Nuits de pleines lunes

Les journées passèrent tranquillement sans intrigue, sans folie. On annonçait au village que le 1er avril était la fête du printemps. Tous se mettaient à la pâte afin de contribuer au succès de cette fête. Les derniers préparatifs étaient à venir. Il ne restait que quelques jours avant l’évènement et c’était aujourd’hui que le professeur de musique allait choisir ses derniers étudiants qui participeraient au spectacle que donnait le festival. Veronika avait l’intention de faire cet examen coute que coute. Faire le festival n’était guère son objectif, mais elle ne pouvait pas accepter d’avoir simplement la note de passage en restant là à ne rien faire. Elle avait déjà beaucoup de compositions en stock et elle allait présenter une d’entre elles au professeur pour avoir une bonne note. Elle était entrée dans l’école avec sa propre guitare afin de faire l’examen instrumental. Elle ne voulait pas perdre de temps à accorder à son goût une autre guitare étrangère. Sébastian et Sophie furent surpris de la voir avec ce si bel instrument.

— Wow! Tu joues de la guitare, s’étonna Sophie

— Euh, oui. C’est pour mon examen de musique.

— Tu nous avais caché ça, petite louve blanche, constata Sébastian en lui frottant la joue d’une manière si familière que la jeune fille en rougit.

— Ne le prenez pas mal. Ça n’a rien de secret, confirma l’orpheline.

— Mais non, voyons! C’est génial! Tu pourras participer au spectacle si ça se trouve.

— Je n’avais pas vraiment cette idée à l’esprit. C’est une fête autochtone. Je n’y connais rien aux traditions.

— Non, voyons! Il faut que tu viennes! Ça te changerait de l’ordinaire justement, insista Sophie.

— Si le professeur te choisit, tu n’auras pas le choix, rappela Sébastian.

— On verra bien, conclut Veronika avant de les laisser pour se rendre à son cours.

À la dernière période de la journée, c’était l’examen de musique. Tous les élèves s’assirent à leur place et attendirent l’arrivée du professeur. Ils étaient énervés à l’idée de passer l’examen, non pas pour leur note, mais bien pour savoir s’ils allaient être sélectionnés pour faire le spectacle. Quand il fit son entrée, il prit automatiquement la parole et tous se turent.

— Bon, j’espère que vous êtes tous prêts et prêtes pour cet examen et cette audition pour le spectacle. Alors qui veut commencer?

Les élèves se regardèrent entre eux pour voir qui aurait l’audace de se présenter en premier. Il n’eut alors aucune réponse des élèves quant à la demande du professeur. Celui-ci décida de désigner une personne au hasard.

— Monsieur Cris, commencez, je vous prie.

Tous se retournèrent vers Damian qui devint un peu mal à l’aise à ce moment-là, mais il tenta le tout. Il prit sa guitare sèche et la posa contre lui. Il prit un moment afin de bien se concentrer et commença la musique. Il chanta également. Tous se joignirent à lui en tapant des mains ce qui rendait l’atmosphère de la pièce plus joyeuse que stressante. Quand il eut fini, tous l’applaudirent chaleureusement y compris le professeur.

— Excellent monsieur Cris. Vous avez de bonnes chances d’être sélectionné pour le spectacle. Alors, à qui le tour maintenant?

Un des élèves se désigna pour présenter sa composition vu que le premier était maintenant passé. Ce fut de même jusqu’à ce qu’il ne reste plus que Veronika, mais au moment où elle s’apprêtait à jouer, la cloche sonna. Le professeur se dépêcha de nommer les quatre élèves qu’il avait choisis pour faire le spectacle. Damian était l’un d’entre eux. Ils devaient rester dans la classe pour que le professeur leur donne certaines directives. Tous les autres sortirent de la classe à l’exception de Veronika qui était restée sur place honteuse de ne pas avoir eu le temps de présenter sa composition. L’enseignant lui accorda tout de même le temps pour qu’il puisse l’évaluer. Elle était gênée, mais elle réussit à surprendre l’évaluateur avec sa musique et sa voix.

— Je dois avouer que je suis étonné, Mademoiselle Clerk. Je peux vous dire que vous avez une très bonne note.

Ces mots rassurèrent la jeune fille et elle put maintenant s’en aller tranquillement chez elle. Le professeur, quoiqu’encore étonné par sa prestation, se retourna vers ses élèves qu’il avait choisis pour le spectacle. Il se perdait totalement dans ses mots, car il aurait tant voulu la choisir pour l’évènement. Malheureusement, il avait déjà fait son choix et il ne pouvait pas revenir en arrière. Damian lui proposa de l’accepter même s’il avait déjà choisi les quatre élèves de sa limite permisse. Comme il le disait :

— Un de plus ne fera de mal à personne.

— Oui, vous avez surement raison, Monsieur Cris. C’est pour cette raison que je vous demande qu’elle vienne demain avec vous tous pour l’assignation des tours.

— Moi, mais, voyons...

— J’insiste Damian, et je compte sur vous, coupa sèchement le professeur avant de quitter sa classe. Damian s’était retrouvé dans une position assez inconfortable. Ce n’était pas son genre de faire les sales besognes du professeur.

Veronika était à sa case et s’apprêtait à quitter l’école avec sa guitare et son sac à dos. Quand elle referma la porte de son casier, le visage de Damian apparut soudainement. Surprise, elle le dévisagea étrangement, mais elle était restée très calme.

— Je m’attendais à ce que tu sursautes, avoua ce dernier.

— Es-tu venu ici juste pour me voir sursauter?

— Non, évidemment que non. Le professeur de musique m’a envoyé pour te retrouver et pour te dire qu’il serait très content de t’avoir pour faire le spectacle.

— Moi? Mais je viens à peine d’arriver, s’étonna la jeune Anglaise qui ne s’attendait pas à un tel honneur.

— J’admets que tu m’as surpris pour quelqu’un qui joue juste un peu de la guitare.

Gênée, Veronika le remercia du compliment.

— Alors, c’est demain dans la salle de musique après les cours, spécifia le jeune homme d’une voix calme et paisible. La fille accepta en lui faisant un signe de la tête avant de prendre congé de lui. Il la regarda s’éloigner jusqu’à ce qu’elle ne soit plus visible. Elle quitta l’école très rapidement et se rendit vers le chemin des bois. Elle se sentit suivie alors elle augmenta sa marche. Elle avait un mauvais pressentiment, mais il n’en fut rien de cela. En arrivant chez elle, elle remarqua que Pénélope avait rentré du courrier. Une lettre était adressée à l’adolescente. Sa tante ne semblait pas être dans les parages. Un timbre du Royaume-Uni était collé dessus. Cela pouvait signifier qu’une seule chose aux yeux de Veronika. Elle se dépêcha de se dévêtir et de monter dans sa chambre afin de pouvoir lire la lettre en paix. Elle déchira l’enveloppe et prit le contenu de la lettre. Il s’agissait d’une lettre de son amie Stéphany.

Chère Vero,

Je n’arrive pas à me faire à l’idée que tu sois parti pour vivre au Canada. Ma vie s’est retrouvée en quelque sorte bouleversée depuis ton départ. Je sais que l’adaptation sera difficile, mais j’espère quand même que tu pourras y trouver ta place et pour ma part trouver la mienne. J’espère que la vie là-bas n’y est pas trop dure. Je me fais beaucoup de soucis pour toi. Raconte-moi un peu comment ça se passe. Est-ce que tu es heureuse? Est-ce que tu t’es fait de nouveaux amis ou même un amoureux? Quoique dans ton cas, ce serait étonnant. Je sais que tu attends patiemment le bon et c’est une bonne chose. Allez, raconte-moi tout!

Stephany xxx

Veronika versa quelques larmes sur ses joues. Elle était très contente que son amie lui ait écrit telle que promise lorsqu’elles se sont séparées. Elle s’ennuyait beaucoup d’elle, de son état d’être, de sa façon de penser. Elle se dépêcha de lui écrire.

Ma très chère Steph,

Je suis tout aussi consterné que toi depuis notre séparation. Sache que je ne te remercierai jamais assez pour ta lettre. En ce qui me concerne, vivre dans cette jungle enneigée n’est pas trop difficile. Les gens du village sont très gentils, sympathiques, mais je reste avec la conviction qu’il y a quelque chose qu’on me cache et c’est assez intrigant. Je me suis fait de nouveaux amis. Un d’entre eux s’appelle Sébastian, un vrai bouffon. Il me fait changer les idées et le temps passe plus vite en sa compagnie. Il y a aussi une autochtone qui s’appelle Sophie qui est très gentille et pleine d’énergie. Il y en a un autre que je ne saurais dire s’il pourrait être considéré comme un ami, mais une chose est sûre : il est vraiment beau et sympathique. Je ne te cacherai pas que Londres me manque beaucoup et toi aussi. Je finirai par me faire à l’idée que je vais finalement vivre au Canada. J’espère juste que notre amitié restera malgré la distance qui nous sépare. Continuons à nous écrire.

Veronika xxx

Elle plia la lettre en trois et la mise dans une enveloppe. Elle inscrit l’adresse de Stephany dessus. Dès le lendemain, elle irait la poster. Elle aurait voulu y aller à l’instant, mais elle n’avait pas l’autorisation de sortir. De plus, le bureau de poste devait déjà être fermé à cette heure. La jeune fille décida alors de se concentrer à faire ses devoirs. Une fois que cela fut fait, elle se mit à jouer un peu de guitare le temps que sa tante arrive.

Pénélope finit par arriver à la maison avant qu’il ne fasse trop sombre dehors. La dame avait une tonne de provisions à entrer. Veronika alla lui donner un coup de main. On aurait dit qu’elle s’apprêtait à préparer un véritable festin. Les deux filles mirent toutes les provisions sur le comptoir et sur la table à manger. L’Anglaise commença à décharger les sacs alors que Pénélope enlevait son manteau et ses bottes. Veronika était étonnée par le contenu des provisions. Sa tante se joignit à elle. En se retournant, la demoiselle remarqua un sac bleuté sur le comptoir qui attira son attention.

— Qu’est-ce qu’il y a dans ce sac?

Pénélope se retourna à son tour sans dire un mot et en sortit le contenu. Il s’agissait de deux belles bottes beiges ornées de fourrure de lapin brun. Au bout des lacets, il y avait des pompons de fourrures de la même couleur que les ornements. Pénélope tint les bottes à sa nièce en lui disant qu’elles étaient pour elle.

— En regardant tes petites bottes, je me suis dit qu’il te faudrait quelque chose de mieux pour affronter l’hiver, expliqua sa tante d’un air sérieux. La jeune fille accepta les bottes sans dire un mot et la remercia. Elle alla les ranger dans le placard. Elle reprit ensuite son travail avec Pénélope en silence. Sa tante lui jetait quelques regards à l’occasion ce qui mettait Veronika mal à l’aise.

Quand elles eurent terminé, Pénélope commença à faire le souper de ce soir. L’orpheline se demandait bien à quoi toute cette nourriture allait servir.

— C’est pour la fête du printemps. J’aide à faire la nourriture dans l’organisation, répondit sa tante. En constatant bien que tous les habitants du village semblaient préparer quelque chose pour cette fête, la jeune voulut contribuer à la tâche en demandant à sa tante si elle pouvait l’aider à faire la nourriture. Pénélope accepta en s’assurant qu’elle ait fait tous ses devoirs pour l’école. Par la suite, le silence reprit sa place dans la maison. Elles firent le tout dans un profond silence, mais un silence apaisant. Veronika se coucha dans les heures habituelles puisque sa tante ne voulait pas qu’elle se couche trop tard pour l’école. La jeune fille avait omis de lui dire que son professeur l’avait choisie pour faire le spectacle et qu’elle avait reçu une lettre de Londres pour ne pas prendre le risque de la choquer encore une fois.

Le lendemain, Veronika se rendit au bureau de poste avant d’aller à l’école. Elle voulait à tout prix poster sa lettre à Londres le plus vite possible. Elle portait ses nouvelles bottes et elle avait constaté le confort de ceux-ci. Elle rencontra par hasard le chaman Abi qui discutait avec une employée. Veronika tenta de ne pas se faire voir par celui-ci afin d’éviter certaines représailles de leur dernière rencontre avec Sébastian. Malheureusement, elle ne parvint pas à passer inaperçue aux yeux du chaman.

— Bonjour ma chère. Comment allez-vous aujourd’hui?

L’étudiante se tourna timidement vers lui et lui fit signe de tête en approbation. Elle le salua de la main sans dire un mot. Elle cherchait à l’éviter.

— Vous me semblez un peu mal à l’aise. Me tromperai-je?

La jeune fille lui fit signe que oui en regardant le sol.

— Avez-vous perdu votre langue, ma chère?

— Non! Non!

— Je suis alors rassuré. Je commençais à m’inquiéter un peu, admit le chaman rassuré. Veronika le trouvait de plus en plus bizarre. Il décida alors de s’en aller en lui faisant un joli sourire. C’est à ce moment-là que l’orpheline se sentit mieux. Elle alla poster sa lettre et se rendit rapidement à l’école ensuite.

Une fois à l’intérieur, elle se sentit encore beaucoup mieux qu’avant. Elle se rendit à sa case pour y mettre son manteau, ses bottes et son sac à dos. Elle prit ses manuels pour son cours de mathématique. Sébastian vint la rejoindre en tentant de la faire sursauter, mais sans effet. Elle se retourna vers lui.

— Salut!

— Décidément, il n’y a rien à faire avec toi, louve blanche.

— Ne t’en fais pas pour ça. Je vais vite te remonter le moral. Le professeur m’a choisie pour faire le spectacle, annonça la jeune fille à son ami. Celui-ci fut très content pour elle. Il se mit même à sauter partout dans les corridors comme un enfant. Véronika se sentait un peu gênée de se promener avec un individu aussi énervé que Sébastian.

— Ça tombe très bien! J’y participe aussi, avoua l’adolescent émerveillé.

— Que vas-tu faire au spectacle?

— Je fais un rock avec mes amis. Je suis le chanteur du groupe, se vanta Sébastian. Veronika était étonnée de l’apprendre. Ils continuèrent la conversation en se rendant à leurs cours. La journée passa quoique rien de spécial n'arrive.

À la fin des classes, Veronika et Sébastian allèrent ensemble jusque dans la salle de musique. Ils remarquèrent que tous les autres élèves choisis pour faire le spectacle étaient déjà présents. Ils étaient environ une quinzaine à faire le spectacle. Le professeur de musique prit la parole en montrant une feuille.

— Bonjour et merci d’être venus. Vos noms sont tous inscrits sur cette feuille et vous indiquent quand vous passerez au cours de la soirée. Si vous avez quelconques commentaires, venez me le dire tout de suite.

L’enseignant posa ensuite la feuille sur son babillard et laissa les élèves voir la feuille. Tous s’étaient précipités sur celle-ci afin d’obtenir une réponse rapide. Un des amis de Sébastian put voir tout de suite quand leur groupe allait passer. Quant à la nouvelle, elle resta derrière en attendant qu’il y ait moins de monde devant la feuille. Damian faisait de même, mais il observait surtout la jeune fille.

— On passe en dernier, s’exclama l’ami de Sébastian.

— Génial! Comme ça, on finira le spectacle en beauté.

Les élèves finirent par quitter la classe. Sébastian s’en alla aussi sous prétexte qu’il devait rentrer tôt chez lui. C’était maintenant le moment de voir quand Véronika allait passer. Elle se rendit compte qu’elle passait en premier. Elle devint alors plutôt nerveuse.

— Il fallait bien que je m’y attende à celle-là.

— Je crois que tu seras très bonne, commenta Damian qui s’était approché discrètement vers elle. Veronika fut stupéfaite de l’entendre parler ainsi. Elle se contenta de lui faire un signe de tête, mais elle n’était pas plus rassurée qu’avant. Elle décida alors de quitter la classe. Damian resta sur place et la regarda s’en aller. Il regarda ensuite le babillard et constata qu’il passait juste après Veronika. Il quitta la classe à son tour.

L’étudiante retourna chez elle l’air anxieuse. Elle n’avait pas l’habitude de passer en premier dans les présentations. Elle avait peur de commettre une erreur ou encore que les gens se moquent d’elle. Elle tenta d’oublier ses angoisses en aidant sa tante à faire la nourriture pour le festival. Pénélope accepta que sa nièce veille plus tard vu que le lendemain c’était congé. Elles passèrent la soirée à finaliser leurs préparatifs. Veronika lui avoua finalement que le professeur l’avait sélectionné pour le spectacle. Sa tante fut à la fois contente et étonnée de cela. Veronika avait su bien s’adapter dans le village malgré les circonstances.