Etoiles et chaos

Chapitre 26 : Chapitre vingt-cinq : Quotidien et découvertes, deuxième partie

7096 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/06/2015 13:43

TITRE : Étoiles & Chaos

AUTEUR : Ardell

DISCLAIMER : Les personnages et l'univers de Saint Seiya appartiennent à Masami Kurumada. Seul le personnage de Cinnamon est à moi.

CHAPITRE VINGT-CINQ

Quotidien et Découvertes, deuxième partie

Mardi 8 juillet 1986

Un matin, Cinnamon se réveilla avec une inspiration qu'elle crut sincèrement excellente.

Elle avait toujours été assez douée en pâtisserie, aussi allait-elle faire une surprise aux Chevaliers d'Or en leur offrant sa spécialité : des brownies au chocolat. Ravie de cette idée, elle bondit hors du lit et se précipita dans la salle de bain en chantonnant. Quelques minutes plus tard, elle n'eut aucun mal à accaparer un coin de la grande cuisine. Pendant qu'elle confectionnait ses gâteaux, impatiente de les faire goûter aux impressionnants Saints d'Or, elle ne manqua pas de remarquer les coups d'œil hostiles que lui lançaient les domestiques. Qu'ils pensent ce qu'ils voulaient, après tout des regards méprisants, elle en avait eu plus que son compte. Enfin, ce fut prêt. Elle disposa le tout sur un plateau – on n'avait pas voulu lui dire où trouver un panier, le recouvrit d'un drap blanc et, toute fière d'elle, entreprit la descente des marches.

Aphrodite l'accueillit avec un sourire lumineux et la félicita. Camus accepta et la remercia de son habituel signe de tête. La jeune fille se dépêcha d'ailleurs de le quitter tant elle le trouvait intimidant. Shura, quant à lui, n'avait pas digéré le manque d'intérêt de Cinnamon pour sa déesse bien-aimée. Aussi grogna-t-il, avant de céder et de prendre un biscuit comme les autres, devant une adolescente au sourire figé. Milo prétendit que tous les gâteaux étaient pour lui et ne laissa partir Cinnamon que lorsque celle-ci comprit qu'il la menait en bateau. Shaka haussa les sourcils et consentit à goûter cette nourriture ô combien terrestre avant de laisser échapper un mince sourire. Aiolia, tout comme Aphrodite et Milo, la félicita chaudement pour ses talents de cuisinière et la bonne surprise qu'elle venait de leur faire.

Ce fut donc le cœur gonflé de joie que Cinnamon quitta la Maison du Lion pour se rendre chez Aldébaran.

Et son cœur creva comme un ballon de baudruche quand elle réalisa qu'il restait un Chevalier avant le Taureau.

Que faire ? Assurément, il la verrait passer et elle ne pourrait lui refuser de goûter ses brownies. D'un autre côté, il ne les méritait absolument pas. Oui mais... si elle les lui refusait, cela signifierait qu'elle avait une bonne raison de lui en vouloir, qu'il s'était vraiment passé quelque chose entre eux. Si elle voulait faire comme si de rien n'était, elle n'avait pas le choix, elle devait se comporter normalement avec lui, comme avec les autres. C'était le seul moyen pour espérer oublier. Et qui sait, peut-être qu'après cela il ne serait plus aussi méchant avec elle ?

Le cœur battant à tout rompre, Cinnamon avança dans la pénombre du Temple.

— Heu... messire DM, appela-t-elle d'une toute petite voix.

— Tu me cherches ?

La jeune fille tressaillit et fit volte-face. Le Chevalier du Cancer se tenait juste devant elle. Du regard, il effleura le plateau qu'elle tenait et son sourire se fit encore plus sardonique.

— Je... heu... je voulais vous pro... proposer quelques biscuits, bredouilla l'adolescente avant de se reprendre. Je les ai faits moi-même.

— Comme une grande, hein ? répliqua-t-il. Tu espère quoi, m'amadouer ?

— Oh non, bien sûr que non, je... C'est juste que j'en offre à tous les Chevaliers d'Or alors...

— Alors tu as pensé à moi. C'est très gentil... Tu es vraiment une fille adorable. Dis-moi, tu n'aurais pas pensé à m'apporter des gâteaux à la cannelle, par hasard ?

La jeune fille ne comprit pas tout de suite. Soudain, DeathMask tendit la main et lui toucha les cheveux, effleura sa joue. Depuis que le Saint des Poissons s'était occupé d'elle, sa tignasse avait été soigneusement coiffée, ce qui n'empêchait pas les boucles mordorées d'onduler sur ses épaules.

— Aphrodite a raison, tu es bien plus mignonne comme ça... murmura-t-il.

Cinnamon sursauta et lâcha le plateau... qui fut rattrapé d'une main par le Cancer. Celui-ci, sans se départir de son sourire cruel, ajouta :

— Détends-toi, petite idiote, je ne vais pas te faire de mal.

Tout en affirmant cela, il tendit le bras et emprisonna l'adolescente entre lui et le mur. La pauvre enfant, pâle comme une morte, tremblait et avait du mal à respirer si intense était sa panique. Le Chevalier le sentait parfaitement et il se délecta de sa terreur avant de lui tendre le plateau.

— Tiens, et file avant que j'ai un petit creux.

Elle ne se fit pas prier et s'empressa de quitter les lieux. Elle marchait vite et sentait la présence de DeathMask à coté d'elle, tel une ombre inquiétante la suivant de près. Brusquement il la frappa à l'arrière de la tête et elle manqua perdre l'équilibre. Il y avait été très doucement pour un Saint d'Or mais la jeune fille l'avait senti passer. Comprenant le message, elle accéléra et se retrouva bientôt à la sortie du Temple, rouge de confusion et d'humiliation.

Dans la pénombre, DeathMask l'observa qui s'en allait vers la Maison du Taureau. Il savait qu'elle ne dirait rien de ce qui venait de se passer. Un sourire amusé étira ses lèvres. Lui apporter des gâteaux après ce qui lui avait fait ! Cette fille était folle ou bien courageuse. En tout cas, une telle audace lui plaisait.

Lorsqu'elle revint, refaisant le chemin en sens inverse, elle se contenta de traverser le Temple très vite là-aussi. Comme elle gardait la tête baissée, elle sentait plus qu'elle ne voyait la présence de DeathMask qui la suivait comme précédemment. Et, comme précédemment, il ne put s'empêcher de lui donner un coup à l'arrière de la tête.

— Aie ! fit-elle, terrifiée et indignée.

— Tu pleurniches, maintenant ? C'est nouveau.

Il fallut un très long moment à Cinnamon pour réaliser que, dans la bouche du Cancer, cela sonnait presque comme un compliment.

Pour ce qui était des idées saugrenues, Cinnamon était vernie. Un soir où elle n'arrivait pas à dormir, elle décida d'aller rendre visite à Athéna.

D'après ce qu'elle en savait, la petite déesse avait seulement treize ans, cela faisait donc d'elle l'ainée. Mais peut-on être l'ainée d'une divinité ? Peut-être que cette Athéna n'était qu'une horrible gamine gâtée pourrie, habituée à satisfaire ses moindre caprices. Si messire Shura lui servait de baby-sitter, c'était sûrement le cas.

Enfin... Cinnamon avait tout de même très envie de la voir, cette fameuse déesse. Elle se rendit donc dans la salle du Pope et passa derrière la lourde tenture de velours cramoisi qui entourait le trône. Elle suivit ainsi un étroit chemin de pierre illuminé de chandelles, puis monta un escalier en plein air jusqu'à un autre Temple.

Elle posa la main sur la poignée de la porte lorsque...

— Sale petite fouineuse ! On peut savoir ce que tu fais ici ?

Cinnamon sursauta et se retourna. Le Pope lui faisait face de toute sa hauteur et de toute sa prestance.

— Heu, je... je... heu...

— As-tu seulement une idée de ce que tu t'apprêtes à faire ? Tu es sur le point de déranger notre déesse, Athéna elle-même. Une telle audace mérite la mort...

Hein, quoi ? Mais...

— Je n'ai rien fait de mal, je n'avais aucune mauvaise intention ! s'écria la jeune fille, ayant retrouvé sa voix. Je ne voulais pas la déranger.

— Peu importe ! D'autres ont été mis à mort pour moins que cela ! Je n'arrive pas à croire que tu puisses faire preuve d'une telle audace. Tu m'avais plutôt fait l'effet d'une petite chose timide. Je vois que je m'étais trompé sur ton compte. Tu n'es rien de plus qu'une intrigante !

Intrigante, elle ? C'était le bouquet ! Désespérément, elle tenta de plaider sa cause.

— Je vous jure, monseigneur, que je n'avais aucune mauvaise intention. Je voulais juste rendre visite à Athéna, elle doit se sentir seule et...

— Athéna ne se sent pas seule. C'est une déesse, les considérations bassement matérielles ne l'affecte pas. Et quant à toi...

Soudain il la prit par le bras et la saisit en même temps par les cheveux, la faisant gémir de douleur.

— J'aurais dû mieux te faire surveiller, poursuivit-il en l'entraînant avec lui.

Il la conduisit le long des corridors du Palais, jusqu'à ce qu'elle reconnaisse son propre couloir et la porte de sa chambre. Brutalement, il ouvrit le battant et jeta l'adolescente qui alla heurter le lit. Nul doute qu'elle aurait un énorme bleu le lendemain matin !

— Tu mérite qu'on te donne une bonne leçon... proféra le Pope d'une voix dangereusement basse.

Effrayée, elle le vit s'avancer... avant de s'arrêter net et de se tenir la tête à deux mains, comme s'il souffrait.

— Pas maintenant, espèce de... murmura-t-il.

Il recula tout à coup, frissonna et d'une main tremblante saisit la porte.

— Ne cherche plus jamais à voir Athéna, dit-il d'un ton bas. Pour ton salut, Cinn, reste loin de cet endroit.

Il quitta la pièce.

— Punaise mais c'était qui, ça ? s'exclama Cinnamon, encore sous le choc.

Palais du Grand Pope

Jeudi 10 juillet 1986 (le lendemain soir)

Il y avait quelqu'un dans la salle du trône.

Cinnamon écarta la lourde tenture de velours cramoisi qui entourait le fauteuil du Pope et jeta un coup d'œil dans la vaste pièce. Le sourire qu'elle adressa au Saint du Verseau, qui avait mis un genoux à terre, ne récolta qu'un regard indifférent. Pourtant, sa présence n'était apparemment pas égale à tout le monde.

— Cinnamon, ce n'est guère poli d'écouter les conversations qui ne vous sont pas destinées. Tu as de la chance que notre entretien soit terminé.

La jeune fille rougit, confuse.

— Pardonnez-moi, monseigneur. Je vous assure que je n'ai rien entendu.

— Peu importe. De toute façon, j'allais te faire chercher. Je préfère que tu ne passe pas la nuit ici. Le Chevalier du Verseau a accepté de t'héberger.

Surprise, Cinnamon reporta son attention sur le Saint d'Or, toujours aussi impassible. Nulle émotion ne se lisait sur son visage.

— Mais... pourquoi ?

— C'est un ordre, et je n'ai pas à t'expliquer mes raisons. A présent, laissez-moi, tous les deux.

Camus se redressa, salua et, sans davantage se soucier de l'adolescente, se dirigea vers la sortie. Cinnamon hésita mais, comme le maître du Sanctuaire lui signifiait d'une main de déguerpir, elle s'inclina en une gracieuse révérence et s'empressa de suivre le Chevalier.

Maison du Verseau

Le trajet jusqu'à la onzième Maison se déroula sans un mot. La jeune fille demeurait silencieuse, intimidée par l'attitude glaciale de son hôte. Il fallait dire qu'avec son maintient empreint de noblesse et le charisme qui se dégageait de lui, le Chevalier du Verseau était assez impressionnant.

Une fois dans le Temple, il la conduisit dans ses appartements privés.

— Tu dormiras dans ma chambre, je changerai les draps tout à l'heure, dit-il enfin.

— Oh c'est bon, je peux dormir sur le canapé. Ça ne me dérange pas.

Il la regarda quelques secondes et lâcha :

— Très bien.

Cinnamon ouvrit la bouche, puis la referma. La question était réglée, au moins ils n'allaient pas se battre pour le lit... Soudain elle réalisa qu'elle n'avait emporté aucune affaire de toilette ni aucun vêtement de nuit.

— Heu... je ... je n'ai pas...

Il devait être expert en décodage de bredouillements, parce qu'il se rendit dans la chambre et en revint peu après avec avec une de ses chemises soigneusement pliée qu'il lui tendit.

— Tu trouveras le nécessaire dans la salle de bain.

— Merci... murmura-t-elle, les joues légèrement rosie. Est-ce que vous savez pourquoi le Grand Pope ne veut pas que je dorme au Palais ce soir ?

Cette fois le Verseau la fixa un peu plus longtemps de son regard bleu glacier.

— Il a certainement de bonnes raisons pour cela et ce n'est pas à nous d'en discuter.

Il refusa de la laisser l'aider en cuisine, alors pour se rendre un peu utile, elle mit la table. Le repas était délicieux. Composé d'une salade et d'une tourte à la viande, il était accompagné de Riesling. Le sourire de Cinnamon se figea lorsque le Chevalier ne lui remplit que le fond de son verre. La prenait-il pour une enfant ?

— Si tu as soif, il y a de l'eau autant que tu veux, rappela-t-il en désignant la carafe posée sur la table.

Surprise en plein délit de gourmandise viticole, la jeune fille baissa la tête.

— C'est parfait, merci messire Camus, dit-elle très vite.

Il la resservit néanmoins au cours du repas. Oh pas grand chose, même pas la moitié du verre, et c'était largement suffisant. N'ayant guère l'habitude de l'alcool, l'adolescente se laissa aller à la douce chaleur qui se diffusa immédiatement dans ses veines.

Ensuite, elle débarrassa et entreprit de laver la vaisselle. Elle avait les mains plongées dans l'eau savonneuse quand...

— Espèce de cachottier ! Ça va, je ne dérange pas trop ?

Cinnamon se retourna. Le Saint d'Or du Scorpion se tenait sur le seuil de la cuisine, les mains sur les hanches et un large sourire aux lèvres.

— Tu t'es dénichée une servante à ce que je vois. Et la plus jolie, en plus...

Puis il s'adressa à la jeune fille en lui faisant un clin d'œil :

— Fais attention, Cinnamon, c'est un bourreau de travail...

— Milo, cesse de dire n'importe quoi et entre. Cinnamon ne fait que passer la nuit ici. Ordre du Pope.

— Pourquoi ce n'est pas à moi qu'il l'a demandé ?

— Peut-être parce qu'il te connait, justement.

—Mais moi je ne me serais pas servi d'elle pour accomplir mes tâches ménagères.

Sur ces mots, Milo s'approcha de Cinnamon et, la saisissant par les poignets, la fit s'éloigner de l'évier.

— J'aurais trouvé un moyen beaucoup plus agréable de nous occuper... ajouta-t-il en enveloppant la jeune fille d'un regard tendre.

Aussitôt celle-ci se dégagea et recula de plusieurs pas, une lueur de peur dans les yeux.

— C'est moi qui ait insisté pour me rendre utile, expliqua-t-elle. Messire Camus a déjà fait le repas. Maintenant, si vous permettez...

Le Scorpion la laissa retourner à sa vaisselle et son regard croisa celui du Verseau. Ce dernier secoua la tête et incita silencieusement son ami à le suivre au salon.

— Tu nous rejoindras quand tu auras fini, dit-il à l'intention de Cinnamon.

Restée seule, l'adolescente soupira. Pourquoi avait-elle réagi ainsi ? Messire Milo ne lui ferait jamais de mal, elle le savait bien. Il fallait vraiment qu'elle apprenne à contrôler ses émotions. Elle avait beau avoir conscience de n'avoir rien à craindre, la façon dont il l'avait observée l'avait complètement fait paniquer. Pour preuve, ses mains qu'elle avait plongées dans l'eau chaude étaient encore tremblantes.

Elle se força à respirer calmement et reprit son travail.

Lorsqu'elle eut terminé, elle hésita. Elle serait plus tranquille dans la cuisine. Les deux Chevaliers avaient sûrement des choses à se dire et elle ne ferait que les déranger. Après tout, elle n'était qu'une intruse dans ce Temple. Oui mais messire Camus lui avait demandé de les rejoindre. Et surtout... elle avait envie d'être avec eux. Faisant taire ses hésitations, Cinnamon quitta la cuisine et se dirigea vers le salon.

Les deux hommes étaient installés autour de la table basse. Quand la jeune fille apparut sur le seuil, Milo se leva.

— Ah enfin, fit-il. Viens t'asseoir.

Camus ayant pris place dans l'unique fauteuil, elle n'avait pas vraiment le choix et s'avança vers le canapé. A peine s'était-elle assise sur le bord du siège que le Scorpion s'installa confortablement à ses côtés, un bras posé sur le dossier, derrière elle.

— Détends-toi, on ne va pas te manger. Je n'ai jamais vu une fille aussi timide.

Pourquoi fallait-il que sa gêne soit à ce point visible ?

— Je ne veux pas vous déranger...

— Tu ne nous déranges pas du tout. Au contraire, un peu de compagnie féminine nous fait plaisir.

L'adolescente baissa les yeux pour éviter le regard mi-malicieux mi-caressant de son voisin.

— Milo, laisse-la tranquille, intervint Camus. Ne fais pas attention à lui, Cinnamon, il te taquine.

Évidemment qu'il la taquinait. Ses intentions étaient innocentes. D'une certaine façon, elle lui était reconnaissante de s'occuper d'elle, une simple civile. Les Chevaliers d'Or étaient si impressionnants de puissance et de charisme... Ce n'était pas pour rien qu'ils étaient considérés au Sanctuaire comme des demi-dieux. Quoi que si l'un d'entre eux prenait la peine de plaisanter avec elle, c'est que ces monstres sacrés étaient avant tout humains. Le Scorpion la draguait gentiment mais c'était surtout pour détendre l'atmosphère.

Quel besoin avait-elle de se montrer aussi farouche ?

— Je sais, répondit-elle en souriant sincèrement.

— J'allais proposer à Camus une partie de cartes. Tu te joins à nous ?

Ce fut seulement à ce moment que Cinnamon remarqua le jeu sur la petite table.

— Oui, pourquoi pas.

— On pourrait faire un strip-poker, suggéra Milo.

— Milo !

Camus adressa à son ami un regard si réfrigérant qu'il aurait pu l'enfermer dans un cercueil de glace sans même utiliser son cosmos. Pas impressionné le moins du monde, le Scorpion éclata de rire.

— D'accord, d'accord ! Un simple poker suffira, concéda-t-il en levant les mains.

La partie était terminée. Cinnamon avait perdu, comme par hasard. Encore heureux qu'elle n'ait rien misé, sinon les deux Chevaliers l'auraient dépouillée sans scrupules... Cependant, elle s'était bien amusée. Tellement bien, d'ailleurs, qu'à présent elle se sentait parfaitement détendue. Elle avait ri de bon cœur aux provocations de Milo et s'était insurgée face à la chance insolente de Camus, l'accusant même de tricher.

Elle se leva soudain et s'inclina devant le Scorpion.

— Messire... me ferez-vous l'honneur ?

Il échangea un coup d'œil avec le Verseau. Où était passé l'adolescente réservée qui n'osait pas vous regarder dans les yeux ? Il réagi néanmoins très vite.

— Tu oses poser la question ? répliqua-t-il en se levant et en entraînant la jeune fille au centre du salon.

Cinnamon éclata de rire. Dans sa tête, elle entendait un air vif et mélodieux à qui son imagination donnait vie. Dans les bras du Scorpion, elle dansait, dansait... Elle ne songeait plus qu'à s'amuser, à se laisser aller.

Brusquement un vertige la saisit. Ses jambes se dérobèrent sous elle et Milo l'empêcha de tomber en la retenant par les épaules. Mais ce fut Camus qui la prit dans ses bras et la porta dans sa chambre. Là, il l'installa dans le lit dont il avait changer les draps sans qu'elle s'aperçoive de son absence momentanée.

Quelques minutes plus tard, elle dormait profondément.

Maison du Cancer

Mardi 15 juillet 1986 – 03 h 30

Qu'est-ce que c'était que ce bordel ?

Réveillé en sursaut, DeathMask tendit l'oreille. Non, il ne rêvait pas, c'était bien un murmure qu'il entendait et qui semblait provenir de la grande salle. Plus il écoutait et plus son impression se confirmait : il s'agissait de Cinnamon. Qu'est-ce que cette fille fichait dans son Temple à une heure pareille ? D'accord, il lui avait donné la permission de traverser sa Maison mais ça, si ce n'était pas de l'exagération...

— Attends, je m'en vais te la jeter dehors à coup de pied au cul, moi...

Le Chevalier enfila son pantalon puis fonça en direction du bruit. Il se déplaçait silencieusement, de façon à surprendre cette sale gamine pour lui flanquer la peur de sa vie. Il aimait vraiment lire l'effroi sur son visage quand ils étaient seuls tous les deux. Souriant d'anticipation, il s'approcha...

Et s'arrêta net, se dissimula très vite derrière une colonne et observa, bouche bée, la scène qui s'offrait à ses yeux.

En effet, Cinnamon était là, agenouillée au pied de l'un des murs. Pas n'importe lequel, celui qui supportait les visages d'enfants. Une petite lampe à huile luisait près de l'adolescente et celle-ci était en train de...

— Mais le bol de papa Ours était trop chaud, alors Boucles d'Or goûta la bouillie de maman Ours...

De raconter une histoire ?!

DeathMask ne savait plus s'il devait rire ou pleurer. Cette fille était vraiment dérangée, elle racontait une histoire à des gosses macchabées depuis des lustres ! Qu'est-ce qui lui prenait ? Qu'est-ce qui lui était passé par la tête ? Un instant hilare, le Cancer reprit son sérieux pour aller ficher dehors cette intruse qui se croyait tout permis quand il remarqua autre chose.

Qui, durant une seconde, le glaça d'effroi.

Les visages figés ne l'étaient plus. Les figures n'avaient plus l'apparence de la pierre grise mais celle de la chair, tendre et rose, d'enfants vivants et en bonne santé. Des enfants qui ne pleurnichaient plus comme ils en avaient l'habitude, non, ils souriaient et riaient même. C'était des têtes vivantes qui se balançaient là, sur le mur, nom de dieu !

Et c'était elle, c'était cette fille qui faisait ça ? Mais comment, pour posséder un tel pouvoir de... changer à ce point les choses il fallait être... Ou au moins avoir des aptitudes de...

Un être humain normal ne pouvait pas faire ça. Pas plus qu'un Chevalier.

Celui qui l'espionnait serra le poing et décida de jouer son atout. Il sortit de la pénombre et se planta devant la jeune fille, les bras croisé et l'œil noir. Comme il l'avait prévu, Cinnamon sursauta. Aussitôt, il put voir que les visages reprenaient leur teinte grisâtre, tandis que quelques mômes se remettaient à pleurnicher. Bon, il préférait ça. Cependant, ce qui lui plaisait vraiment, c'était la lueur de panique qu'il décelait dans les prunelles bleues-mauves. Elle le craignait et ça c'était parfait. Il fallait que ça dure, quelque chose lui disait qu'il y avait tout intérêt...

— Qu'est-ce que tu fabriques ? demanda-t-il d'une voix peu amène.

— Heu... j'ai entendu pleurer alors je suis venue voir. Ils se sont calmés quand j'ai commencé à parler et...

Elle les avait entendu depuis sa chambre, au Palais ? Décidément...

— Et tu les as consolés de leur vilain cauchemar, c'est ça ? fit-il avec une douceur feinte avant de crier : Maintenant tu vas foutre le camp de mon Temple, compris ? Si tu n'es pas partie dans dix secondes, je te flanque une telle correction que tu auras du mal à marcher demain ! Allez !

Terrifiée, Cinnamon se leva en hâte, oubliant sa lampe, et courut vers la sortie.

— Huit, sept, six, cinq... débitait le Cancer d'un ton volontairement rapide, prenant plaisir à voir l'adolescente accélérer dans la limite de ses pauvres forces.

Lorsqu'elle fut hors de vue, DeathMask décida de garder ce petit incident pour lui. Pour le moment du moins.

Palais du Grand Pope – les Thermes

Dimanche 27 juillet 1986

Loin d'être rassurée, Cinnamon avança dans la salle immense. Un tel luxe pour une seule personne, c'était... tout simplement honteux. Le sol était en partie recouvert de mosaïques et de légers nuages de vapeur dissimulaient à demi les colonnades de marbre... ainsi que le bassin gigantesque.

La jeune fille sentit son cœur commencer à cogner plus fort dans sa poitrine. Une petite voix la suppliait de faire demi-tour immédiatement. Seulement, on ne désobéit pas à un ordre du maître du Sanctuaire, et c'était lui-même qui l'avait fait appeler par les gardes. Ceux-ci étaient restés à l'extérieur, tout le monde savaient que les thermes du Palais étaient rigoureusement interdits à quiconque n'avait pas obtenu l'autorisation personnelle du Pope. Des rumeurs racontaient même que des serviteurs avaient payé de leurs vie le fait d'outrepasser cette permission.

Cinnamon ne savait pas pourquoi il lui avait ordonné de venir, cependant elle n'aimait pas ça, mais alors pas du tout.

— Te voilà enfin. Approche.

Toujours envahie d'un mauvais pressentiment, elle obtempéra et s'arrêta au bord du bassin. Il était là, ses longues mèches couleur argent flottant autour de lui... et il était entièrement nu.

L'adolescente poussa un cri étouffé et fit volte-face, les joues en feu et le cœur battant de plus belle.

Le Pope émit un bref rire cruel.

— Tu as peur ? demanda-t-il d'une voix dangereusement douce. C'est adorable...

Elle était morte de trouille, oui! Elle secoua néanmoins la tête, les paupières étroitement closes. Si elle se sauvait en courant, aurait-elle le temps d'atteindre la sortie? Rien n'était moins sûr. Elle savait déjà à quel point ces hommes étaient rapides...

— Dans ce cas, tu ne verras aucun inconvénient à m'apporter ma serviette.

Cinnamon ouvrit les yeux et remarqua une pile de draps de bain posée non loin du bord. Comme elle hésitait, le ton se fit plus dur:

— Dois-je te préciser qu'il s'agit d'un ordre?

Terrifiée, la jeune fille s'empara d'une serviette et entreprit de faire le tour du bassin pour rejoindre l'homme. La peur formait un nœud dans son ventre et pourtant, elle avait l'impression d'être plus légère, un peu comme si elle flottait. Autour d'elle, tout se teintait d'étrangeté, à tel point qu'elle se fit la réflexion qu'il s'agissait peut-être d'un rêve. Elle se rappela confusément avoir éprouvé le même sentiment de terreur et d'irréalité quand elle avait dû traverser la quatrième Maison.

Le Pope se leva brusquement, la ramenant du même coup dans le présent.

Elle sursauta, détourna aussitôt le regard... et glissa sur le sol humide. Elle se retrouva dans l'eau, à l'endroit du bassin où elle était la plus profonde.

Aussi affolée que si elle était tombée dans une mer infestée de requins affamés, elle refit surface et se rapprocha du bord auquel elle s'accrocha. Complètement trempée, elle recracha l'eau qu'elle avait avalée et se frotta les yeux.

Des mains se posèrent sur sa taille.

Longtemps Cinnamon resta persuadée que son cœur s'était arrêté de battre à ce moment-là. De fait, elle eut vraiment l'impression de mourir à cet instant. Si elle n'était pas encore passée de vie à trépas, cela n'allait pas tarder.

"Pourvu qu'il se dépêche, que ça aille vite..."

Il la retourna et la souleva pour l'asseoir sur la berge de marbre.

Comme il ne se passait plus rien, elle leva prudemment les paupières... et ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'ils plongèrent dans deux prunelles émeraudes.

Où était le Grand Pope? Et qui était cet homme aux longs cheveux bleus qui lui faisait face?

Contrastant avec les habituels orbes couleur de sang, son regard magnifique la dévisageait avec bonté et, semblait-il, une pointe de tristesse. Il eut un sourire très doux et posa un doigt sur les lèvres entrouvertes de l'adolescente.

— Pas un mot, dit-il.

Il se détourna et Cinnamon remarqua qu'il gardait la serviette en main. Arrivé à un endroit moins profond, il en ceignit ses hanches.

— Tu ferais mieux de t'en aller, maintenant, ajouta-t-il. Je sais que tu ne parleras à personne de ce que tu as vu.

Cinnamon ne bougea pas, alors il employa un ton plus ferme:

— Va-t-en, vite ! Ou je te ferais mal.

Cette dernière phrase lui rappela à quoi elle avait échappé de justesse. Soudain réveillée, la jeune fille se leva et fit quelques pas à reculons, avant de se retourner.

— N'oublie pas, pas un mot.

Elle s'arrêta, le temps de hocher la tête, puis reprit le chemin de la sortie. Heureusement qu'il faisait beau dehors, elle n'avait pas à craindre une pneumonie. C'était les gardes qui allaient faire une drôle de tête... De toute façon, ils pouvaient bien penser ce qu'ils voulaient, elle était décidée à garder le secret sur ce qu'elle avait...

— Je ne crois pas t'avoir autorisée à partir.

Elle stoppa net. Cette voix... De nouveau elle sentit les affres de la peur s'emparer d'elle. Elle refit face au bassin, pâle de terreur.

L'homme qui se tenait devant elle – et bien trop près d'elle d'ailleurs – avait retrouvé son regard rubis et ses cheveux d'argent. Le fait qu'il portât toujours la serviette n'était qu'une piètre consolation. Cinnamon recula mais il avança alors vers elle, de la démarche féline du chat qui se réjouit d'avoir trouvé une souris et qui est certain qu'elle ne lui échappera pas.

— Dommage qu'il soit intervenu, tu aurais passé un bon moment... Au lieu de cela, tu as découvert notre secret. Tu comprends que je ne peux pas te laisser en vie après ça ?

L'adolescente secoua la tête.

— Je ne dirai rien, je vous le promets...

— Bien sûr que tu ne diras rien...

D'un bond, il fut à ses côtés et agrippa ses cheveux d'une poigne de fer. La jeune fille gémit de douleur et frémit lorsqu'il parcourut son corps d'un regard concupiscent. Depuis sa chute, sa robe trempée moulait ses formes et le tissu rendu presque transparent ne laissait pas grand-chose à l'imagination.

— Dommage, vraiment... répéta-t-il. Si je ne risquais pas d'être dérange par ce trouble-fête, je t'assure que je me serais occupé de toi comme il faut...

— Votre autre vous m'a ordonné de m'en aller, tenta-t-elle d'une voix tremblante. Je ne veux pas lui désobéir.

La réaction ne se fit pas attendre. Il la souleva à bout de bras, la faisant hurler.

— Tu peux te permettre de passer outre mes ordres, n'est-ce pas? Désolé, ça ne se passe pas comme ça... C'est moi qui t'ai autorisée à demeurer sur le Domaine Sacré, aussi ne suis-je pas seulement le maître du Sanctuaire, mais également le tien. A présent, tu vas mourir sans avoir pu constater à quel point je peux être... généreux avec ceux qui me servent docilement.

La tenant toujours par les cheveux, il l'entraîna sans ménagement jusqu'au bassin, lui arrachant des cris de souffrance, et la plongea dans l'eau. Sans la lâcher, il la maintint sous la surface de longues secondes avant de la redresser. En proie à la panique, Cinnamon cracha et manqua de suffoquer.

— Tu peux le remercier d'être apparu, ironisa-t-il. Grâce à lui, ce n'est pas la petite mort que tu vas connaître mais la vraie, la définitive...

Il éclata d'un rire cruel et l'enfonça encore sous l'eau.

Cela dura plus longtemps, cette fois. Peu à peu, la jeune fille cessa de se débattre. Elle eut un spasme quand elle sentit le liquide s'infiltrer dans sa gorge et des étoiles explosèrent dans sa tête.

Puis tout devint noir.

Plus tard

Douleur.

Ce fut la première sensation qui perça le néant qui l'environnait et un gémissement lui échappa. A croire qu'on lui avait arraché la peau du crâne. Aussitôt une main se posa sur son front. Elle était de plus en plus chaude mais ce n'était pas désagréable, au contraire. Une sensation de douce chaleur gagna bientôt la jeune fille tandis que la souffrance diminuait progressivement. Entrouvrant les paupières, elle distingua la lueur dorée qui l'enveloppait comme un cocon. Cette lumière émanait de l'homme debout à ses côtés.

Cinnamon se rendit alors compte qu'elle était allongée dans un lit. Elle referma les yeux et attendit. Quand ce fut terminé, elle n'avait plus du tout mal. Timidement, elle reporta son attention sur le Pope, habillé, casqué et masqué comme à l'ordinaire. Un détail cependant la frappa. Une mèche azur retombait sur son épaule.

Même sans cela, elle aurait deviné. Lorsqu'il l'avait touchée, elle avait nettement senti sa bienveillance et sa douceur. Ainsi qu'une immense tristesse mêlée de contrition. Il s'en voulait terriblement. Mais pourquoi? Il n'avait rien fait de mal, au contraire, sans lui... A la pensée de ce qui avait failli arriver, une onde de terreur rétrospective la traversa.

Elle se redressa et remarqua enfin qu'elle se trouvait dans sa propre chambre, séchée et habillée de sa chemise de nuit.

— Merci, bredouilla-t-elle en serrant le linge contre elle.

Il se contenta d'un signe de tête.

Quel était le secret de cet homme? Était-il comme docteur Jeckyll et mister Hyde? Dans ce cas, comme il devait souffrir! Tout ce que son mauvais côté faisait, il devait en porter le poids. Assumer les conséquences d'actes horribles et qu'il n'avait jamais voulus... En un sens, il était prisonnier, comme elle.

Et il était si triste... Des larmes de compassion miroitèrent dans les prunelles bleues-mauves.

— Je suppose qu'il n'est pas nécessaire de te rappeler de garder le silence sur ce que tu as appris aujourd'hui, déclara-t-il soudain.

— Je ne dirai pas un mot, promit-elle.

— Bien. Dans le cas contraire, je te tuerai.

Ces paroles, prononcées d'un ton bas et calme, donnèrent à la jeune fille l'impression d'avoir reçu un coup de fouet. Elle se raidit sous la menace, avant de se rendre compte que son bourreau risquait davantage d'être l'autre Pope.C'était lui qui avait failli la noyer, il y avait donc tout à parier que ce serait lui qui donnerait le coupe de grâce. Néanmoins, cet homme qui se tenait devant elle paraissait horriblement sérieux.

Cinnamon eut un autre coup au cœur lorsqu'elle comprit à quel point il était déterminé. Malgré sa bonté envers elle, il n'hésiterait pas à faire le nécessaire. Ce n'était pas le genre d'individu à tergiverser quand les décisions devaient être prises. Lui-aussi savait se montrer sans pitié s'il le fallait.

— Je promets, fit-elle, le cœur battant.

Comme il s'apprêtait à sortir, elle s'écria :

— Puis-je au moins savoir qui vous êtes ?

Elle crut tout d'abord qu'il ne répondrait pas. Arrivé à la porte, pourtant, il s'arrêta.

— Mon nom est Saga, dit-il simplement.

Une seconde plus tard, il avait disparu.

Assise sur son lit, Cinnamon fixa la porte encore longtemps, le regard étrangement rêveur.

— Saga... murmura-t-elle.

A partir de cet instant, elle était perdue.

 

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