Histoires colorées de l'île Panorama

Chapitre 3 : Garde-robe originale

807 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/10/2020 16:09

Garde-robe originale

Comme tous les matins, avant l’ouverture de la boutique, Layette faisait un rapide inventaire des tenues exposées. La veille était arrivée une cargaison des dernières créations de sa sœur partie faire carrière parmi les grands noms. Cette fois-ci, il s’agissait d’une casquette, floquée du logo en forme de triangle significatif de la gamme « Maria » qu’avait fondée Tiquette.

Dès l’ouverture, à neuf heures tapantes, il y eut les premiers clients. Le plus matinal d’entre tous était Apollon, ce vieil aigle toujours grincheux ; enfin, il avait toujours paru vieux aux yeux du hérisson, à cause de l’air renfrogné qu’il affichait sans cesse. Puis il y avait Kitty, une chatte qui prenait grandement soin d’elle-même ; elle était la meilleure cliente, toujours là pour acheter les dernières créations de Tiquette, ou tout simplement pour mettre la patte sur les derniers vêtements à la mode. Il arrivait que ces deux-là se croisassent lorsque le premier sortait de la boutique et que la seconde y entrait. Souvent, ils s’arrêtaient sur le seuil et entamaient une petite discussion matinale, à la manière de deux grands amis qui ne s’étaient pas vus depuis un moment.

Alors Layette les regardait, derrière sa caisse enregistreuse, et les enviait quelque peu. Avec le travail, douze heures par jour pendant sept jours, elle et Cousette n’avaient pas beaucoup de temps pour elles, ni pour les passe-temps, ni pour les promenades sur l’île. Ce n’était pas faute d’en avoir envie, mais lorsque venait l’heure de la débauche, il était bien trop tard pour faire un tour et discuter avec les voisins, et parfois la fatigue était bien trop prenante pour trouver la force de se dégourdir les pattes.

Ainsi s’amusait-elle à observer ces bribes de quotidien, s’imaginant ce que pouvaient faire les autres habitants de l’île de leurs journées. Et aujourd’hui ne fut pas l’exception.

Elle observa son client, un bouc du nom de Moktar, du genre imbu de lui-même et même complètement snob par moments. Il entra dans la boutique, faisant tinter la cloche suspendue devant la porte, alertant de son arrivée. Elle le salua vivement – il fallait avouer que la bruine de ce jour-ci faisait naître en chacun un besoin de chaleur – et l’accompagna à travers les rayons, l’interrogeant dès lors qu’il semblait happé par un des produits. Finalement, elle le vit en prendre plusieurs, les coinçant entre ses petits sabots, et se diriger vers la cabine d’essayage. Elle ne fit aucune remarque orale, mais n’en pensa pas moins lorsqu’elle constata les différents styles et couleurs qu’il avait choisis.

Il en ressortit plusieurs minutes plus tard, après une longue, très longue réflexion quant aux vêtements à prendre. Finalement, son dévolu s’était jeté sur un exemplaire de la casquette Maria, et plus particulièrement le jaune moutarde – couleur qu’il n’affectionnait pourtant pas particulièrement, à en témoigner toutes les emplettes qu’il avait pu faire chez le tailleur jusqu’à présent – ainsi qu’un Chesterfield à motifs écossais – celui-ci était de couleur gris tourterelle, aux carreaux tirant vers le rose Mountbatten, sans oublier les petites rayures dont la teinte rappelait grandement celle du lilas, et s’accordait parfaitement avec l’épais pull de laine bleu turquin que portait déjà le bouc, lui-même au pelage à mi-chemin entre la couleur des glycines et celle de l’acier.

Passant à la caisse, tandis qu’elle scannait les articles et additionnait le total – pas moins de quatre mille sept cent quatre-vingts clochettes – il lui fit la demande insistante d’ôter les étiquettes afin qu’il portât ses vêtements fraîchement achetés tout de suite. En bonne vendeuse, elle obéit, et se plia aux volontés du client, qu’elle ne quitta pas des yeux jusqu’à ce que le porte d’entrée se refermât derrière lui dans un tintement de cloche.

Quel drôle de personnage, se dit-elle finalement. Lui qui était toujours porté sur la mode et comment les vêtements qu’il achetait le mettaient en valeur, voilà qu’il avait fait une terrible faute de goût en en associant deux qui ne s’accordaient absolument pas ; comment l’élégant manteau à motifs écossais pouvait-il se porter avec une casquette dont le style urbain s’accordait plus à une tenue décontractée ?

Il y avait des mystères qu’elle ne pourrait probablement jamais résoudre en restant derrière sa caisse toute la journée.

La garde-robe de Moktar devait être cruellement originale, conclut-elle en retournant à ses affaires.

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