A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 52 : Les lamentations de la sirène - partie 2

5664 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 06/05/2024 19:50

Chap 52 : Les lamentations de la sirène 2


En catimini, Reiko se faufila entre les énormes rochers qui jonchaient la caverne aux dimensions démesurées.

Il serait prétentieux de supposer qu’elle avait élaboré une stratégie pour tirer Bruce de ce mauvais pas. Elle avait au mieux assemblé plusieurs idées mais, quelle que soit la manière dont elle les imbriquait, celles-ci ne constituaient jamais une esquisse de plan satisfaisant.

“C’est pas si différent d’une simulation. Analyse, Réflexion et action.”

Plus facile à dire qu’à faire, surtout lorsque l’enjeu de ce combat était la vie de l’homme dont elle était si désespérément amoureuse.

“Je suspecte que l’improvisation n’est pas la façon la plus judicieuse d’aborder cette situation inextricable.”

Elle s’accroupit avant de ramper entre les rocs qui parsemaient sa route. Lentement mais sûrement, elle se rapprochait de l’étrange duo formé par le sniper et la créature du lac.

“Est-ce qu’elle est responsable de la zombification des garçons ?”


- Oui, très certainement, souffla-t-elle.


Les mains moites, la combinaison et les cheveux trempés de sueur, elle parvint enfin à une trentaine de mètres de son époux.

“Il faut que je réussisse à lui visser le casque sur la tête sans que Ça ne s’éveille. Avec un peu de chance, il reviendra à lui. J’ignore si ce truc à l’ouïe aiguisée ou non donc cette opération risque de se révéler délicate. Et je ne suis pas réputée pour ma finesse, loin de là.”

Viser le monstre avec son cosmo-gun n’était pas une option. Si elle ne touchait aucun point vital - ce qui au vu de ses compétences en la matière était probable - la bête pourrait s’énerver et, dans sa rage, piétiner l’otage qui se trouvait à ses pieds.

“Il va falloir être plus maligne que ça.”

Le cœur palpitant, les jambes en coton et aussi discrètement que possible, elle crapahuta jusqu’à Bruce dont les prunelles éteintes fixaient le néant. 

“Mon amour, cette enflure… Elle a… Elle a osé t’utiliser et c’est inacceptable.”

Dans un chuintement feutré, elle ôta son couvre-chef.

Et, alors qu’elle s’apprêtait à l’enfiler au-dessus du crâne de son conjoint, le reptile des marais s’ébroua.

La pilote leva le menton au ralenti, terrifiée par la perspective de ce qu’elle allait découvrir.


- Tiens donc ? De la vermine se serait introduite dans mon antre ? Comme c’est amusant !

- Ça parle…, balbutia-t-elle, effarée, en dévisageant les traits humains et les pupilles entièrement noires de la chimère.


La gigantesque queue écailleuse se mut alors, serpentant entre les pierres avec un affreux bruit de succion.

Bien qu’effrayée au-delà de l’imaginable, Reiko bondit vers le Commandant du peloton Sirius, les doigts crispés autour du casque.

“Maintenant ou jamais.”


- Qu’essaies-tu de faire, insignifiant insecte ?


À peine eut-elle l’opportunité d’effleurer les mèches blondes du sniper, qu’elle fut balayée par un revers de queue en pleine poitrine.

Sans un cri, elle s’effondra une dizaine de mètres plus loin, sur les galets bordant l’étendue aqueuse.

Il fallut près d’une quinzaine de secondes pour que l’oxygène ne s’engouffre à nouveau dans ses poumons. Elle toussa à s’en décoller les bronches, soulagée de respirer librement.


- Une petite mouche qui tente de voler mon serviteur ? Intéressant, n’est-ce pas ?


Les poils de Reiko se hérissèrent et elle se releva en chancelant, furibonde.


- Il n’est pas… Votre serviteur !, cracha-t-elle.

- Et qui es-tu pour t’adresser à moi de la sorte ?

- Sa femme.


L’abomination fut secouée de tremblements que la pilote mit quelques instants à identifier comme étant un rire de la pire espèce. 


- Vois donc, femelle, ce que j’ai fait de ton partenaire !

- Je le vois, monstre, et crois bien que ça ne plaît pas.

- Et donc ? Que comptes-tu faire ?


Un sourire dur étira la commissure des lèvres de Reiko.


- Récupérer mon mari.


Elle rejeta ses boucles brunes en arrière tandis qu’un frisson d’adrénaline et de colère traversait son organisme de haut en bas.


- Et te faire sauter la cervelle, putain de lézard.


*** 


“Non ! Non ! Reiko, ne reste pas là ! Fiche le camp de ce trou à rats !”

Bruce banda son esprit, força sur ses muscles et intima à son enveloppe corporelle de bouger, mais rien ne se produisit. Il demeura aussi figé qu’une statue posée au milieu d’un parc. 

Désemparé, il assista à l’infiltration de son épouse puis à son envolée magistrale à travers la grotte.

“Elle ne doit pas affronter cette chose. Pas pour moi. Pas pour me sauver.”

Il ne supportait pas d’être réduit à cet état larvaire, simple spectateur de l’intervention de la jeune femme. 

Mortifié, il l’observa défier la sirène qui l’avait capturé dans ses filets.

“Tu es courageuse, je n’en ai jamais douté, mais là c’est de l’inconscience. Tu n’es pas de taille. Fuis ! Ne meurs pas, je t’en prie. Sayuri… Sayuri a besoin de toi !”


*** 


- Voilà qui est bien présomptueux.

- Tu en connais des mots savants pour un iguane si gras.

- J’ai vécu cent vies, misérable mortelle. Ne me manque pas de respect ! J’ai vu des civilisations naître et mourir. J’ai vu…

- Mourir ?, l’interrompit-elle. Quel concept aux sonorités agréables. Surtout si la mort en question est celle d’une mocheté couverte d’écailles poisseuses.

- Ne sois pas impertinente !

- Vraiment ?

- Je ne te le conseille pas, répondit-elle d’une voix doucereuse.


La bête s’étendit et Reiko déglutit péniblement en constatant qu’elle était aussi grande que deux wagons de Big1 réunis. 

Sa crinière sombre récurait le sol, dévoilant plus que nécessaire son ignoble visage diaphane et grossier. Quatre pattes ridiculement petites comparées à son corps parachevaient ce tableau infernal.


- Je vais te faire payer ton insolence, siffla-t-elle. Serviteur, tue ce cafard ! 


Après un instant de flottement, elle contempla avec effroi les mouvements robotiques de son compagnon en train de se lever.

Puis, avec sa dextérité coutumière, il dégaina son pistolet et tira.

Reiko eut tout juste le temps de se jeter à terre pour éviter d’être transformée en passoire.


- Bordel, elle se sert de lui pour m’anéantir, grommela-t-elle en se hissant à l’abri d’un rocher massif.


Des faisceaux laser entaillèrent la pierre et elle se protégea la tête pour que les éclats tranchants ne lacèrent pas sa peau. 


- Je ne suis pas capable de me battre contre Bruce. Et je ne le veux pas… Je ne le veux pas…


***


- Serviteur, tue ce cafard !


“Non !”

Contre son gré, Bruce se mit debout et arracha du holster l’arme confiée par Harlock. Avec horreur il lorgna sur son bras, qui se tendit en avant comme un ressort, visant la femme qu’il chérissait plus que tout au monde. 

“C’est trop. Non, ça c’est trop. Elle ne peut pas m’obliger à faire ça.”

Il concentra toute sa volonté et la visualisa telle une flèche qui courait le long de sa chair, de l’épaule à la pulpe de ses doigts.

Et, au moment fatidique où il appuya sur la gâchette, il dévia la flèche de quelques centimètres, suffisamment pour esquiver le roc derrière lequel Reiko s’était dissimulée.

Avec l’énergie contenue à l’intérieur du cosmo-dragoon, il aurait dû aisément le pulvériser. Il fut donc soulagé de constater qu’il avait le pouvoir de maîtriser un tant soit peu les tirs.

“Va-t-en, Reiko ! Va-t-en !”


***


La pilote s’extirpa laborieusement de sa cachette, le nez dans les cailloux humides. Elle réfléchissait à vive allure, cherchant un moyen qui lui permettrait à la fois de se débarrasser de la chimère et de réveiller son conjoint de la torpeur dans laquelle il baignait.

“C’est chaud… La vérité, c’est chaud.”

Dans un face à face avec Bruce, elle n’avait aucune chance. Strictement aucune.

Il était plus rapide, mieux armé et bien plus précis qu’elle ne le serait jamais.

“Si je ne le prends pas par surprise, je ne pourrai pas lui mettre ce casque sur le crâne.”

Étonnamment, les rayons rougeoyants ne semblaient pas atteindre les rochers, mais Reiko était trop absorbée par ses problèmes pour s’en préoccuper.


- Je vais le contourner et lui tomber dessus.


Ce stratagème était pour le moins bancal mais elle n’en avait pas de meilleur. 

“Si je suis assez proche de la créature, je pourrai tirer, même moi je ne devrais pas la louper.”

En dépit des entraînements, son niveau stagnait et elle était certaine de faire la déception de son sniper de mari.

“Si je rate mon coup, il va me shooter comme du gibier.”

À travers une fissure, elle remarqua que le monstre avait quitté son nid pour se réfugier dans les eaux troubles du lac.


- Tant mieux, ça me facilitera la tâche, maugréa-t-elle.


Elle rampa sur une corniche qui surplombait le nid et, alors qu’elle tendait le cou pour débusquer son époux, elle s’aperçut avec épouvante qu’il n’était plus là.


- Mais où ?


Elle n’eut pas le loisir de s’interroger davantage car des mains la happèrent, la contraignant à se retourner.


- Bru… Bruce…


Penché au-dessus d’elle, la bouche tordue dans un rictus malsain, il la toisait avec un air ahuri. 

Le cœur de Reiko s’emballa et des tressaillements agitèrent son menton.


- Mon a… Mon amour, bégaya-t-elle, les larmes aux yeux.


Elle voulut remuer ses poignets mais ils étaient solidement maintenus sous les genoux du Commandant de la section Sirius. Puis, lorsque les paumes de ce dernier se refermèrent autour de sa gorge, elle cessa de se débattre. 

Affligée par l’échec et la souffrance, elle n’avait plus les idées claires.

Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était se focaliser sur les traits taillés à la serpe, les prunelles délavées et la chevelure d’un blond polaire de l’homme qu’elle avait choisi pour partager sa vie.

Les doigts enserrèrent ensuite sa nuque si fort, qu’elle décida de parler avant de ne plus en avoir la possibilité.


- Je suis désolée. Je t’aime. Je t’aime tellement. J’aurais tout donné pour… Te sauver.


Des étoiles et des mouches commencèrent à danser devant sa rétine et elle comprit que la fin était imminente.

Suffocante, elle se battait pour rester consciente.


- Ko… Reiko…


Les mots s’étaient difficilement frayés un chemin dans la trachée de Bruce et les prononcer requérait un effort colossal.


- Va…

- Bru…Ce, croassa-t-elle, proche de l’asphyxie.


Les phalanges autour de son cou se délièrent subitement et l’air pénétra à nouveau dans son larynx. La jeune femme toussa, pliée en deux par la douleur.


- Va.. Va…


Les sourcils froncés, les membres parcourus de tressautements, le sniper s’efforçait de conserver un simulacre de contrôle sur ses agissements. Il recula lentement, libérant les avant-bras de sa compagne par la même occasion.


- Va… Va-t-en !, ordonna-t-il.

- Non !


Elle se lova contre son torse et l'enlaça en sanglotant.


- Je ne te laisse pas !

- Reiko !, gronda-t-il, transpirant.

- Non… Non… Je ne m’en irai pas.


Du coin de l'œil, elle avisa néanmoins le casque qui ne se trouvait qu’à quelques mètres en contrebas. Elle tendit alors le bras dans sa direction, déterminée à le récupérer malgré la distance qui les séparait.

Elle ne parvint toutefois pas à s’en saisir car une poigne puissante la propulsa dans le lac. Avant qu’elle n’ait le temps de le réaliser, elle plongeait dans l’eau et buvait la tasse.

Étourdie, elle toucha le fond et, d’un coup de talon, se catapulta vers la surface.

Elle émergea en crachotant, désorientée.


- Bruce !, s’époumona-t-elle. Bruce !


Un genou à terre, la tête baissée, il soufflait comme un bœuf.


- Je t’en prie… Je t’en prie, murmura-t-elle en écartant la vase qui l’entravait.


*** 


“Je ne résisterai pas… Je ne résisterai pas longtemps à son emprise.”

Horrifié, il s’était vu assassiner sa femme. 

Assassiner.

Sa femme.

Celle qu’il s’était juré d’aimer.

Celle qu’il s’était juré de protéger.

“Mon dieu… Cette malédiction ne me fichera donc jamais la paix ?!”

Dans un sursaut aigu de volonté, il avait réussi à éloigner Reiko mais cet acte lui avait littéralement broyé les entrailles.

Les chants martelaient à présent son esprit. Oppressants, accablants.

Ils tentaient d’annihiler les résidus de son âme qui subsistait déjà avec peine. 


- Cha… Chaton… Fuis loin d’ici… Ne meurs pas…, lâcha-t-il entre ses dents.


Il la vit batailler contre la boue avant de se figer, les yeux écarquillés. Elle leva les bras et Bruce nota avec stupéfaction que sa combinaison spatiale partait en lambeau.

Le lac n’était pas composé d’eau ou de terre mais d’une sorte d’acide corrosif.

Reiko arriva sans nul doute à la même conclusion puisqu’elle redoubla d’énergie pour s’extraire de ce liquide nocif.

“Je dois la secourir ! Je dois…”

La sirène choisit cet instant pour quitter les abîmes, éclaboussant abondamment les alentours.

Moins d’une seconde plus tard, elle avait capturé la pilote dans l’une de ses pattes et la ballotait dans tous les sens. Les habits de cette dernière pendaient mollement entre les griffes de la créature et il entr’aperçut sa peau rouge et irritée.

“Putain… Putain…”, s’affola-t-il en luttant pour recouvrer sa mobilité. 

Désespéré, il recherchait vainement une solution pour se délivrer de sa prison charnelle.

C’est alors qu’il le remarqua, gisant au sol, à demi dissimulé entre les galets. 

Le casque.

“Reiko a essayé de l’attraper… Pourquoi ?”

En bien mauvaise posture, la jeune femme jouait des pieds et des mains pour s’évader, ce qui ne s’avérait guère concluant.

Elle semblait avoir perdu son cosmo-gun et ses tentatives pour entailler les écailles avec ses incisives étaient inefficaces.

“Voulait-elle… Que je le mette sur mon crâne ? Oh… Oh !”

Une semaine auparavant, David les avait mentionnées.

Les nouvelles caractéristiques de leurs équipements.

Et parmi celles-ci…

Cahin-caha il se précipita en avant, roulant sur les cailloux.

Un mètre. Un petit mètre le séparait de son objectif.

Bandant une fois de plus sa volonté, il incita ses doigts à se mouvoir.

“Encore un peu… Juste un peu…”

Toujours plus sonores et discordants, les chants s’amplifièrent.

“J’ai une femme. J’ai une femme et une gosse. J’ai une femme et une gosse !”

S’accrochant à cette certitude, il replia sa main autour du casque, le traîna jusqu’à lui et, enfin, passa la tête à l’intérieur.

Une vague bienfaitrice fulgurante l’enveloppa alors et il s’effondra.

La boîte de Pandore s’était déverrouillée et il venait de se réapproprier chacune des cellules de son organisme.

Libre. 

Infiniment libre. 


**


- Relâche-moi ! Je t’ordonne de me lâcher !

- Toi ? Toi, tu oses me donner des ordres ? 

- Aaaah !


La bête lança Reiko dans les airs et celle-ci poussa un hurlement strident, persuadée qu’elle allait s’empaler sur les aiguilles rocheuses.

Une griffe se planta alors dans sa cheville, la perforant de part en part, et elle gémit, les yeux mi-clos.

Suspendue par le pied droit, presque totalement nue, elle n’avait jamais été dans une position si précaire.

Du sang s’écoulait sur sa cuisse et sur son ventre pour se nicher au creux de sa nuque.

“J’ai mal…”

Ses tendons s’étaient déchirés et elle avait l’impression de n’être qu’une poupée de chiffons inerte.

Elle haletait, terrorisée.

Non pas pour sa vie, mais pour celle de Bruce.

Si elle n’était pas en mesure de lui venir en aide, qui le ferait ?

Resterait-il durant toute son existence l’esclave de cette abomination ?

Et Sayuri ? 

Allait-elle perdre ses deux parents dans la même journée ?

Des larmes inondèrent les joues de Reiko.

“Est-ce qu’elle connaîtra une enfance similaire à la mienne ?”


- Je voulais au moins lui épargner ça…

- Qu’est-ce que tu racontes, vermine ?

- Rien qui ne te concerne.


Elle prit une profonde inspiration.


- Lézard ignare.


La chimère rugit, les traits déformés par la haine.


- Tu vas mourir femelle.


“Est-ce que c’est fini ?”

Son adversaire reptilienne déplia l’une de ses griffes, prête à l’écorcher.

Reiko la suivit du regard, résignée.

“Il y a certaines puissances contre lesquelles toute lutte est impossible.”


- Bruce… Sayuri… Pard…


Un faisceau brûlant fusa alors dans la caverne et se logea dans le faciès du monstre.

Pile entre les deux yeux.

Après quelques secondes, celui-ci bascula en arrière, entraînant la pilote dans sa chute, qui ne put échapper à son deuxième bain journalier.

Elle s’enfonça dans les flots, la jambe toujours harponnée à la griffe.

“Je vais me noyer ! Je vais me noyer si je n’agis pas…”

Alors qu’elle cherchait à tâtons de quel côté l’os ressortait de son corps, une silhouette posa des mains sur ses épaules, descendit doucement le long de sa colonne jusqu’à effleurer ses hanches et son fessier.

Commençant à manquer d’oxygène, elle battit des bras, paniquée.

Une douleur foudroyante envahit ses membres inférieurs et, aussitôt après, une force colossale la tracta vers la surface.

Elle émit une plainte rauque et claqua des dents, frigorifiée, recrachant la vase qui encombrait sa gorge.


- Par tous les dieux, tu respires.

- Qui… ?

Extirpée de l’eau boueuse, elle sentit qu’on la portait vers le rivage. Vaguement sonnée par sa brève noyade et par la souffrance qui irradiait de son pied, elle ne réagit pas immédiatement.

Sa vision floue s’éclaircit, gagna en netteté, et elle reconnut enfin le visage taciturne du sniper.


- Je vais te réchauffer, déclara-t-il en l’installant sur une roche.

- Tu es… ? Tu es… ?

- Ouais, je suis moi-même, l’informa-t-il en ôtant son uniforme et en l’essorant.

- J’ai… Eu… Peur… Pour toi !

- Je suis désolé.


Ombrageux, il aida la jeune femme à enfiler ses habits avant de parachever son ouvrage en clipsant les pressions.


- C’est préférable comme ça, hein ?

- Ma combinaison…

- Elle s’est désintégrée dans l’acide et si je te laisse te balader entièrement nue tu vas choper la mort. Ma veste et mon pull ne sont guère dans un meilleur état mais bon… C’est mieux que rien.

- Bruce…

- Ne pleure pas… Ne pleure pas, s’il-te-plaît, dit-il en la serrant contre lui.

- Je t’aime… Je t’aime !

- Moi aussi… Moi aussi.


Il caressa les cheveux de son épouse jusqu’à ce qu’elle se tranquillise. Puis, quand ses tremblements furent calmés, il arracha le bas de son pantalon de toile et le noua autour de son mollet abîmé.


- Les saignements se sont presque arrêtés.

- Oui… Bruce, tu sais j’ai vraiment… Vraiment essayé…

- Tu ne pouvais rien contre elle. Ou contre moi… Tu n’aurais pas dû t’interposer ! Quelle folie… C’était dangereux et irresponsable.

- Je ne voulais pas… Qu’elle te fasse du mal !

- Et si elle t’en avait fait à toi, hein ? Tu y as pensé ?

- Je…

- Tu es trop imprudente, continua-t-il. Si elle nous avait tués tous les deux, Sayuri…


Elle ne pipa mot, honteuse.


- Où sommes-nous ?

- Sur un satellite de la planète U-machin.

- U-machin ?, grommela-t-il, en positionnant un bras sous les genoux de Reiko et un second autour de sa taille.

- Hé ! Qu’est-ce que tu fais ?

- T’as plus de chaussures je te rappelle. Où sont les autres ?


À demi-mots, elle lui évoqua l’atterrissage mouvementé, la séparation du trio féminin et le combat durant lequel elle avait assommé Manabu.


- Je vois. Ils ne doivent pas être loins.


Blottie contre la peau nue de Bruce, elle gardait difficilement les yeux ouverts.


- Je suis toujours inutile, pas vrai ? Toujours inutile… 


Le Commandant soupira en longeant le lac, son précieux fardeau pelotonné dans ses bras.


- Je me suis emporté, chaton. Je comprends ta réaction… C’est juste que je me suis senti terriblement impuissant, envoûté par le chant de cette sirène démoniaque.

- Le chant ?

- Ouais, je te raconterai. Repose-toi, je prends le relais.

- D’a… D’accord, accepta-t-elle au moment où ses paupières se fermaient.


*** 


- Quel mari de pacotille je fais… Incapable de prendre soin de sa famille. Incapable de faire preuve de chaleur envers celle dont je suis épris.


Il contracta les mâchoires, énervé.


- Je suis pitoyable… Et détestable.


Il embrassa le front de sa femme en empruntant l’unique tunnel qui permettait de quitter la grotte. 

Ce qu’il avait ressenti lorsque cette bestiole se préparait à assassiner Reiko était sans aucun doute l’une des pires émotions qu’il lui avait été données d’éprouver.

Une terreur sans commune mesure.


- Ma chérie…


Et par-dessus tout, il craignait que sa malédiction n’ait jamais été réellement levée.

Sinon, comment expliquer qu’il avait failli la tuer de ses propres mains ?

C’était inadmissible, tout bonnement inadmissible.


- Est-ce ma faute si tu as été blessée ? Oh.. Je m’en veux tellement que tu aies dû subir tout ça.


Des bruits de pas retentirent dans la galerie et le Commandant se pétrifia, sur ses gardes.


- Bruce ?

- Yûki ! Et… Vous autres.


Il émit un sifflement soulagé en avisant son unité en un seul morceau.


- Tu as trouvé David.

- Et toi… Oh Reiko !

- Elle va bien même s’il faudrait examiner sa cheville sans tarder. 

- Ses… Ses vêtements, balbutia Manabu qui était sorti du coma.

- Une longue histoire.

- Vous puez la vase !, ne put s’empêcher de noter Louise.

- Ouais, ça fait partie de l’histoire.


L’ingénieur darda une œillade surprise sur Reiko, ouvrit la bouche, la referma et l’ouvrit à nouveau.


- Les yeux, c’est dans la poche, l’avertit Bruce d’une voix aussi froide que la température actuelle.

- Euh…


Soucieux, l’artilleur retira son manteau et l’offrit à son supérieur.


- Elle est sèche.

- Merci, dit-il en enveloppant les jambes de la jeune femme. Tout le monde va bien ?

- Mise à part la bosse de Yuuki-kun…, répondit l’Officière radar, inquiète pour son amie.

- Okay, on décampe.


Moins de quinze minutes plus tard, le peloton Sirius émergea à l’air libre.


- Regardez, s’exclama Louise. C’est Silver Bear… Le train de… De…

- La section Mizar, compléta Manabu.

- Noboru… Wakita ?

- Exact.

- Ils sont parvenus à nous localiser et pourront donc nous remorquer, argua le sniper. Au vu des dires de Reiko, je pense que Big1 n’aurait de toute façon pas pu décoller.

- Vous avez trop tiré sur la chaudière.

- Si t’avais été à notre place, David, se rebella Louise, je te garantis que…

- Je te charrie !


Les narines de la pilote remuèrent et elle s’éveilla laborieusement. 


- Bruce ?

- On va rentrer.

- Je peux… Je peux marcher maintenant, dit-elle en s’ébrouant.

- Pas question.

- Mais…

- Pas question, j’ai dit.


David pointa du menton le train de combat, qui avait atterri près de Big1, dont les wagons s’étaient à moitié enlisés dans les marécages.


- Ils sont déjà là. Tiens donc… Il est bien entouré Wakita !, lança-t-il en détaillant l’unité, presque entièrement féminine, qui lui emboîtait le pas. Il n’y a pas cette fille qui a passé la certification avec Koko, d’ailleurs ?

- Manabu, l’interrompit Bruce.

- Oui ?

- Je te la confie, décréta-t-il en lui fourrant Reiko dans les bras. Emmène-la à l’infirmerie et veille à ce qu’elle ne pose pas son pied amoché à terre avant que Yûki n’en ait terminé avec elle.

- Je vais l’ausculter, promit le médecin.

- Parfait.


Bougonne, Reiko voulut se dégager de l’étreinte de Manabu, mais le regard irascible de son mari la convainquit que ce n’était pas le moment de faire des vagues.


- Je ne suis pas trop lourde ?, demanda-t-elle donc à contre-coeur à son équipier.

- T’in… T’inquiète, répondit celui-ci, aussi rouge que le jus de tomates que Bulge avait l’habitude de boire.

- Okay, dit-elle tandis qu’ils s’éloignaient. T’en fais pas, tu pourras me laisser dès qu’on arrivera sur Big1… Bruce en fait toujours trop quand il s’agit de moi. Il doit croire que je suis en sucre ou je ne sais quoi.

- C’est… Bon !, ânonna-t-il en franchissant le marchepied, Louise et Yûki sur ses talons.


Bruce l’observa disparaître à l’intérieur de l’une des voitures, qui basculait dangereusement sur le côté.


- Je ne veux pas prendre le risque que ça s’infecte, admit-il.

- J’aurais pu l’accompagner.

- Plutôt crever.

- Dur.

- T’avais qu’à pas lorgner sur les jambes de l’épouse de ton Commandant, imbécile.

- Oh, elle était juste devant moi, tu voulais que je regarde où ?


Une ride de contrariété se gonfla sur les tempes de Bruce.


- Si je t’enterrais là, personne ne te retrouverait sous toute cette couche de boue.

- Tu ne ferais pas ça à ton vieil ami !

- On parie, mon ami ?


Noboru Wakita s’avança alors en compagnie de trois femmes et d’un jeune garçon, ce qui mit un terme à la dispute.


- Besoin d’un coup de main ?, proposa-t-il avec un clin d'œil. Sirius est encore dans les ennuis, hein ?

- On a eu un contretemps, avoua le sniper.

- On dirait bien.


Une grande blonde s’approcha, avec un sourire espiègle.


- Je suis Riina Schmidt, artilleuse et experte en armes à feu. Voici mes sœurs, Laura et Alice, respectivement en charge des communications et des radars.

- Enchanté mesdemoiselles ! Je suis David Young, Officier navigateur et ingénieur, à votre service !

- Et moi, je m’appelle Kita Shinji, intervint le dernier membre du peloton Mizar, je m’occupe des opéra…

- Vous nous remorquez ? Nos circuits sont probablement HS, le coupa Bruce.

- Oui, bien entendu, accepta Wakita.


Riina pencha la tête sur le côté, intriguée par l’accoutrement pour le moins dénudé et l’aura ténébreuse irradiant du Commandant de la section Sirius.


- Il paraît que vous êtes un tireur d’élite aussi ?, dit-elle en louchant avidement sur les cicatrices qui bardaient le torse de Bruce.

- David, tu supervises l’amarrage ?

- À tes ordres, dit-il en effectuant le salut militaire de rigueur.

- Je dois y aller. Merci de votre aide.

- Pas de souci pour ça. Lorsque la signature de Big1 s’est volatilisée, nous étions à proximité du dernier secteur dans lequel le train a été détecté. Il nous a fallu un peu de temps pour vous repérer.

- À cause du gaz qui masque le satellite ?, questionna l’ingénieur.

- En effet, sa composition est des plus étonnantes, releva Alice.

- Sûrement pas autant que ce qu’il y avait dans les entrailles de ce gros caillou, grogna Bruce.

- Vraiment ?, demanda Riina en s'inclinant en avant. Je suis curieuse de savoir ce que vous avez vu.


Le sniper recula, déconcerté par l’assurance de l’artilleuse.


- Rien qui ne mérite de s’étendre sur le sujet.

- Comment va Reiko ?, l’interrogea Laura. Elle semblait…

- Une vilaine entaille au mollet et un accès d’eczéma.

- J’espère qu’elle se remettra vite. Je pourrai lui rendre visite ?


Bruce acquiesça avant de se détourner vers Big1.

Il jeta un bref coup d'œil en arrière et s’aperçut avec surprise que Riina le fixait avec une expression mutine.

“Qu’est-ce qu’elle me veut celle-là ?”

Sans tergiverser davantage, il s’insinua dans le wagon le plus proche, oubliant presque aussitôt les prunelles noisette et la chevelure dorée de l’aînée des sœurs Schmidt.


***


- Deux semaines ?!

- Oui, Koko.

- Attends, c’est pas si grave, Yûki !

- T’as la cheville perforée quand même, s’écria Louise.

- Mais… Mais c’est rien ça !

- Rien ?, s’indigna Manabu. La griffe qui t’a suspendue dans le vide, c’est rien ?

- Bah… Bah oui ! Même avec un pied en moins, je te mets la misère, Yuuki !

- Si on m’avait pas zombifié, t’aurais pas gagné si facilement !

- Ouais, ouais, que tu dis ! Regardez je peux sauter et… Faire le grand écart. 


Bruce ouvrit le vantail à la volée.


- Non ! Pas de grand écart !


Reiko s’immobilisa, le doigt en l'air, souriant de toutes ses dents.


- Je plaisantais !


Le Commandant souffla et s’adossa au mur, tout en scrutant sa compagne et les bandages qui lui mangeaient la jambe. Vêtue d’une large robe blanche, elle avait pu se laver et ôter la crasse qui bouchait ses pores. Puis, il reporta son attention vers son visage et le poids qui alourdissait son estomac depuis quelques heures s’allégea.

“C’est le seul sourire que j’ai envie de voir.”


- Chaton…

- Bon, on va vous laisser, décida l’Officière radar en poussant ses équipiers vers la porte.


La pilote se mordilla les lèvres, préoccupée.


- T’es encore fâché ? 

- J’étais pas fâché.

- Que je sois venue…

- J’aurais fait pareil.

- Oui, mais toi… T’as un autre niveau d’efficacité. La preuve, c’est moi qui suis sortie de cette grotte dans les vapes alors que j’étais censée te secourir.

- C’est pas tout-à-fait vrai, la contredit-il en s’installant sur le lit. Si t’avais pas ramené ce casque…

- C’était l’idée de Louise.

- Ne te sous-estime pas, je ne connais pas énormément d’agents de la SDF qualifiés qui auraient eu le courage d’entrer dans l’antre de ce reptile, sans parler de l’atterrissage forcé de Big1.

- J’ai cassé la chaudière.

- David l’aurait cassée aussi.

- Tu dis ça pour me consoler de mes échecs.

- Est-ce que c’est mon genre ?

- Non…


Il attrapa sa conjointe par la taille et l’attira contre lui, humant le parfum floral qui exhalait de sa peau.


- Tu sens mauvais, nota-t-elle en se pinçant le nez.

- Ouais, désolé pour ça. Je m’éloigne ?, susurra-t-il, charmeur.

- Non, ça va aller, ce n’est pas si terrible !, s’exclama-t-elle en rougissant. 

- J’aurais préféré que tu restes en sécurité mais… Merci de ne pas m’avoir abandonné là-bas.

- Et toi de l’avoir empêchée de m’écorcher vive.

- Comme si cette horreur pouvait se mettre entre toi et moi. Ça, personne ne le peut, termina-t-il en l’embrassant. Maintenant, tartine-toi de crème hydratante et repose-toi, d’accord ?

- Écoute, ça va…

- Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour moi, lui intima-t-il tandis que le train s’ébranlait. Le remorquage a commencé, je dois retourner dans la “control room”. Dors un peu. Je reviens tout à l’heure. Je préviens la garderie que nous aurons du retard.

- Hum.


Reiko l’observa claquer le battant, perplexe.


- Il paraît… Déprimé ? Est-ce que cette histoire l’aurait perturbé plus qu’il ne voudrait me le montrer ?


Elle s’allongea sur le lit, cherchant une position confortable pour calmer les tiraillements causés par sa blessure.


- J’ai l’impression qu’en me concentrant suffisamment, je pourrais aussi les entendre… Les lamentations de cette sirène, ou du moins… Les imaginer. Alors peut-être que je comprendrais le calvaire qu’il a vécu…

Laisser un commentaire ?