[armin] L'imprudent.
Debout sur ses étriers, le jeune homme portait son regard au loin. Il cherchait à percer l’ombre de la forêt, à saisir ses mystères. Il avait fait un long et épuisant voyage. Il portait sur lui sa fatigue comme une cape terne. La poussière qui recouvrait ses habits, son teint cireux et les cernes sous ses yeux en était autant de témoignages.Son regard bleu comme une nuit de pleine lune demeurait cependant vif. Il se rassit sur sa selle, hésitant. S’il contournait la forêt, il pourrait gagner trois ou peut-être quatre jours de voyages et ses vivres s’amenuisaient. Elle semblait normale à tous points de vue après tout : des arbres divers, un sol jonché de feuilles et de mousses, des taillis et une bordure pleine de ronces où se dessinaient des sentiers tracés par des bêtes. Vraiment, pas de quoi fouetter un chat…Pourtant, il hésitait à talonner son fougueux étalon pour l’inciter à en franchir la bordure. Comme tous les autres, il avait entendu les légendes. Enfant, il avait tremblé en écoutant les contes que racontait le vieux sage lors des veillés au coin du feu dans le château. Les oreilles et les yeux grands ouverts, il était resté des heures à s’imaginer les monstres des légendes, à les voir prendre forme dans les flammes du foyer…Un frisson parcourra son échine. « Superstitions » pensait-il tout en prenant entre ses doigts l’amulette qu’il portait autour du cou, s’installant de nouveau confortablement dans sa selle. Il avait pour lui la fougue et la force de la jeunesse. Il effleura la paume de son épée, qu’il portait du côté droit pour se donner du courage. Il avait pour lui aussi l’insouciance et le mépris du danger.-Allons-y Foudre.Un claquement de langue et un coup de talon suffirent, l’animal aussi semblait ignorer la peur, ou ne ressentait aucun danger qui sait….La nuit tombait quand le jeune homme décida de faire halte. Une clairière fleurie traversée par un ruisseau chantant était un lieu idéal pour une nuit à la belle étoile. Les pluies des derniers jours avaient cédés la place à un soleil de plomb et le voyageur se félicitait de son choix. Le couvert des arbres apportait une ombre bienfaisante et l’humidité présente adoucissait l’air. En réalité, il croyait encore à peine à cette aubaine qui se présentait à lui tandis qu’il détachait les harnachements de son cheval. L’animal, débarrassé de son fardeau, se roula sur le sol, les quatre fers en l’air, en hennissant de plaisir avant de brouter l’herbe tendre, repoussant du naseau les feuilles qui le gênait.Armin, puisque tel était son nom, mis en place des collets sur des pistes tracées en bordure. L’endroit semblait grouiller de lapins et il ne cracherait pas sur un petit déjeuner plus consistant que ces galettes de voyage toutes sèches. Il but à même le ruisseau, savourant l’eau pur et cristalline. Il y rinça sa gourde dont l’eau commençait à sentir et l’y remplit. Puis ivre de fatigue, la tête callée sur la selle, la couverture de monte sur le corps, il s’endormit profondément à peine avait-il fermé les yeux.Le souffle chaud sur son visage le tira de sa léthargie, un coup de tête et un hennissement inquiet le réveilla tout à fait. Le feu s’était éteint et seul subsistait une volute de fumée qui dessinait des arabesques dans les airs. Foudre semblait nerveux, la tête haute, les narines et les yeux dilatés. Ses oreilles tournaient en tout sens, à l’affut du moindre bruit. En avisant l’état d’anxiété de sa monture, Armin fut aussitôt sur le qui-vive. Il attacha son épée au côté, sortit son arc dont il tendit la corde avant d’enclencher une flèche.Foudre n’était pas un cheval peureux, s’il réagissait ainsi, c’est qu’un danger était proche. Une course à cheval à travers bois en pleine nuit serait pure folie, pour éviter que sa monture ne se sauve, Armin l’attacha à un arbre tout proche. Il avait déjà perdu une monture et ne tenait pas renouveler l’expérience…Foudre s’excitait de plus en plus, tirait sur l’attache en arquant le cou, piétinait le sol furieusement devant son incapacité à la briser. Armin s’éloigna un peu du cheval, scrutant les bois à la recherche de ce qui semblait tant faire peur à son destrier. L’arc prêt à être bandé, il n’était que nerfs à fleur de peau et sens aiguisé.Une brindille heurta son épaule. Il leva son arme en même temps que les yeux, trop tard. Ce qui lui était tombé dessus l’entraina dans sa chute et il roula avec dans les aiguilles de pin, tentant tant bien que mal d’avoir le dessus sur la créature velue. Des yeux émeraude, scintillants dans la nuit, le transpercèrent du regard. La pupille fendue lui fit tout d’abord penser à une sorte de félin, mais ce avec quoi il se battait était bien plus grand.Le gardien de la forêt, créature sombre et sauvage qui dévorait les imprudents qui pénétraient dans son domaine. Si les légendes disaient vrai il était perdu !D’un violent cou de jambe, il envoya son adversaire au loin, se redressant hardiment tout en sortant sa lame d’opale, à même de vaincre les démons et les esprits, si affutée disait-on, qu’elle pouvait trancher le vent.-On menace ta vie ?-Oui Opale, on menace ma vie.-Enfin ! Dansons alors !L’échange ne s’était pas vraiment fait de vive voie, car si le jeune homme avait besoin de parler pour s’exprimer, l’esprit qui enchantait l’arme, lui, se contentait de s’insinuer dans son esprit.Tandis que les deux adversaires se tournaient autour en cherchant une ouverture, Armin put dans la lumière de la lune, dévisager à loisir celle qui lui faisait face. Celle, oui, car la forme pour aussi humaine qu’elle fut, était indubitablement féminine. Féminine et féline aussi. Un poil noir et luisant la couvrait tout entière, qui accentuait encore l’éclat de ses yeux dans cet écrin de fourrure. Les oreilles était basse, tirées en arrière lorsqu’elle feulait à son encontre. Les mains dépourvues d’ongles se terminaient sur des griffes acérées qui avaient déjà prélevées leur part tant il sentait la brulure caractéristique d’une plaie ouverte sur sa poitrine.Elle se déplaçait tantôt sur ses deux jambes, tantôt à quatre pattes. Une longue et fine queue l’aidait à maintenir son équilibre et oscillait furieusement comme un serpent. Lorsqu’elle feulait, sa bouche ouverte montrait une mâchoire normale à l’exception des canines plus aiguisées….Splendide créature faite de sauvagerie et d’élégance.Ils dansaient ensemble, au creux de la clairière. Sa lame traçait des demi-cercles parfaits avant d’effleurer la chair en un délicat baiser carmin, ses pattes faisaient de même en prélevant à chaque fois leur part de vie. Ils étaient tout les deux épuisés, Opale s’impatientait, voulait pour elle ce cœur vif, boire ce sang magique qui accroissait son pouvoir. L’ennemie, malgré ses aussi nombreuses entailles, ne semblait pas vouloir renoncer. Son énergie à lui s’amenuisait, la nuit trop courte combinée ce voyage épuisant, prélevait leur part sur ses dernières forces.Les muscles endoloris répondaient moins bien, Un genou rencontra le sol sans qu’il n’ait eu la volonté de le faire.-C’est la fin.Pensait-il tandis qu’elle le dominait de toute sa haute taille, le bras levé pour donner le coup de grâce. Sur sa main, l’aurore dessinait dans ses poils des reflets de bleu chatoyants. Elle leva le visage surprise alors que ses doigts gourds laissaient tomber son arme.Quelle ne fut pas la sienne lorsqu’elle lui sourit, lorsque cette main velue, au lieu d’apporter le coup fatale, caressa la joue dans une sorte d’au-revoir avant qu’elle ne s’éloigne en bondissant dans la forêt. Il demeurait là, à genoux dans les fleurs de la clairière que le soleil levant parait de toute sa beauté. En ce demandant s’il n’avait tout simplement pas rêvé.Foudre, attaché plus loin, semblait recouvrer son calme. Le gardien avait décidé de l’épargner.Il sangla son cheval sans hâte, monta douloureusement en selle après avoir soigné ses blessures et enjoignit des genoux la bête à avancer. Il devait sortir au plus vite de la forêt, elle ne serait probablement pas aussi clémente une deuxième nuit…