Errance

Chapitre 1 : Errance

Chapitre final

Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/01/2010 02:51

Errance 






    Une cité rouge s'élevant en quelques frêles piliers, contenant plusieurs centaines d'habitants vivant dans l'ignorance de ceux qui savent, et une luxueuse auberge en son centre malfamé où règnent bandits et assassins. Le savoir est l'arme qui permet de vaincre, sans la connaissance ils sont inoffensifs et ne peuvent faire que de mal à ceux qu'ils ignorent. Elle est là, assise à une chaise haute de la taverne, commandant pour la septième fois une cruche d'hydromel pour noyer ce qui la ronge depuis tant d'années. Rien ne pourra la sauver et pourtant elle est là, pourquoi voudrait-elle y résister car le savoir la tuerait...


    L'aubergiste se pencha en fixant la jeune femme dans les yeux, il ne la connaissait pas et ne l'avait jamais vue auparavant. Il lui glissa un petit bout de papier dans la poche de sa veste avant de détourner son regard vers d'autres clients, affamés d'ivresse en voulant réveiller l'animal dormant. Elle releva faiblement les pans de son capuchon afin d'y glisser le conteneur: l'alcool coula lentement le long de sa gorge dans une étrange sensation de chaleur, de bien-être.
Et peu à peu, au fil du liquide enivrant, elle s'effondra sur le sol froid de l'auberge en agitant son corps au rythme des spasmes avant de se plonger dans une profonde léthargie.


    À son retour de conscience, elle était allongée sur un matelas peu confortable et de mauvais usage. Tout en continuant de simuler son sommeil, elle scruta la partie de la salle visible. Bien qu'éclairée seulement par trois chandelles au faible rougeoiement, la pièce paraissait immense et la jeune femme pouvait y discerner une rangée de statues de marbre représentant des gargouilles et, sans aucune assurance cette fois-ci, plusieurs autres démons pétrifiés se terrant dans l'ombre. C'est alors qu'elle entendit une voix douce et calme, presque rassurante: 
"Il y a des démons bien pires ici..."
Elle ne bougea pas, ses membres paralysés par la peur paraissaient sans vie mêlés à la blancheur naturelle de sa peau. Elle se contenta de réfléchir en murmures que seule elle pouvait comprendre dans ce silence pesant, mais la voix reprit de plus belle du même ton qu'avant:
"Je sais que tu es éveillée..."
Ses yeux s'écarquillèrent d'effroi: alors la voix savait ce dont elle même n'était pas certaine. Ce n'était pas un cauchemar ordinaire pour sur de ce qu'elle en avait ressentie jusqu'à maintenant.
"J'arrive t'offrir un présent..."
Des bruits de pas résonnèrent et faisaient vibrer les statues jusqu'alors immobiles, l'intensité du bruit allant croissante à mesure que l'individu s'approcha d'elle. Mais elle resta fixe et se laissa emporter par le mouvement sinistre engendré par sa fin. Ses paupières se firent lourdes et de nouveau, elle perdit connaissance... 


    Une vive lumière l'éblouissait. Elle ouvrit les yeux avec peine quand ces derniers furent habitués à la forte luminosité. Une bourrasque de vent vint, lui faisant réaliser qu'elle n'avait plus aucun vêtement, sa chair frissonna aux caresses de l'air.  Elle se releva et constata qu'une dizaine de passants la dévisageaient comme une véritable bête de foire. Masquant ses parties les plus personnelles elle se mit à courir à vive allure et vola une longue robe à un vendeur peu attentif. Une fois vêtue elle s'en alla dans la forêt non loin de la cité et jura de ne plus y mettre un pied avant de comprendre se qui s'y était produit la nuit dernière. Elle trouva une grotte inhabitée bien qu'à l'abri d'intempéries éventuelles où elle s'installa. Assise sur un monticule rocheux, les deux mains jointes collées contre son visage pâle, elle réfléchissait à la veille mais rien ne lui venait en tête, elle serra ses mains. Ses ongles griffèrent ses deux joues de haut en bas, mais la douleur ne changea rien à son amnésie. Elle s'imagina les pires scénarios dans lesquels elle subissait milles sévices...Il fallait qu'elle y retourne, c'était le seul moyen pour se remettre en mémoire les événements qui l'ont conduite là où elle se trouve en ce moment même. Elle essuya d'un geste maladroit la terre sur sa robe couleur de granite et fit demi-tour en attendant que la nuit tombe pour entrer dans la capitale. Elle marcha le long des ruelles sombres jusqu'à l'entrée de l'auberge, on pouvait entendre depuis l'extérieur les rires d'ivrognes et le crépitement des braseros animant l'auberge. Après une longue inspiration, elle poussa lentement la porte et entra sans un bruit...


    La tavernier était là, derrière son comptoir, entouré par les habituels accrocs à la boisson lui donnant chaque soir son quota d'or. Il lui lança un bref regard avant d'annoncer sa pause. Un jeune homme prit sa place, des cernes visibles sous les yeux, ce devait être son fils. La nouvelle venue s'avança vers lui en esquissant un léger sourire quand leurs regards se croisèrent. Il finit de servir les quémandeurs de chopines avant de fixer la femme avec insistance.
-Je sais ce que vous m'avez fait, murmura t-elle d'un souffle froid.
Ils restèrent là, tout deux à se regarder comme deux chiens sauvages prêts à se bondir au cou, quand soudain l'homme passa de l'autre coté du comptoir, prit une chaise et s'assit à coté d'elle en se versant une pinte d'alcool.
-Votre phrase est étrange, mademoiselle, finit-il par dire.
-Je suis parfaitement sûre que vous savez de quoi je veux parler.
-Et moi, je suis certain que vous non, rétorqua t-il.
Elle examina le visage elfique de son interlocuteur: aucun doute ne transparaissait à travers son sourire narquois.
-Que m'avez-vous fait? demanda t-elle avec violence.
-La question est mal posée, je crois...
Il repartit derrière le comptoir et continua à servir les quelques invétérés de la taverne. Elle eut une idée qui allait peut-être lui apporter la réponse. La jeune elfe déposa trois pièces d'argent en annonçant d'une voix claire et haute de l'hydromel. Bien que surpris, l'homme lui servi la boisson. Dès qu'elle fut hors d'atteinte de son regard elle vida le contenu de la choppe grâce à la magie. Elle répéta la manœuvre plusieurs fois de suite avant de tomber à la renverse comme elle l'aurait fait si elle avait vraiment bu autant d'alcool. Elle sentit deux bras passer au niveau de son abdomen et la trainer durant une minute qui paraissaient être une éternité. Puis l'individu lâcha son étreinte et la déposa sur un matelas. Il sortit et referma la porte derrière lui...


    Elle ouvrit les yeux et fut à l'instant tétanisée par la scène se tenant devant elle: des rangées de gargouilles de pierre éclairées par le faible scintillement du trio de chandelles. La lueur s'apaisa peu à peu jusqu'à devenir presque inexistante et dans l'obscurité elle pouvait l'entendre qui revenait vers elle. C'est lui qui souhaite poursuivre sa manœuvre de l'autre fois, mais cette fois-ci elle ne comptait pas se laisser faire. Ses pas semblaient se rapprocher de leur habituelle nonchalance. Une forte aisance dans sa marche était perceptible malgré l'obscurité qui empêchaient de bien voir les contours, tout était si flou. Il n'y eut, pendant un instant, plus aucun bruit. Il venait d'atteindre sa destination, la chose se terrant dans l'ombre était à quelques centimètres de la jeune elfe. Elle pouvait sentir le souffle lent de l'être sur son visage. Un craquement se fit entendre à travers toute la pièce, suivi d'un grondement sourd qui fît de nouveau vibrer les statues: Un son s'en échappa: une mélopée lugubre s'éleva en engloutissant entièrement tous les espoirs de la femme. Dans un excès de folie, elle poussa un hurlement bravant l'hymne grinçant du marbre: 
-Où suis-je?!! Dites-moi ce que vous me voulez !!
L'air s'emplit de fraicheur. Les quelques mots ont suffit à faire réagir ce vacarme assourdissant, qui redoubla d'ampleur. L'elfe tenta de ne plus rien entendre, mais impossible de porter son attention ailleurs. Brutalement, tout bruit s'estompa. La pièce s'éclaira entièrement aux lueurs infernales des chandelles. Toutes les statues avaient disparues, la salle était vide. L'elfe pencha sa tête sur le coté afin de voir qui était cette mystérieuse entité. Elle était allongée sur le sol, un poignard lui transperçant la chair au niveau de l'omoplate. Sa peau d'une blancheur éclatante était un signe évident qu'elle était morte. La jeune femme se leva et marcha prudemment jusqu'à cadavre. Elle retourna le corps: c'était elle. Son parfait sosie gisait sur le marbre, serein. Ses yeux se voilèrent, la fluidité de la scène baissa et le sol se déroba sous ses pieds...


    Le vent souffla...longuement. Les sensations perdues de sa nature morte erraient tout comme son esprit, dans les limbes. Condamné à revivre encore et toujours la scène finale. Jamais plus elle ne connaitra autre chose que la peur et la noirceur, car c'est ce qu'elle est. La vie a son cycle dont la mort fait partie, mais cette dernière a le sien qui est en dehors de toute réalité. Prolongeant son mal jusqu'à ce que sa vie qui fut arrachée se soit écoulée et que le temps finisse accepter l'usure de son essence, jusqu'à être complètement dévorée par les ténèbres...

 

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