A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 81 : La prison du psyché

5446 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/08/2025 20:23

Chap 81 : La prison du psyché


- C’est un non, Sensei.


Un silence. Pesant.


- Je ne reviendrai pas sur ma décision. Je ne me joindrai pas à votre étude concernant cette arme.


Le jeune homme poussa un long soupir et raffermit sa prise autour du combiné téléphonique filaire. 


- Pourquoi ? Je vous l’ai dit. J’ai une femme et une gosse de six mois. Je ne veux plus être mêlé à cette histoire. Je dois passer sous les radars. Pour leur bien.


Une pause. 

Un rire étouffé. 


- Le destin de l’Humanité ? J’ai déjà ma propre famille à gérer alors que la guerre contre les humanoïdes est à nos portes. J’ai d’autres soucis en tête pour le moment. Il faut qu’on évacue Tokyo rapidement avant que ça ne dégénère. 


Shiro enfouit ses doigts dans ses cheveux. 


- Oui. Ils sont ma priorité. Je vous remercie de votre compréhension. Bon courage dans vos recherches Professeur. J’espère qu’elles aboutiront. 

- Anata ?


Une japonaise avec un élégant chignon apparut dans l’embrasure de la porte.


- J’ai presque fini, Nadeshiko-chan, murmura-t-il doucement. Koko est réveillée ?

- Hum. Je t’attends au rez-de-chaussée, dépêche-toi.


Elle s’éloigna et il reprit sa conversation téléphonique.

Quelques minutes s’écoulèrent encore.


- Le véritable nom de Noo ? Vous l’avez découvert ? C’est imprononçable pour les humains mais c’est réellement… Une grande avancée. Vous êtes sûrement plongé jour et nuit dans votre travail, n’est-ce-pas ? Et comment se porte Tadashi ? Toujours aussi énergique ?


Les dernières politesses furent échangées et Shiro raccrocha.

Il demeura un instant immobile devant le téléphone à cadran et à manivelle. 

Puis, il se frotta le front.

Depuis son retour de l’expédition de la Nébuleuse du Sablier, il avait tenté d’oublier, de tourner la page… De construire un avenir avec sa fille, Reiko, et son épouse, Nadeshiko. 

Mais toutes les nuits, il les voyait. 

Ses anciens collaborateurs. Possédés par le démon. 

Toutes les nuits, ils l’avertissaient.

“Nous venons pour toi.”

“Nous arrivons.”

Et il savait…

… Que c’était vrai. 


C’est pour cela qu’il ne fut pas étonné d’entendre leurs voix.

Sachiko Kimura.

Edward Schulf.

John Hinck. 


Il ferma le vantail sans se retourner.

Le verrouilla de l’intérieur.

Il était hors de question que Reiko et Nadeshiko assistent à ça. 

Ou pire qu’elles soient blessées. 

Lentement, il pivota sur ses hanches. 

Il retira sa veste blanche. La déposa tranquillement sur un fauteuil. 

Puis, il desserra sa cravate avec deux doigts.

Un sourire charmeur. 

Son plus beau. 

Celui qu’il avait peaufiné pendant des années. 

Celui qui avait fait tomber amoureuse la femme de sa vie. 


- Mon sursis est terminé, hein ? C’est mieux que rien j’imagine.


Son regard glissa sur les silhouettes cadavériques des scientifiques qui flottaient devant sa fenêtre. 

Sans hésitation, il attrapa un cadre sur une commode proche.


- Ce kimono te va vraiment à la perfection Nadeshiko et Reiko… Elle a mes yeux.


Une main blafarde se leva alors, s’étira comme un élastique, pulvérisa la vitre en mille morceaux et perfora le ventre de Shiro Sakuramachi.

Du sang remonta dans sa trachée, teinta ses lèvres, ses dents et la photo. 

Sa vision se brouilla.

Il essaya de sourire. 

Échoua.


- J’aurais aimé… Plus de temps.


Le bras, ou plutôt le pieux, s’extirpa de son abdomen. 

Il vacilla une seconde et s’effondra.

Ses paupières demeurèrent ouvertes et ses globes oculaires se fixèrent sur le vide.

Une flaque d’hémoglobine se forma sous son corps, s’étendit et s’infiltra dans les lattes du parquet. 

Noo eut un rire cruel. 


- Il est mort, lança Sachiko Kimura, d’une voix glaciale.

- Le serment de sang est partiellement rompu, répondit Schulf. Comment est-ce possible ? Nous devrions déjà être libres.

- Il faut tuer l’autre. Le vieux savant qui a survécu. Peut-être a-t-il interféré durant le processus. Il est en possession du sceau originel. Récupérons-le. 

- L’énergie vitale de ces enveloppes charnelles n’est pas suffisante. Nous reviendrons. 


Ils s’effacèrent dans l’obscurité.

Disparurent aussi vite qu’ils étaient arrivés .

Des coups retentirent ensuite contre la porte du bureau du jeune Docteur.


- Anata ? Anata ? Du verre s’est brisé ?! Tu n’as rien ?


Des pleurs d’enfants résonnèrent alors de l’autre côté du battant, grimpèrent dans les aigus et se perdirent dans le froid de cette soirée d’hiver. 

Les pleurs d’une fillette privée de son pilier qui comprit bien avant de savoir la vérité. 


*** 


- Yattaran.

- Captain ?


Adossé à la barre du vaisseau, Harlock lorgnait vers son premier Lieutenant, suspicieux. 


- Pourquoi Noo en veut-il personnellement à mes gamins ? Est-ce à cause de l’expédition de la Nébuleuse du Sablier des Professeurs Sakuramachi et Daiba ? Qu’est-ce qu’il s’est réellement passé là bas ? Reiko est restée évasive. Elle n’a pas affabulé mais elle cache quelque chose, c’est évident. 


Il marmonna dans sa barbe.


- Elle cache quelque chose. À moi. Et c’est inacceptable. Et puis, pourquoi n’a-t-on pas pu entrer dans le Monde des Morts ? Tu m’expliques ? Ça n'a pas de sens. Pourquoi la barrière s’est-elle bloquée à notre passage ?

- J’ai ma petite hypothèse à ce sujet. 


Assis en tailleur au sol, le Premier Lieutenant de l’Arcadia collait avec application une aile sur une maquette d’un avion de la Seconde Guerre Mondiale. 


- Ah ? Et quelle est-elle ?, l’interrogea le pirate en s’impatientant. 

- Reiko et Tadashi ont hérité d’une marque ou d’un truc dans le genre. Une sorte de gène mutant.

- Pardon ?


Le hors-la-loi se cura les narines, dubitatif, et Yattaran reprit.


- Lorsque leurs paternels ont touché la porte ou à défaut les vestiges qui lui étaient directement accolés, ça a entraîné une modification de leur structure interne.

- Leur ADN ?

- Tout juste. Tu te rappelles de ce que j’ai dit à propos du spin ? Chaque molécule détient un spin qui est soit en haut soit en bas. Celui de la porte de Yedar, puisqu’elle est reliée à la dimension du Néant…

- Est à la fois en haut… Et en bas ?, compléta Harlock.

- Oui. Personne ne sort indemne d’un tel contact. Et les caractéristiques génétiques étant héréditaires… 

- Les spins de Koko et Dashi ont été altérés et sont à la fois en haut et en bas ? Même s’ils ont été conçus avant ce voyage ? Comme ceux des scientifiques qui se sont faits posséder…?

- Ou comme ceux des défunts qui ont basculé vers un état éthéré en renversant leur spin. Ce n’est que spéculation, mais je pense que l’au-delà fonctionne sur un modèle similaire à celui de l’univers de Noo. Le fait que ces deux garnements aient pu pénétrer dans le purgatoire prouve vraisemblablement que cette idée est crédible. Et, d’après moi, leurs gènes ont muté à l’instant même où ceux de leurs pères ont changé. 

- Quand ils se sont frottés aux ruines de la Nébuleuse du Sablier il y a trente ans de cela ?

- Exact. Toutefois, notre ennemi n’avait pas envisagé cette alternative. Pas immédiatement, tout du moins. Il lui a fallu de nombreuses années pour parvenir à cette conclusion.


Harlock, qui avait gagné une migraine carabinée avec cette discussion, se pinça le nez. 


- Admettons que tu aies raison. Pourquoi ces cauchemars ? Ces hallucinations ? Pourquoi cet enfoiré s’en prend-t-il à eux ? Pourquoi vouloir les éliminer ?

- Je l’ignore, mentit Yattaran. 


Il ne pouvait pas encore révéler à son Capitaine l’importance du serment de sang qui, associé à l’utilisation du canon espace-temps, permettrait de sceller définitivement le Chaos. 

Et, il n’avait pas non plus dévoilé à Harlock la dernière pièce de sa réflexion :

L'hérédité du spin confirmée par l’acharnement de Noo sur Reiko et, dans la moindre mesure, Tadashi.

Assassiner les Docteurs Sakuramachi et Daiba n’avait pas suffi à libérer le démon car le serment de sang vivait grâce à Reiko. Et Sayuri par extension. Cette réalisation tardive de Noo avait accordé du répit à la jeune femme mais, cette fois, elle était dans sa ligne de mire. 

L’héritage damné de la famille Sakuramachi ou, autrement dit, un verrou mis en place par le clan de la chaîne hélicoïdale pour entraver davantage les velléités belliqueuses du Néant. 

Tant que la lignée n’est pas éteinte, le sceau ne se disloque pas. Même si toutes les autres protections faillissent, à l’instar des temples détruits lors de la conquête de l’espace, au fil de la colonisation des planètes. 

Néanmoins, comme le lui avait appris la pilote, le serment de Shiro était resté inachevé. Cela le rendait-il plus faible avec le temps ? 

Et si, après la première excursion, la porte de Yedar avait été entrouverte, permettant à cette entité d’œuvrer dans l’ombre au sein de l’univers dont elle avait été chassée ? 

Suffisamment pour influer sur les rêves, créer des illusions, effrayer ceux qu’elle considérait comme ses serviteurs… Et pour abattre les deux chercheurs rescapés ?

Oui, c’était probablement ça.


- À mon avis, le spin transmuté de Shiro Sakuramachi, bien que piégé dans le purgatoire, lui a permis de se frayer un chemin à travers l’espace pour apparaître à Reiko sur la planète-rebut. Sans compter qu’à cet endroit la frontière entre le Monde des Morts et celui des vivants est floue due à la grande quantité d’âmes qui y ont échoué.

- Il s’est matérialisé dans un cercle de pierres, genre Stonehenge. 

- Un bon point pour toi Captain. Il a eu recours à une partie du sceau comme à un portail. 

- Toujours ce maudit spin inversé, hein ?

- Il semblerait.


Harlock s’affala dans son fauteuil.


- C’est bien beau tout ça, mais ça n’aide pas vraiment. 

- Qui sait ? Et puis, encore une chose Captain. Une théorie prétend que les émotions sont des variations de densité dans nos vaisseaux cérébraux. Chaque fois que nous pensons ou éprouvons des sentiments, le spin est en haut et en bas. Cela expliquerait la facilité avec laquelle notre adversaire entre dans le psyché humain pour l’étouffer sous l’épouvante. Un monde de réaction quantique, tout droit lié… À la dimension dans laquelle le Chaos a été rejeté.

- Une porte ? L’esprit est une foutue porte vers l’univers de cette monstruosité… Céder à la terreur revient à céder à Noo. Comme les voyageurs du 414.


Yattaran s’étira à la manière d’un chat.


- Ouais, c’est ce que je crois mais tout un chacun est capable de résister à la peur, non ? Il faut juste un peu de volonté et un bon entourage. Tu me files mon tube de glue ?


***


- Bruce ! 

- Mais… C’est pas ma faute, elle court vite maintenant !

- Reprends-lui. Ce putain de pot. De pâte à tartiner ! 

- MAIS J’ESSAIE ! ET TU METTRAS UN ÉBLU DANS LE BOCAL À GROS MOTS !

- TAIS-TOI ET ESSAYE PLUS VITE !

- T’as qu’à le faire !

- J’ai les mains pleines de produit à vaisselle ! Madame Masu va nous trucider si on salit sa cuisine !


Le Commandant du peloton Sirius parvint enfin à attraper sa fille au vol. 


- Je l’ai.

- C’est pas trop tôt !

- J’aurais aimé t’y voir !

- J’aurais moins galéré, c’est sûr.


Bruce renifla, peu convaincu. 


- Te fous pas de moi.


Les époux Speed se regardèrent et éclatèrent de rire simultanément. 

Sayuri leva des phalanges noires de chocolat et les plongea dans la crinière blonde de son père, ce qui ne fit que redoubler l’hilarité de ses parents. 

Le sniper lui essuya la bouche et les mains patiemment avant de se tourner vers sa chère et tendre qui terminait de laver une assiette. 


- Comment tu te sens ?

- Ça va.

- Hum ?, ronchonna-t-il, perplexe. 

- Je te le jure.

- T’as l’air absente.


Elle pivota et prit appui contre une gazinière. 


- Ben disons que c’est pas tous les jours qu’on discute avec des gens décédés et encore moins…

- Ouais, Shiro, c’est ça ? Il est comment ?


Elle réfléchit un instant.


- Charismatique, solaire et confiant. Vulnérable aussi. J’ai hérité de ses yeux et de ses cheveux, mais mon teint, il a dit que je le tenais de ma mère.

- T’as pris le meilleur des deux en somme.

- Pas sûr. 

- Tsh, idiote.


Elle laissa passer une seconde de silence et Bruce reprit la parole.


- T’as vu Schneider.

- Oui.


Un grognement masculin.


- Il t’a approchée ? T’as été volontairement évasive. T’as simplement dit qu’il t’avait secourue. 

- Que l’unité Vega m’avait secourue, rectifia-t-elle en nettoyant la table.

- Te fiche pas de moi, chaton.

- Sois pas jaloux d’un mort, anata. Il n’y a pas de quoi. 


Bien qu’il soit agacé, il n’insista pas (surtout car sa précieuse femme vint se lover contre lui). 


- T’arrives toujours à me désarmer, pas vrai ? 

- Mon amour… Je t’aime et j’aime notre fille.


Reiko happa Sayuri et la coinça entre eux. L’enfant couina mais ne protesta pas, trop heureuse d’être blottie entre les deux personnes qu’elle adorait par-dessus tout.

Néanmoins, Bruce fronça les sourcils, pas sûr de saisir où son épouse voulait en venir. 

Et, pour une raison inconnue, il n’appréciait pas la tournure que prenait cette conversation.


- Koko, lorsque tu parles comme ça c’est que tu mijotes quelque chose, alors crache le morceau. 

- Non, je ne manigance rien du tout. 

- T’en es sûre ? Parce que je refuse que tu me glisses entre les doigts une fois de plus. 


Il l’embrassa sur le front pour ancrer ses propos. 


- Chéri, je veux vous protéger.

- T’as pas besoin de le faire, je peux m’en charger. 

- Parce que t’es un homme ?, railla-t-elle.

- Non, parce que tu en as assez fait et que c’est à mon tour de veiller sur toi. 

- Je… 


Puis, l'obscurité complète. 

Un cri unique.


- Bruce !


*** 


Reiko ouvrit les yeux. 

Comprit immédiatement là où elle était.


- Sayuri ! Sayuri ! Mon trésor, où es-tu ? Réponds à okaa-san !


Elle se mit à courir à l’aveuglette. 

Une forêt embrumée d’arbres desséchés.

Une terre poussiéreuse et stérile.

Des aiguilles rocheuses semblables à des griffes de sorcières. 

Une odeur de soufre entêtante. 

Un vent glacial portant des murmures infernaux.

Un ciel noir d’encre.


- Bruce ! BRUCE !


Elle s’arrêta, hors d’haleine. 

La dimension de Noo ? 

Non, certainement pas. 


- Une saloperie d’hallucination. Encore. Je suis juste dans une saloperie d’hallucination. L’électricité a sauté. L’ordinateur central s’est stoppé et pour une raison que j’ignore le générateur de secours n’a pas pris le relais. 


Elle tentait désespérément de rationaliser cette situation.


- Une brèche dans le bouclier anti-onde mentale… Et Noo en a profité pour s’infiltrer. Ça se tient.


Elle jura en japonais. 

Certes, elle était épouvantée mais ce n’était rien comparé à la colère qu’elle ressentait. 


- S’ils ont touché à un seul cheveux de mon bébé…


Elle se mit en marche. 


- Je les massacre à mains nues et je fais flamber leur dimension avec une boîte d’allumettes.


Une résolution. 

Froide comme la Faucheuse. 

Froide comme ce monde.


*** 


Bruce reprit quant à lui conscience au-dessus d’un château en ruines. 

Il analysa minutieusement les alentours, l'œil affûté et l’esprit vif.

Un soldat de la Space Defence Force capable de réagir au quart de seconde quelle que soit les circonstances.


- REIKO ! SAYUUURI !


Le silence.

Évidemment.

Bruce fit quelques pas sur le chemin de ronde tandis que son regard balayait ce nouvel environnement afin de déterminer à quel point celui-ci était hostile. 


- OH LE VIEUX BANDIT ! DAIBA ! 


Il hurlait à s’en décoller les poumons ou à s’en déboîter la mâchoire. Au choix. 

Quand, enfin, il accepta l’idée qu’il n’obtiendrait pas de réponse, il entreprit de chercher une échappatoire. 

Mais il n’en eut pas l’opportunité. 


- La Mort est à la prochaine station.


Le Commandant de la section Sirius reconnut aussitôt cette voix.

Sa voix.

Ses dents crissèrent et sa langue claqua. 


- Plus pour moi. Je l’ai chassée il y a un bon bout de temps, mets toi à la page !


Il pivota lentement sur ses appuis.


- Pour nous, tu veux dire ?

- Désolé, j’fais pas la causette aux illusions. Et, pour info, je suis beaucoup plus canon que ça. 


Son dopplegänger eut un sourire malfaisant. 


- Notre femme. Notre fille. Elles sont ici. Dans cet endroit. Piégées. Effrayées. Et elles succomberont à la peur.

- Pas sous ma garde. 


Bruce leva son cosmo-dragoon.


- Modèle numéro un. Celui d’un grand homme. Je compte bien m’en servir pour te faire sauter la cervelle.


Il ôta la sécurité et appuya son index contre la gâchette.


- Abandonne-toi au Chaos ou ta famille est perdue.


Le sniper roula des yeux.


- Ta gueule connard, j’ai passé l’âge de me chier dessus à cause d’un cauchemar.


Un éclat rougeoyant illumina les remparts.


***


Harlock et Tadashi faisaient quant à eux face à une créature monstrueuse.

La même que Shiro affrontât il y a plus de trente années de cela. 

Un cerveau gigantesque et sanguinolent, couvert de veines violacées proéminentes, auquel de larges tentacules étaient rattachées, les dominait de toute leur hauteur. 


- O… Otto-san… Qu’est-ce que c’est ? 


Les poings du Capitaine se serrèrent violemment. 


- La véritable apparence de Noo. Je le sens au plus profond de moi, pas toi ?

- Je suis… Terrifié… 

- Dashi.


Harlock pointa du doigt l’entité diabolique.


- Ça ne peut rien contre toi. 

- Qu’est-ce que tu racontes ? Ce machin transforme les gens en zombie ! En les effleurant ! En rentrant dans leur tête comme maintenant ! On… On est… impuissants face à cette chose !


L’artilleur de l’Arcadia avait le souffle court et sa cage thoracique se soulevait difficilement. 

Il était sur un fil, proche du vide, d’une bascule vers un point de non-retour de terreur qui le réduirait à l’état de serviteur de Noo.

Et Harlock… 

Il voulait ramener son fils mais ses mots ne l'atteignaient pas. 


- Dashi-kun ! Ce n’est qu’une illusion. Si tu le décides, ce n’est pas plus réel qu’un mauvais rêve.

- O… Otto…


Un faisceau laser fusa à travers les airs. 

Écarlate, brûlant.

Effroyablement létal. 

Pourtant, il fut absorbé par cette immonde cervelle démoniaque. 


- Ça valait le coup d’essayer. 


Une silhouette familière se détacha à contre-jour. 


- Ça ne peut pas marcher à chaque fois, hein ? Hoy ! Daiba ! Tu vas nous taper une crise de panique 2.0 ? T’as encore besoin qu’un enfoiré de Commandant de la SDF te botte le derch ?

- Bru… Bruce… 


Sans ménagement aucun, le sniper empoigna son beau-frère par le col. 


- Écoute moi attentivement Tadashi. T’es un couillon mais un couillon courageux. T’es aussi kamikaze et impulsif que ta sœur. T’en as vu d’autres, non ? T’es un survivant. Comme elle. Alors tu vas me faire le plaisir de te REMUER LE CUL ! EXÉCUTION !


Le jeune homme s’ébroua, les jambes toujours un peu tremblantes, mais ses prunelles s’éclairèrent enfin.

Il était de retour. 

Pour de bon. 

Harlock relâcha un soupir qu’il ignorait retenir. 


- Comment on sort de là ojii-san ? 

- On doit se débarrasser de ça. Ne pas ployer le genou face à la peur, siffla-t-il entre ses dents.

- Si vous le dites. Je me permets juste de vous faire remarquer que ça ne ressemble pas à l’ombre d’un plan, grogna le Commandant de l’unité Sirius. 


Le pirate fit un pas en avant.


- Je vais défier le mal à sa source même si ce n’est qu’une hallucination collective. 


Bruce se retroussa les manches.

Son visage ne laissait transparaître aucune émotion. 

Il était incroyablement glacial.

Sans tergiverser davantage, il fit craquer ses phalanges.


- Faisons ça. Ce truc va cracher où se trouve ma gamine. De gré ou de force.


***


Reiko pila net au milieu du sentier de pierres inégales qu’elle suivait depuis un temps qui lui paraissait infini. 


- Ah, j’ai failli attendre. Sachiko Kimura, n’est-ce-pas ? Enchantée, Reiko Speed - ou Sakuramachi - peu importe. 


Le fantôme flottait, menaçant, sa chevelure bleue se déployant derrière lui comme le voile d’une mariée. Ses deux yeux violets dépourvus d’âme, sans pupille, fixaient la pilote. 

Cependant, la frayeur, dans le cœur de cette dernière, avait cédé la place à une fureur dévastatrice. 

Un tsunami s’apprêtant à déferler sur cette dimension. 


- Où sont mon bébé et mon mari ? Je ne me répéterai pas. 

- Ils sont loin. Hors de ta portée. 

- Ils ne sont jamais hors de ma portée ! Jamais !


Elle s’approcha, poings verrouillés, prête à frapper. 

Sachiko Kimura pencha la tête sur le côté. 


- Si je t’effleure, mortelle, tu ne résisteras pas à l’horreur. Vous tous, successeurs du clan de la chaîne hélicoïdale qui subissez notre malédiction, deviendrez des serviteurs de Noo. Tu ne parviendras pas à compléter ce serment de sang. Nous avalerons l’univers… Et le noierons dans des tourments éternels !


La peur rampa jusqu’à Reiko sous forme de sinistres tentacules ombrageux serpentant au sol. 

Elle s’efforça à demeurer immobile. 


- C’était peut-être vrai il y a quelques mois. 


Elle eut un sourire torve alors que les appendices s’épaississaient pour l'envelopper presque entièrement.


- Mais je suis allée en enfer et j’en suis revenue. J’ai compris la signification du don de soi grâce à Shiro et surtout…


Elle agrippa Sachiko par sa blouse.


- J’ai un foyer à protéger !, vociféra-t-elle tandis qu’elle disparaissait dans les ténèbres les plus obscures.


***


“- Viens, petite. Oui, par là !”


Sayuri avança en titubant jusqu’à la salle de l’ordinateur central en émettant des gazouillements joyeux. 

Elle tendit les bras vers un être évanescent de taille réduite qui la détaillait avec bienveillance. Il était vêtu d’un poncho brun troué et un large chapeau recouvrait son crâne. Des lunettes rondes tordues mangeaient son nez et il souriait de toutes ses dents.


“- Yattaran a eu de la jugeote en t’équipant de ces oreillettes anti-ondes mentales. À l’heure actuelle, tes parents sont probablement en train de se battre mais je ne me fais pas de souci pour eux. Ils sont forts. Et j’ai un vieil ami sur le coup.”

- Ttosan ! Okkasan !


Elle applaudit, heureuse.


“- Tu vas rester avec moi ici un moment, hum ?”


Tôchiro claqua des doigts et les panneaux se scellèrent.

Il n’avait pas besoin d’énergie pour faire fonctionner ce vaisseau. 

Il était l’énergie.


“- Noo viendra pour toi aussi. Tu es son ultime recours mais nous veillerons à ce qu’il ne t’ait pas. Moi. Tes papis. Ton papa et ta maman. Tous les membres de cet équipage et bien d’autres.”


Il posa un genou à terre. 


“- Alors, il est inutile de s’inquiéter, d’accord?”


***


- La porte de Yedar ? Pourquoi m’avez vous emmenée à cet endroit ?


Elle ricana.


- Je vois… Vous croyez que je vais me pisser dessus de terreur en réalisant que je risque de mourir, hein ? 


Elle enjamba les mêmes marches que jadis son père avait survolées. 

Puis, elle se planta devant l’imposant portail. 

Sachiko Kimura avait disparu mais le message transmis était clair. 

“Si tu viens ici, tu ne reverras plus les tiens. Tu seras condamnée à errer pour l’éternité dans le purgatoire.”


- Je ne capitulerai pas si facilement. 


Elle voulait être forte à l’instar de Shiro et d’Harlock. 

Toutefois, ses mots, malgré sa détermination, n’étaient que murmures. 

Elle regarda ses mains. 


- Pourquoi est-ce que je tremble ? 


L’épouvante, ce venin qu’elle pensait avoir vaincu, s’insinuait vicieusement par tous les pores de sa peau. 

Elle résistait mais la réalité de ce qu’impliquait un possible sacrifice la rattrapait. 

Ses ongles s’enfonçaient dans sa chair. 

Ses paupières s’abaissèrent.

Comme Tadashi, elle était au bord d’un vide, prête à succomber.

À se consumer. 

“Je ne veux pas perdre ma famille… Je ne veux pas crever dans ce trou.”

Malgré toute sa volonté. Malgré ses résolutions. Malgré ses rodomontades.

Elle allait être engloutie.

Cependant, dans ce monde, les parents capables… Ne laissent pas leurs enfants se noyer sans agir. 

Les parents capables se dressent entre les ténèbres et leur progéniture.

Les parents capables protègent.


- Chérie, ne sois pas effrayée. Je suis là. Ça va aller. Ne t’en fais pas.


Shiro Sakuramachi offrit un sourire rassurant à sa fille.

Sa blouse épousait parfaitement ses épaules carrées et un éclat taquin brillait au fond de ses prunelles ambrées. Une mèche de cheveux rebelle tomba sur son front et il souffla pour l’écarter.


- Prends ma main.

- Sayuri…

- Elle est en sécurité. Tôchiro la garde.


Elle eut un sanglot, l’un de ceux qui traduisent un soulagement incommensurable.


- Bruce…

- Il sera bientôt libéré de l’emprise de Noo.


Shiro essuya les larmes inondant les joues de Reiko.


- Rentrons à la maison. Je t’accompagnerai jusqu’au bout du chemin.


Elle entremêla ses doigts à ceux de son père.


- Ce n’est pas un adieu. Je reviendrai ici. C’est une promesse. Je serai digne de toi. 

- Je sais. Et à ce moment là aussi, je serai à tes côtés. Ferme les yeux. Ce cauchemar s’en est allé.


Elle obéit. 

Puis.

Une grande inspiration. 

Et elle se réveilla avec le goût salé de ses pleurs dans la bouche, les bras étendus en croix sur le sol de l’Arcadia.


- Tadaima.


***


- Ça ne sert à rien de tirer sur ce truc !


Bruce achevait de vider son chargeur mais chacun de ses rayons lasers était absorbé à l’intérieur de cette cervelle dégoulinante d’hémoglobine. 

Il échangea un regard avec Harlock et tous deux baissèrent les yeux vers Tadashi. 

Celui-ci s’était ressaisi mais il était néanmoins urgent qu’ils quittent rapidement cet univers alternatif. 


- Une idée bandit des mers ? 

- Une idée ?

- Ouais, une idée pour se débarrasser de ce machin, retrouver ma famille et foutre le camp d’ici ?


Le Capitaine de l’Arcadia passa une main derrière sa nuque. 

Son aura s’était assombrie et même le sniper de la SDF, à cet instant, n’aurait pas tenté de le provoquer.


- On prend le problème à bras le corps ?

- À bras… Hé ho qu’est-ce que vous fichez bordel de merde !?


Harlock fit quelques pas en direction de la projection ancestrale de la véritable apparence de Noo. 

Puis, il happa fermement au vol l’un de ses tentacules.

Une onde d’énergie sombre et crépitante l’entoura alors.


- Putain… De… 


La voix de leur ennemi, à travers sa forme musculeuse palpitante, résonna dans cette dimension infernale.


- Abandonnez misérables humains ! Par vos origines terriennes, vous êtes soumis à la malédiction qui prend naissance dans vos gènes. Vous êtes voués à devenir nos esclaves et la laisse qui vous tient n’est nulle autre que cet ADN dont vous êtes si ridiculement fiers. Nés de notre enveloppe charnelle, vous êtes destinés à y retourner. Résignez-vous !


Un grondement pouvant être assimilé à un rire s’éleva dans l’atmosphère.


- Nous sommes aussi les descendants du clan de la chaîne hélicoïdale, tonitrua le pirate. Vous ne pouvez rien contre les êtres dotés d’une volonté féroce de vivre. Vous êtes impuissants contre ceux qui refusent de plier face à la peur ! Dashi-kun ! Bruce ! Récitez-la !

- Quoi ?


Cette fois, l’esprit de Tadashi fut plus vif que celui du Commandant du peloton Sirius. Le frère de Reiko avait immédiatement saisi où son père adoptif voulait en venir. 

Il frappa ses paumes l’une contre l’autre, les joignit, et psalmodia en continu la même phrase.

Un leitmotiv. Une prière. Une brise d’espoir.

Une lueur dans les ténèbres. 


-“À partir du Vide, apparaît le Néant et le Néant crée l’Existence. Tant que le cercle de l’Existence ne se brise pas, l’Existence ne retourne pas au Néant…”


Harlock raffermit sa prise sur l’appendice.

Des battements retentirent.

Massifs. Ancrés.


- L’Humanité n’est pas seule dans cette guerre. Elle a le poids d’un héritage et la force de ses convictions ! Repartez d’où vous venez !, tonna-t-il.

- Ouais, va te faire foutre, ajouta Bruce pour faire bonne mesure. Pas besoin d’un canon espace-temps pour te descendre. Maintenant, crache le morceau. Où sont Reiko et Sayuri ?


Le démon ne répondit pas.

Non.

Il poussa un hurlement de douleur tandis qu’une lumière aveuglante trouait son cerveau de part en part, comme s’il était transpercé par des dizaines d’épées divines.

Simultanément, les trois hommes couvrirent leur regard. 


- Rei…, commença Bruce.


***


… Ko.


Il s’assit brutalement une seconde après avoir repris conscience. 

La panique s’insinua froidement sous sa peau.

Ni sa femme ni sa fille n’étaient présentes à ses côtés. 

Il se releva en vacillant et, alors qu’il s’apprêtait à déboîter la porte de la cuisine de l’Arcadia, les meubles autour de lui se dissolvèrent en une nuée irisée et étoilée.

Il tendit les bras et s’aperçut que son corps lui aussi était sur le point de se dissoudre.


- Mais qu’est-ce que… !

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