Histoires colorées de l'île Panorama

Chapitre 26 : Cavalier pirate

737 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 27/10/2020 19:38

Cavalier pirate


Lorsque l’on a une réputation d’arnaqueur, deux solutions s’offrent à vous. Tenter de la réfuter, ou l’accepter avec honnêteté. Rounard, lui, avait choisi la seconde.

Ce n’était pas tellement de sa faute s’il se retrouvait avec des contrefaçons d’œuvres d’art, il faisait vraiment de son mieux pour mettre la patte dessus, en toute honnêteté. Tout du moins, c’était le cas au début de sa carrière de revendeur.

Finalement, il avait pris goût à ça, et allait et venait avec ses peintures et sculptures, cherchant à les revendre à droite à gauche, et tant pis si c’étaient des faux. Il était gagnant dans tous les cas : il ne reprenait pas ce qui lui avait été acheté, et au final, ne perdait pas d’argent.

Mais en ce jour où il naviguait sur l’océan à la recherche d’une nouvelle île où vendre ses trouvailles, il repensait à cette fois où, sur l’île Panorama, il avait été particulièrement humilié par l’humaine qui lui rendait toujours visite.

Il avait mis la patte sur une peinture dont nul n’avait entendu parler, une étrange toile sortie de nulle part, mais à la qualité indéniable. Tout était parfait : des pigments utilisés jusqu’au coups de pinceaux striant les couches de couleur, la toile était fan-tas-tique.

Datant vraisemblablement du XVIe siècle, la peinture ressemblait beaucoup à celles signées Lavinia Fontana, peintre née à Bologne – cela l’amusait toujours, il pensait toujours à des pâtes à la bolognaises à l’évocation de cette ville, et voilà qu’il avait faim en y repensant ! – et reprenait chacun des codes de la peinture italienne de l’époque.

Dans un décor boisé et fleuri aux tons sombres quoiqu’un peu chaleureux, se cambrait un noble cheval, un pur-sang de robe alezane ; ses crins roux volaient au vent, tandis que sur ses courts poils cuivrés se dressait un homme, fermement maintenu par les étriers et la bride du canasson. La richesse de cet homme ne faisait pas l’ombre d’un doute : le harnachement de sa monture était serti d’or et de pierres précieuses, de même que sa propre tenue ; une longue cape et un magnifique tricorne en velours noir. Les rayons du soleil filtraient à travers les feuilles, se reflétant sur la chevelure brune de l’homme et sur l’encolure du cheval.

C’était de loin la plus belle acquisition qu’il eût faite. Et pour un prix raisonnable ! Il n’avait qu’une hâte, c’était de la revendre, même si au fond de lui, il ne désirait qu’une chose : la garder. Elle irait bien dans sa cabine, s’était-il dit, là où il la verrait en se levant le matin, et l’embrasserait du regard avant de s’endormir le soir.


Mais voilà que cette stupide humaine lui avait brisé ses rêves.


Il l’avait mise sur un chevalet, sous une des lumières de la salle, l’éclairage la mettant toujours plus en valeur. Et voilà que sa première cliente de la journée venait lui rendre visite, quel exquis moment !


« Ah, cousine ! appela-t-il. Viens voir, tu ne vas pas en croire tes mirettes ! – Il l’amena jusqu’à son petit bijou, avant de reprendre : Cette toile majestueuse sera à toi pour à peine cinq milles petites clochettes ! Qu’en dis-tu ?

– Tu rigoles ? Tu crois vraiment m’avoir avec ça ? »


Il était rare que l’humaine parlât, préférant adopter des expressions faciales assez éloquentes, mais là, elle semblait réellement agacée.


« D’où tu crois qu’un Italien du XVIe peindrait un cavalier pirate – t’as vu le tricorne avec la tête de mort ? – dans une forêt aussi dense ? Et ça existe pas, les pirates à cheval ! »


Il baissa la tête, mal à l’aise. À bien y regarder, il était vrai qu’il s’était lui-même fait avoir ; la peinture n’avait rien d’un original, ça ressemblait à une vaste farce. Il la trouva alors si laide qu’il la jeta par-dessus bord, incapable de l’accrocher dans sa chambre, tant elle lui rappelait sa honte de s’être fait rouler, puis enguirlander par l’humaine.

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