Etoiles et chaos

TITRE : Etoiles & Chaos

AUTEUR : Ardell

DISCLAIMER : Les personnages et l'univers de Saint Seiya appartiennent à Masami Kurumada. Seul le personnage de Cinnamon est à moi.

CHAPITRE DIX-NEUF

Jeudi 19 mars 1987 – 06 h 15

Maison du Taureau

Aldébaran venait de se servir une tasse de café lorsqu'il sentit une présence familière à l'entrée de son Temple. Il se rendit dans la salle principale pour y accueillir son voisin du dessous et fronça les sourcils devant l'air préoccupé du Bélier.

— Tu veux boire quelque chose ? proposa Aldébaran.

— A vrai dire… Oh et puis, ça ne me fera pas de mal, répondit Mû en suivant le Taureau dans sa cuisine.

Attablé devant une infusion brûlante, il se décida enfin à aborder le sujet qui l'ennuyait :

— Aldébaran, quand je suis revenu, c'est toi qui le premier m'a parlé de Cinnamon. Tu m'as dit qu'elle n'avait jamais quitté le Sanctuaire, n'est-ce pas ? commença-t-il.

— En effet. Saga avait promis de la tuer si elle franchissait les limites du Domaine Sacré.

— Tu es certain qu'elle ne s'est jamais absentée ?

— Ma foi… on n'est jamais sûr de rien. Mais maintenant que tu le dis, je me rappelle qu'on ne l'a pas vu durant deux jours. C'était l'hiver et, apparemment, elle était souffrante et devait rester alitée. C'est vrai que lorsque je l'ai croisée, plus tard, je lui ai trouvé une petite mine. Il y avait quelque chose dans ses yeux qui ressemblait à de l'amertume, comme si sa maladie l'avait brisée.

Mû secoua la tête.

— Je doute qu'elle ait jamais été malade. En fait, elle n'était même pas au Sanctuaire pendant ce temps.

— Tu peux préciser ?

— En janvier, je suppose que c'était à cette même période, DeathMask a été envoyé en mission. Il devait châtier un Chevalier qui avait abandonné son titre afin de profiter d'une vie de famille. On sait ce que cela signifie… Seulement, ce qui est intéressant, c'est ce que Saga a écrit dans son journal. Juste avant de partir, DeathMask a réclamé la présence de Cinnamon.

— Attends ! Comment ça, réclamé sa présence ? fit Aldébaran, intrigué.

Le Chevalier du Bélier acquiesça.

— Il a demandé à pouvoir l'emmener avec lui. Il voulait qu'elle soit présente quand il accomplirait sa mission.

— Remarque, d'une certaine façon, c'est logique. S'il l'entraînait en secret, il devait bien l'emmener sur le terrain. Tu dis que sa cible avait une famille ? Connaissant les méthodes de DeathMask ça a dû être un véritable massacre…

— Oui mais j'ai peur qu'il n'y ait pas que ça.

Mû continua en baissant la voix :

— Dans le journal de Saga, il y a un article de presse relatant la découverte des corps. Ils... non, tu devrais voir par toi-même.

L'Atlante sortit une liasse de feuilles de sa tunique et tendit l'une d'entre elles à son ami. Celui-ci se pencha sur l'article de journal qui y avait été collé. Au cours de sa lecture, il blêmit à vue d'oeil. Bientôt son teint habituellement mat se fit olivâtre tandis qu'il plaquait la page sur la table. Au pris d'un effort de volonté, il se força à respirer profondément mais c'était à peine suffisant pour calmer la nausée qui le menaçait. Au bout de longues secondes, néanmoins, il parvint à s'apaiser et demeura tête baissée, bras tendus et poings posés sur la table. Lorsqu'il fut certain que le Taureau n'allait pas rendre son café, Mû dit doucement :

— Je sais, ça m'a fait la même chose.

— Par Athéna, et il prétendait faire partie des Saint d'Or ? Mû, je sais bien que DeathMask était un assassin sanguinaire, mais de là à... à... s'insurgea le Saint du Taureau. Un Chevalier d'Athéna... faisant une chose pareille...

— Justement, répliqua Mû avec cette fois une certaine dureté dans le regard. Cinnamon n'est pas un Chevalier d'Athéna.

Aldébaran releva brusquement la tête. Il venait de comprendre ce que le Bélier voulait dire.

— Que s'est-il passé ? Que lui ont-ils fait pour la pousser à cette extrémité, pour qu'elle en soit réduite à faire... ça ?

— Athéna le sait peut-être.

— Et c'est pour cela qu'elle aurait pris Cinnamon sous sa protection ? Elle se sentirait responsable de ce que certains de ses Chevaliers ont fait...

Mû acquiesça :

— Il vaut mieux que les autres ne sachent rien. Ils sont déjà suffisamment remontés contre Cinnamon. Mieux vaut ne pas leur donner plus de raisons de la voir comme un monstre.

Le Taureau et le Bélier échangèrent un regard où pouvait se lire toute la pitié du monde.

Extrait du journal de Saga – vendredi 16 janvier 1987

Aphrodite vient de quitter la grande salle, après m'avoir fait son rapport habituel. Malheureusement, il n'a pu m'en apprendre d'avantage sur l'absence prolongée de DeathMask et de Cinnamon. Tout ce que le Cancer a bien voulu lui dire, c'est que "la gamine avait besoin de se changer les idées". Une telle sollicitude de la part de cet homme est surprenante. Que s'est-il passé pendant ces deux jours ? Depuis que l'Autre lui a confié – non livré – Cinnamon, DeathMask a tendance a prendre de plus en plus d'initiatives. Je n'aime pas ça.

Je vais devoir envoyer quelqu'un pour en savoir plus. Un simple garde suffira : je préfère ne pas impliquer un Chevalier et il sera plus aisé d'occulter la mémoire d'un soldat une fois sa mission accomplie...

Sanctuaire sous-marin

Jeudi 19 mars 1987 – 09 h 30

Comme un enfant attendant de traverser la route, Kanon porta son regard à droite, puis à gauche. Aucune trace de l'autre hystérique ? Parfait. Il allait pouvoir accueillir comme il se devait le troisième Général. Comme il approchait du pilier de l'Atlantique Sud, une agréable mélodie vint titiller ses oreilles. Allons bon, un mélomane.

— J'espère au moins qu'il sait se battre, grommela le Dragon des Mers.

Il monta les marches qui le séparaient du pilier... et faillit pousser un rugissement de rage.

— Kanon ! Viens écouter comme c'est beau !

Assise sur un rebord de marbre, le menton dans ses mains et le regard rêveur, Cinnamon se laissait bercer par l'air enchanteur qui sortait d'une... vulgaire flûte traversière ? D'accord, c'était pas mal. Bon, d'accord, c'était plus que pas mal. Peut-être qu'il ferait mieux de se poser cinq minutes lui-aussi. Ah, pouvoir simplement écouter cette merv... Non mais ça va bien, oui !?

Kanon se secoua et vint rejoindre le musicien. Si cette flûte était son arme, il l'avait peut-être sous-estimé...

"M'a eu par surprise, c'est tout."

Brusquement les notes se firent plus rapprochées, l'air plus entraînant, et Cinnamon poussa un petit cri de ravissement. Elle se leva et, les yeux fermés, esquissa quelques pas. Croyait-elle que c'était le moment de danser ? Elle semblait en transe et Kanon lui-même devait admettre qu'il lui fallait fournir un effort pour rester stoïque. Il reporta son attention sur le joueur de flûte, lequel accrocha aussitôt son regard de ses étranges yeux magenta. Les deux hommes se mesurèrent ainsi, tandis qu'indifférente à cette joute visuelle, la jeune fille dansait en fredonnant, les paupières toujours closes comme prisonnière de son propre monde. Tantôt elle tournoyait à vous donner le vertige, sa jupe virevoltant autour de ses jambes – Kanon avait déjà noté qu'elle était pieds nus, tantôt elle paraissait valser dans les bras d'un partenaire invisible.

Estimant que cela suffisait, le Dragon des Mers s'arracha à ce charmant spectacle et s'avança vers le musicien.

— Je vois que toi-aussi tu as senti l'appel de notre Empereur, commença-t-il.

La mélodie cessa aussitôt. Telle une marionnette dont on aurait lâché les fils, Cinnamon s'immobilisa et vacilla. Son équilibre retrouvé, elle cligna des yeux et resta abasourdie comme si elle s'éveillait d'un rêve.

Sans lui prêter intention, Kanon se redressa avec assurance et ajouta :

— Je suis le Dragon des Mers, gardien du pilier de l'Atlantique Nord. Et cela fait plusieurs jours que j'attends la venue de l'un de mes frères d'armes...

— Puisque je ne suis pas le premier, peux-tu me dire qui nous devons encore attendre, Dragon des Mers ?

— Tu es le troisième a rejoindre nos rangs. Et tu es...

— Le Général Sorrente de la Sirène Maléfique, gardien du pilier de l'Atlantique Sud, comme tu l'auras deviné.

Sirène ? En effet il comprenait mieux maintenant... Cinnamon s'approcha soudain du Dragon des Mers et se hissa sur la pointe des pieds pour lui murmurer à l'oreille :

— J'ai dansé à Yomotsu, une fois.

— C'est bien, fit Kanon en se dégageant.

Qu'est-ce qu'elle voulait que ça lui fasse ?

Le visage de l'adolescente se chiffonna et elle parut sur le point de pleurer. Cependant Kanon comprit qu'elle n'était contrariée que par le souvenir qu'elle venait de lui révéler. Si ses yeux demeurèrent secs, ce fut d'un ton plaintif qu'elle poursuivit :

— Je dansais et j'avais un jouet... Mais messire DM est venu. Il a pris mon jouet et il l'a jeté dans le puits !

Elle fit volte-face et, sans façon, s'assit à même le sol. Le Dragon des Mers soupira.

— Cinnamon. Cinn ?

Voilà que mademoiselle était en train de bouder, maintenant... Tant mieux, il allait pouvoir se focaliser sur ce nouvel arrivant qui avait observé la scène sans mot dire. Manquerait plus que, comme Isaak, il soit du genre qui réfléchit lui-aussi...

Kanon n'aurait pas pris la confidence de la jeune fille avait autant de légèreté s'il avait su de quel jouet elle parlait.

Le Dragon des Mers avait renvoyé Cinnamon dans sa chambre. Chose surprenante, l'adolescente avait obéi sans faire d'histoire et s'était éloignée, non sans avoir salué le Général de l'Atlantique Sud d'un sourire lumineux. Enfin seul avec celui-ci, Kanon tenta discrètement de savoir quelles bêtises son invitée avait bien pu inventer. Aussi fut-il soulagé d'apprendre qu'elle avait servi à Sorrente la même fable qu'à Isaak.

Contrairement aux apparences, le musicien n'avait utilisé aucune technique sur Cinnamon. Si cette dernière avait dansé sur sa mélodie, c'était sans doute parce qu'elle s'était laissée emportée par les notes entraînantes qui sortait de sa flûte. Ce n'était tout de même pas la faute de Sorrente si la jeune fille était hypersensible... ni si elle appréciait la bonne musique.

— Oui enfin... Tu as certainement remarqué qu'elle est un peu...

Et Kanon de tourner son index près de sa tempe en un geste évocateur.

— Si elle est aussi innocente que tu le prétends, tu as bien fait de la sauver. Quoi que je me demande pourquoi tu es si nerveux.

— Je m'inquiète pour elle, c'est tout. Imaginer une pauvre fille comme elle à la surface... Le monde d'aujourd'hui n'est pas fait pour les êtres purs et innocents.

Sorrente haussa les épaules.

— Il y aura bien quelqu'un pour s'occuper d'elle, fit-il.

Le Dragon des Mers contre-attaqua aussitôt :

— Ou pour profiter d'elle, tu veux dire ! Quand je pense à tous ces pervers et autres escrocs qui hantent la surface de la Terre...

Soudain Kanon s'éloigna.

— Excuse-moi. Tu viens à peine d'arriver et je t'ennuie avec mes histoires.

Il avait fait quelques pas lorsque Sorrente le rappela :

— Attends ! Manifestement, tu as quelque chose sur le cœur. Ne prends pas ça pour une marque de faiblesse si tu veux m'en parler.

Ce que le musicien ne pouvait pas voir, c'était le large sourire qui venait d'apparaître sur le visage de Kanon.

Vendredi 20 mars 1987 – 14 h 20

Les autres Généraux avaient fini par arriver eux-aussi. Kanon les avaient tous rencontrés et, en tant que plus ancien, s'était imposé comme leader, du moins jusqu'au réveil de leur Empereur. Quant à Cinnamon, elle avait vu la plupart des Marinas. Tous avaient succombé au charme de la jeune fille qui savait se montrer adorable, quand elle le voulait. Tout cela faisait doucement rire le Dragon des Mers : on voyait bien qu'ils ne la connaissaient pas vraiment ! Pourtant il devait admettre que, contrairement à ses craintes initiales, aucun incident n'était à déplorer. Après tout, Cinnamon avait été au courant de la supercherie de Saga, elle savait également qu'Athéna ne résidait pas dans son Sanctuaire, pourtant elle avait gardé le silence. Pourquoi ne respecterait-elle pas aussi le secret du cadet des Gémeaux ? Néanmoins, Kanon préférait l'avoir toujours à l'oeil. On n'était jamais trop prudent...

Cet après-midi, cependant, l'adolescente avait échappé à sa surveillance pour explorer un peu plus le royaume sous-marin. Occupé par les préparatifs des prochains évènements, le Dragon des Mers avait dû faire un choix et relâcher sa vigilance.

C'est pourquoi Cinnamon se trouvait à présent assez loin du Palais de Poséidon. Tout d'abord, elle avança en fredonnant. Puis, au fur et à mesure de sa progression, sa voix devint de plus en plus inaudible et elle finit par se taire.

Cinnamon frissonna. Il faisait plus frais ici que dans le reste du Sanctuaire sous-marin, excepté chez Isaak. Cependant, ce n'était pas le froid extérieur qui venait de s'infiltrer en elle pour étreindre son coeur. Celui-ci s'affola et commença une danse effrénée. Pourquoi une telle angoisse ?

Un regard autour d'elle apprit à la jeune fille qu'elle était seule. Alors d'où lui venait cette sensation de danger imminent ? Elle fit encore quelques pas et leva les yeux sur le pilier. Il était si haut que l'on n'en voyait pas le bout. Un vertige saisit l'adolescente et elle baissa aussitôt la tête. Et toujours cette peur qui la faisait trembler sans qu'elle sache pourquoi...

Elle se retourna... et ce fut comme si le ciel et l'enfer se précipitaient l'un dans l'autre.

Regard magnifique et sourire très doux, Saga se tenait devant elle.

Pendant ce temps

Où était-elle ? Maintenant qu'il avait terminé ce qu'il avait à faire, Kanon désirait plus que tout mettre la main sur Cinnamon, ne serait-ce que pour vérifier si la demoiselle s'était tenue tranquille. Evidemment il aurait pu l'enfermer dans sa chambre, mais si c'était pour provoquer une crise de nerf... De plus, elle était capable de s'échapper en passant par Yomotsu.

Arrivé au pilier de l'Atlantique Sud, il fut apostrophé par Sorrente :

— Et bien, Dragon des Mers, ne serais-tu pas à la recherche de ta petite protégée ?

Kanon s'immobilisa et sentit distinctement une goutte de sueur couler le long de son dos. Est-ce que ce type lisait dans les pensée, par hasard ? Il fit face à son frère d'armes et le soulagement l'envahit lorsqu'il comprit que ce dernier n'avait fait que deviner.

— Quelle perspicacité ! fit le Dragon des Mers, mordant. En effet, je n'aime pas la savoir seule. Saurais-tu où je peux la trouver ?

— Elle est passée par ici, tout à l'heure, répondit Sorrente. Elle voulait explorer le monde sous-marin, aussi s'est-elle dirigée du côté de l'Antarctique. Si j'étais toi, je ferais plus attention à elle. Et tu devrais demander à Thétis de lui prêter une de ses tenues, ce n'est plus une robe qu'elle porte cette pauvre petite mais une guenille !

— Merci du conseil, je n'avais justement que ça à faire... maugréa Kanon.

Il reprit son chemin, passablement excédé. Voilà qu'on le prenait pour une camériste ! Avec tout ces préparatifs, il fallait encore qu'il surveille cette fille ! Elle avait intérêt à lui être utile, au bout du compte ! Si ce n'était pas le cas, l'addition serait salée, il se le promettait. Il avait fait quelques pas lorsque, soudain alarmé, il se tourna vers Sorrente.

— Attends ! Tu as bien dit le pilier de l'Antarctique ?

Le musicien ouvrit la bouche. Au même moment, un hurlement retentit dans le lointain, l'empêchant de répondre.

Extrait du journal de Saga – samedi 1er novembre 1986

Cinnamon se repose dans sa chambre ; c'est Aphrodite qui l'a ramenée au Palais, après un détour par son Temple.

Que s'est-il passé pendant l'entraînement pour provoquer chez l'adolescente hémorragie et évanouissement ? A peu de choses près, elle sombrait dans le coma... Cela fait à peine cinq semaines que DeathMask s'occupe d'elle et, d'après le Poissons qui le tient de son frère d'armes, elle ferait des progrès impressionnants. Je n'ai pas osé lui demander quels sont les méthodes d'enseignement du Cancer... Probablement ne le sait-il pas lui-même.

Sanctuaire sous-marin - pilier de l'Antarctique

Kanon arriva sur les lieux en un temps record et stoppa net devant la scène qui s'offrait à lui.

Recroquevillé sur le sol, le gardien de l'Océan Antarctique gémissait de douleur tandis que, devant lui, Cinnamon se tenait droite. Le pauvre Kaasa avait porté les mains à son visage et, tout d'abord, le Dragon des Mers ne comprit pas ce qui lui arrivait. Quand ce fut le cas, il déglutit péniblement.

Ainsi c'était ça le véritable pouvoir de Cinnamon ? C'était ce qu'elle pouvait vraiment faire ?

Les traits du Marina paraissaient... fondre, se mélanger et se reconstruire comme sous le burin d'un sculpteur invisible. Cependant, ce n'était pas cette vision qui horrifiait tant Kanon.

Non, ce qui l'impressionnait, c'était l'arrogance et la satisfaction cruelle qui émanait de la jeune fille. Elle se repaissait du spectacle, se réjouissait visiblement des cris de souffrance de sa victime. Une aura noire l'enveloppait et ses prunelles de jais brillaient d'une joie malsaine.

"Elle aime ça", comprit Kanon.

— Ça suffit ! ordonna-t-il d'un ton cinglant. Cinnamon, arrête ça immédiatement !

Ne percevant aucune réponse, Kanon allait la secouer quand il remarqua un détail, un minuscule détail qui pouvait faire la différence. Toujours sèche, sa voix claqua :

— Cinnamon, tu saignes.

L'adolescente cligna des yeux. Lentement, elle porta la main à sa figure et toucha du doigt le sang qui coulait de sa narine. Aussitôt le cosmos noir qui l'entourait disparut et ses iris s'éclaircirent jusqu'à reprendre leurs teintes d'azur et d'améthyste. Elle vacilla et tomba sur les genoux, tête baissée.

Le Dragon des Mers s'approcha de Lyumnades.

— Ça va aller ? s'enquit-il sans la moindre sollicitude.

Le Général acquiesça, encore tremblant. Si la douleur avait pratiquement disparu, son visage demeurait d'un blanc bleuté. Kaasa n'avait jamais été ce qu'on pouvait appeler un beau garçon, mais à présent le mot laideur était ce qui le qualifiait le plus.

— J'espère pour toi que tu ferais mieux si on venait nous envahir. l'Empereur n'a pas besoin d'un Marina qui succombe à l'attaque d'une fillette !

Kaasa leva un œil furieux mais s'abstint de tout commentaire. D'ailleurs, Kanon s'approchait de l'intruse. Celle-ci se leva brusquement et quitta les lieux. Avant que le gardien de l'Atlantique ne la suive, Lyumnades demanda à celui-ci :

— Mais qu'est-ce que tu lui as fait pour la mettre dans une telle colère ?

Kanon s'immobilisa. Bien sûr ! Kaasa croyait avoir pris son apparence, il n'avait aucune raison de penser qu'il s'était en réalité transformé en son jumeau ! Du coup, le Dragon des Mers se sentait mieux... Il lâcha :

— Rien, elle est sujette à des sautes d'humeur, c'est tout.

Et, en son for intérieur, il songea :

"On lui a déjà fait le coup de l'illusion, voilà ce qui s'est passé."

Cette fois, Cinnamon avait réagi à temps.

De retour dans sa chambre, Cinnamon faisait les cent pas, ou plutôt, elle tournait comme un animal en cage. A peine entré dans la pièce, Kanon s'exclama :

— Bon, maintenant, tu vas te calmer !

Peine perdue, elle ne paraissait pas l'entendre. Marchant d'un bout à l'autre de la chambre, elle avait porté les mains à sa tête et le Dragon des Mers aurait pu croire que du courant traversait son corps tant elle tremblait. Les yeux fermés, elle balbutiait des mots sans suite en une litanie désespérée. Chaque fois qu'elle heurtait un mur, elle repartait en sens inverse.

— Cinnamon ! Cinnamon !

Elle s'arrêta enfin mais garda ses doigts crispés dans ses cheveux et les paupières closes. Kanon vit et entendit distinctement ses dents claquer.

— Calme-toi, tout va bien. Je te l'ai promis, personne ne te fera de mal ici.

— Non je l'ai vu il était là tout à l'heure il était là il était là...

— Ce n'était pas lui et tu le sais.

Elle cessa de trembler et ouvrit un œil prudent.

— C'est vrai ?

— Puisque je te le dis. Tu t'en es tirée, il ne t'a rien fait.

— Promis ?

— Promis.

La jeune fille poussa un soupir de soulagement et Kanon en profita pour la rappeler à l'ordre.

— Maintenant que tu es calmée, tu peux peut-être arrêter ça.

— Arrêter quoi ?

— Ça !

Le Dragon des Mers désignait du doigt un coin du mur où s'étendait une chose noire... et qui grossissait à vue d'oeil. L'expert en dimension qu'il était n'avait pu manquer de reconnaître un trou noir miniature. Encore un effet du pouvoir de Cinnamon ?

Celle-ci leva la tête et poussa un cri de surprise.

— Au secours, fit-elle ensuite d'une petite voix.

— Comment ça au secours ? Tu vas me faire le plaisir d'arrêter ce truc, immédiatement ! cria Kanon, à bout de patience.

— Mais je sais pas comment faire !

— Tu ne... C'est toi qui l'a fait apparaître ! Et baisse le volume, tu veux !

— Je l'ai fait apparaître mais je sais pas comment l'enlever ! C'est arrivé qu'une fois et c'est messire DM qui s'en est chargé ! Et d'abord toi aussi tu hurles !

Mince, c'était vrai. Le Dragon des Mers se força à retrouver son calme. Il y avait bien un moyen de se débarrasser de cette chose.

Isaak arpentait les couloirs du Palais. Il désirait s'entretenir avec Kanon au sujet de son invitée. Non qu'il se méfiait d'elle. Enfin... si, un petit peu. Cette fille avait beau sembler inoffensive, le gardien de l'Océan Arctique ne pouvait se défaire un étrange pressentiment la concernant. Et cette histoire de sauvetage ! Depuis qu'il le connaissait, le Dragon des Mers ne lui avait jamais paru du genre à jouer les anges-gardiens.

Peut-être se faisait-il des idées mais il préférait en avoir le coeur net.

Après avoir réfléchi au moyen à employer, Kanon dut se résoudre. Aux grands maux... Il se concentra et un cosmos bleuté se mit à luire autour de lui.

— Golden Triangle !

Isaak s'arrêta en sentant l'explosion de cosmos. Celle-ci n'était pas très forte mais tout de même perceptible. Contre qui le Dragon des mers était-il en train de se battre ? Le Général du Kraken se prépara à lui prêter main forte... et se ravisa brusquement.

Au lieu de dévoiler sa présence, il resta derrière la porte et observa.

Dans la chambre, le trou noir fut entouré d'un halo bleu parsemé ça et là de traînées dorées. L'or et l'azur finirent par recouvrir totalement le sombre, puis ils disparurent à leur tour dans un souffle qui souleva les cheveux des personnes présentes... ainsi que la jupe de Cinnamon.

Celle-ci s'empressa de rabattre sa robe et posa un regard surpris sur son hôte.

Elle n'était pas la seule à avoir remarqué. Ainsi le Dragon des Mers possédait deux cosmos ? D'où lui venait cette couleur dorée ? Et cette attaque... A n'en pas douter, il s'agissait bel et bien d'une technique basée sur les dimensions.

En une fraction de seconde, Isaak se retrouva plongé dans le passé, du temps où il était encore un apprenti avide de connaissances et éperdu d'admiration pour son maître...

Sibérie orientale – mai 1979

L'enfant leva des yeux impressionnés sur son professeur. Ce dernier venait de lui faire une démonstration de la Poussière de Diamant et des flocons d'étoiles dansaient encore autour d'eux. Oh comme il tardait au petit d'apprendre tout ce que savait son maître !

— Bientôt, maître, je serai aussi fort que vous ! fanfaronna-t-il.

— Tu viens à peine d'arriver, commence déjà par apprendre à apprivoiser le froid, objecta Camus.

En effet, alors que le jeune homme n'était habillé que d'un simple tee-shirt sans manche avec son pantalon, son élève quant à lui était emmitouflé dans un épais manteau à col de fourrure. En entendant la remarque de son professeur, Isaak fit de son mieux pour arrêter de frissonner. La vision d'un bon bol de chocolat chaud apparut devant ses yeux, néanmoins il la chassa.

— Mais j'apprendrai cette attaque, n'est-ce pas ? Je deviendrai fort, aussi fort que vous, et tous les deux on débarrassera le monde des méchants et on sera des héros ! N'est-ce pas, maître ? répéta-t-il avec une ferveur enfantine.

— C'est donc ce que tu veux, être un héros ?

— Je veux faire en sorte que le monde soit meilleur, que les gentils soient en sécurité ! C'est pour ça que je veux devenir fort ! Un jour, je serai un Chevalier aussi puissant que vous.

L'enfant avait serré ses petits poings comme s'il se voyait déjà devant un ennemi.

— Sache que devenir mon égal, il te faudrait revêtir une armure d'or. Elles sont au nombres de douze et ne peuvent être portées que par les Saints d'Athéna les plus forts et les plus dévoués.

— Une armure en or ?

Camus entreprit alors de lui expliquer le fonctionnement de la Chevalerie d'Athéna ainsi que les écarts de force entre les différentes castes. La Cloth du Cygne, par exemple, était de bronze. Quant aux Saints d'Or... En entendant Camus évoquer brièvement la capacité de l'un d'entre eux, celui des Gémeaux, à utiliser les dimensions aussi facilement que le Verseau manipulait la glace, Isaak n'était pas loin de prendre l'élite des Saints pour des dieux...

— Tant pis ! Même avec une armure de Bronze, je serai digne d'Athéna et je me battrai pour protéger l'humanité !

Revenu au présent, le Kraken repensa à l'attaque qu'il venait de surprendre. C'était la première fois qu'il voyait le Dragon des Mers utiliser une de ses techniques. Une technique qui, à n'en pas douter, était basée sur les dimensions. Justement, ce Dragon des Mers, d'où venait-il ? Il était déjà là lorsque Isaak était arrivé au royaume sous-marin. Aurait-il un lien avec le Sanctuaire d'Athéna ? Et si...

"Ah l'enfoiré..."

Une petite discussion s'imposait.