La volte-face mélodramatique

Chapitre 7 : Procès n°2

Chapitre final

14693 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/10/2022 19:21

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13 mars, 5h57

Cabinet d'avocats Wright & Co.

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L’affaire SA-8… Le dossier était précis, mais incomplet. Je le feuilletais lentement, à la seule lumière de mon ordinateur portable, posé sur sa tablette. Les rayons nocturnes, des étoiles et de la lune, apportaient leur aide au travers des vitres du cabinet. Cela ne me dérangeait pas : le sommeil devenait de toute façon difficile à trouver… Allongé dans le canapé au milieu de la pièce, je me retrouvais ainsi absorbé dans la lecture du document que Hunter m’avait prêté. L’affaire SA-8… Une affaire apparemment classique, mais étrange. Une affaire de suicide : celui d’Amy Stair. Il avait tout d’une mort « banale ». La majorité des biens avait été léguée à son mari, Hamburg Astrit. Une autre part à son frère, Régis Stair et encore une autre à ses proches : amis, connaissances. Un testament classique, en somme… Au détail près qu’il n’y avait pas de testament. L’héritage avait été partagé selon les textes de loi et l’accord commun des parties. Ces faits amenaient à se poser des questions sur les circonstances du décès… Comment une femme si bien entourée, avec une famille et des amis, avait-elle envisagé le suicide ? Et surtout, pourquoi n’avait-elle laissé aucune lettre ? C’était comme si, au crépuscule de sa vie, Amy n’avait eu personne à qui se confier. De plus, le dossier ne précisait pas le motif de l’acte. En somme, un autre mystère qui venait s’ajouter à la liste. L’affaire SA-8… Comme tout le reste de cette énigme aux multiples revers, ses secrets allaient devoir tomber au procès à venir. J’allais devoir les faire tomber à ce procès.



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13 mars, 9h56

Tribunal fédéral - salle des accusés n°2

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               « Hung…


               — Nick ?...


               — Oh, j’ai juste veillé un peu. Ne t’inquiète pas, je suis plus que prêt !


               — Je te soutiens de la barre des accusés alors ! Hunter n’a qu’à bien se tenir !


Hunter… Je me sentais tout d’un coup moins prêt.


               — C’est plutôt la troupe du théâtre qui n’a qu’à bien se tenir. Je suis persuadé qu’Amy Stair et Ophélie Retou sont connectées d’une manière ou d’une autre.


               — De la façon dont tu me les as racontées, c’est vrai que ces histoires ont l’air liées… Mais je refuse de croire que Hamburg est responsable de la mort de sa femme !


               — Je suis d’accord avec toi… Il va falloir découvrir ce qu’ils nous cachent. Et puis, il y a également le meurtre d’Ophélie… Cependant, j’ai déjà ma petite idée sur le mode opératoire du coupable.


L’huissier vint nous chercher pour nous annoncer le début du procès.


               — Allez Nick, courage ! s’exclama Maya avant de suivre l’officier du tribunal.


               — Oui… Toi aussi, Maya. »


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13 mars, 10h

Tribunal fédéral - salle d'audience n°2

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Contrairement à la dernière fois, tous les protagonistes étaient déjà présents. La salle était également pleine. Je ne saurais dire si cela était dû au procureur portant son costume rouge qui se tenait face à moi, mais la tension, palpable, contrastait définitivement avec l’ambiance de la dernière fois. Seul au banc de la défense, je ne pouvais réprimer ma nervosité… Qu’importe, j’avais l’habitude.


               « Bien. Je constate que nous n’avons pas de retardataire, entama le juge. L’accusation pourrait-elle nous expliquer pourquoi monsieur Boulay n’est-il pas présent ce jour ?


               — Le barreau pensait que l’affaire concernait un « simple » incident, votre honneur. Lorsque le dernier procès a mis en exergue les difficultés actuelles, il est apparu évident qu’un procureur plus… rigoureux devait diriger l’enquête.


               — Hm… Soit. Il est vrai que quelqu’un de votre acabit ne sera pas de trop pour démêler ces évènements, monsieur Hunter. Bien !


Un coup de marteau retentit.


               — Monsieur Hunter, l’accusation est-elle prête ?


               — Bien entendu, votre honneur.


               — Monsieur Wright ?...


               — Ou… Oui, votre honneur.


Je transpirais déjà…


               — Parfait ! Même si un peu plus d’entrain aurait été de circonstances… Monsieur Hunter, votre exposé préliminaire, je vous prie.


               — Au dernier procès, vous aviez demandé aux parties d’étudier le mobile et le mode opératoire du meurtre, votre honneur. Le mode opératoire apparaîtra comme une évidence à la fin de ce procès. Quant au mobile, posons-nous la bonne question. Il ne s’agit pas de savoir qui a un mobile, mais plutôt : qui pouvait avoir un mobile ? Afin de déterminer cela, j’appelle à la barre le premier témoin, Blake Debale !


               — Parfait ! Faites venir monsieur Debale à la barre ! »


Le procès venait à peine de commencer et, déjà, Hunter tenait le juge dans le creux de sa main… Ça n’augurait rien de bon pour la suite. Malgré tout, peut-être que, dans cette enquête, je préférais l’avoir lui pour aiguiller les débats, plutôt que Boulay… Car il n’y avait aucun doute, qu’ensemble, nous serions capables de découvrir l’entière vérité. Blake s’avança à la barre des témoins, sa chemise blanche à peine boutonnée.


               « Témoin, nom et profession s’il vous plaît, demanda Hunter.


               — Ah ah ! Blake Debale, humoriste professionnel ! rétorqua le… comédien.


               — Monsieur Debale… Nom et profession.


               — Oh, je me passerai de vos sermons « hunter-minables » ! Je suis comédien amateur et gérant du café chouchou, pour vous servir !


               — Bien… Racontez-nous ce que vous avez vu le soir du crime, Blake, insista Hunter du regard.


Le début des hostilités…


               — A vos ordres, blanche-gorge ! répondit le témoin, en référence au jabot de son interlocuteur. Comme Alice en a déjà parlé avant-hier, nous avons mangé une partie du repas ensemble. J’ai répété, seul, un moment, avant de rejoindre tout le monde, donc je suis arrivé tardivement.


               — Où voulez-vous en venir, Blake ? me permis-je de le presser.


               — Lorsque Maya est « allée aux wc », j’étais déjà à l’arrière de la scène ! Pour être honnête, je ne pense pas qu’elle m’ait remarqué. Je l’ai vue monter sur le toit des toilettes grâce à la trappe qui s’y trouve. Ensuite, elle a tendu les pieds… pour atteindre les projecteurs ! Je suis sûr qu’elle les a trafiqués !


               — Objection ! Vous n’avez aucune preuve, monsieur Debale !

               

               — Hm, Wright… J’ai peur qu’en l’absence d’autres accusés, ce témoignage soit suffisant pour inculper Maya Fey. Votre honneur ?


               — Certes. Objection de la défense rejetée. A-t-elle d’autres réclamations ?


Le procès commençait un peu trop fort… en mensonges, au moins !


               — Bien entendu ! Hamburg m’a lui-même signalé qu’il avait vu Blake quitter le théâtre avec Ophélie, le soir de la représentation ! Il n’aurait jamais pu être témoin d’un prétendu méfait de l’accusée !


               — Gardez vos inepties pour vous, Wright ! Je ne me souviens pas d’un tel témoignage, objecta Hunter.


               — Hm. Les discussions hors de cette cour n’ont pas de valeur juridique. Vous devriez le savoir, monsieur Wright.


Bien sûr que je le savais… J’allais devoir trouver une meilleure solution et vite. Si je ne faisais rien à ce stade, le procès était foutu. Je ne pouvais pas abandonner sur un témoignage criblé d’incohérences comme celui-ci. Certes, la pièce des toilettes, relativement basse, offrait un accès direct à la partie supérieure du bâtiment, qui avait une hauteur importante pour permettre la plupart des mises en scène… Cependant, je n’allais pas laisser Maya être condamnée pour une simple pause toilettes !


               — Si les discussions hors de cette cour n’ont aucune valeur, alors je suis sûr que vous saurez vous rappeler ce qui a été dit à la barre des témoins. Les projecteurs ont chuté vers vingt-deux heures, bien après la pause de l’accusée.


               — Humpf. Le tournevis retrouvé dans la poubelle de la loge, avant la représentation, n’est pas de l’avis de la défense !


               — Vous ne pouvez pas savoir quel a été son usage ni même s’il a été utilisé, Hunter ! »


Le procureur fit glisser sa langue entre ses dents dans un bruissement de mépris tandis qu’il jetait son regard dans le vague, se taisant finalement. Comme je le craignais, les échanges n’avaient plus rien à voir avec ceux du procès précédent. Les compétences de la partie civile me faisaient douter sur l’issue de cette affaire. Malgré cela, j’avais la désagréable impression que nous nous embourbions tous deux dans des sables mouvants. Allait-on seulement tirer quelque chose de ce contre-interrogatoire ?


               « Il semble que la cour se soit précipitée en émettant une conclusion hâtive. En effet, la défense a dégagé des incohérences du témoignage de monsieur Debale. L’accusation souhaiterait-elle aborder un autre sujet ?


               — Le témoin avait une remarque judicieuse à faire au sujet de la troupe… Je pense que cela pourra nous éclairer sur leurs relations et nous permettre de mieux comprendre leurs motivations, votre honneur.


               — Soit ! Monsieur Debale, on vous écoute.


               — Eh bien… La troupe a été fondée il y a un an. Ophélie avait pour projet de monter sa propre pièce. Elle a apporté son expertise, ses textes, puis nous avons acheté les locaux ensemble. C’était quelque chose ! Nous rêvions tous de travailler dans un théâtre. Ophélie a rendu cela possible, nous lui devons beaucoup. Les débuts ont été difficiles, c’est sûr. Nous avons dû rénover le théâtre nous-mêmes, mais le résultat était à la hauteur de nos efforts !


               — Je crois savoir que vous n’étiez pas très familier avec les autres membres de la troupe, Blake…


               — En effet. C’est Ophélie qui m’a fait découvrir le milieu des arts. Je ne le regretterai jamais ! Quant à elle, elle connaissait déjà Hamburg, Régis et Alice depuis longtemps. Si je peux me permettre, c’était une vraie « ô, fée » !


Tout le monde ignora son jeu de mots…


               — Ce que vous essayez de dire, c’est que…


               — Oui, nous lui devons tous quelque chose ! Je suis certain que quelqu’un de la troupe n’aurait pas pu commettre ce crime, Phoenix !


               — Je suis persuadé du contraire, Blake… me sentis-je obligé de répliquer.


               — La troupe était notre famille.


               — Pourtant, rappelez-vous comment le dernier procès s’est conclu. Alice a fait tout ce qu’elle a pu pour « protéger un ami »… Le coupable. Je ne pense pas qu’elle en aurait fait autant pour quelqu’un qu’elle connaissait depuis à peine un mois !


               — En un mois, Maya s’est liée d’amitié avec tout le monde. L’idée qu’Alice aurait tentée de la protéger n’a rien d’incohérent !


               —Dans ce cas, cela vaut dans l’autre sens… Elle s’était liée d’amitié avec Ophélie aussi, donc elle n’aurait eu aucun motif pour son crime.


               — Hung… Pas faux, Phoenix.


               — Un échange touchant… Cependant, cela ne change pas ce qu’a vu Blake, intervint Hunter.


               — Dans le mille, Emile ! J’ai vu ce que j’ai vu…


               — Pour être franc, je pense que votre témoignage pose plusieurs problèmes. D’une part, Maya n’est pas très grande. Elle aurait eu des difficultés à atteindre le toit des toilettes.


               — Vous l’avez vu de vos yeux ! Même quelqu’un faisant un mètre cinquante n’aurait eu aucun mal à grimper par cette trappe.


Il avait raison… Finalement, nous en revenions toujours aux preuves : il n’y avait qu’un élément qui pouvait clairement la disculper.


               — Alors la question est identique ! S’est-elle servie, oui ou non, du tournevis ? Je suis certain que l’accusation a demandé les analyses du manche et…


               — Il n’y a pas d’empreinte sur le tournevis en lui-même. Ce qui nous ramène directement au témoignage de Blake… anticipa le procureur agacé. Arrêtez donc d’éviter le problème principal, Wright !


Je ne savais pas quoi dire…


               — Bien, je comprends les réticences des parties, mais si la défense n’a rien d’autre à ajouter, je me vois dans l’obligation de valider ce témoignage. Monsieur Hunter, pourriez-vous nous expliquer comment l’accusée aurait commis son méfait, d’après vous ?


               — C’est très simple, votre honneur. Après être montée sur le toit, elle a desserré le support du projecteur. Ensuite, pendant la pièce, elle l’a fait bouger suffisamment pour qu’il vacille, au bon moment. Dès que les premiers signes se sont manifestés, l’accusée a propulsé le projecteur au-dessus de la victime et… l’a assassinée, votre honneur. Des traces de frottement ont été retrouvées sur l’emplacement des vis… Nous pensons qu’elles ont été laissées par les vis elles-mêmes, qui se sont défaites petit à petit avec le poids de l’appareil.


Il salua la cour d’une courbette élégante.


               — Je n’ai rien de plus à ajouter.


               — Hm… Très perspicace, monsieur Hunter. Vous n’usurpez pas votre réputation !


               — Objection ! Je me vois dans l’obligation de vous contredire, votre honneur !


… Et de vous remercier pour cette théorie, monsieur le procureur.

               

               — Ce que vous racontez là est impossible, Hunter ! Peut-être n’êtes-vous pas encore parfaitement rodé au montage de théories ! clamai-je, le rictus en évidence… sans savoir si j’avais vraiment bien fait de le provoquer. Le témoignage de Blake est complètement caduc !


Au bluff.


               — Rappelez-vous d’Alice. Elle a tempéré avec la scène du crime précisément parce qu’elle avait trouvé le tournevis dans la poubelle de la loge. Or, Alice est sortie de table avant Maya…


               — Non !...


               — Je vois que vous avez compris, Hunter. D’après votre théorie, elle n’aurait rien fait de plus que de desserrer les vis, puis serait retournée à table après sa « pause wc ». Au début, Blake se situait au niveau de la scène, entre les toilettes et la loge. Mais lorsqu’elle s’est attablée de nouveau, c’est finalement Alice qui a rejoint la loge… Et le piège se referme ! Il était absolument impossible pour Maya de se débarrasser du tournevis sans être vue d’une manière ou d’une autre !


               — En fait, Phoenix… j’ai oublié de préciser que votre assistante est passée par la loge juste avant de revenir à table, compléta Blake.


               — Que… Un instant ! Vous ajustez votre témoignage au bon désir de l’accusation, Blake !


               — Hm. A propos d’accusations, je n’aime pas trop les vôtres, monsieur Wright.


               — Qu… Quoi ?!


               — La précision de Blake semble vous contrarier, Wright… La temporalité des évènements est un problème, n’est-ce pas ?... suggéra-t-il en relevant son sourcil gauche.


Que voulait dire Hunter par là ?... La temporalité ? Comme pour l’argument précédent ? Bon sang, depuis le début… Oh non.


               — Votre honneur, mes accusations sont plus que légitimes ! Encore une fois, rappelez-vous le témoignage d’Alice ! Les membres du groupe se sont tous mis à table entre dix-huit heures quarante et dix-neuf heures. Elle aurait été la première à partir travailler, à sept heures et quart.


               — J’ai du mal à saisir, monsieur Wright.


               — D’après ce témoignage, Blake se serait mis à table avant dix-neuf heures. A dix-neuf heures quinze, il ne pouvait donc pas être simultanément en train de déguster son burger à l’extérieur du théâtre et répéter sur scène !


               — Ce qui nous amène de toute évidence à en déduire que…


               — … L’un des deux témoins ment ! complétai-je la phrase de Hunter.


               — Humpf. Je ne mens pas ! Je m’en tire à la limite. Ou je m’en fiche. Je m’en vais…


Notre détracteur au costume rouge soupira en assénant à son banc un formidable coup de poing.


               — Je confirme : vous vous fichez de nous, témoin !

               

               — Vous n’avez aucun moyen de prouver qu’Alice ne ment pas, de toute façon !


               — J’ai bien peur que si, Blake, coupai-je court à ses espoirs. Pensez aux preuves ! Nous avons retrouvé le tournevis cousu, qui soutient les dires de votre couturière. Et vous, qu’avez-vous à nous proposer ?!


               — Je… Jeu… Gen… Genre… proposer…


               — Blake ?!


               — Je… Je ne trouve pas de jeux de mots !! s’exclama-t-il en trifouillant dans sa tignasse blonde.


               — Eh bien ! J’ai bien peur que vous deviez revoir votre « je » d’acteur ! Dites-nous la vérité !


               — Je n’aurais pas dit mieux, monsieur Wright, acquiesça le juge.


               — Non, je ne peux pas…


               — Alors, je vais la trouver. Vous sembliez déterminé à accuser Maya, Blake. Ce que j’ai du mal à comprendre, c’est pourquoi…


               — Je… Je vous l’ai déjà expliqué. Cette troupe est ma famille, Phoenix. Cela valait également pour les actes d’Alice… Personne n’aurait pu tuer Ophélie, à part elle !


Sa voix tremblante indiquait, contre toute attente, qu’il ne mentait pas.


               — Votre raisonnement indique plutôt qu’Alice protégeait quelqu’un de la troupe ! Et… C’est pour ça ?... Pour ça que vous alliez faire condamner une innocente, Blake ?!


               — Oui, c’est pour ça. Dans l’entrepreneuriat comme dans les arts, il faut être déterminé à aller jusqu’au bout, Phoenix. Vous ne pouvez pas comprendre. Et puis… Rien, oubliez.


Son visage se para soudain d’un rouge vif.


               — Bien ! Je crois que la cour en a terminé avec ce fanfaron.


               — Non, votre honneur ! Je suis sûr que le témoin ne nous a pas tout dit ! Vous essayiez de détourner votre témoignage d’un point fâcheux… Hamburg vous aurait vu sortir avec Ophélie ce soir-là. Et je suis certain que lui disait vrai !


               — Il doit y avoir erreur sur la personne…


Son regard contournait le mien et ses pommettes ne décoloraient pas de ce rouge écarlate.


               — Très bien ! Dans ce cas, je vais vous confier mon avis ! Vous avez attiré Ophélie à l’extérieur puis vous l’avez tuée !


… Silence général.


               — Wright… Ophélie a été tuée sur scène, fit remarquer Hunter.


               — Vous n’avez plus toute votre tête, monsieur Wright.


Aïe. Venant du juge, cela me blessait un peu.


               — Une pénalité devrait vous remettre les idées d’aplomb !


Double aïe.


               — Je me suis peut-être un peu emballé… Mais je reste persuadé que le témoin nous cache quelque chose !


               — Soit, finissons-en ! Témoin, veuillez-nous dire ce qui s’est réellement passé ce soir-là.


               — Oh, eh bien, euh…


               — Monsieur Debale, pour votre bien, obéissez au juge, insista Hunter.


               — En fait, ce soir-là… J’ai demandé à Ophélie de sortir du théâtre avec moi, avant la représentation. Il devait être aux alentours de vingt heures et quelques. J’avais prévu… de lui déclarer ma flamme.


               — Quoi ?!


               — Comment ?!


               — Oh, la jeunesse !...


Vraiment… Seul le juge amateur de ragots trouva son compte dans cette réponse.


               — Ca ne peut pas être tout !


Tandis que je relançais Blake, Hunter était prostré sur le banc du procureur, confus et passablement énervé.


               — Oh, en fait, aussi, elle… Elle a refusé mon amour, Phoenix ! Un vrai drame, je te le dis !


               — Quoi ?!


               — Comment ?!


               — Oh, la jeunesse !...


— Votre honneur, faites sortir ce clown de cette salle d’audience, je vous en conjure ! s’époumona notre procureur.


Le juge racla profondément sa gorge.


               — Hm, soit, pardonnez-moi, je me suis ému un instant. Huissier, escortez monsieur Debale hors de cette salle d’audience. La cour en a assez entendu ! »


Pendant que le gardien escortait le comédien, nous pouvions entendre s’éloigner lentement ses agonies malaisantes : « elle m’a rejetéééé ! ». Désolé, monsieur le gérant, mais il me faudrait un peu de temps avant de vous reparler sans un sentiment de mépris… et de fatigue. A l’image d’un certain ami que je préférerais parfois oublier. Je crois que nous aurions tous eu besoin d’une pause pour reprendre des forces. Pourtant, l’énergie consommée avait tout de la dépense inutile, ce qui nous poussait à vouloir continuer afin de progresser un minimum dans cet entremêlement de vérités… et de mensonges. J’espérais malgré moi que nous n’ayons pas d’autres surprises aussi farfelues à l’avenir.


               « Bien, reprit le juge. Monsieur Debale aura le temps nécessaire pour réfléchir à ses jeux de mots en cellule. Nous le libérerons à la fin du procès. Prions pour que cela lui serve de leçon.


               — Que cela lui serve de leçon, répéta Hunter, toujours agacé.


L’entièreté de la salle d’audience semblait de cet avis. « Oui, s’il vous plait… », « quel idiot… », « pauvre bougre ! », « ce procès m’a exténué… » Ah ah, moi aussi. Un instant ! Il était loin d’être terminé. Je devais recouvrer mes forces rapidement !


               — A présent, je pense qu’il est important de faire le point sur le dernier témoignage. L’accusation a-t-elle relevé des informations importantes ?


               — C’est évident que la troupe avait des liens très forts, votre honneur. Cela jette irrémédiablement la suspicion sur l’accusée, Maya Fey, qui ne connaissait que depuis peu les autres membres.


Malheureusement, je ne pouvais pas le contredire sur ce point.


               — De plus, l’ahuri était visiblement très attaché à la victime, il n’aurait donc rien entrepris qui puisse lui nuire. Cela lui fera au moins un point positif dans la postérité.


               — Monsieur Hunter ! Ne diffamez pas ainsi, enfin ! Bon, je laisserai passer pour cette fois.


C’était expéditif, pour une remontrance. Rien à voir avec celles qu’il me réservait…


               — A présent, il est temps que nous oubl… que nous suivions le fil de ce procès. Je demande à l’accusation d’appeler son nouveau témoin.


               — Puisque nous avons retenu des éléments sur le motif du crime, nous devons désormais nous pencher sur le mode opératoire du coupable. En l’absence de preuves probantes, Régis Stair, le technicien du théâtre, saura nous renseigner.


               — Soit ! Huissier, faites venir monsieur Stair à la barre ! »


Régis... Etrangement, je n’avais pas l’impression que l’homme cachait des secrets. Au contraire, il m’avait aiguillé vers Amy, malgré ses réticences. Était-ce simplement dû à son sens moral ? Ou était-ce encore autre chose ? Je n’avais qu’une certitude : l’affaire reposait sur son témoignage. Sa casquette pénétra la salle d’audience, menée par le pas lent et calme du régisseur.


— Monsieur, nom et profession s’il vous plaît.


— J’ai ouï-dire que vous veniez de les entendre, votre honneur...


— Oh, euh... Certes. Question purement formelle.


— Régis Stair, technicien du théâtre Wasabi. Je travaille à temps plein aux studios Global.


— Mer... Merci, témoin. Monsieur Hunter ?


— Monsieur Stair, vous avez participé à la représentation théâtrale le soir du crime. Avant d’entrer dans les détails, pourriez-vous nous expliquer quelles sont vos activités au sein de la troupe ?


— Sans problème ! Les locaux sont constitués de divers pans techniques à entretenir et à gérer. En vérité, cela représente peu de travail pour une vraie équipe mais, pour un seul technicien, c’est un métier à temps plein !


— Concrètement, en quoi cela consiste-t-il ?


— J’y viens Phoenix, j’y viens ! Il y a principalement deux choses à gérer. Déjà : les lumières ! Il faut entretenir les projecteurs et l’ensemble du réseau électrique, les commandes, la direction...


— … Un poste parfait pour commettre un crime comme celui d’hier, en somme.


— Objection ! Gardez vos rêvasseries pour cette nuit, Wright ! Vous vous inventerez un coupable lorsque vous aurez des preuves.


— Objection accordée... Et que ça ne se reproduise pas, monsieur Wright.


— No... Noté.


Oops.


— Bien, je suppose que je peux reprendre ?... Je remercie tout d’abord Phoenix pour sa confiance ! Ensuite, le second élément à gérer, c’est l’acheminement des décors. Il y a des rails à l’arrière de la scène qui permettent de faire circuler les décors lors des entractes ou pendant l’action...


— … Comme un rocher par exemple.


— Tout à fait ! C’est le mécanisme qui a servi dans la scène où le chevalier sauve la princesse du Nouveau Vieux Tokyo.


— Un instant ! Je me répète, mais votre position était idéale ! Vous gériez l’ensemble des éléments du crime, il est difficile de croire que vous n’êtes pas impliqué !


— Phoenix, au risque de faire le travail de la défense, je n’avais aucun mobile pour tuer Ophélie, comme l’a si bien souligné Blake. Qui plus est, je suis technicien, pas magicien ! Je n’avais aucun moyen de faire léviter un projecteur !


— Certes...


— Bien ! Je vois que, face à un avocat de cet acabit, le témoin saura se débrouiller. Pourriez-vous nous parler du soir du crime, monsieur Stair ? dirigea le procureur.


J’allais essayer d’omettre la critique de Hunter... Cependant, il avait raison. Je manquais cruellement de contradictions à me mettre sous la dent. Son témoignage était trop basique.


— Lors de la représentation, comme tout le monde le sait, Maya Fey gérait les mouvements des projecteurs. Phoenix ici présent gérait les levers et baissers de rideaux et moi, les décors. Rien de sorcier !


— Rien de sorcier, pourtant... A l’origine, vous étiez plus que content de nous trouver. Vous manquiez de bras, ça n’avait donc rien d’une partie de plaisir !


— Tout seul, oui. Je vous rappelle que le panneau des projecteurs est à l’opposé de tout le reste, or je n’ai que deux bras ! Ecoutez, que vous essayiez de trouver un meurtre là où il n’y en a pas, c’est une chose, mais ne venez pas me mettre ça sur le dos !


— Très bien... Parlez-nous de votre travail lors de la représentation, Régis, insistai-je.


— Je ne crois pas être venu dans cette salle d’audience pour parler de mes méfaits !


— Monsieur Stair, veuillez répondre à la question de la défense, recadra le juge en l’absence de réaction de Hunter.


— Si cela peut satisfaire l’assemblée... J’étais aux côtés de Phoenix, à l’arrière de la scène. Je m’occupais de déplacer les décors à l’aide des cordes fixées au sol, qui permettaient de les faire glisser de droite à gauche. Lorsque la scène changeait, je détachais le décor au bout des rails et le remplaçais par le nouveau. L’astuce étant de le faire glisser derrière les rideaux grâce aux cordes qui coulissent et de le ram...


Mon sang ne fit qu’un tour. J’attendais un tel élément depuis le début.


— Un instant ! Vous n’êtes peut-être pas magicien, mais vous avez tout du parfait technicien, Régis !


— Je te remercie, Phoen...


— Ce n’était pas un compliment ! Hunter, rappelez-vous ce que vous avez statué plus tôt. Maya aurait desserré les projecteurs, puis elle aurait laissé la gravité faire son œuvre. Nous sommes finalement arrivés à la conclusion qu’elle ne pouvait pas avoir commis ce crime. Cependant !... Tout comme moi, vous avez parfaitement constaté les traces de frottements sur les supports !


Le procureur au jabot blanc me fixa de son regard stoïque, les bras croisés.


— Il aurait donc utilisé les cordes pour porter les projecteurs, après avoir dévissé le support... ajouta-t-il.


— Exactement ! Cela résoudrait une bonne fois pour toutes la contradiction que nous traquons depuis le début !


— Un instant ! Phoenix, je pensais que tu avais suivi tes cours de physique... Si les projecteurs étaient reliés à la rampe par une corde, sans aucun leste, Maya n’aurait jamais pu les déplacer ! Et puis, si je m’étais vraiment absenté après avoir dévissé les projecteurs, qu’est-ce qui aurait retenu les cordes ?! Je vais le répéter une dernière fois : je suis technicien, pas magicien !

— Hm... Sauf si vous pouviez manipuler les cordes à votre guise pendant la représentation. Je pense qu’il n’est pas nécessaire de rappeler à la cour que vous manipuliez déjà les décors scéniques grâce à des cordes… fixées au sol, comme vous l’avez souligné. En mélangeant les cordes des décors à celles que vous auriez accrochées aux projecteurs, il vous était tout à fait possible de tout gérer simultanément. Laisser du leste à un projecteur pour qu’il suive le déplacement indiqué par la commande relevait alors du jeu d’enfant. Ou les maintenir pendant votre absence grâce aux fixations… Vous n’êtes certes pas magicien, mais vous êtes un excellent technicien !


— Je dois te contredire, Phoenix ! Ta théorie est belle... D’après ce que je comprends, j’aurais dévissé le projecteur du support, puis j’aurais passé une corde dans les trous, afin qu’il reste attaché malgré cela. Enfin, j’aurais attendu la représentation avant de les agiter... Et alors ?! Cela n’explique pas en quoi j’aurais tué Ophélie !


— C’est pourtant évident ! Au moment opportun, vous avez lâché l’un des deux bouts de la corde... Elle s’est précipitée vers le projecteur, a traversé le premier trou, puis le second, avant de vous revenir dans la main... Et plus rien ne retenait l’appareil qui s’est détaché, naturellement attiré par le sol !


— Jolie théorie, Wright… félicita Hunter, un rictus au coin des lèvres.


— Merci, monsieur le procureur ! Et avant que la question ne soit posée... Il suffit que les experts analysent les traces sur le support et les cordes pour prouver ma théorie. Si les deux concordent, alors le déroulé de la soirée ne fera plus aucun doute !

— Hm… Vos dires sont étonnamment soutenus par des éléments concrets, monsieur Wright. Je pourrais rendre mon jugement immédiatement. Néanmoins, j’aimerais au moins entendre l’avis du témoin : je m’interroge sur ses potentielles motivations. Ou plaidez-vous l’innocence ? Dans ce cas, les analyses seront nécessaires.

— Je… C’est vrai, monsieur le juge, j’ai tué notre chère directrice. Ça n’avait rien de compliqué, j’étais le seul homme dans mes domaines de compétences. Je savais exactement quoi faire, comment brouiller les pistes. Mais Phoenix a vu au travers de mes machinations… Et Alice aussi. J’étais apparemment moins futé que je ne le pensais !

— … Des aveux, soit. Je ne vois aucune raison de prolonger ce procès. Monsieur Hunter, une objection ?

— Aucune, votre honneur.

— Bien !


Un coup de marteau retentit.

— Je déclare l’accusée, Maya Fey, inn…

— Objection !

— Monsieur le procureur ?!

— Hunter ?!


L’index du procureur au costume rouge balança devant ses yeux trois fois. Son rictus autosuffisant en disait long.


               — La théorie de la défense est incroyablement bien montée, je dois l’avouer.


Hunter… Dans quel piège m’avais-tu encore précipité ?


               — Régis Stair a trafiqué les projecteurs, a accroché les cordes au sol en les mélangeant à celles des décors, est allé manger, puis a mis son plan en marche au lever de rideau. Ophélie Retou a ainsi été tuée. Fin de l’histoire ! Je crois effectivement que cela s’est passé exactement comme la défense l’a décrit.


               — Je dois avouer que j’ai du mal à vous suivre, monsieur Hunter.


               — C’est pourtant simple ! Le témoin nous a lui-même signalé que cela faisait beaucoup de travail pour une seule personne !


Il n’oserait pas…


               — Pour venir à bout de son crime, il avait besoin d’un complice, votre honneur. Un complice qu’il connaissait : l’accusée, Maya Fey ! Et elle a joué son rôle à la perfection !


               — Objection ! Régis et Maya ne se connaissaient que depuis un mois, il est imp…


               — Changez de disque, Wright ! Maya ne connaissait Ophélie que depuis un mois. Et alors ?! Je parle de faits, pas de chimères ! Le fait est qu’un meurtre a eu lieu et que l’accusée était aux premières loges. Il y a d’ailleurs de fortes chances qu’Alice ait découvert la vérité et qu’elle ait essayé de rejeter l’entièreté du crime sur mademoiselle Fey, en voulant protéger le témoin !


               — Tsss…


Je ne savais plus quoi dire, je m’étais fait avoir comme un bleu. Soudain, les destins de Régis et de Maya étaient liés.


               — Soit, votre thèse tient la route, monsieur Hunter. Etant donné la situation, il faut en effet envisager que mademoiselle Fey soit impliquée jusqu’à preuve du contraire, même si cela m’attriste. »


Prouver l’innocence de Maya ?! La plupart du temps, il me suffisait de trouver le vrai coupable et de le confronter pour prouver l’innocence de mon client. Mais, cette fois ?!... Je manquais d’idée ! La culpabilité de mon assistante était-elle liée au projecteur, quoi que je fasse ?! Or, il n’y avait aucun doute que le projecteur était l’arme du crime. Je ne pouvais pas simplement inviter la cour dans la tête de Maya pour qu’ils constatent d’eux-mêmes sa pensée : « Je n’ai fait que mon travail. Je n’ai jamais voulu tuer Ophélie ». Et même si elle le disait réellement, qui la croirait ?!... Je ne pouvais pas renoncer aussi facilement. Pas après tout ça. A nous deux, Hunter.


               « Votre honneur, en dépit des médisances de l’accusation, je crois qu’il est essentiel de discuter du motif du crime ! C’est la seule chose qui peut nous permettre de dissocier les intentions de l’accusée et du témoin !


               — Ne fais pas ça, Phoenix… soupira Régis.


               — Hm… Point valide, monsieur Wright. Bien, témoin, veuillez nous expliquer les raisons de votre geste !


               — Je… refuse, votre honneur.


Le technicien attrapa sa casquette et la plongea sur son front, cachant ses yeux noirs.


               — Monsieur Stair, mais enfin ! Pourquoi donc ?! s’interrogea le juge.


               — Je ne parle jamais du passé…


               — Dans ce cas, je le ferai, Régis ! J’attire ici l’attention de la cour sur le dossier en ma possession, le dossier de l’affaire SA-8. Il concerne Amy Stair.


               — Stair ?!


               — Oui, il s’agit de la sœur du témoin, votre honneur. Le dossier révèle que la jeune femme s’est suicidée dans des conditions pour le moins troublantes.


               — Objection ! Les affabulations de la défense n’ont rien à voir avec l’affaire en cours. L’objectif est de déstabiliser le témoin !


               — J’ai également du mal à voir où vous voulez en venir, monsieur Wright…


               — Arrête ça, Phoenix…


               — C’est simple ! Je suis justement persuadé que les deux affaires sont liées ! Madame Stair se suicide et, un an plus tard, son frère commet un homicide ? Il y a forcément un lien !


               — Il est évident que vous cherchez purement et simplement à disculper votre cliente, Wright ! N’allez pas inventer des choses en lieu et place de coïncidences ! J’ai moi-même étudié le dossier de l’affaire SA-8, votre honneur. Aucun détail ne permet de rattacher les deux affaires, si ce n’est le nom des Stair. Bien au contraire, j’aimerais attirer l’attention de la cour sur ce qui est indiqué dans le dossier : « aucune lettre de suicide n’a été retrouvée. La défunte était seule au moment de la mort. Etat dépressif aggravant. L’intervention d’une tierce personne est écartée ». C’est écrit noir sur blanc !


               — Hung…


Il avait malheureusement raison. Je ne pouvais pas convaincre la cour avec des « convictions » et un « sixième sens ». Il me fallait des éléments tangibles.


               — Votre honneur ! Je demande à ce que le témoin nous parle directement de ce qui l’a poussé à tuer Ophélie !


               — Hm… Soit, cela reste la meilleure solution. Monsieur Stair, au-delà de vos réticences, pourriez-vous nous renseigner sur votre potentiel mobile ?...


Il émit un grand soupir et releva la tête.


               — Ok… C’est le minimum que je puisse faire, apparemment. Je préfère en parler moi-même plutôt que d’écouter la défense étaler la vie de ma sœur… Ophélie n’avait rien d’un enfant de chœur.


               — Ce n’est pas un motif pour tuer quelqu’un !


               — Wright ! Laissez le témoin terminer.


Arf.


               — Je disais donc… Elle n’avait rien d’un enfant de chœur. Notre directrice était connue pour avoir remporté plusieurs prix littéraires, dont le prix Deauxnim. C’était quelqu’un de déterminé… Voire un peu trop déterminé. Au début, elle écrivait ses propres textes, dans la passion de l’écriture, dans la fibre artistique. Elle avait l’air si heureuse… Mais lorsqu’elle a commencé à gagner ses premiers prix, la gloire lui est montée à la tête. Elle volait des textes, des gens écrivaient pour elle… Et elle gagnait un succès fulgurant, sur le dos des autres. La vérité est que… Ophélie Retou n’a jamais écrit « Le conte de la princesse du Nouveau vieux Tokyo ! ».

 

               — Vous ne pouviez donc pas supporter qu’elle s’approprie cette énième pièce…

 

               — Et vous l’avez tuée, ajouta le procureur. Si vous aviez raconté une telle histoire à l’accusée, elle vous aurait sûrement suivie !

 

               — Objection ! Maya n’est pas ce genre de personnes, Hunter !

 

               — Cela risque d’être difficile à prouver, Wright !

 

               — Hung… A vrai dire, j’ai même du mal à admettre que Régis ait tué pour si peu !

 

               — Si peu ?! Si peu… ah ah ah. Ne me faites pas rire ! Vous ne comprenez rien au travail des artistes ! A l’abnégation que cela demande ! Aux sacrifices ! Une pièce de théâtre, c’est un pan de vie entier, Phoenix ! La technique, les acteurs, les costumiers, les réalisateurs… Nous sommes tous au service d’une même cause : faire vivre un texte ! Les écrivains dédient leurs vies à l’écriture. Voler leur travail, c’est renier leur existence.

 

               — Je comprends mieux… Vous semblez en connaître un rayon, Régis. Cela vous touche personnellement…

 

               — Bien entendu, c’est mon métier !

 

               — Et votre famille, n’est-ce pas ?...

 

               — Wright, arrêtez de divaguer !... intervint Hunter.

 

               — On ne te la fait pas, Phoenix…

 

               — Quoi ?!... se manifesta à nouveau le procureur, surpris d’être soudain exclu de la conversation.

 

               — Bien sûr, c’est pour ça que vous l’avez tuée… Amy était écrivaine, n’est-ce pas ?

 

               — On ne te la fait vraiment pas…

 

               — Amy Stair a écrit « Le conte de la princesse du Nouveau vieux Tokyo ! »

 

               — J’admire ton opiniâtreté, Phoenix… Fort bien, que la cour ouvre ses oreilles, car je ne le répèterai pas. De toute façon, le passé est le passé… Amy et Ophélie étaient amies d’enfance. Elles se sont rencontrées à l’école. Elles avaient une passion partagée pour l’écriture et les arts de la scène… Pour le dire simplement, l’une ne vivait pas sans l’autre. Mais Amy était plutôt réservée. Elle avait tout de l’écrivaine solitaire. Pourtant, elle arborait parfois un sourire communicatif. Un coup la plus heureuse du monde, un coup la plus renfermée… Il ne nous a pas fallu longtemps pour déceler chez Amy des soucis de personnalité, plus précisément une malheureuse dépression. Dans ce combat de tous les jours, Ophélie était un soutien inestimable... avant qu’il ne se transforme en dépendance mutuelle. Ophélie jalousait Amy, qui écrivait bien mieux qu’elle ; au fur et à mesure, Ophélie gagnait en renommée, car elle avait un meilleur relationnel. Elles ont donc fini par s’associer. Amy écrivait et Ophélie présentait… Cela leur convenait, jusqu’à ce qu’Amy commence à écrire des textes personnels et d’une qualité exceptionnelle.

 

               — Et que la directrice du théâtre Wasabi désire les accaparer…

 

               — Tout à fait. Au début, cela ne dérangeait pas Amy. Après tout, elles se connaissaient depuis longtemps et jamais elle n’aurait pu retrouver une telle amie… Ophélie faisait partie de son univers. Seulement, lorsque Amy a voulu commencer à braver ses peurs et revendiquer certains de ses textes… Sa comparse s’est sentie menacée. Elle savait que, sans les textes d’Amy, elle perdrait sa renommée. Alors Ophélie a refusé, puis la situation a dégénéré en conflit. Malgré ma présence… Amy a subi une nouvelle crise dépressive. Prise dans un cercle d’émotions négatives… Elle a préféré mourir plutôt que de faire de l’ombre à son amie.

 

               — Je comprends mieux les réticences d’Ophélie à jouer la princesse…

 

               — … Mais elle est passée outre ! Cette chère directrice a trahi le souvenir de son amie pour un peu de gloire ! Je ne pouvais pas lui pardonner !...

 

               — Je vois… Merci, Régis… Et désolé.

 

               — Bien !

 

Un coup de marteau retentit.

 

               — Je crois que cela nous amène la conclusion de ce procès. »

 

La foule s’emballait déjà. Des chuchotements incessants naissaient dans les tribunes, nourris par la nouvelle : « l’autrice Retou, un plagiaire ?! », « tout ça pour ça. », « pauvre femme… », « c’est un bouleversement dans le monde du spectacle !... ». Ne cessant de croître, ils devinrent plus constants.

 

               « Or, la défense n’a pas su prouver l’innocence de l’accusée.

 

               — Comment ?!

 

               — On ne peut pas entièrement disculper Maya Fey de ce meurtre, monsieur Wright. Elle a une implication certaine, même minime… Et rien ne dit qu’elle n’aurait pas approuvé le plan de Régis, ce qui ferait d’elle bien plus qu’une complice.

 

               — Le juge a raison, Wright, rendez-vous à l’évidence. Dans le pire des cas, ce meurtre a été pensé à deux ! Vous disiez tout à l’heure que Maya n’aurait pas tué pour si peu… En êtes-vous toujours aussi sûr ?

 

               — Je le pense toujours !

 

               — Mais vous ne pouvez pas le prouver… Personne ne le peut.

 

               — Tsss…

 

Bon sang ! Est-ce que ça allait vraiment se terminer ainsi ?! La foule changea soudain de cible. Les chuchotements réclamaient une vraie justice : « Cette pauvre fille » allait-elle réellement subir les conséquences du crime de Régis ? Il paraissait évident qu’elle n’y était pour rien ! Or, même elle ne dérogeait pas à la règle première : dans un tribunal, les « évidences » n’existent pas.

 

               — Bien. Monsieur Stair, vous serez jugé en conséquence de vos actes.

 

               — Je comprends, votre honneur.

 

               — Quant à moi, je me dois désormais rendre un verdict. La peine de l’accusée sera réduite selon les éléments de l’enquête, monsieur Wright.

 

Je me tus. Que faire ?!

 

               — Soit ! Je déclare l’accusée, Maya Fey, coup…

 

               — Objection !

 

               — Encore ?! s’exclama le juge.

 

Mais cette fois, ce n’était pas Hunter. Une voix rauque venait de percer les tribunes. Un géant au corps de pierre et au cœur coulant se leva.

 

               — Bwahaha ! Je ne peux pas laisser mon beau-frère être arrêté pour un crime qu’il n’a pas commis !

 

               — Qui est encore cet hurluberlu ?! vociféra le juge, exténué.

 

               — Hamburg Astrit… Le cuisinier de la troupe, précisa le procureur sur l’expectative.

 

               — Et le cuisinier a-t-il vraiment son mot à dire dans cette affaire de meurtre ?!

 

               — Bien entendu, votre honneur ! J’ai plus qu’un p’tit mot à dire… Mon beau-frère n’aurait pas pu tuer la p’tite Ophélie !

 

               —Enfin, que raconte-t-il ?

 

               — Qui est encore ce bonhomme ?

 

               — Ce procès n’a ni queue ni tête ! Au moins, j’ai mon scoop.

 

               — Ah ah ah ! N’importe quoi, cette cour.

 

Trois coups de marteau retentirent.

 

               — Silence ! Sileenncee ! J’aimerais le calme dans cette salle d’audience ! Quiconque prolongera inutilement ce procès sera expulsé… Et paiera les frais de déplacement de mes petits-enfants !

 

               — Bwahaha ! Je veux bien payer les frais de déplacement ! s’esclaffa Hamburg. Mais ce ne sera pas inutile ! Régis ne pouvait pas tuer Ophélie…

 

Son visage se referma, lui donnant un air à la fois sérieux et intimidant.

 

               — Car c’est moi le coupable !

 

               — Comment ?! laissa échapper Hunter.

 

               — J’ai tué la p’tite Ophélie de mes propres mains !

 

               — Cet homme est fou…

 

               — Là, ça devient amusant !

 

Les coups de marteaux commencèrent à pleuvoir sur le bureau du juge. Simultanément, les chuchotements, devenus conversations, faisaient entrer la salle d’audience dans un état de canicule étouffant. La tension montait et je n’arrivais plus à réfléchir correctement.

 

               — Sileeeennncee !!! »

 

Le juge fit un signe aux huissiers, qui écumèrent ensuite les tribunes pour faire passer le mot : « séance interrompue. » Alors que je croyais ce procès terminé, Hamburg avait surgi de nulle part, comme à son habitude. Nous n’en avions pas encore fini avec toute cette histoire.


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13 mars, 13h15

Tribunal fédéral - salle des accusés n°2

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               « Je ne sais vraiment pas ce qui est en train d’arriver…

 

               — Nick… Tu crois vraiment que Hamburg aurait pu tuer Ophélie ?

 

               — C’est… C’est impossible ! Depuis le début, j’avais mes doutes sur Régis. En tant que technicien, il occupait une place de choix. Mais… Hamburg ? Pour venger sa femme ? Comment ?! Et puis toi, Maya. Un peu plus et…

 

               — Bah, ne t’en fais pour moi. S’il y a bien quelqu’un qui peut démêler cette affaire, c’est toi, Nick. Je sens qu’on touche au but !

 

               — Oui, c’est sûr… On touche au but.

 

               — Monsieur Wright ? La séance va reprendre.

 

               — Allons-y ! s’exclama Maya en me tirant par le bras. »


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13 mars, 13h25

Tribunal fédéral - salle d'audience n°2

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               « Fort bien !

 

Un coup de marteau retentit.

 

               — Je facturerai la garderie et le taxi à tous ces délinquants. Reprenons la séance ! »

 

La salle, désormais quasiment vide, aurait dû paraître moins oppressante. Pourtant, Hunter et moi-même nous retrouvâmes soudain seuls face à l’inéluctable et inattendu silence. La vérité nous tendant les bras demandait un saut de géant, comme un ravin venteux à franchir. Et rien de cela ne me rassurait…

 

               « Monsieur Hunter, pourriez-vous nous exposer les griefs du manifestant ?

 

               — Après avoir entendu l’histoire de monsieur Astrit, je doute honnêtement qu’elle nous soit utile, votre honneur. C’est impensable ! Totalement impensable !

 

               — Hm. Laissez-nous forger notre propre opinion, je vous prie. Huissier, faites venir monsieur Astrit à la barre !

 

Un nouveau témoignage… Je n’étais pas certain que mon cœur puisse le supporter. Le colosse s’avança à la barre, qui lui arrivait à la taille.

 

               — Hamburg, veuillez raconter à la cour les mêmes évènements que vous m’avez narrés… lentement.

 

               — Pas de souci, pas de souci ! Je le répète, c’est moi qui suis coupable du meurtre de not’ petite directrice, votre honneur.

 

               — Objection ! Nous venons juste de démontrer que Régis était coupable ! De toutes les façons possibles : quand, comment, et pourquoi… Je ne crois pas que vous puissiez en dire autant. Cessez de vouloir protéger vos proches avec des mensonges !

 

               — Ah ah ah ! Toujours autant d’énergie. Laisse-moi finir, « Nick » ! Pour ce qui est du mobile, j’ai exactement le même que notre technicien préféré. Amy Stair était ma douce et tendre, votre honneur… Aussi douce qu’un bon pain, à vous en revigorer le moral, qu’importe la situation ! Pourtant, Ophélie… Je n’ai pas besoin de vous répéter ce qu’a dit monsieur Stair, n’est-ce pas ?

 

Les grands airs n’y changeront rien, Hamburg.

 

               — La cour sait déjà cela ! La question importante ici n’est pas pourquoi, mais comment. Le soir du crime, après avoir cuisiné pour toute la troupe, vous vous êtes occupé de la table et avez rangé votre camion. Dès lors, vous avez rejoint l’entrée du théâtre Wasabi pour accueillir les spectateurs. Il ne s’agit pas seulement de ne pas avoir d’opportunité ; à ce stade, c’est un alibi que vous vous êtes construit !

 

               — Monsieur Wright… décortiqua lentement le cuisinier. Je vous prie de me laisser terminer, vous allez comprendre.

 

Gloups.

 

               — C’est très simple. Je l’ai empoisonnée lors du repas.

 

               — C’est insensé ! s’époumona Hunter le visage crispé. Vos inepties ne font rire personne, témoin. Le rapport d’autopsie a déjà statué que le projecteur était l’arme du crime. Qui plus est, des dizaines de témoins ont assisté à ses derniers instants !

 

               — Ah ah ah !

 

               — Ce n’est pas… drôle…

 

               — Reprenez donc le rapport d’autopsie, monsieur le procureur. Qu’indique-t-il précisément ?

 

               — Hung… Très bien, si vous insistez. Que la cour ouvre ses oreilles : « Ophélie RETOU – décès à 22h17 par blessure externe. Un objet contondant a heurté la victime sur l'arrière du crâne. Le choc avait la capacité d’être fatal. Les analyses post-mortem confirment le décès immédiat de la victime. » Je ne comprends pas où vous voulez en venir… »

 

L’agacement passable du procureur à la patience limitée résonnait dans la pièce sous la forme d’un violent coup de poing infligé à son bureau. De mon côté, je relisais encore et encore le rapport initial. Qu’aurions-nous bien pu manquer ?... Moi… et Hunter ?! « Un objet contondant a heurté la victime. Le choc avait la capacité d’être fatal. » « Les analyses post-mortem confirment le décès immédiat… » ?... Qu’est-ce qui clochait ?... Un objet contondant a bien heurté la victime. On pourrait même dire qu’il l’a envoyée dans l’au-delà ! Le choc avait la capacité d’être fatal… La capacité… Et si…

 

               « Et si le projecteur n’avait pas vraiment « tué » la victime ?

 

               — Vous n’allez pas vous y mettre vous aussi, Wright !

 

               — Si le projecteur n’avait rien à voir avec le crime, à quel moment Ophélie aurait-elle perdu la vie ?...

 

               — Vous comprenez vite, mon p’tit Phoenix !

 

               — J’exige que la défense explicite sa théorie, votre honneur !

 

               — Hm. Je suis aussi de cet avis.

 

               — Admettons que la victime ait réellement été empoisonnée. Elle ne peut pas avoir périe après avoir été heurtée par le projecteur…

 

               — … Mais elle ne peut pas avoir été tuée avant non plus puisqu’elle jouait sur scène devant une salle comble !

 

               — … Exactement, Hunter.

 

               — Que… Vous rigolez, n’est-ce pas ?! Vous n’êtes pas en train de dire que ?!...

 

               — Si, parfaitement. Si ce que dit Hamburg est vrai, alors il y a eu un seul décès, à un seul moment : 22h17… De deux causes différentes !

 

               — Quoooii ?!

 

               — Objection ! Phoenix, Hamburg, arrêtez votre délire ! C’est moi qui ai tué Ophélie, personne d’autre ! cria Régis des tribunes.

 

               — Il ne peut pas y avoir deux meurtriers pour une seule mort. Je n’ai jamais vu ça de mes quarante ans de carrière ! réagit le juge à la voix éraillée.

 

               — Pourtant, ça semble être le cas !

 

               — Si le médecin légal n’a pas jugé bon de réaliser une analyse toxicologique, je crois qu’il va devoir revenir sur sa position… Votre honneur, je demande un complément d’analyse immédiat. Je peux moi-même contacter l’inspecteur en charge de l’enquête.

 

               — Fort bien, monsieur Hunter ! Faites. Je ne me lasserai jamais de votre efficacité.

 

Et de la mienne, votre honneur ?...

 

               — Attendez, je vous dis qu’Hamburg ne peut pas avoir tué Ophélie. C’est moi qui l’ai tuée ! intervint le technicien à la tête froide.

 

Nous allions vite le savoir…

 

               — Reprenons les faits, si vous le voulez bien. Admettons qu’Hamburg ait empoisonné madame Retou. Même si c’était le cas, l’important est de savoir ce qui aurait vraiment mis fin à ses jours, n’est-ce pas ?

 

               — Soit, Wright. Mais il y a peu d’incertitude : le public l’a vue mourir. J’ai du mal à croire qu’ils auraient pu tous louper quelque chose !

 

Le moment de sa mort !...

 

               — S’ils n’avaient pas loupé quelque chose ?... S’ils l’avaient simplement ignoré ?!

 

Bon sang ! C’était sous nos yeux dès le départ !

 

               — Arrêtez vos énigmes, Wright ! Monsieur Astrit cherche à disculper son beau-frère depuis le début !

 

               — Objection ! Ce ne sont pas des énigmes ! Rappelez-vous de la pièce. La princesse du Nouveau Vieux Tokyo était enfermée dans son château. Le chevalier vient la libérer. Il parvient à atteindre les murailles, puis la voilà qui le rejoint. Il tend sa main. A ce moment-là, la princesse, épuisée par ses voyages, manque de voix. Elle cherche à parler, éreintée. Les sons sortent difficilement, soudain, lentement, elle s’affale…

 

               — Alors, vous êtes sérieux… Vous pensez que, précisément, à ce moment-là…

 

               — La princesse agonisait sur les murailles du château ! Et Ophélie sur son tabouret !

 

               — Ensuite, le projecteur se serait détaché. Comme elle était déjà décédée, elle n’a pas réagi, et Blake n’a pas pu sauver sa douce…

 

               — Sauf qu’en vérité, il n’aurait jamais pu la sauver, car c’était trop tard ! L’entièreté du théâtre Wasabi n’y aura vu que du feu ! Les gens l’ont regardé mourir…

 

Hunter et moi étions soudain synchronisés d’une seule voix. Qu’importe nos différends, la vérité nous faisait écho, pliée à nos convictions respectives : celles d’un procureur… et d’un avocat.

 

               — Alors, dans ce cas, c’était un vrai…

 

               — … mélodrame.

 

Régis regardait dans ma direction, les yeux camouflés derrière sa casquette.

 

               — Je le savais, Phoenix… Je savais qu’Hamburg prendrait la parole, à un moment ou l’autre. C’était inéluctable. Amy n’aurait pas souhaité que son mari devienne un criminel. Lorsqu’il m’a raconté ce qu’il s’apprêtait à faire… Je ne pouvais pas l’en empêcher, mais je pouvais au moins essayer de prendre le blâme à sa place.

 

               — … Et je ne pouvais pas laisser condamner son p’tit frère, ajouta Hamburg. Vous savez pourquoi j’ai fait ce que j’ai, mon petit Phoenix ?... Amy prônait la paix des ménages. Même dans ses derniers jours de vie, elle s’est effacée… pour ne plus ennuyer sa meilleure amie. J’ai essayé de l’en dissuader : rien n’y faisait. Elle me parlait. Elle me racontait. Elle lui avait fait promettre, quoi qu’il arrive, de lui laisser le rôle de la princesse. C’était pour elle, sa dernière volonté… Or, même ça, la petite directrice n’a pas pu le respecter. A ce moment-là, j’ai compris de quoi était faite cette amitié. C’était plus fort que moi, je la haïssais. Elle m’avait pris ce que j’aimais plus que tout au monde, plus que la troupe, plus que mes burgers… Elle aimait tellement les manger. Elle voulait qu’on ouvre un restaurant à côté du théâtre…

 

Une larme s’échappa sous chacune de ses paupières fermées.

 

               — Alors, vous avez planifié de vous venger. Seulement, Régis l’a appris, puis a essayé de vous couvrir. Plus tard, Alice a cru que c’est Régis qui allait commettre l’irréparable, et elle a essayé de le couvrir…

 

               — Bwahaha ! C’est risible, concéda Hamburg Astrit.

 

               — Vous formiez vraiment une bonne équipe. »

 

Une demi-heure passa dans le silence de la salle d’audience. Désormais, la vérité ne faisait plus aucun doute. Seules manquaient les preuves, lorsque Tektiv finit par surgir des portes auparavant closes, avec le résultat de l’analyse toxicologique. Un poison mortel avait été retrouvé dans les prélèvements capillaires de la défunte. La cour en fit la seule conclusion qui s’imposait.

 

               « Bien ! Au vu des éléments qui m’ont été présentés, je déclare l’accusé, Maya Fey…

 

Le juge jeta un regard inquiet à l’assemblée, comme s’il s’attendait encore à voir sortir quelqu’un de sous un siège.

 

               — … non coupable ! La séance est close ! »


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13 mars, 15h00

Tribunal fédéral - salle des accusés n°2

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               « Maya !

 

               — Nick… Pauvre Hamburg… soupira Maya en faisant la moue.

 

               — Oui… C’est la justice, c’est ainsi. 

 

Blake se tenait là, accoudé sur le canapé longeant le mur, hébété.

 

               — Hamburg, il… Il ne nous a jamais considéré comme ses amis ?

 

               — Je suis sûr que si, Blake. Au fond de lui, il ne pouvait simplement pas supporter cette situation.

 

Un huissier apporta soudain un colis à mon nom, puis repartit aussitôt.

 

               — Eh, mon gars, félicitations ! s’exclama Tektiv qui venait de revenir des archives où il avait déposé les résultats d’analyse. Et vous aussi, Maya !

 

               — Merci inspecteur, reprit Maya d’un rire attendrissant.

 

J’ouvris le paquet apporté par l’huissier, relativement lourd. Au moment où la lumière perça à l’intérieur du carton, je compris de quoi il s’agissait. Il s’en dégageait une senteur inégalable, qui en ferait saliver plus d’un, même si, à présent, ils devaient être froids.

 

               — Oh Nick, ne me dis pas que…

 

               — Si, je crois bien, Maya.

 

               — Youpi !! Je vais avoir mon burger !

 

               — Blake, vu le nombre, il y en a un pour vous.

 

               — Oui… Vous aviez raison, monsieur Wright. Il nous considérait vraiment comme ses amis…

 

               — Allez, mon gars ! A table ! Pour une fois, vous aurez rien à payer !

 

Hunter apparut de nulle part, attiré par le bruit.

 

               — J’espère simplement que ceux-là ne sont pas empoisonnés, Wright… supposa-t-il, un rictus en évidence.

 

Nous fixâmes tous Maya, qui venait d’avaler sa première bouchée, puis rîmes aux éclats. Blake s’avança au-dessus du paquet entamé et tendit la main vers sa part, affirmant, sûr de lui :

 

               — Non, aucune chance ! »

 

Sur ces mots, nous prîmes nos affaires, quittâmes le tribunal et allâmes terminer l’après-midi en dégustant ces hamburgers autour d’une tablée conséquente.


 


Fin.


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