Au fil de la volte-face

Chapitre 1 : Au fil de la volte-face

Chapitre final

4841 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 31/10/2023 23:57

Au fil de la volte-face

 

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Le fil du destin - (septembre octobre 2023).

 

Arrête de trembler, Mia ! Tu peux le faire !

La jeune femme se tapota les joues, fraîches, roses et rebondies, et, après une profonde inspiration, poussa d’un geste franc les deux grandes portes en bois menant à la salle des accusés, et lança un « bonjour » enjoué.

Un hurlement rauque l’accueillit, et en retour Mia cria aussi, se confondant en excuses. Cela dura moins de quelques secondes, jusqu’à ce que l’autre se décidât à prendre la parole.

—    J’ai rien fait ! J’ai tué personne !

En entendant cette phrase, l’avocate se tut aussitôt, envahie par un sentiment de pitié intense envers lui, et elle se dirigea dans sa direction.

Régis Florimet. Son premier client officiel. Elle ne s’attendait pas à le revoir, encore moins en de telles circonstances, et pourtant voilà que le fil qui les reliait tous les deux réapparaissait, un fil qu’elle discernait avec clarté, grâce aux capacités spirituelles dont elle disposait, du fait de son lien avec le clan de médiums Fey.

Cinq ans plus tôt, elle avait aidé un autre avocat à empêcher Florimet d’écoper d’une condamnation à mort. On accusait alors l’homme d’avoir jeté une adolescente, Dahlia Plantule, dans la rivière, depuis un endroit appelé « pont du Néant ». À l’époque, les deux jeunes gens avaient démontré que la fille avait sauté elle-même dans les rapides. Elle complotait avec sa sœur et le défendeur afin de voler des bijoux, mais les deux femmes avaient trahi l’homme, et la plus jeune disparu avec le butin sans laisser de trace. Valérie, qui témoignait ce jour-là, et avait d’abord menti, avait en fin de compte reconnu les faits et permis l’obtention d’un verdict « non coupable » pour monsieur Florimet.

Et aujourd’hui, il se retrouvait à nouveau en fâcheuse posture. Mia souhaitait l’aider encore une fois – c’était pour cela que ce fil qui les liait l’un à l’autre existait, n’est-ce pas ? Un fil rayé blanc et gris, ténu, mais dont elle devinait sa force malgré son aspect fragile.

—    J’ai rien fait ! Je suis innocent ! déclara l’homme, en s’approchant dans une démarche lourde d’elle, trop à son goût.

Il paraissait se sentir davantage en forme, depuis la dernière fois : plus d’habits de prisonniers, plus de marques de fils de barbelés sur ses joues non plus, et il s’exprimait mieux. Il profitait d’une existence normale… qu’on menaçait de lui retirer une nouvelle fois.

—    Vous ne pouvez pas nier avoir manqué votre contrôle judiciaire, souligna Mia d’une petite voix, un peu gênée.

Régis paniqua et cria une nouvelle fois suite à cette remarque ; l’avocate hurla aussi, lui demandant une nouvelle fois de le pardonner.

Malgré le verdict en sa faveur et les aveux de la sœur aînée des Plantule, sans la découverte du corps de Dahlia, Régis devait se plier à certaines mesures, car le doute planait encore sur son innocence. L’une de ces contraintes était de se rendre toutes les semaines au commissariat pour pointer, afin de permettre un suivi régulier de sa personne tant qu’un infime soupçon de charge planait sur lui.

Or, il avait failli à cette obligation.

Deux jours auparavant, puisqu’il ne s’était pas présenté, la police s’était mise à sa recherche et l’avait rattrapé quelques heures plus tôt, mais une policière avait été assassiné avant son arrestation, et il représentait le suspect parfait pour les enquêteurs.

—    Il y a cinq ans… Vous savez que cette femme a menti pour me faire porter le chapeau. J’ai seulement été la revoir !

—    Vous avez manqué votre rendez-vous obligatoire pour rencontrer la policière ? devina son interlocutrice, sourcils froncés.

Cela l’intriguait. Pourquoi retrouver Valérie, surtout à un tel endroit ? Leurs routes s’étaient séparées depuis le procès, elle vivait jusqu’alors dans une partie reculée de la ville, et lui dans une autre, sous surveillance. Au moment de la prétendue mort de Dahlia, âgée de quatorze ans, l’homme de vingt-quatre ans, embauché comme son tuteur, sortait avec elle, une situation assez mal tolérée par la loi, et une raison de plus pour laquelle les autorités gardaient encore un œil sur lui.

—    Oui… Je n’ai pas pointé parce que nous devions parler… Mais je vous jure… que je ne suis pas son assassin ! Je dis la vérité !

Une lueur de sincérité transparaissait dans ses prunelles, lorsque tous les deux se regardèrent. Mais Mia sentait aussi que le fil qui la connectait à Valérie Plantule n’existait plus, car coupé puis disparu après son décès – cela se passait toujours ainsi, à la mort de quelqu’un : chacun des fils qui la liait à ses connaissances cessait d’exister. Au moins avait-elle pu vivre ses dernières années la conscience un peu apaisée.

Elle ne quitta pas l’homme des yeux.

Je peux être sûre que vous ne l’avez pas tuée, n’est-ce pas ?

—    Si tu le fixes ainsi trop longtemps, tu risques de le rendre nerveux.

En entendant ces mots, elle pivota sur ses talons blancs. Dans l’encadrement des portes se tenait un homme dans la seconde moitié de sa quarantaine, vêtu d’un complet gris et portant une sacoche en cuir en bandoulière, ainsi que deux récipients fumants dans chaque main.

—    Je t’apporte du thé ; j’espère que ça te permettra de te sentir mieux, déclara-t-il en avançant vers elle, un doux sourire aux lèvres. L’heure est venue de faire tes premiers pas dans la cour des grands.

—    Monsieur Hunter ! s’exclama-t-elle, ne dissimulant plus son soulagement.

Henri Hunter. L’un des avocats les plus brillants et réputés de sa génération, davantage encore depuis sa confrontation avec le procureur Manfred von Karma, des années plus tôt.

Et aussi son supérieur.

Son regard se baissa sur sa main. Le fil qui la liait à lui, d’une solidité extrême, revêtait une couleur argentée éclatante. Il s’agissait d’un de ses liens les plus forts, qui remontait à l’affaire DL–6. Maintenant qu’elle y pensait, les fils qui symbolisaient ses relations avec les autres avaient commencé à se multiplier à partir de là. Beaucoup de ses connaissances actuelles possédaient une connexion plus ou moins éloignée avec ce dossier, résolu quelques années plus tôt. Cela lui rappelait d’ailleurs un artéfact qui se transmettait de génération en génération dans sa famille : le shichishito, une sorte d’épée dont la lame se divisait en de nombreuses ramifications. Elle était la lame, et tous les fils qui tissait un lien entre elles et les autres, les ramifications.

Quelqu’un qui n’y connaissait rien à cela aurait pu s’y perdre, mais en réalité, chacun des fils se différenciait d’un autre, en particulier par sa texture ou sa couleur. Un esprit entraîné ne s’y trompait point.

—    J’admire ton courage, lui indiqua Henri en déposant un des contenants remplis de liquide fumant dans ses mains. Je ne connais pas beaucoup de confrères qui accepteraient le cas d’un ancien condamné à mort à nouveau accusé de meurtre, surtout comme premier cas… Tu m’impressionnes.

—    Je m’impressionne moi-même… avoua Mia en resserrant ses doigts sur sa tasse, les yeux rivés sur le reflet que lui renvoyait le liquide brun.

Mais ce lien – elle regarda ce fil qui partait de son doigt pour rejoindre celui de son client –, je veux le préserver ! Pour le moment, il paraissait robuste, mais à tout instant il menaçait de se rompre, et cette idée l’effrayait. Elle refusait d’abandonner le vingtenaire à son sort.

—    Je t’ai promis de t’accompagner pour tes débuts à la cour. Et j’entends rester à tes côtés.

La jeune femme écarquilla les yeux, ne retenant pas une exclamation de surprise. Autour de son doigt, elle sentait le fil les reliant résonner de manière particulière. Une sensation très agréable.

—    Mais si tu préfères procéder d’une autre façon, n’hésite pas à me le dire.

—    Pas le moins du monde ! Si notre patron, l’avocat le plus talentueux que je connaisse se dévoue autant pour moi…

—    Aujourd’hui, à n’en pas douter, c’est toi la patronne, déclara Henri, en lui adressant un clin d’œil encourageant.

Ses joues rougirent de manière incontrôlable.

Henri avala gorgée de son thé fumant. Sa protégée remarqua l’inscription « meilleur papa du monde » en lettres fines et colorées sur la tasse de porcelaine, qu’il abaissa, avant de porter son attention sur leur client.

—    Deux jours plus tôt vous avez rencontré la victime. C’est un fait établi.

Il s’arrangea pour ouvrir sa sacoche, et en sortir un morceau de papier bleu sur lequel était noté un message, et enveloppé dans un sachet plastique transparent.

—    Il s’agit de la note récupérée sur son secrétaire, déclara-t-il en la tendant à Mia, sans détourner les yeux de son interlocuteur. Elle vous avait téléphoné. Vous aviez tout prévu ensemble : l’heure et le lieu, ainsi qu’un signe d’identification.

—    Une écharpe blanche… déchiffra la jeune femme.

Cela représentait de manière concrète, dans un sens, le fil qui unissait Régis et Valérie, désormais coupé, depuis le décès de la jeune femme. Ou les fils, si l’on considérait à la fois celui qui joignait les téléphones portables avec lesquels ils avaient communiqué, et celui du vêtement, mais il tissait une relation entre les deux mêmes personnes.

—    En plusieurs années le visage d’une personne peut changer de façon conséquente.

Une preuve irréfutable. Comment dois-je me débrouiller avec ça ?!

Son supérieur, qui la regardait avec un air chaleureux, ne retint pas un sourire face à son expression tendue.

—    Ne te tracasse pas – elle se retourna vers lui. L’avocate de l’accusation de cette affaire est aussi nouvelle que toi.

—    Pour de vrai ?! s’exclama-t-elle avec espoir.

Henri avala une autre gorgée de thé, avant de nuancer :

—    Néanmoins, on parle d’elle comme d’une prodigieuse procureure.

—    Oh non…

Voilà qui ne me rassure pas… Elle devinait un fil invisible, à l’instar des autres, naître, fin et froid, autour de son doigt et la relier contre son gré à cette personne dont elle ignorait tout. Elle savait qu’elle ne devait pas considérer les procureurs comme des ennemis, au contraire, mais un étrange sentiment l’oppressait, qui ne lui plaisait guère. Si seulement on pouvait couper les fils qui nous relient aux personnes avec lesquelles on n’a pas envie d’être… la vie serait beaucoup plus simple, songea-t-elle, contrariée.

Une musique résonna soudain dans la salle. Elle ressemblait au générique d’une série pour enfants, et Mia se souvint l’avoir entendue à la télé : il s’agissait du thème principal d’un dessin animé sur le thème de guerriers japonais. Elle réalisa que la chanson provenait du téléphone de monsieur Hunter lorsque ce dernier sortit l’appareil de sa poche. Cela la déconcerta qu’un adulte comme lui utilisât une sonnerie de téléphone aussi peu professionnelle, mais il apparut aussi surpris qu’elle.

Il sourit toutefois en remarquant qui l’appelait. D’une pression du pouce, il décrocha et colla le smartphone à son oreille.

—    Coucou, mon grand. Toujours aussi fan des Samouraïs Signal, dis-moi. Ah, je te taquine. Vous êtes en route pour le tribunal ?

Quelques secondes s’écoulèrent, et Henri fronça les sourcils. Mia, trop loin, n’entendait pas la conversation, mais devina qu’il se tramait quelque chose.

—    Je vois… Je te remercie. Pour l’instant, je ne peux rien affirmer. Tout dépendra de la façon dont se déroulera l’audience. Je t’aime, à tout de suite.

L’adulte sourit et raccrocha, activant le mode silencieux de son téléphone avant de le ranger dans la poche de sa veste.

—    C’était votre fils ? demanda son employée.

Elle cherchait plus une confirmation qu’une réponse en réalité. Elle percevait le fil lisse et d’un doré très pur autour du doigt d’Henri qui rayonnait, et elle savait qu’il reliait Benjamin et son père. Un fil, épais, solide, et incassable, qui durerait encore des années et des années, du moins elle l’espérait.

—    Oui, acquiesça-t-il, il arrivera bientôt. Prête à y aller, Mia ? demanda-t-il. Ne t’inquiète pas, tout se déroulera bien.

Il prononça ces paroles avec beaucoup d’assurance, et Mia le crut sans hésiter. Après tout, ce n’était pas pour rien qu’un fil les connectait tous les deux depuis toutes ces années.


*


Les salles d’audience impressionnaient toujours un peu Mia, d’autant plus que cette fois-ci, elle se trouvait au premier plan.

Tandis qu’elle se plaçait derrière le banc de la défense, son supérieur à sa gauche, son regard se posa sur l’espace occupé par l’accusation, où se trouvait une femme encore jeune, qui ne dépassait pas vingt ans. Ses longs cheveux blancs noués en un chignon très strict comportaient des reflets bleus, de la même couleur que ses yeux, qui, lorsqu’ils se posèrent sur l’avocate, provoquèrent en elle un frisson, tant elle la toisait d’une manière méprisante.

Pourtant, Mia sentait le poids lourd et étouffant du fil qui les reliait, celui fin et froid ressentit quelques instants avant son entrée. Une sensation désagréable, qu’elle reconnaissait sans le moindre doute : le fil noir, effrité et irritant qui l’unissait à sa tante lui provoquait le même genre de malaise, sans qu’elle ne parvînt à en déterminer avec précision l’origine.

Le juge arriva à son tour et s’installa sans tarder ; d’un coup de marteau, il marqua le début des hostilités. Cette fois, le fil, quoique fin procura une sensation de bien-être à l’avocate, et l’apaisa. Elle n’oubliait pas non plus la connexion qui existait avec son patron, et qui contribuait elle aussi beaucoup à l’apaiser. Sans compter le fil rouge doux et brillant qui l’unissait à l’homme qu’elle chérissait par-dessus tout, Diego Armando.

—    Je déclare ouvert le procès de monsieur Régis Florimet.

—     La défense est prête, Votre Honneur.

—    L’accusation aussi, bien sûr, répondit la jeune femme en face.

Même son timbre sonnait glacial aux oreilles. Le juge s’éclaircit la voix.

—    L’avocat et le procureur sont tous les deux novices, il me semble ?

—    Oui. Je m’appelle Mia Fey.

—    Je me nomme Adelaïde von Redern. Mais j’imagine que le nom von Karma vous parlera plus.

Elle croisa les bras sur sa poitrine avec détachement. Un contraste saisissant avec l’agitation qui gagna la galerie ; les chuchotements gagnèrent vite en intensité.

L’avocate de la défense se sentit se liquéfier sur place. Von Karma ?! Comme dans « Manfred von Karma » ?! Le criminel de l’affaire DL–6 qui avait manqué de tuer monsieur Hunter juste par orgueil ?! Cela expliquait donc en partie le fil qui les unissait l’une à l’autre, et pourquoi cela procurait un tel sentiment de malaise à la brune !

Lorsqu’elle ferma les yeux, elle aperçut toute l’histoire de l’affaire se dérouler devant elle comme une grosse pelote de laine. Von Karma avait tiré sur Henri Hunter alors que ce dernier se trouvait inconscient dans un ascenseur, en compagnie de son fils et d’un huissier. La balle avait raté de peu le cœur, et plongé la victime dans un profond coma. L’enquête à l’époque piétinait, et la police avait fait appel à la mère de Mia, médium, pour tirer l’histoire au clair. Mais elle avait été accusée d’être une charlatane. De nombreuses personnes avaient souffert des suites de cette affaire, une souffrance que Mia ressentait dans les liens qui la reliaient à ces personnes.

Heureusement que ce dossier avait été résolu et que le patron allait bien.

—    C’est donc vous, la fameuse Madame von Karma ? La plus jeune procureur de l’histoire ?

—    Au vu de la… réputation de ce nom depuis les révélations sur l’affaire, je préfère le patronyme de mon époux. Et j’ai vingt ans.

Elle est plus jeune que moi !

—    Si jeune et déjà un mari et une carrière… A-t-elle seulement eu une enfance ? soupira Henri d’une voix triste.

La réponse paraissait évidente, et Mia se surprit à éprouver de la compassion pour Adélaïde. Les liens qu’elle entretenait avec sa famille, ses amis, l’aidaient à tenir chaque jours, mais la procureure, elle, combien comptait-elle de fils autour de ses doigts, à part celui qui la reliait à Manfred, à la famille duquel elle appartenait ? Une telle solitude émanait d’elle…

—    Madame von Karma, votre déclaration liminaire, ordonna le juge après un coup de marteau.

—    Il y a cinq ans, Régis Florimet, ici accusé, a été accusé de meurtre et enlèvement rançonné. Il a jeté une demoiselle de quatorze ans d’un pont. Sous celui-ci coule une rivière connue pour son niveau d’eau et ses rapides. Il est impossible de retrouver le corps de quelqu’un s’étant noyé.

—    Une douloureuse affaire, déclara le juge en secouant la tête avec tristesse.

—    Un certain témoin oculaire avait témoigné pour qu’il soit condamné. Une policière avait fait face au kidnappeur seule et l’avait arrêté sur place, avant de témoigner contre lui au tribunal.

Je me souviens de sa déposition.

—    Voici la policière en question, c’est la victime de notre affaire.

L’image d’une jeune femme aux cheveux de jais coupés au carré, vêtue d’un uniforme et qui souriait avec politesse à l’objectif s’afficha sur les écrans non loin. En dessous, on pouvait lire son nom.

—    Le brigadier Valérie Plantule. L’accusé, condamné à mort par sa faute, l’a revue il y a deux jours et s’est vengé d’elle !

La brune ne retint pas un cri indigné. Elle s’apprêtait à répliquer quelque chose, mais son supérieur la stoppa.

—    Garde ton sang-froid, Mia.

—    Mais… !

La chaleur qui émanait du fil qui la reliait à Henri l’apaisa alors, et elle se détendit peu à peu. Il avait raison, elle ne pouvait se permettre de perdre son sang-froid, mais tout de même ! Il existe des fils qu’on aimerait bien réduire en cendres, parce qu’ils nous connectent à des personne que l’on ne supporte pas du tout.

—    Sa culpabilité me semble clairement établie, déclara le juge.

—    Une minute ! protesta Mia en posant ses mains devant elle. La défense souhaite faire usage, euh… de son droit à un interrogatoire.

—    Serait-ce la fougue de la jeunesse ? demanda-t-il en haussant les épaules.

Adelaïde l’imita.

—    Parfois, cette étape de la vie est un triste naufrage.

Tu es plus jeune que moi, je te signale !

—    Soit, j’accepte. Je souhaite faire entrer l’inspecteur chargé du dossier.

—    Tu te débrouilles très bien, la rassura son co-défenseur.

Le sourire qu’il lui adressa la réconforta, et elle sentait cette ficelle invisible qui les reliait n’en devenir que plus incassable.

Les portes principales s’ouvrirent, et un homme s’avança à la barre. Avec sa coupe pointue, son imperméable beige et sa cravate rouge dénouée, Mia le reconnut aussitôt.

Mais c’est… !

—    Témoin, vos nom et profession, ordonna l’avocate de la défense.

—     À vos ordres ! s’exclama-t-il en effectuant un salut militaire. Je m’appelle Dick Tektiv. Je suis inspecteur.

—    Tout va bien, Mia ? Tu as l’air surprise.

—    Je ne pensais pas que l’inspecteur Tektiv s’occupait de ce cas.

—    Ça figure dans le dossier de l’affaire… répondit Henri avec un sourire gêné.

Elle sentit ses joues s’enflammer. Le fil brun torsadé qui la reliait à cet inspecteur maladroit mais honnête et désireux de bien faire remontait à plusieurs années. Elle aurait tout de même pu deviner que ce serait lui qui gérerait cette histoire.

—    Je rêvais de la section des affaires criminelles, et j’y ai enfin été affecté il y a six mois ! s’exclama le policier d’un air ravi.

—    Personne n’en a cure, le coupa d’un ton sec Adelaïde. Inspecteur, à votre déposition.

—    Tout de suite !

C’est bientôt à moi… songea la jeune femme, tendue.

—    Mia, sois attentive. C’est le moment d’être à l’écoute. Si tu ne te concentres pas, tu risques de le regretter.

D’un hochement de tête, elle marqua son accord. Elle démêlerait la grosse ficelle que représentait ce dossier, et dénicherait ce qui reliait tous les éléments entre eux, il pouvait lui faire confiance.


*


Elle l’avait enfin trouvé.

Le fil rouge qui reliait tout dans l’affaire.

Rouge comme les cheveux de Mélissa Foster qui se tenait derrière la barre vêtue d’une longue robe blanche bordée de dentelle rose à laquelle était assortie l’ombrelle qu’elle tenait entre ses mains.

Quelque chose clochait chez elle. Mia le devina d’instinct, et l’épais fil noir aux reflets rouges qui les liait la confortait dans ses pensées. Mais elle ne comprenait pas pourquoi il existait. Elle ne se souvenait pas de cette fille, qui pourtant lui semblait familière. Elle jouait un rôle important dans ce dossier, mais encore fallait-il éclaircir tout cela.

Pourquoi cette connexion désagréable entre elles ? Elle avait demandé son nom à Mia, et simplement dit : « C’est donc toi… » lorsque cette dernière avait répondu, avant de reprendre une attitude normale et de livrer sa version des faits.

—    Si tu ne trouves pas de contradiction dans ce témoignage, ça marquera la fin du procès, lui indiqua avec gravité Henri.

Plongé dans le dossier, il regarda d’un air inquiet sa protégée. C’est l’heure de la bataille ! songea Mia, déterminée.

Le contre-interrogatoire qu’elle entreprit représentait pour elle une sorte de fil d’Ariane : il suffisait de le suivre pour se guider dans le labyrinthe épais des mensonges, des hypothèses et des suppositions, afin d’atteindre l’arrivée : la vérité. Quel parcours semé d’embûches, cependant ! Et Mélissa ne lui simplifiait pas la tâche. Pire que cela, le malaise que Mia ressentait en l’observant s’accentuait toujours plus, et la ficelle d’un noir profond qui les unissait l’une à l’autre la démangeait affreusement.

Plus elle approchait de la sortie de ce dédale, guidée par la vérité, moins Mia parvenait à réfuter l’évidence qui s’imposait à elle : Mélissa était responsable du meurtre de Valérie.

—    C’est le condamné qui l’a tuée ! se défendit la rousse d’un air indigné. Comme il y a cinq ans, il a volé la vie à la victime !

—    Justement, déclara Henri, j’aimerais revenir sur ce qu’il s’est passé cinq ans plus tôt. Vous parlez bien de Dahlia Plantule ?

La petite sœur de Valérie… Elles et Régis avaient monté ce faux kidnapping…

La voix d’Adélaïde l’interrompit dans ses réflexions.

—    Objection ! Le nom du défunt d’il y a cinq ans n’a rien à voir avec cette affaire !

—    Vous enterrez Dahlia Plantule de manière un peu prématurée, mademoiselle von Karma.

—    Vous n’insinuez pas… !

—    Dahlia avait quatorze ans, il y a cinq ans. À l’époque, on pensait qu’elle s’était noyée dans les rapides sous le pont, et son corps n’a jamais été retrouvé.

—    Pardon ? s’exclama le juge.

—    Plus aucune trace d’elle ne subsiste en ce monde.

D’un geste assuré, l’adulte reposa le dossier de l’affaire devant lui et fixa son témoin avec intensité.

—    Elle avait quatorze ans… Autrement dit votre âge, si elle vivait encore.

Cette remarque provoqua beaucoup d’animation dans l’assemblée, que même les coups de marteaux peinèrent à calmer. Inutile de préciser l’état de colère dans lequel se trouvait l’avocate de l’accusation, qui refusait de croire à une telle version des faits – rien de moins qu’une morte ressuscitée, tout de même !

Mais, au fond d’elle, la jeune Fey connaissait la vérité. Cela ne l’étonnait pas. Elle s’était toujours douté que Dahlia n’avait pas péri, ce jour-là. Elle avait survécu, et choisi de garder la rançon pour elle. Puis elle s’était construit une nouvelle identité, celle de Mélissa Foster. Valérie, rongée par la culpabilité d’avoir failli condamner Florimet à mort par ses propres paroles, avait dû réussir à retrouver sa sœur et s’apprêtait à transmettre l’information. Dahlia s’était sentie menacée et avait décidé de l’éliminer, coupant pour de bon le fil qui les reliait.

—    Monsieur Hunter… souffla-t-elle en se tournant vers lui, je crois que cette fille… Dahlia Plantule… C’est ma cousine.

—    Celle que son père avait emmené loin du village de Kurain ? Je me souviens que tu souhaitais la sauver.

Il marqua une pause, avant de reprendre, d’un air désolé.

—    Mia… J’ai de bonnes raisons de croire que Dahlia compte assassiner monsieur Florimet. Si nous ne trouvons pas un moyen de l’arrêter… j’ai peur que ce procès ne se termine très mal.

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