Nuits de pleines lunes

Chapitre 5 : Dans la gueule du loup

2458 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/08/2018 05:14

Sébastian et Veronika marchèrent ensemble dans la forêt afin de se rendre dans la demeure du chaman qui était comme toutes les maisons du village, éparpillé dans la forêt. Les maisons voisines sont à peine visibles. La jeune fille espérait qu’ils ne se perdraient guère dans la forêt. En ce qui la concernait, elle se sentait déjà perdue. Elle n’avait aucune idée d’où ils s’en allaient. Elle avait seulement la confiance de son ami pour la guider. Après quelques minutes, Sébastian avertit l’orpheline qu’ils étaient presque arrivés à destination. Cela avait rassuré la jeune fille de voir qu’elle pouvait lui faire confiance. Elle était impatiente de rencontrer le chaman. En chemin, ils s'amusaient entre eux. Sébastian s’amusait à lui raconter les anecdotes de sa vie. L’orpheline comprit bien vite qu’il s’agissait d’un grand farceur. Ils arrivèrent finalement sur le bord d’une colline d’où ils pouvaient apercevoir la maison du chaman. Veronika voulut la voir le plus près possible, mais c’est tout juste si elle n’allait pas tomber dans le précipice. Heureusement, Sébastian fut là à temps pour la rattraper et la ramener loin du bord. Une quantité de neige se mit à tomber du précipice. L’Anglaise, quoiqu’un peu mal à l’aise, remercie son nouvel ami de lui avoir épargné une telle chute. Sébastian lui exprima le fond de sa pensée.

— Je ne t’ai pas emmené ici pour que tu puisses te casser la gueule, mais bien pour qu’on t’assigne un totem.

Veronika lui fit un signe de tête en approbation, puis elle se retourna vers la maison de bois brune qui se dressait à une dizaine de mètres devant eux. Une fumée grise s’échappait de la cheminée de celle-ci qui donnait l‘impression que quelqu’un était bien présent dans cette maison.

— C’est la maison du chaman? Se demanda Veronika un peu étonnée du résultat auquel elle s’attendait à propos du chaman.

— À quoi t'attendais-tu? Une tente avec un feu de joie et un tas de gens qui dansent comme des crétins autour?

Cette remarque ne put pas empêcher la jeune fille de rire. Ils se mirent ensuite à contourner la colline tout en continuant de rire afin de mieux s’approcher de la maison du chaman.


Quand ils furent rendus devant la porte d’entrée, ils arrêtèrent de rire et Sébastian se mit à cogner fortement sur la porte de la maison. Veronika eut alors un drôle de pressentiment. Une voix rauque se fit entendre.

— Qui est là?

— C’est moi Sébastian! Je viens pour trouver...

— Ah non! Pas toi encore! Je t’ai dit que je ne voulais plus te revoir pour tes âneries! Va voir ailleurs si j’y suis, s’exclama le chaman en coupant la parole de Sébastian tout en ouvrant la porte devant les deux adolescents. Lorsque le vieillard remarqua la présence de la jeune fille blanche aux côtés du garçon, sa colère s’estompa rapidement. Veronika se fit silencieuse, immobilisée par la peur. Elle se contenta d’observer le chaman de ses yeux gris.

— Oh! Pardon ma chère? Comment puis-je vous être utile?

Sébastian fut un peu outré de la réaction que le chaman avait eue alors qu’ils les accueillaient.

— Quoi? C’est comme ça que vous traitez vos invités?

— Ah! Taisez-vous à la fin! Je n’avais pas eu connaissance que vous aviez une charmante accompagnatrice qui était avec vous, dit le chaman avec un ton un peu flatteur. Il suggéra aux deux adolescents d’entrer sans plus tarder même s’il n’était pas enchanté par la présence de Sébastian.

— Que puis-je faire pour vous ma chère?

Veronika prit la parole même si cela la gênait un peu.

— Je viens tout juste d’arriver au village et j’ai entendu dire que les gens avaient tous un totem que vous leur assigniez. Je me demandais si vous pourriez m’aider à trouver le mien.

Le chaman fut ravi de savoir que la jeune fille lui demandait son aide pour cela. Il lui apporta immédiatement une chaise de bois.

— Certainement! Certainement! Je vous en prie, asseyez-vous, proposa le vieil homme. Sébastian fut un peu plus que déçu de savoir que le chaman avait à peine pris le temps de se préoccuper du confort de celui-ci. Il se contenta de ne rien dire et de s’accoter sur une poutre de bois installé un peu plus loin de son amie et du chaman. Il les regarda l’air perplexe en croisant les bras. Il bouillonnait de rage envers l’hôte. Veronika alla s’asseoir sur la chaise sans dire un mot. Le chaman se dépêcha à allumer une tige d’encens tout près de là où ils étaient. Le vieil homme faisait également des gestes symboliques, voire spirituels, dans le but de faire la cérémonie. De ses mains, il traça le visage de la jeune fille et lui fit respirer un peu d’encens à l’aide d’une sorte d’éventail en plumes. Sur le coup, Veronika ne put pas se retenir pour tousser à cause de l’odeur de la fumée. Le chaman lui posa ensuite une question.

— Parfait, ma chère. J’aurais besoin de connaître ton mois de naissance.

— En mars.

Le chaman se retrouva alors dans une sorte de transe. Il voyait désormais tout. Il savait désormais tout.

Quand il ouvrit ses yeux, il s’approcha du visage de la fille afin de mieux le contempler. Veronika resta méfiante et raide. Il tentait de lire en elle. Par la suite, il lui sourit amicalement.

— Froide comme glace, mais je sais que ce n’est pas dans tes habitudes. Je dirais que dans les moments plus heureux, tu es plutôt calme et paisible comme l’eau coulant dans les ruisseaux. Vous avez le cœur lourd, mais je vous assure que l'eau coule au travers des obstacles et mène toujours à la paix et la sérénité.

Veronika continua de le dévisager avec prudence. Même avec tous les efforts qu’ils semblaient faire pour ne pas l’offenser, elle sentit que l’homme aux vieux traits ne disait pas tout ce qu’il savait. Était-ce voulu ou machination? Elle ne pouvait se fier qu’à son intuition. Elle voyait bien que c’était un monsieur rempli de bonnes volontés, mais elle ne parvenait pas à saisir les faces cachées de la culture.

— L’hiver représente le nord, la nuit interminable : la lune noire d’où renaîtra la vie.

Il se retourna pour amorcer la cérémonie en s’éloignant d’elle.

— Il s’agit du nord donc une liaison directe au mental. Ton totem directionnel est le blanc et ton élément est l’eau. Ton totem est le loup. Cet animal symbolise la famille, l’endurance, l’intuition ainsi que l’apprentissage[1]. Conclut le chaman. Un long silence s’en suit, puis le chaman se mit à chanter dans une langue étrangère. Veronika comprenait à peine ce que le chaman lui avait raconté plus tôt, mais elle savait maintenant son totem, le loup. Sébastian sortit alors de l’ombre pour s’exclamer joyeusement à la suite de la nouvelle.

— Génial! Je vais t’appeler louve blanche alors!

Le vieil homme s’interposa tout de suite entre les deux adolescents en menaçant Sébastian.

— Calme-toi! J’ai un petit conseil pour toi, le Corbeau. Gare à toi, les loups ont tendance à absorber les émotions des autres. Si elle a le malheur de tomber sur toi un jour, tu auras affaire à moi!

— Je ne fais pas de mal aux jolies jeunes filles, mais je ne peux pas m’empêcher de provoquer les vieux chamans grincheux. Lança Sébastian en guise d’insulte ce qui rendit le chaman rouge de rage.

— Espèce de voyou! Tu vas me le payer! Jura le vieillard en brandissant une crécelle qui était accrochée à une poutre en présentoir. Il commença à le poursuivre avec l’objet, mais Sébastian était trop ingénieux pour se laisser prendre. Il se faufilait partout là où il le pouvait. Alors que le chaman en colère lui courait après, Sébastian s’amusait comme un petit fou. Veronika ne savait plus où elle en était. Elle regarda la scène confuse sans bouger. L’adolescent continua à la provoquer.

— Ha! Tu ne m’attraperas pas, vieillard!

— Quel monstre! Va en enfer!

— J’aimerais bien sauf que je n’ai pas acheté le billet « Express Enfer» pour m’y rendre, désolé, répliqua Sébastian d’un ton ironique avec un sourire moqueur. Maintenant que le chaman avait atteint un niveau de colère si intense que le rouge de son visage le rendait tomate, il lança sa crécelle à bout portant vers le jeune Sébastian qui s’était placé devant la porte d’entrée. Au même moment, cette dernière s’ouvrit pour laisser entrer un adulte amérindien mûr qui portait une longue chemise blanche comme celles des médecins. Il reçut la crécelle de plein fouet sur le front ce qui le fit tomber par terre. Tous furent désolés pour le pauvre homme et en restèrent bouche bée. L’homme souffrait terriblement sur le sol.

— Abi! Vous ne pourriez pas faire un peu plus attention! Je suis en consultation moi, se plaignit le médecin.

— Ce n’est pas de ma faute, c’est la sienne, expliqua innocemment le chaman en pointant Sébastian.

— C’est lui qui est fou, répliqua Sébastian qui tentait de se cacher derrière le médecin. Toutefois, Abi réussit à l’attraper par le collet de son chandail. Il s’apprêtait à lui mettre une bonne fessée. Cependant, quelqu’un d’autre entra et s’interposa avant qu’un geste irréparable soit commis.

— Calme-toi grand-père, rassura Damian en tentant de faire relâcher Sébastian aux mains du chaman. Ce fut difficile pour le vieil homme de rester tranquille. Il avait encore trop de rancunes envers l’adolescent farceur. Damian le convainquit de se calmer après quelques instants. Veronika, intimidée par la présence de Damian, ne se sentit pas à sa place et tenta de fuir cette scène qui allait devenir une tragédie.

— Bon, je crois qu’on va y aller. Merci pour votre hospitalité, mais je dois partir tout de suite. Alors qu’elle s’apprêtait à partir, sa tante Pénélope entra dans la maison étonnée par tout ce bruit.

— Veronika?

— Penny? S’étonna la jeune fille mal à l’aise. Sa tante confuse employa un ton colérique.

— Mais qu’est-ce que tu fais ici? Je te croyais sur le chemin du retour pour la maison.

— Eum... Et toi qu’est-ce que tu fais ici, demanda-t-elle en détournant la question pour lui faire échapper la vérité. 

— Je te l’ai dit ce matin! J’allais voir le docteur Cris pour passer des examens, répondit sèchement sa tante en colère. L’homme à la longue chemise blanche se releva et l’adolescente put découvrir son visage presque identique à celui de Damian. Honteuse, la jeune fille baissa la tête. Elle avait fait alors le lien de famille entre Damian, le chaman et le docteur. Devenue docile, elle présenta des excuses à sa tante.

— Je vais rentrer à la maison, annonça-t-elle à sa tante.

— Laisse, je vais te ramener. J’en ai fini avec le médecin, insista Pénélope avec indulgence. L’orpheline la suivit jusqu’au quad qui était garé tout près de l’entrée. Le docteur fit de même, les saluèrent et leur prirent de garder prudence. Son front enflait déjà. Sa tante se contenta de lui faire un signe de tête et partit aussitôt. Sébastian sortit de la maison du chaman en courant en voyant le véhicule partir avec son amie.

— Hey! Vous m’avez oublié! Qu’est-ce que je deviens maintenant, se plaignit l’adolescent. Le chaman était resté derrière et ne put pas s’empêcher de rire. Lorsque Sébastian s’en rendit compte, il posa un regard noir sur celui-ci.

— Toi, le vieux tas de chiffons, ferme-la, lança-t-il au chaman. Toutefois, ce dernier ne se choqua pas. Il se contenta de rentrer chez lui en compagnie du docteur. Sébastian rentra alors chez lui à pied tout déçu.

Le quad parcourut la forêt jusqu’à ce qu’il arrive chez Pénélope. Le voyage s’était résumé au grondement continu du moteur du véhicule. Les filles ne s’étaient alors échangé aucun mot depuis.

— J’aimerais que tu m’expliques comment tu as réussi à te rendre jusqu’à la maison des Cris toute seule.

— Je n’étais pas seule. J’étais avec un ami, rectifia la jeune fille. Pénélope la regarda fixement en attendant une meilleure réponse. Veronika lui fit un résumé de toute l’histoire.

— Sébastian? Oh oui! Le fils de Mme Fleming, réalisa Pénélope qui semblait bien connaître la mère de ce garçon.

— Tu la connais?

— Oui, elle coiffe souvent les gens du village. Elle m’avait déjà parlé de lui, mais je n’avais pas fait le lien sur le coup, répondit sa tante avec un léger sourire qui s’estompa bien rapidement.

— Enfin, connu ou inconnu, je ne veux pas que tu t’aventures dans les bois sans mon autorisation. Il y a des ours et des loups ici, ordonna sa tante sous un ton autoritaire.

— Bon d’accord, accepta la jeune fille sans discuter. Elle alla monter dans sa chambre par la suite.

Veronika, un peu fâchée, referma sa porte de chambre derrière elle. Cette aventure l’avait mené au mauvais endroit au mauvais moment. Pourtant, sans qu’elle puisse arriver à l‘expliquer, elle avait vraiment besoin de connaître son totem. Elle se sentait maintenant rassurée du fait qu’elle avait réussi à mettre sa marque dans cette étrange culture. C’était-elle cependant jeté dans la gueule du loup maintenant que sa liberté avait été opprimée?


[1] De l’astrologie amérindienne

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