Remember

Chapitre 3 : Chapitre 3.

2089 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 15:23

« Tu as envie de manger quelque chose en particulier pour le diner ? »

 

Ame, avachi sur le canapé, se redressa et se tourna vers sa mère. Sa présence semblait irradier toute la pièce tellement elle était souriante. Une telle scène, aussi simple soit-elle, réchauffa le cœur du garçon.

 

« Fais-moi la surprise, je sais que dans tous les cas je vais me régaler. »

 

Toujours aussi enjouée, sa mère retourna en direction de la cuisine. Il devait bien s’avouer une chose : la cuisine de sa mère lui avait horriblement manqué. Les anglais avaient des goûts culinaires bien particuliers et ses propres talents de cuisinier lorsqu’il n’avait que 16 ans étaient particulièrement limités… Les premières semaines avaient été compliquées et repenser à cela le fit sourire.

 

« Qu’est-ce qui te fait sourire comme ça mon garçon ? »

 

Le regard d’Ame se tourna alors vers son père, assis dans le fauteuil juste à côté de lui, son fauteuil, celui qu’il ne quitterait jamais, contre vents et marées.

 

« Rien, juste un souvenir de mes débuts catastrophiques à Londres. »

 

« Débuts qui n’ont pas eu l’air de t’avoir traumatisé puisque tu es resté aussi longtemps là-bas. J’ai dû mal encore à réaliser que tu sois finalement revenu. »

 

« Moi aussi papa. Londres c’est…un monde à part ! Il y a tant de choses à voir et à faire, la vie là-bas c’est presque irréel. »

 

« J’ai dû mal à saisir leur mode de vie et je ne comprends pas comment toi tu as pu tant t’y habituer. Les deux fois où nous sommes venus à Londres, j’ai eu l’impression que moi et ta mère, on était de vrais extraterrestre ! Alors que toi… »

 

Il détailla alors les tatouages découverts de son fils sur son avant-bras. Et Ame éclata de rire.

 

« Mais ici aussi à Tokyo les jeunes se tatouent de plus en plus ! »

 

« Mais il faut que ce soit aussi gros ? Et les piercings alors ? »

 

Ame soupira et regarda tendrement son père. Il venait d’une famille traditionnelle et avait reçu une éducation des plus rigoureuses. Mais ça ne l’avait pas empêché d’être un parent exemplaire qui faisait tout pour ses enfants. Ame ne pouvait pas lui en demander plus, comprendre le mode de vie qu’il avait connu en Angleterre, son style, ses goûts, ses projets… C’était bien trop abstrait pour un homme comme lui.

 

« Ca plaît aux filles tu sais ! »

 

Son père eut un hoquet avant de regarder, ahuri, son fils qui éclata de rire.

 

« Tu…tu as une fiancée ? »

 

« Oh non papa, pas de fiancée. Tu devras compter sur Hisao pour en ramener une avant moi ! Et après tout, c’est à lui de le faire en premier, c’est lui le grand-frère. »

 

La façon n’était pas forcément très subtile pour essayer de détourner le sujet pour enfin parler d’Hisao. De plus, parler fiancée et petite-amie avec son père…c’était un sujet glissant. Il n’avait jamais abordé avec ses parents sa bisexualité, tout comme le fait que ses relations étaient toutes relativement éphémères et ne duraient rarement plus d’une nuit.

 

« Hmm… Oui tu as raison… »

 

Et son père se concentra de nouveau sur l’écran de télévision. Ame resta immobile à le regarder, attendant qu’il ait une nouvelle réaction, une nouvelle parole, n’importe laquelle. Mais rien ne vint et il leva les yeux au ciel.

 

« Et est-ce que j’aurais l’honneur de sa présence dans les jours à venir ou mon propre frère ne va même pas daigner venir me saluer ? »

 

« Ame, s’il te plait. Tu sais comment est ton frère… »

 

« Oui, je sais, mais je vois pas en quoi c’est une excuse. »

 

« Il devrait venir ce weekend, il doit nous le reconfirmer. Son nouveau travail lui prend beaucoup de temps. »

 

« Oh alors si son travail lui prend beaucoup de temps, c’est vrai que passer voir sa famille, c’est totalement secondaire ! »

 

« Ame ! »

 

Son père s’était redressé sur son fauteuil, le regard furieux. Mais Ame avait appris à lire dans son regard, et il y voyait bien aussi cette lueur de tristesse. Alors il préféra lâcher l’affaire, ne voulant pas blesser plus longtemps son père à ce sujet et ce fût son tour de reporter son attention sur le présentateur télé. Il entendit son père soupirer.

 

« Il sera là ce weekend, j’ai demandé à Mitsuki de le convaincre. Et tu le connais bien, je ne sais pas comment il fait, mais il arrive toujours à ses fins ! »

 

Son corps s’était figé à l’entente du prénom de Mitsuki. Ses yeux restèrent figés sur l’écran de télévision, de peur que son père puisse y lire plus que ce qu’il ne voulait laisser transparaître.

 

« Et Mitsuki… Il sera là aussi ? »

 

« Bien sûr, il a toujours été un peu comme un membre de la famille. Et puis, c’est plus facile de faire venir ton frère quand il est là. »

 

Plus aucun mot ne sortait de la bouche d’Ame, le temps s’était comme suspendu pour lui, de façon inexplicable. Comment se faisait-il qu’il réagissait toujours de cette étrange manière lorsqu’on parlait de « lui » ? Après tant d’années passées à l’autre côté du globe, il suffisait qu’il entende ces trois syllabes pour que son cœur se pétrifie : MI-TSU-KI. Ca résonnait dans son crâne comme un bruit sourd. Il se trouvait stupide d’avoir une telle réaction, comme une jeune fille en fleur qui espère retrouver son prince. Il avait envie de rire de lui-même ! Mais son père l’aurait certainement pris pour un fou…

 

Alors il préféra se relever pour rejoindre sa mère dans la cuisine et lui proposer son aide. Occuper son esprit par autre chose, tout simplement. Mitsuki était son amour de jeunesse, un amour à sens unique qu’il avait gardé égoïstement pour lui de peur d’être blessé. Peut-être était-ce l’occasion de tourner définitivement la page et d’enterrer ces sentiments trop encombrants ? C’était une page du passé d’Ame, car le garçon qu’il était à l’époque n’existait plus. Désormais, Mitsuki ne serait plus qu’un ami d’enfance qui occuperait une place un peu particulière dans ses souvenirs. Le revoir était effrayant mais une fois les retrouvailles passées, Ame réussirait enfin à étouffer ces sentiments sans aucun sens. C’était ainsi qu’il essayait de s’en persuader.

 

La perspective du weekend à venir ne le réjouissait guère, car il allait aussi devoir relever le défi de revoir son frère et de faire en sorte que tout cela se passe du mieux possible. Il savait faire preuve de bonne volonté, surtout pour ses parents, mais il doutait qu’il en soit de même pour Hisao. Un rien suffisait à ce qu’il s’emporte et désormais, Ame ne se laissait plus autant faire qu’avant…

 

_____

 

 

« Ame, avoir une petite amie ?! Ahah elle est bonne celle-là ! Comment tu peux poser une telle question Mitsuki sérieux ?? »

 

Et il éclate une nouvelle fois de rire.

 

Je serre les poings, je boue, j’enrage. Encore une fois, il ne peut pas s’empêcher de se moquer de moi. Et devant lui en plus. Je déteste quand les parents sortent dîner en ville, car dans ces cas-là, je dois supporter mon frère et ses conneries. J’aimerais tellement le remettre à sa place. Mais à la place, je reste silencieux, le regard baissé, ne prêtant même plus attention au film débile qu’il a décidé de regarder.

 

« Hisao, arrête. »

 

La voix de Mitsuki est sèche, plus que d’habitude. Et la réaction d’Hisao est immédiate, il se calme. Mais je sens de la tension dans l’air.

 

« Il faut sérieusement que t’arrête de le défendre. C’est plus un gosse, il a 14 ans maintenant ! N’est-ce pas Ame que t’es plus un gamin ? »

 

Je relève les yeux vers lui. Je voudrais qu’il disparaisse, là maintenant, ne plus jamais le revoir.

 

« Oui. »

 

C’est la seule chose que je trouve à répondre. Et je me lève. Je préfère m’enfermer dans ma chambre plutôt que de subir plus longtemps ses brimades. Surtout devant Mitsuki. Je sens d’ailleurs son regard sur moi, et je devine parfaitement ce que je peux lire dans ses yeux : de la compassion. Mais j’en ai que faire de sa compassion ! Lui aussi me voit toujours comme un gosse… Et je lui en veux. Je lui en veux de toujours me défendre, de me faire passer pour un faible aux yeux de mon frère, de laisser penser que je ne suis pas capable de me débrouiller tout seul, de ne pas se rendre compte que oui j’ai grandi, que non je ne suis plus un enfant. Et je referme la porte derrière moi, les mâchoires crispées.

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