'avait plus de chez elle. Elle avait laissé son passé et sa famille derrière elle le jour de son arrivée sur cette île. On la croyait certainement morte, et il n'y avait pas de raison que cela change. A vrai dire, celle qu'elle avait été était bel et bien morte, d'une certaine façon.

Que faire dans ce cas ? Elle refusait de retrouver son passé et ne pouvait plus se présenter au Sanctuaire.

Prise d'une impulsion soudaine, Cinnamon se leva et marcha vers le bord de la corniche.

Elle ne s'arrêta pas.

Salle du Crusos Sunagein

— Attendez, fit le Scorpion. Ce que vous êtes en train de nous expliquer, en gros, c'est que les armures d'or ne correspondent plus à leurs porteurs légitimes à cause de ce fameux décalage ?

— En effet, approuva Shaka. C'est pour cela que la Cloth d'Aphrodite est venu recouvrir Mû. Son anniversaire correspond à la constellation des Poissons dans le zodiaque sidéral.

— Je suis né le 8 novembre, cela signifie que... en utilisant ce système là je serais... Balance ?!

— Tout comme le Vieux Maître, qui ne change pas de constellation, intervint Athéna de sa voix douce. Pardonne-moi, Milo, mais il gardera son armure.

Le Scorpion se renversa sur son siège, le temps de digérer cette information.

— Pour ma part, que ce soit dans le zodiaque hindou ou occidental, je reste du signe de la Vierge, déclara Shaka. Comme le Saint de la Balance, je ne change pas.

— Veinard... glissa Milo.

— Qui a fait une chose pareille ? Qui a osé ? s'écria Aiolia. Serait-ce...

— Oui, Aiolia, répondit Mû. C'est Cinnamon qui est la cause de tout cela.

Il se tourna vers Athéna. Il était plus que temps, maintenant. Elle devait leur dire la vérité. Comprenant le message, elle ferma les yeux comme pour se recueillir.

— Athéna, qui est réellement Cinnamon ? la questionna Mû. Est-ce une déesse ?

Elle ouvrit les yeux.

— Non, Cinnamon n'est pas une déesse. Néanmoins elle a quelques... talents. Entre autres une faculté qu'elle possédait à l'état latent et qui a été réveillée. Cette jeune fille a en elle ce que l'on pourrait appeler un fragment de neuvième sens. Le sens des dieux. C'est pourquoi elle a pu influencer les armures à ce point. Mais je le répète, elle n'est pas une divinité et son pouvoir est extrêmement faible comparé à celui de n'importe quel dieu de l'Olympe.

— Et pour ce qui est des armures mortes, comme la mienne et celle de Shaka ? voulut savoir Aiolia.

Ce fut Milo qui répondit :

— Tous les deux, vous gardez le même signe, que ce soit en sidéral ou en tropique. Cinnamon a reçu l'enseignement de DeathMask. On peut imaginer qu'elle a appris à doser sa capacité à donner la mort pour endormir les Cloths... les plonger dans le coma, en quelque sorte.

Athéna lui sourit, preuve qu'il avait raison.

— Elle ne voulait vraiment que pas l'un d'entre nous lui échappe... soupira Aiolia.

— Au fait, est-ce que quelqu'un a hérité de l'armure du Bélier ? questionna Aldébaran.

Il déglutit en voyant tous les regards converger vers lui.

Un endroit inconnu

Cinnamon ouvrit un oeil, puis l'autre. Elle était allongée à plat ventre à même le sol et avait mal partout. A croire qu'on l'avait passée au mixer... De fait, elle se rappelait avoir heurté la surface des flots avant d'être emportée par un tourbillon, loin, très loin sous la mer. Très vite, elle avait manqué d'air et s'était laissée aller, persuadée que sa dernière heure était venue.

Apparemment, ce serait pour une autre fois. Elle poussa un gémissement, releva la tête... et sentit distinctement son coeur manquer un battement.

Un homme revêtu d'une armure dorée se tenait devant elle. Non... à y bien regarder, ce n'était pas une Cloth mais autre chose. La jeune fille regarda autour d'elle et comprit qu'elle se trouvait dans un monde totalement différent de celui qu'elle avait connu. Il faisait jour, et pourtant il n'y avait nulle trace du soleil dans le ciel. Le ciel ? Elle n'en avait jamais vu de pareil ni d'aussi magnifique. Plusieurs nuances de bleu et de vert, pailletées d'or à certains endroits, miroitaient au-dessus d'elle. Tout à coup une silhouette gigantesque jeta une ombre sur le sol dallé. Le souffle coupé, Cinnamon reconnut une baleine qui nageait paresseusement au dessus d'elle.

L'endroit où elle avait atterri, c'était le fond de la mer.

Elle reporta son attention sur l'homme. Toujours silencieux, il la toisait de sa haute taille. Le charisme et l'orgueil qui se dégageaient de sa personne le rendaient intimidant. Sa cape blanche frémissait au gré de la légère brise et son visage était à demi dissimulé par son casque.

Mais ce n'était pas cela qui troublait tant l'adolescente.

Elle savait distinguer les auras, et ce cosmos... Non, pas lui... elle l'avait vu se donner la mort devant Athéna ! Ce ne pouvait pas être lui !

Ce n'était pas lui. Elle en était certaine, maintenant. Le cosmos de cet homme, bien qu'étrangement semblable, ne possédait pas cette dualité déchirée qu'elle avait appris à aimer et à craindre. Cet homme était seul, Kyko n'était pas avec lui.

Cela signifiait... que messire Saga était vraiment parti et qu'il ne reviendrait jamais.

A nouveau les yeux de Cinnamon se remplirent de larmes et un voile noir s'abattit sur elle.

Salle du Crusos Sunagein

— Récapitulons, exigea Milo. Si j'ai tout compris, Mû est protégé par l'armure des Poissons, Aldébaran par celle du Bélier et moi par celle de la Balance. Seulement, comme son propriétaire légitime n'a pas changé de signe, il conserve sa Cloth et moi je me retrouve sans rien. De plus, Aiolia et Shaka gardent leurs protections, mais celles-ci sont dans une sorte de coma. "Athéna au secours !"

— Bien résumé, approuva Mû.

— Athéna, vous qui êtes une vraie déesse, vous allez tout remettre en ordre, n'est-ce pas ?

Aiolia était plein d'espoir. Malheureusement, Saori était obligée de le décevoir.

— Non, Chevalier. Je pourrais, bien sûr, trouver un moyen d'arranger cela d'une façon ou d'une autre. Cependant, je préférerais que vous régliez ce problème vous-mêmes.

Quelques cris angoissés fusèrent sans que les fiers Saints puissent les retenir. La voix du Vieux Maître retentit alors dans leurs esprits :

— Athéna a raison, vous en êtes tout à fait capables. Ceux dont les armures sont endormies apprendront à les réveiller à l'aide de leur cosmos, et les autres... ma foi il ne serait pas mauvais qu'ils se mettent un peu à la place de leurs... prédécesseurs. Cela élargira votre horizon et constituera un excellent exercice.

— Vieux Maître, vous étiez là tout ce temps ? fit Mû. Mais ce que vous nous dites, cela ressemble à...

Le Chevalier de la Balance émit un étrange petit rire.

— C'est exact, mon cher Mû. Athéna a eu son épreuve, maintenant vous avez la vôtre.

Les Golds se regardèrent, choqués par toutes ses révélations, et surtout par ce que cela impliquait.

Les Saints d'Or, élites de la Chevalerie d'Athéna, étaient à présent aussi faibles et vulnérables que des apprentis.

 

Prochainement, la deuxième partie : Maîtriser le chaos

Laisser un commentaire ?