Le Sang du Cerisier

Chapitre 3 : Mourir de ta main m'est si doux

1500 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 14/03/2021 16:54

Chapitre 3 : Mourir de ta main m'est si doux


La demeure des Sakurazukamori, il y a de cela très longtemps...


"Seishiro, je t'ai préparé ton bentô. J'espère que tu l'apprécieras.

-Mais bien sûr, mère. 

-Je ne suis pas très douée en art culinaire. 

-Ce n'est pas grave. Tu es douée dans l'art de la mort, c'est tout ce compte, pour moi, mère."

Lady Sakurazukamori sourit à son fils, son Seishiro qu'elle aimait tant. Aimer. Cette notion lui avait été étrangère, pendant des années. Et puis, elle avait mis Seishiro au monde. Le père de Seishiro? Le seul plaisir qu'elle avait éprouvé avec cet homme, c'était au moment où elle l'avait tué. Elle ne se rappelait même plus ni du visage de cet homme ni du son de voix, ni même de l'odeur de son corps. Le seul souvenir vague qui lui restait en mémoire était l'odeur de son sang.


Elle vit partir son fils pour l'école. A chaque fois, c'était une sorte de déchirement. Mais ce n'était pas seulement celui de la peur d'une mère de voir arriver quelque chose à son fils, c'était plus que cela. Elle savait que le prochain Gardien de la Tombe du Cerisier serait aussi celui qui participerait au Combat final. Et que ce Gardien serait d'un genre... particulier. Elle possédait un léger don de voyance, et elle savait qu'il allait rencontrer le chef des Sumeragi. Elle sourit en pensant à ce nom. Elle avait déjà affronté le chef actuel, une femme d'un âge déjà vénérable mais d'une puissance remarquable.

"Mais pas aussi puissante qu'un Sakurazukamori." Murmura la jeune femme, un sourire cynique aux lèvres.


Depuis qu'elle était devenue le Gardien de la Tombe du Cerisier, Lady Sakurazukamori avait vécu seule. Elle n'avait eu qu'un seul et unique amant, le père de Seishiro. La solitude était ce qu'elle avait toujours préférée, elle détestait la foule, fuyait les mondanités. Quand elle avait eu Seishiro, elle avait éprouvé le désir de le tuer, pour savoir si elle éprouverait une peine quelconque. Mais les prunelles noires et déjà dénuées d'émotions du nourrisson, elle avait renoncé, car pour elle, il était devenu le seul être au monde qu'elle voyait comme... comme "vivant" et pas comme un simple "objet". Elle aimait non seulement sa froideur et ses grandes capacités qui feraient de lui le meilleur assassin, sans nul doute, mais aussi ses beaux yeux sombres dans lesquels elle aimait à se contempler pendant des heures, la douceur de son visage. Il avait tout hérité d'elle. 


Le soir était tombé. Lady Sakurazuka avait un travail à effectuer mais s'arrangeait toujours pour rentrer le moins tard possible. Le lendemain était un jour de congé, et elle en profitait pour apprendre à Seishiro ce qu'il avait à savoir pour devenir le prochain assassin. Elle lui enseignait les techniques du yin-yang, à créer son Shikigami... Celui de Seishiro était un magnifique aigle royal, alors que le sien était une chouette rayée. Deux oiseaux de proie. Qui symbolisaient parfaitement leurs véritables natures. Et leur force aussi. De toute façon, Seishiro témoignait de telles capacités dans la maîtrise de la magie qu'elle était très fière. De mémoire de Sakurazukamori, on n'avait jamais vu un successeur aussi doué. De plus, ces moments passés avec son fils bien-aimé, ils n'appartenaient qu'à eux. Durant longtemps, elle s'était demandée ce qu'était ce sentiment jusqu'alors inconnu s'épanouir en elle. Maintenant, elle avait compris. C'était une forme d'amour, un amour simple, pur, dénué d'intérêt. Elle voulait le protéger. Car Seishiro était vraiment "spécial", pour elle. Elle en venait parfois à jalouser la personne que Seishiro viendrait à aimer.


"Mère?

-Oui, Seishiro?

-Vous voulez vraiment le faire?

-Oui, tu es le seul être que j'ai jamais aimé, Seishiro. Je voulais que tu ne sois qu'à moi. Mais je ne suis pas l'être que tu vas aimé.

-Je vais aimer un jour, mère?

-Oui. Je lis dans tes yeux un doute. Crois-tu que je te mentirai, Seishiro?

-Non, mais vous qui m'avez donné la vie, vous savez que je suis incapable d'aimer.

-C'est vrai, à l'heure actuelle, mais comme moi, tu aimeras. Car..."

Lady Sakurazuka marqua une pause.

"Car tout être vivant éprouve ce sentiment, à un moment ou à un autre de sa vie, qu'il le veuille ou non. Et c'est aussi valable pour toi, mon enfant.

-M'avez-vous aimé, mère?

-Oui. Je n'ai aimé que toi. Pendant longtemps, j'ai cru que ce sentiment que l'on nommait "amour" ne s'emparerait jamais de moi. Mais tu es arrivé. J'ai eu envie de te tuer, quand tu étais bébé, pour voir si j'éprouvais quelque chose pour toi. Mais quand je t'ai regardé, j'ai su que tu serais..."

Elle s'arrêta de nouveau. La jeune femme n'aimait pas à se dévoiler complètement. Et puis, Seishiro était son fils, il devait tout à fait savoir ce à quoi elle pensait.

"Moi aussi, mère, je vous ai aimé. Murmura presque ironiquement Seishiro.

-Non, ce n'était de l'amour, répliqua t-elle doucement, une voile de tristesse dans sa voix. Quand, ce soir, tu me tueras, je ferai partie de toi. C'est pour ça que je suis heureuse, Seishiro, vraiment heureuse."

Seishiro sourit. Sa mère avait sans doute raison. Ce n'était pas de l'amour qu'il éprouvait, c'était un sentiment de possession, de pouvoir. Elle serait à lui, tout simplement. Sa première victime. 

"Mère, je voudrais juste savoir. Qui était mon père?"

Lady Sakurazuka sursauta. En quinze ans, c'était la première fois qu'il évoquait son père. Elle-même n'en avait jamais parlé. Cela lui apparaissait comme inutile. Il n'était que le géniteur, après tout. Puisque l'amour qu'elle portait à son fils suffisait.

"Tu regrettes de ne pas l'avoir connu? Demanda t-elle enfin.

-Absolument pas. Votre présence m'a comblée, mère. Je suis simplement curieux de savoir ce que vous en avez fait."

Lady Sakurazuka sourit, Seishiro se doutait sûrement qu'elle avait livré cet homme en pâture à l'appétit du Cerisier. Il souhaitait simplement l'entendre de sa bouche.

"C'est si vieux, soupira t-elle. C'est à peine si je me souviens de son visage. Je crois qu'il ne te ressemblait pas, physiquement. Il a été mon premier et seul amant. Et je ne l'ai aimé que lorsque j'ai pu le tuer. C'était, comment dire, une sorte d'expérience, même si pour toi, ça doit te paraître juste comme jouer avec sa proie. Pour voir quelle sensation cela faisait de tuer un être au bord de l'extase, sourit-elle avec un peu de dédain. 

-Et comment était-ce?

-Cela m'a sorti de l'ennui, un petit moment. Mais ce qui m'a vraiment sorti de l'ennui, Seishiro. Bon, ajouta l'assassin, tu vas être en retard au lycée. Ne tarde pas trop ce soir, mon chéri."

Seishiro acquiesça, son éternel sourire, tout en notant mentalement que pour la première fois, sa mère l'avait appelé "mon chéri". Il devrait vraiment être "spécial" à ses yeux. Toutefois, cela le laissa indifférent. Il l'aurait rien que pour elle, et pour l'éternité. 


Lady Sakurazuka regarda son fils sortir de la maison, d'un air à la fois heureuse et mélancolique. Elle était vraiment très égoïste, elle laissait à son fils un lourd, très lourd fardeau, qu'elle avait caché depuis si longtemps. Celui d'avoir un destin plus cruel que la mort. Mais elle avait voué sa vie au Cerisier. Et la malédiction du Cerisier, c'était l'interdiction absolue d'aimer, même si ce fut son propre enfant, sous peine d'être à son tour l'offrande de ce Cerisier avide de sang. Ils étaient des êtres maudits, depuis que leur premier Sakurazukamori avait dû offrir le sang de son propre frère à l'âme sanglante du Cerisier, trahissant ainsi toute sa famille, tout cela pour satisfaire un empereur tout aussi sanguinaire. Parce qu'elle avait commis l'erreur d'aimer, ne serait-ce qu'une fois, elle allait en payer le prix. Mais elle était heureuse. Elle serait à celui qu'elle aimait. 

"Mon pauvre enfant, ta mère est bien égoïste. Elle ne pense qu'à son propre bonheur, et jamais elle n'a pensé au tien, soupira t-elle de nouveau. Mais toi, tu pourras vaincre cette malédiction. Car tu es destiné à aimer ton propre ennemi et à mourir de sa main."


La neige se parait doucement de la couleur du sang, du sang de sa mère. Pourtant Seishiro n'éprouvait ni peine ni plaisir. Les yeux de Lady Sakurazuka commençaient à perdre la lueur de la vie, pourtant elle parvint à murmurer :

"Je t'aime, Seishiro. Adieu, mon amour.

-Adieu, mère."

Il embrassa sa mère, scellant son destin.


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