Planet Hell (Tome I) The Year 2149

Chapitre 1 : « La vie est parsemée d'épines plus que de fleurs. »

3209 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/11/2020 16:02

        La vie est parsemée d'épines plus que de fleurs(1). Depuis ses premiers jours sur Terre ce proverbe n'a cessé de résonner dans l'esprit de Sally. Au fil de ces neuf longues années sur la planète bleue, les fleurs se sont noyées dans un océan d'épines tranchantes, où seul un aliéné oserait y plonger la main. Mais c'est cette souffrance qui maintient la jeune femme éveillée. Jour après jour elle se jette à corps perdu dans cette marée infernale. Là-dessous se trouve cette rose précieuse qu'elle convoite depuis si longtemps : La liberté. Le temps s'écoulant et la souffrance s'accumulant, son espoir se dissipe pour laisser place à un hésitation grandissante. Il lui est de plus en plus difficile de nager parmi les épines. Ses deux cœurs s'y meurtrissent bien trop.

        Lassée de se perdre dans des pensées qui ne cessent de s'assombrir, Sally s'avachi dans sa chaise en laissant un long soupire s'échapper de ses lèvres. Elle lève la tête vers le plafond métallique du petit l'entrepôt où elle a élu domicile il y a quelques années. Ce qui était autrefois un bureau, suspendu au-dessus de la moitié du bâtiment, est devenu une chambre au mobilier simpliste. Sur un carré fait de palettes repose un matelas et une simple couverture. Dans le coin de la pièce se trouve une valise trouée par les coups et le temps. Elle déborde de vêtements pliés grossièrement. Sous cette pièce se trouve une cuisine faites d'éléments récupérés en déchetterie. Tous à l'allure quelque peu abîmé fonctionnent pourtant suffisamment bien. Une table avec quatre chaises, toutes différentes, trônent au milieu de l'espace. Le reste du bâtiment est tout aussi simplement meublé. Contre un mur repose un canapé au tissu, autrefois blanc, jauni par l'usure. Juste en face de se sofa, contre l'autre mur, se trouve le bureau auquel la jeune femme est installée. Six écrans sont disposés autour d'un clavier et d'une souris. Le peu d'espace libre sur le meuble est couvert de feuilles où sont inscrits des calculs et des schémas tout aussi complexes les uns que les autres. Sur le panneau de liège, juste à sa droite, sont affichés d'autres nombreuses notes. Parmi elles, le dessin d'une vieille cabine téléphonique de police des années soixante. Les yeux de la jeune Seigneur du Temps se posent dessus, toujours aussi pensifs malgré sa détermination à vider son esprit proche du débordement.

        Sally secoue la tête comme pour tout effacer puis se lève brusquement de sa chaise. Cela fait désormais plus d'une semaine qu'elle est enfermée. Peut-être est-il temps pour elle de sortir un peu ? De plus, les vivres commencent à manquer.

Décidée, elle enfile l'épais manteau mi-long kaki qui repose sur le dossier de sa chaise, prend le sac à dos qui traîne au pied de l'issue de secours puis sort par cette même porte. Dehors, dans l'obscurité de la nuit, la pluie se déchaîne. Elle enfile sa capuche puis elle escalade les grilles envahies par la verdure qui bordent le bâtiment. Elle atterri l'autre côté, dans la rue.

        Le silence qui régnait jusque-là au sein des rues du quartier de Covent Garden² est brisé par les lourds bruits de pas que font les bottes de Sally. Elle s'avance sous la pluie battante, profitant de la fraîcheur qu'elle offre.

        La jeune femme s'engouffre dans une ruelle qui lui donne accès à la porte de service d'une supérette. Elle sort de la poche de son jean noir un petit appareil longiligne doré. Au bout est encastrée une bille de verre violette. Elle approche l'objet de la serrure puis appuis sur le bouton qui se trouve sur le côté de l'appareil. Alors que l'embout s'illumine, l'outil émet un léger son aigüe jusqu'à ce que le bruit de la serrure qui se déverrouille se fasse entendre. Sally ouvre légèrement la porte de façon à ne faire entrer que son bras puis fait une nouvelle fois tinter son appareil pour éteindre les caméras de surveillance ainsi que l'alarme. Une fois fait, elle range l'outil dans la poche arrière de son pantalon et entre dans la supérette. Prenant son temps, la blonde s'avance sans la moindre appréhension dans les rayons. Elle tient son sac à dos ouvert contre elle et le rempli avec autant de provisions qu'il peut contenir.

        Sa capuche mise et les lanières de son sac à nouveau sur ses épaules, Sally quitte la ruelle pour prendre le chemin du retour en direction de l'entrepôt. « Eh, toi ! » entend-t-elle dans son dos. Un air innocent sur le visage, elle se tourne vers les agents de police qui l'interpellent. Les deux hommes se mettent à courir. Elle décampe alors immédiatement. Le poids qui pèse sur son dos l'empêche d'être aussi rapide qu'elle se souhaite.

        Haletante, Sally force sur ses jambes lourdes pour distancer au maximum ceux qui la poursuivent. À chaque occasion qui se présente, elle change de rue. Comprenant alors le plan de la blonde, les policiers décident de se séparer. Ne les entendant plus courir, elle jette un furtif regard en arrière puis s'arrête soudainement. Bien que consciente qu'ils pourraient lui tomber dessus à tout moment, elle décide de reprendre son souffle. Le son des bottes des deux agents frappant le sol sur sa droite et sa gauche, elle analyse rapidement les possibilités qui s'offrent à elle. Au bout de la rue qui se trouve face à elle, se distinguent les grilles du Victoria Embarkment Garden. La jeune Seigneur du Temps reprend sa course folle en leur direction.

        Arrivée au pied des grilles, elle s'empresse de les escalader. Les hommes qui la poursuivent étant moins agiles, cela lui permet de prendre encore plus d'avance sur eux et de sortir du parc. Une fois certaine d'être hors de leur portée, elle s'isole dans une ruelle. Elle s'adosse au mur crasseux d'un pub et ferme les yeux. Pour une raison qu'elle-même ignore, elle se met à rire. Son hilarité est subitement interrompue par une étrange sensation de picotements qui s'empare de sa peau. Elle analyse les sensations et l'énergie qui pénètre son épiderme. Il s'agit de radiations nucléaires. Le taux étant bien trop important, un quelconque humain mourrait en moins d'une minute.

        La jeune femme se décolle du mur et observe attentivement le vide de la ruelle. Elle remarque alors, à moins d'un mètre d'elle sur sa droite, une légère diffraction de la lumière. Au fur et à mesure qu'elle s'en rapproche, les picotements s'amplifient. Elle approche une main tremblante. « C'est une faille. » se chuchote-t-elle. Après neuf longues années de dur labeur à chercher un moyen de fuir cette vieille planète bleue, est-ce finalement le simple fruit du hasard qui lui permettra de cueillir cette fleur nommée Liberté ?

       « Elle est là ! » hurle la voix d'un homme dans son dos. N'ayant plus le temps de réfléchir, elle s'engouffre dans la faille, laissant les deux agents perplexes devant sa disparition soudaine.

        Le temps d'un battement de paupière Sally se retrouve en plein milieu d'une forêt où une forte radioactivité chatouille sa peau. Pensant alors qu'avec un tel taux il n'y aurait aucun signe de vie, elle est agréablement surprise d'entendre le chant des oiseaux au-dessus de sa tête. Elle lève son regard vers la cime des arbres et découvre un magnifique ciel bleu parsemé de quelques nuages qui s'effacent sous la chaleur. Les odeurs, les sensations ainsi que la force avec laquelle elle est attirée sur le sol, la jeune femme se demande si elle ne se trouve pas encore sur Terre. À une époque différente, bien évidemment. Est-ce donc ainsi que cette planète se voit finir sa longue existence ? A en croire que l'autodestruction est le propre de toute espèce évoluée.

        D'un mouvement de tête elle efface ces nouvelles pensées qui l'envahissent. Elle balaie du regard l'épaisse forêt qui s'étend à perte de vue tout autour d'elle. Pendant un court instant, la sensation de la brise qui vient caresser son visage lui évoque de lointains souvenirs des grandes plaines rouges de Gallifrey. Elle se revoit alors petite fille, sa longue chevelure blonde bouclée flottant au rythme des vents. Elle court dans les hautes herbes qui chatouille ses mollets. Elle ne fuit pas. Elle court tout simplement parce qu'elle le peut. Parce qu'elle est libre.

Une larme perlant au coin de l'œil, elle s'empresse de l'essuyer avec le revers de sa manche. Inspirant une grande bouffée d'air frais, elle se reprend. Il est temps pour elle de visiter cette Terre irradiée.

        Après plusieurs longues, mais agréables, heures de marche, le chemin hasardeux de Sally finit par la mener à une sorte de petite clairière que la forêt encercle. Au centre des hautes herbes se trouve un arbre au tronc et branches épaisses. Une étrange silhouette semble se dessiner de l'autre côté. Intriguée, la jeune femme s'avance puis contourne l'arbre pour découvrir avec horreur un jeune homme torse nu attaché par les bras en haut de l'arbre. Des lianes entourent sa taille et ses cuisses pour le maintenir contre le tronc. Sur la poitrine il a une sorte de cataplasme végétal. « Aide-moi ! » supplie-t-il dans un murmure d'agonie. Sans attendre, elle se débarrasse de son sac et escalade l'arbre le plus rapidement possible.

        Une fois à son niveau, elle tente de détacher les liens qui entourent ses mains mais, a peine tire-t-elle dessus, que l'adolescent hurle de douleur. « Je suis désolée. » souffle-t-elle. Entendant le bruit des feuillages bouger dans son dos, Sally tourne la tête et voit cinq personnes courir dans leur direction. Une jeune fille blonde, accompagnée de quatre autres jeunes gens, s'arrête à la bordure de la forêt. « Venez m'aider ! » hurle la Seigneur du Temps face à leur inactivité, choqués par le spectacle qui s'offre à eux. La jeune fille s'empresse de la rejoindre, très vite suivi par les autres. Mais la blonde tombe brusquement dans un piège. Un des jeunes hommes, le plus âgé d'entre eux, la rattrape par le poignet à temps. Lui évitant ainsi de se faire empaler par une vingtaine de piques taillée en pointe. « Clarke ! » s'écrit de stupeur l'un des garçons. Avec l'aide du reste du groupe, le jeune homme au boucles brunes remonte l'adolescente sur la terre ferme. Pendant qu'elle se remet de ses émotions, le jeune homme à la veste verte dit : « Je vais grimper là-haut et couper les lianes.

— Je t'accompagne, dit celui à la peau foncée.

— Non. Reste avec Clarke et surveille ces deux-là ! » ordonne-t-il en désignant le sauveur de la jeune fille et le quatrième garçon. Tout en faisant attention où il met les pieds, il s'avance vers l'arbre.

        A l'aide d'une lame improvisée dans un morceau de métal, il essaye de couper les lianes que Sally essayait précédemment d'enlever. Soudain, dans les feuillages un étrange grognement se fait entendre. « C'est quoi ce bruit ? demande le garçon caché derrière le sauveur de Clarke.

— Des natifs, lui répond ce dernier.

— Un animal. » corrige Sally en désignant du menton le puma noir qui se tient plusieurs mètres devant Clarke. Cette dernière tourne la tête dans la direction indiquée par la jeune femme. Alors que la bête se met à lui courir dessus, elle hurle : « Bellamy, ton arme ! ». Le jeune homme aux boucles brunes pose une main au niveau de sa ceinture mais ne trouve pas l'arme qui doit normalement s'y trouver.

        Le jeune homme à côté de Clarke se poste devant elle et tire sur l'animal. Malgré les nombreux coups tirés, une seule balle parvient à toucher le puma. Blessé à la patte arrière, il se cache dans les hautes herbes environnantes. Pendant un court instant il se fait silencieux. Puis, comme sortit de nulle part, il bondit en direction de Bellamy. La bête s'effondre sur le sol avant même de parvenir à le toucher grâce à une balle bien placée. Sous le choc, le garçon qui vient de tirer lâche l'arme.

        Une fois l'adolescent détaché de l'arbre, Sally saute et atterri dans un bruit sourd sur ses deux pieds. Alors qu'elle s'apprête à poser une main son sac à dos, le dénommé Bellamy l'attrape avant elle et le tire à lui. « Où est-ce que tu as trouvé tout ça ? » demande-t-il en l'ouvrant et découvrant les nombreuses provisions à l'intérieur. Les regards se posent tous sur elle. Ne pouvant dire la vérité sans passer pour une folle, elle doit d'improviser : « J'ai trouvé un bunker, répond-t-elle en cachant tant bien que mal son hésitation.

— Où ça ? se réjouit Clarke. Il reste encore beaucoup de provisions là-bas ?

— Non, désolée. C'est tout ce que j'ai trouvé.

— Avec ça et la viande de l'animal, commence Bellamy en refermant le sac, on devrait tenir au moins jusqu'à demain. 

— T'es gentil mais c'est mon sac. » répond-elle. D'un geste vif et fort, elle le lui arrache des mains. Bellamy la toise, n'appréciant guère son geste. Le garçon qui l'a aidé dans l'arbre lui demande, étonné, si elle compte réellement vivre seule en dehors de leur camp. Sally réalise alors qu'ils pensent qu'elle est une des leurs. « On dirait bien, répond-elle au jeune homme.

— Fais comme tu veux ! rétorque Bellamy qui emballe le puma mort dans un morceau de toile. Mais toute seule et avec les natifs qui rodent, je doute que tu survivre très longtemps. »

        L'animal désormais empaqueté, il ordonne à un certain Murphy de l'aider. Chacun tenant un bout de la toile sur l'épaule, ils s'avancent en direction de la forêt. Les deux autres qui portent l'adolescent blessé leur emboitent le pas. « Tu es sûre de ne pas vouloir rentrer avec nous ? » demande Clarke en plaçant une main sur l'épaule de la jeune femme. Sally pose la sienne par-dessus. Ce geste à l'allure amicale lui permet en réalité de s'immiscer dans son esprit. En une fraction de seconde elle analyse les souvenirs de Clarke, sans qu'elle ne s'en rendre compte, trouvant ainsi toutes les réponses à ses questions.

        Il y a quatre-vingt-dix-neuf ans une guerre nucléaire a décimé la Terre, détruisant toute vie. Les seuls survivants étaient alors les habitants de stations spatiales qui se trouvaient en orbite. Depuis les stations se sont alliées pour ne former qu'un : l'Arche. Trois générations plus tard, le nombre de survivants est devenu bien trop important et les ressources commencent à manquer. Les dirigeants de l'Arche ont alors choisi d'envoyer un groupe de cent délinquants mineurs sur Terre, dans le but de voir si la vie y est de nouveau possible.

        Alors qu'avec quatre autres adolescents, Clarke se rendait aux Mont Weather pour trouver de quoi se nourrir, Jasper, le garçon retrouvé dans l'arbre, s'est pris dans la poitrine une lance venue de nulle part.

        À leur camp, dans une société anarchique naissante, Bellamy s'impose comme chef. Il souhaite retirer tous les bracelets des délinquants qui transmettent leurs signes vitaux à l'Arche pour éviter à tout prix que leur peuple les rejoigne.

        Sally retire doucement la main de la jeune fille en lui disant qu'elle n'est pas faite pour vivre en communauté. Son sac à nouveau dans le dos, elle tourne les talons et part vers l'Ouest.

Les kilomètres défilent sans difficulté sous ses pieds. Seuls le bruit de ses pas et le chant des oiseaux résonnent autour d'elle. Pour la première fois depuis longtemps une sensation de liberté l'envahie. Elle ferme les yeux quelques secondes, sans pour autant s'arrêter de marcher, et profite de ce sentiment de bien-être. Le sourire aux lèvres, elle réalise que cette fleur tant convoitée est enfin sienne.

        Ce court laps de temps dans l'obscurité de ses paupières suffit à ce qu'elle pose un pied au mauvais endroit. De justesse elle se rattrape sur les mains, manquant de se heurter violemment la tête contre le sol. Tout en pestant intérieurement contre elle-même, elle se tourne pour s'asseoir. Elle masse son tibia endolori par le coup. Son regard se perd lentement sur le bloc pointu devant elle, attiré par la couleur qui se trouve sous la mousse qui la couvre.

        Agenouillée sur le sol boueux elle se met à arracher la végétation. Petit à petit apparaît ce qui ressemble à un toit bleu avec une sorte de lanterne en son sommet. « C'est le TARDIS. » chuchote-t-elle pour elle-même. Sally creuse dans la boue avec ses mains. Après de longues minutes, apparaît enfin la bannière de la cabine sur laquelle est inscrit : Police Public Call Box. Une déception grandissante s'empare de la jeune femme lorsqu'elle constate que cette bannière n'est pas illuminée pas comme elle le devrait. C'est avec une grande peine qu'elle est forcée de constater que la machine ne fonctionne plus depuis longtemps. Mais si le TARDIS est là, songe-t-elle, qu'est-il arrivé au Docteur ?

 

(1) « La vie est parsemée d'épine plus que de fleurs. » est un proverbe italien.
(2) Covent Garden est un quartier de Londres.


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