Assassin's Creed Cilicia

Chapitre 3 : Chapitre 2 - L'anneau d'or

12310 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/06/2017 13:35

Chapitre II

  L’anneau d’or







Suivant les propos d’Homây, je m’attendais à une route longue et difficile. Et mes craintes furent largement justifiées. Car après les étroites plaines côtières, voilà que nous nous engagions au travers des puissants contreforts de la Cappadoce, abruptes et froids. Bien entendu, nous nous aventurâmes très vite hors des sentiers battus, ou des passages les plus simples et les plus pratiqués. Homây et Lugos prenaient manifestement un malin plaisir à emprunter sans cesse les sentiers les plus escarpés, à escalader les roches les plus coupantes, et à rester le plus longtemps possible au sommet de crêtes épineuses. En moins de deux jours, j’étais totalement épuisée, forcée à reprendre mon souffle à chacun de mes pas. Au début, les tyrans qui me servaient de maîtres s’adaptèrent à mon rythme, mais peu à peu, ils me forcèrent à marcher toujours plus longtemps, et à une cadence chaque fois plus soutenue.

-         Déjà fatiguée, esclave ? Ricanait Lugos. Nous en avons encore pour un moment ! Car après être montés, il va falloir descendre !

Ce genre de remarques me piquaient au vif, m’encourageaient à déplacer encore un peu ma carcasse, au point que je finis par me demander si les deux compères ne m’humiliaient pas dans ce seul but. De toutes manières, je ne ressentais la plupart du temps aucune douleur, aucun échauffement, car j’étais transie de froid.

 

           Les caprices du climat, pourtant, j’en avais l’habitude. Les côtes de la Mer Euxin, cernées d’immenses terres, n’étant pas réputée pour être des fidèles d’Hélios au beau milieu de la saison froide, me prodiguèrent mon compte d’hivers rudes. En fait, ce qui posait surtout problème, sur les chaînes fermant les plateaux de Cappadoce, ce n’était pas tant la latitude que l’altitude.

           Pour résumer, il ne serait pas hyperbolique de comparer cette région à un mur. Les collines succèdent aux montages et aux montagnes les falaises, les pentes aux forts dénivelés, obligeant la plupart des voyageurs un tant soit peu doués de raisons à effectuer un gigantesque détour, prenant la route des Rois[1] pour gagner la Mare Internum ou les rivages de la Mer Euxin.

           Notre trio n’était pas « la plupart des voyageurs », et encore moins « doué de raison ». Je pense, aujourd’hui encore, qu’il fut impossible à Homây d’imaginer le chemin autrement que comme une ligne droite. Un à-pic nous barrait la route ? Nous escaladions !

Fouettée par les basses températures, poussée par les invectives de mes tortionnaires, pas une seule fois je n’interrompis ma progression, ce qui n’empêche que je fus, les premiers temps, complètement démoralisée par ce genre de situation. En effet, mes maîtres disposaient de la force d’un ours et de l’agilité d’un caprin.

Repérant sans la moindre difficulté les anfractuosités qui sauraient supporter leurs poids respectifs, ils s’élançaient et gravissaient les parois les plus abruptes à une vitesse stupéfiante, ne doutant jamais, tout en sachant dans le même temps renoncer lorsque la tâche s’annonçait trop ardue.

           Et moi qui devais suivre ! J’eus largement l’occasion d’expérimenter tous les types de crampe, de claquages et de luxations, pendant les neuf mois que durèrent ce crapahutage ! A à peine seize printemps, je devais apprendre à faire aussi bien, aussi vite que mes maîtres basanés, accoutumés aux conditions extrêmes.

Néanmoins, je n’irai pas me plaindre, car même si je ne cessais de retarder notre équipée, jamais, et ce à ma grande surprise, Homây ne leva la main sur moi. Compte tenu de notre relation, c’était inespéré. Cependant… Il disposait d’une technique bien à lui pour traduire son mécontentement.

           Pas plus qu’il ne frappait, il ne haussait le ton, toujours calme et posé, bien en accord avec sa haute carrure. Mais lorsque l’un de mes faux pas lui déplaisait un peu trop, par exemple si jamais je nous ralentissais trop, je finissais par dormir à l’extérieur, hors de la tente vétuste qui nous protégeait de la violente tramontane. Ou bien, il me réveillait plus tôt qu’il n’était prévu pour m’envoyer à la corvée de bois ou d’eau au beau milieu de la nuit. Parfois même, il faisait cela par pure gratuité. Mais le plus vicieux dans son attitude, restait ma confrontation régulière avec son fichu pendentif. Tous les trois jours environ, il me remettait l’objet sous le nez, avec pour conséquence une explosion de sensations indéfinies qui m’assommaient à moitié… Peu à peu, j’avais l’étrange impression de m’y habituer, de pouvoir… « Démêler » mes ressentis, mais l’expérience restait fort désagréable.

           Et puisque j’en suis là, autant décrire les raisons qui poussaient le Perse à me punir, et me valaient une nuit à la « belle » étoile, ou, à défaut, une longue route couverte par le hurlement des loups.

           A force de parcourir de long en large les plus hauts reliefs d’Orient, je pus, dès le quatrième mois, au beau milieu de l’hiver, tenter de semer mes poursuivants. Mon corps et mon esprit étaient sortis considérablement renforcés des diverses épreuves imposées par la contrée. Ma peau, qui saignait et se craquelait sur tous ses pores à sa base, était désormais aussi épaisse que du cuir. Je gagnais chaque jour un peu plus en termes d’agilité et de furtivité. Cependant, dans tous ces domaines, j’étais loin d’atteindre le niveau d’Homây ou de Lugos. Leur échapper était pour moi presque devenu un jeu ; je souhaitai savoir jusqu’où ils iraient, si je pouvais les dépasser, et eux aussi s’adonnaient-ils probablement à cette épuisante joute avec le plus de sérieux possible.

Leur fausser compagnie n’était pas trop problématique. Le jour comme la nuit, jamais je n’étais attachée, toujours totalement libre de mes mouvements, et souvent perdue de vue par l’un ou l’autre des deux aventuriers. C’est par la suite que les évènements avaient tendance à se gâter. Même sur la pierre nue, ils semblaient parfaitement en mesure de suivre mes traces. J’appris à grimper aux arbres, pour ne pas laisser d’empreintes, quelles qu’elles fussent, sur le sol. Rien n’y fit. La traque ne durait jamais bien longtemps. Je finissais la plupart du temps, tout comme à Phasis, par être bloqué dans l’un ou l’autre défilé, l’une ou l’autre ravine. J’essayais par conséquent de mettre le maximum de distance entre eux et moi tant qu’ils ne se rendaient pas compte de ma disparition. Je fus bien vite en mesure de courir des heures sur un terrain rocailleux sans même m’essouffler. Cependant, le résultat restait quasiment le même. J’étais toujours ramenée par la peau du cou à notre bivouac, où une montagne de corvées éprouvantes m’attendait. Mes lubies de fainéantes disparurent bien vite à ce rythme. 

Cependant, mes iniques « propriétaires » s’échinaient davantage à chacune de mes fugues, redoublant sans cesse d’efforts et de concentrations pour me coincer, rallongeant leurs temps de recherches, sans toutefois rien perdre de leur détermination. Pourquoi se fatiguer à me laisser vaquer alors qu’il leur eut été fort aisé de m’attacher, au moins pour la nuit ?

           La réponse peut vous paraître évidente. Mais dans ma situation, j’étais peu encline à comprendre quoi que ce soit. Qui étaient ces hommes ? Pourquoi m’infligeaient-ils une éducation que n’aurait pas désavoué l’Agogê spartiate ? Pour m’entraîner, pour faire de moi une pâle copie de ce qu’ils étaient ? Voilà une idée qui m’avait certes effleurée, mais qui n’avait rien de logique. Après tout, je n’étais rien d’autre qu’une esclave… Et une fille. En revanche, ce qui s’avérait plus sensé, c’était l’éventualité d’occire mes maîtres pour ne plus les avoir à mes trousses… Et celle-ci, il m’arriva d’y réfléchir très sérieusement. Peut-être pouvais-je les surprendre dans leur sommeil ? Je ne passai jamais à l’acte, mais Homây devait se douter que j’étais la proie de telles pensées, compte tenu du fait qu’il m’entraînait au maniement des armes tous les jours. Alors, certes, nous nous exercions avec de maigres épées de bois, mais leurs confections les rendaient très denses, plus lourdes encore que les armes de métal. Manier une véritable épée par la suite – comme celle que portait Homây, une magnifique lame dont l’acier damassé provenait des îles de l’Inde – devenait une tâche relativement aisée.

           Or, compte tenu d’une telle expérience, pourquoi, te demanderas-tu, n’ai-je jamais tenté de renvoyer au néant ces deux hommes prétentieux ? Pourquoi me suis-je échinée à fuir, tout en sachant que tant qu’ils vivraient, ils me rattraperaient ? La réponse est très simple : je ne voulais pas les tuer. Car très vite, derrière la féroce concurrence qui nous animait, émergea une forme de respect.

*

           Pourquoi ? Jusqu’à ce nous gagnions Sidé, l’un comme l’autre de mes geôliers se gardèrent bien de me révéler les objectifs qu’ils poursuivaient. Mais chaque soir, autour d’un maigre feu et d’un repas de la même teneur, je les trouvais en train de converser activement sur les sujets les plus divers, mais toujours sur un ton grave et assuré. Je me passionnai bien vite pour ces discussions, qui étaient la seule distraction qui m’était permise en ces régions reculées, et, bien que cela dérangeât Lugos, Homây, lui, semblait se délecter de me sentir pendue à sa puissante rhétorique. Je voulais, en quelques sortes, toujours en savoir plus… Il me fallait comprendre pourquoi j’étais sans cesse molestée.

           Je dois bien le reconnaître aujourd’hui, Homây fut un homme énergique autant qu’un mentor efficace. Mais, par Bendida, ce qu’il était vaniteux ! Outre le fait qu’il ne supportait pas qu’on l’interrompe, il m’arrivait constamment de le comparer à Arisbe ; cet oriental était quasiment sa métamorphose masculine, tous deux étaient au plus haut point narcissiques. Tout le long du voyage, le Perse s’encombra d’une lourde besace dans lequel il transportait trois tuniques et deux manteaux de rechanges, sans compter un « nécessaire » de toilette chargé des onguents et des ustensiles les plus fins. Ainsi, tous les soirs, il veillait à se tailler et à se brosser la barbe, avant d’extraire d’un petit cornet de bronze une demi-douzaine d’instruments de manucure reliés par un anneau, et de se retailler ses ongles noircis par l’escalade. Et dès qu’il trouvait un point d’eau, fut-il à moitié gelé, il se sentait obligé d’aller s’y baigner ! Compare donc cela avec Lugos ou moi, qui, parfaitement hellénisés, attendions les gymnases et les cités pour nous ablutionner.

           Pour en revenir à ces dialogues au clair de lune, tandis qu’Homây appliquait à ses mains sa curette, il combattait verbalement son « apprenti », qui, malgré son aînesse, semblait bien mal à l’aise quand il s’agissait de réfuter les propos du maître. Au travers de ces conversations, j’appris donc qu’Homây était issu – sans surprise – de la plus haute noblesse iranienne, celle admise auprès du roi des rois dans ses palais de Suse, de Persépolis et de Ctésiphon. Jusqu’à ses vingt-deux ans, le jeune homme avait occupé de très importantes fonctions politiques et administratives, notamment parce qu’il était porté par son père, qui du côté des dignités, n’était pas en reste. Or, son père disparut dans de mystérieuses circonstances, ce qui est le propre des puissants, et, plutôt que de végéter en Perse, Homây abandonna ses responsabilités et gagna l’occident.

           Quant à Lugos, je ne parvins pas, dans nos premiers moments, à savoir s’il s’agissait d’un véritable Grec ou d’un Romain. Son armure se référait à des canons venus des peuplades du ponant, et ses gestes étaient souvent plus brusques, plus saccadés que ceux des Grecs que j’avais déjà connus. J’eus ma réponse en apprenant, au travers de leurs échanges, que Lugos provenait en fait des colonies grecques de l’Italie. Il avait rejoint Homây quelques années avant qu’ils ne me découvrent, et ils semblaient toujours avides de discuter des motivations d’une étrange « confrérie ».

-        Tu dois comprendre, maître, prétendait l’apprenti, que les motivations des Perses ou des Juifs ne sont pas les nôtres. Protéger les Présents d’Orphée, maintenir l’équilibre du monde, cela ne suffit pas ; si tu veux que la confrérie s’implante dans le cosmos, il va te falloir lui donner des objectifs plus… Nobles.

-        Ce ne sera pas à moi d’en décider, répliquait en retour Homây. Mais il me semble que combattre pour le bien, qu’il s’incarne dans la défense des intérêts des dieux ou des individus pieux qui les honorent, constitue la plus… « noble » des causes.

-        Le « bien » ? S’interrogeait l’apprenti. Mais qu’est-ce donc que le bien ?

-        Les principes de l’équilibre et de la sagesse. Ce que nous enseigne Ahura Mazda.

Lugos se fendait aussitôt d’un cri bref, et frappait ses cuisses de ses mains.

-        Maître, tu sais bien que ta ridicule religion n’a cours dans presque aucune cité d’occident !

-        Ce n’est pas une question de religiosité. Simplement de bon sens.

-        Tout résumer à un simple credo, à une simple phrase ! Tout cela pour croire en un dieu omniscient et absolu ! Voilà pourquoi l’on vous appelle les barbares.

           Inutile de te préciser que je ne comprenais pas la moitié de ce dont ils s’entretenaient, mais au moins pouvais-je piocher, çà et là, des informations qui me furent utiles pour comprendre qui étaient mes nouveaux maîtres. Et selon toute vraisemblance, pas de simples marchands.

*

           A partir du huitième mois, plus les jours passaient, plus nous nous rapprochions de la côte. Et plus nous nous rapprochions de la côte, plus les pillards se faisaient nombreux. Les derniers jours de notre voyage, les bandits écumaient les vallées, rançonnant férocement des villages entiers, faisant la loi tout en restant invisibles aux yeux de la police des cités.

Dans le cas de notre trio, il serait plus exact de dire que ce furent les brigands qui nous subirent. Malgré leurs réels talents en matière de camouflage, notre petit groupe les repérait toujours largement à temps, bien avant de tomber dans leurs embuscades. Et quand ils se mettaient à nous poursuivre, et qu’à notre tour il nous fallait nous dissimuler, j’aime autant te dire qu’ils ne nous retrouvaient jamais.

         Pourtant, ce n’étaient pas les pillards jetés sur les routes qui étaient le plus à craindre, dans cette contrée de Cilicie. J’allais l’apprendre la veille de notre arrivée à Sidé.

Je me souviens parfaitement de la scène, Lugos venait de faire l’acquisition de solides chaînes à un marchand ambulant et me les avait passées. Homây m’avait rappelé avec son habituelle délicatesse à quel point une tentative d’évasion de ma part, dans ces contrées, me serait fatale. Les Grecs n’aiment pas les esclaves révoltés. Et donc, comme ses leçons étaient loin de m’avoir maté, bien au contraire, il préférait prendre ses précautions. Je finirais le périple solidement attachée. A cet instant, j’étais affligée, imaginant avoir perdu tout espoir de retrouver ma liberté… Ma liberté d’esclave, s’entend. A ressasser les évènements, j’imagine que je devais davantage être dépaysée que démoralisée. Et puis, cela mis à part, rappelons qu’entre deux ecchymoses et écorchures, je n’avais toujours rien appris des raisons de mes souffrances continues. 

         Donc, à la fin de la 173ème Olympiade[2], tandis que nous n’étions qu’à quelques stades de Sidé, mais toujours en Lycie, nous pénétrâmes dans une minuscule agglomération, une bourgade, devrais-je même dire, sans assemblée et rattachée au territoire de Sidé[3]. 

Le relief était encore escarpé, et l’agglomération, dont je n’ai par ailleurs jamais su le nom, occupait toute la largeur du talweg. Tout contournement étant impossible, il nous fallait passer par là. Et il était même prévu de s’y arrêter pour la nuit, le jour déclinant déjà. Dans ces succursales des routes des rois, il y a toujours une auberge où accueillir les voyageurs.

         La banale communauté habitant ces lieux était alors éprise d’une frénésie palpable. Chacun – mis à part les femmes, évidemment- s’était précipité sur la minuscule agora, et cette fois, non pour les motifs habituels ; il n’y avait ni arrivage de marchands, ni de célèbres olympiens en route pour les sanctuaires, ni de cérémonie rituelle…

Comme la place publique constituait le seul endroit de la ville donnant encore quelques signes de vie, notre trio, qui venait de passer les portes, vit son meneur décider de pousser jusqu’à elle, plutôt que d’attendre le retour de l’aubergiste du premier bas-quartier venu.

         Selon la longue tradition d’échange public du monde grec, tous les hommes présents sur l’agora discutaient âprement, parés pour la plupart de leur plus belle fibule et de leurs plus avantageux atours en général. Ils formaient une foule compacte concentrée autour d’un bassin au côté duquel venait d’être déposé une superbe litière. Le transport était flanqué de l’habituel cortège d’esclaves, et de toute une turme de vigiles portant tuniques rouges, casques gaulois et piques. Et à peine pouvait-on distinguer le transport en question, tant la population s’agglutinait autour de lui.

         Homây, prudent, préféra dans un premier temps nous faire faire halte sous le portique de pierres mal taillées. Nous étions ainsi plus facilement repérables, mais dominions également la scène dans son ensemble. De plus, qui, à cet instant, fit attention à nous ?

A peine nous étions-nous arrêtés, que les voiles de la litière se soulevèrent, et fut dévoilée à la foule son mystérieux occupant. Aussitôt, l’ensemble des conversations se turent, comme si Hercule en personne eut traversé cette bourgade.

-    Maître, crois-tu… ? Demanda, hésitant, Lugos à son mentor.

-    Je vais prendre de la hauteur, répondit simplement le Perse. Reste à l’écart, tiens-toi prêt à agir… Et surtout, surveille Tanaïs !

-    Maître, une fois de plus, tu te mêles de ce qui ne nous regarde pas ! Nous avons une cible précise et nous ne devons pas nous détourner de… Et merde.

         De fait, le gréco-romain tint ces propos quelque peu tardivement. Avec sa félinité coutumière, Homây s’était mis à grimper les petites maisons encadrant la place, après avoir dissimulé son visage sous son capuchon.

Une toute autre conversation débutait à proximité du bassin. Mais celle-ci semblait avoir autorité sur toutes les autres, et l’ensemble du peuple retenait à présent son souffle.

Lugos se rongeait les ongles, adressant des coups d’œil tantôt inquiets à la masse, tantôt réprobateurs à mon égard. Puis, n’y tenant plus, il tira violemment sur ma chaîne pour m’entraîner au travers de la foule, à sa suite.

Crois-le ou non, personne ne me fit la moindre réflexion. Quelques protestations fusèrent lorsque nous jouâmes des coudes pour gagner les premiers rangs, mais elles se soufflaient plus qu’elles ne se clamaient. Les « braves gens » étaient préoccupés par autre chose.

Progressant peu à peu, entre quelques métèques désœuvrés et une galerie à la limite de s’effondrer, nous saisîmes bientôt une conversation à la limite de l’irréaliste :

-    Pas de Bouleutérion non plus, alors ? Emettait une voix hautaine et haut perchée.

-    Non, noble citoyen, poursuivait une autre chevrotante et angoissée. Crois-bien, je le regrette, mais nous ne sommes pas nombreux, ici, et faisons partie de la chôra[4] de Sidé.

-    Pas d’archonte, de diskates, ni même de Bouleutérion… Un trou perdu, en clair. Et à présent, tu prononces le nom de Sidé ! Tu as le don de m’énerver, vieillard !

         Lugos et moi nous étions enfin statufiés devant la litière, où débattaient d’un côté un triste conseil des Anciens hâtivement improvisé, la seule dignité dont pouvaient se prévaloir ses membres étant d’être effectivement défraîchis, et de l’autre un jeune homme élancé arborant, par-dessus sa tunique, un très léger pallium. Juste pour le plaisir de porter quelque chose de grec.

Parce que je maîtrisais déjà, en partie et sans le savoir, ce qui convient d’appeler le « Sens », et dont je reparlerais, je pus également repérer deux détails fondamentaux dans la parure de ce personnage : des cothurnes rouges[5] aux pieds et, à l’index gauche, un anneau d’or[6].

-    Noble citoyen, Je n’entends rien à tout cela. Poursuivit prudemment le doyen, appuyant bien sur le pathétique en tendant ses deux mains. Laquelle de mes paroles a-t-elle pu te blesser ? Tous, ici, te saluons dignement et…

-    Oh, ferme là ! J’étais bien mieux en ville, chez les civilisés et non les pouilleux ! Maudit soit ce nouveau préteur[7], qui chasse les citoyens pour concentrer tous les fonds de la province entre ses mains !

-    Pardon ? S’inquiéta le vieillard. Mais… Noble citoyen, nous n’y sommes pour rien !

-    Non ? Crois-tu ? Ironisa le « noble ». Je connais les coupables : les pirates, et l’ambition des sénateurs ! Figurez-vous que celui venu assister le gouverneur s’est décidé à lancer une immense campagne contre les pillards. L’imbécile ! Les pirates ne sont pas un problème, Rome est déjà maîtresse de ces contrées ! Il veut juste se targuer d’avoir attrapé l’un ou l’autre brigand !

-    Nous ne doutons pas de sa félonie… En quoi pouvons-nous t’aider ?

-    Puisque je ne peux plus prélever de taxes à Sidé, je vais le faire ici !

-    Des… Taxes ?

-    Rome vous a offert une paix de quarante ans et la plus longue période de prospérité de votre histoire ! Quant à moi, j’ai avancé l’argent de vos impôts aux censeurs! Des impôts qui assurent votre sécurité ! N’est-il pas légitime que j’en retirasse ma juste    part ?

-    Noble citoyen, avec tout le respect que je te dois, nous avons déjà payé le Tribut, et…

-    Une part seulement ! Celle de l’armée ! Il reste… La mienne. Et pour commencer, je vais aller chercher cette magnifique statue de Xénophon trônant à l’entrée de votre vulgaire commune. Elle sera bien mieux chez moi.

-    Noble citoyen, s’alarma alors l’ancêtre, cette œuvre est un cadeau des princes d’Antioche. Il ne nous appartient pas de…

Le jeune homme brandit sa main blanche, prêt à frapper.

-    Silence, imbécile ! Je suis Lucius Metellus Nepos, pour ainsi dire le seul représentant de la République en ces contrées ! Et je ne saurais tolérer que quelques pouilleux me…

Le Romain n’a pas le temps de finir sa phrase. Une silhouette drapée s’effondre sur lui, après avoir sauté du haut de la galerie. Des hurlements retentissent alors, sous le regard béat des vigiles.

Pour ma part, je suis toute autant tétanisée. J’observe Homây retirer lentement son bras ensanglanté du thorax de sa victime, gisant au sol. Il ne l’a tout de même pas tué d’un simple coup de doigt !

         Ce Lucius suffoque, sa bouche déjà emplie de sang.

-    P… Pourquoi ? Bave-t-il. Pourquoi as-tu fait cela ?

-     Tu as le culot de me le demander, publicain ? Grince le Perse. Tu t’apprêtais à rançonner ces pauvres gens, et tu as dû en détrousser bien d’autres avant que les dieux ne te placent sur ma route !

-    « Rançonner »… Comment oses-tu, infâme barbare ? Je ne les « rançonne » pas, j’effectue… une taxation directe dans le cadre du bail me permettant de recouvrir les impôts préalablement avancés au Sénat !

-    Et où vois-tu la différence ? Ton appât du gain t’a mené à ta perte !

-    Voyons… J’aime ces gens… Et leurs arts… Toutes ces œuvres… Si belles… Comment le goût du lucre eut il put dominer mon esprit ? Rome doit… Profiter de l’éminence du monde grec !

-    Au sens le plus absolu du terme, oui.

-    Impossible, râle enfin le mourant. Je ne suis même pas encore sénateur ! Je ne peux pas… passer aux Enfers maintenant.

         La main baguée du Romain s’agite quelques instants encore, puis cesser de s’animer à jamais. Homây rabat alors son pallium sur le visage du défunt et marmonne quelques paroles en une langue inconnue. Quant aux vigiles, craignant la colère de la foule déjà très agitée, elles n’ont pas perdu de temps et se sont déjà enfuies. 

Or, ladite agitation ne se tourne pas vers le cadavre du Romain.

-    Un agresseur oriental !

-    Un Arsacide !

-    Il a occis un publicain !

-    De grands malheurs vont s’abattre sur nous !

-    Tuez ! Tuez le meurtrier ! Exhorte le doyen dont l’humilité vient de s’évanouir.

Les invectives poussent quelques jeunots à s’attaquer au porteur de pantalon, qui les précipite à terre les uns après les autres, et pour un bon moment, de quelques uppercuts biens placés.

Puis, sans un mot, Homây contourne le bassin, et, sous les insultes et les jets de fruits pas assez murs, durs comme de la pierre mais dont il se moque éperdument, il nous rejoint, indifférent à l’émeute qu’il a déclenché, et nous annonce posément :

-    Nous marcherons, cette nuit. Plus nous mettrons de distance entre ces imbéciles et nous, mieux cela vaudra.


*


         C’était le second meurtre auquel j’assistai, la scène de bataille confuse exceptée. Il m’avait cependant beaucoup moins traumatisé que le premier. Homây venait d’occire un individu manifestement animé de sombres desseins. Je me sentis pour ainsi dire une certaine solidarité avec mon maître, dans la nuit qui suivit. Ce fut la première fois, mais elle ne fut pas perdue. Car si ce Perse était davantage un justicier qu’un tortionnaire, sans doute était-il prêt à m’entendre. Jamais je n’avais songé à ouvrir la bouche en sa présence autrement que pour protester ou pour le narguer. Il était temps de passer à autre chose.

         Parvenus jusqu’à Sidé en moins de temps que prévu, nous nous étions finalement résolus à camper, une fois de plus, à la belle étoile, devant les portes de la ville. Nous ne pouvions y entrer ; ces dernières étaient fermées, situation plutôt inhabituelle.

         Après quelques libations et notre frugal repas, je me lançai, bien timidement, et en grec, naturellement.

-    Qui était cet homme ? Ce Lucius, ce « publicain » ? Pourquoi en voulait-il à ces gens ?

-    Parce que c’était sa vocation, répondit sur le champ, nullement surpris, Homây. Les publicains viennent de la cité de Rome, dont le seul dessein est de dominer l’univers tout entier.

-    Ce n’est pas mon avis… Commenta Lugos.

-    Peu importe, les faits sont là, renchérit, impavide, Homây. Comme les élites de l’Urbs sont trop impatientes pour se fatiguer à récolter des impôts, les chevaliers les plus riches avancent les fonds, puis se rendent dans la province dont ils ont payé les impôts… Et sont libres de se « renflouer » comme bon leur semble. C’est ainsi que ces jeunes loups pillent tout à fait légalement les régions les plus riches de cette terre.

-    Et… Méritait-il pour autant de mourir ?

Le souvenir de Minosthène était revenu hanter mon esprit. Tuer un homme sans accusation, sans procès, et pire, sans arrangement à l’amiable avec sa famille, cela constitue pour une barbare le pire des crimes. Car le sang appelle le sang.

-       Seule une lame peut mettre un terme aux méfaits de ces hommes, argumenta donc le Perse. Outre leur cupidité, ils sont fourbes et orgueilleux. Leur laisser la vie, c’est leur laisser la possibilité d’oppresser les sujets et les citoyens de tous bords.

-    Un peu comme vous, alors.

Quitte à user ma salive économisée pendant la majeure partie du voyage, autant la cracher en remarques acerbes.

-    Pardon ? Feignit de s’étonner Homây.

-         Vous m’avez volée. A ma nouvelle famille. A la terre de mes ancêtres et au culte de mes dieux. Vous parlez d’orgueil, mais toujours, vous m’avez traitée avec condescendance. Et toujours, vous vous êtes échinés à me faire souffrir et à m’humilier !

-         Je ne t’ai pas « humiliée ». Je t’ai enseigné l’humilité, même si les Romains – et les Grecs – comme mon disciple la considèrent comme une tare. Or, si la confiance en soi est une chose admirable, tu trouveras toujours quelqu’un de plus fort que toi, Tanaïs. Comme tu l’auras certainement retenu en ma compagnie, foncer tête baissée face à ses ennemis n’apporte rien de bon.

-         Je n’ai pas d’ennemis.

-         Tu pourrais en avoir… Bientôt.

-         Mais alors, que recherchez-vous, à la fin ? A faire de moi une pâle copie de ce que vous êtes ?

-         Je ne fais aucune remarque… Soliloqua Lugos en levant les yeux au ciel.

-         Tôt ou tard, poursuivit Homây avec un grand sérieux, tu comprendras pourquoi nous nous battons. Et pourquoi il est de ton devoir de nous rejoindre.

-         « Nous » ? Mais à quoi cela correspond-t-il, à la fin ?

-         Nous constituons une confrérie d’hommes…

-         … Mais pas de femmes ! Le coupa violemment le Gréco-romain, qui n’y tenait plus. Maître, voyons ! Cessons cette comédie, une bonne fois pour toute ! Rendons-lui sa liberté, puisqu’elle la souhaite tant ! Ou alors, laissons-la à quelque évergète qui la confiera à un gynécée pour la tirer du chaos et en faire une bonne épouse ! Nous… 

-         Elle possède le Sens ! Cela suffit ! Pourquoi une femme devrait-elle être inférieure à un homme ? Son statut lui permet de compléter efficacement le nôtre !

Lugos réajusta son séant sur la roche mousseuse, comme pour se garder des arguments qui ne manqueraient pas de suivre.

-         Mais enfin, Maître, te rends-tu compte de la menace qui pèse sur la confrérie ? Sylla est désormais préteur, il dispose des Présents d’Orphée confisqués à notre allié Jugurtha, et, si nous ignorons tout de ses ambitions, il est clair qu’il n’en manque pas !

Désormais, nos frères se battent pied à pied pour les étouffer, et toi, ô mon maître, tu enseignes nos meilleurs tours et nos secrets à une… Une…

Homây se redressa brutalement, toisant son triste épigone du regard, prêt à lui répondre à la volée. Mais les deux encapuchonnés s’abstinrent de s’affronter sur un sujet aussi sensible. Aucun d’entre eux n’ajouta un mot, et Homây préféra changer de sujet de conversation. Les mains jointes, il reprit doucereusement :

-         Si nous survivons à la journée de demain, tu auras tes réponses, Tanaïs.

Une sueur froide parcourut ma colonne vértébrale.

-         Pourquoi ? Que doit-il se passer, demain ?

-         Nos vies étant consacrée à certains… dieux, ma jeune amie, notre devoir est d’éliminer certains individus qui pourraient… Leur poser des problèmes. Et donc, demain, nous arriverons à Sidé, en même temps que ce nouveau préteur romain, Lucius Cornelius Sylla. C’est probablement de lui dont parlait tantôt le publicain entretemps défunté. J’ai déjà croisé Sylla par le passé… Il serait tout à fait dans sa nature d’oser empiéter sur les plates-bandes des plus riches chevaliers. Et ainsi, cet homme devra mourir.

-         Ah. Nous revenons à de sérieuses questions, reprit Lugos, toujours bougon. Il était temps. Et comment sommes-nous censés lui régler son compte ?

-         Nous le frapperons dès qu’il accostera, avant qu’il ne puisse mettre en place un dispositif de sécurité.

-         Et le gouverneur ? Il tient justement des assises à Sidé, en ce moment. Il va probablement aller accueillir son nouvel assistant… Sauf ton respect, crois-tu qu’il se promènera tout seul dans les rues ?

-         Nous saurons surprendre sa garde. Je vais faire diversion. Je vais m’en prendre au gouverneur. Toute la soldatesque fondra sur moi. Cela devrait te laisser le temps de te charger du préteur.

-         Parfait. Une journée comme je les aime en perspective. Longue et dangereuse.

Il n’y avait pas la moindre pointe d’ironie dans la voix de l’Italien. Et sans même attendre la fin de la conversation, il s’allongea sur le côté, en nous tournant le dos, et se mit aussitôt à ronfler bruyamment.

Que la conversation finisse aussi brutalement ne surprit ni Homây ni son esclave. Lugos avait l’habitude de s’effondrer comme une masse quand il jugeait que tout était dit. Sans doute cela lui permettait-il également de se dérober à de fâcheux débats.

-         Eh bien, bonne nuit, Tanaïs, me souhaita aussitôt Homây en imitant son disciple.

 

Je les imitai sans tarder, mais ne parvins guère à trouver le sommeil. Ainsi, la finalité de l’existence de mes maîtres était de tuer. Je ne pouvais tomber plus mal. Mais ce n’était pas ce qui me tourmentait le plus. Homây m’avait posément annoncé que « nos » vies – j’espérais alors qu’il ne m’incluait pas dans sa taxonomie – étaient « consacrées aux dieux ». Ce qui déliait évidemment mes deux surveillants de tous leurs devoirs civiques et religieux, au nom d’un but plus grand. Mais se consacrer aux dieux, cela signifiait aussi appeler la mort de ses vœux, ce qui était assez en accord avec leurs constantes objurgations, mais par là même, surtout mourir socialement, ne plus pouvoir transiger avec le monde alentour, car ce qui est la propriété des dieux ne saurait s’apparenter aux simples mortels.

           En fait, Homây avait poussé le plus loin possible la philosophie de sa cause, jusqu’à devenir une sorte de fanatique de son ordre, ce que ne supportait guère Lugos, plus enclin, en bon Italien, à remplir ses devoirs de citoyen. Il n’en restait pas moins qu’en l’absence de toute communauté, je n’avais en effet guère vu mes maîtres sacrifier rituellement pendant les neufs mois de notre relation, afin de pouvoir se concentrer sur leur étrange voyage. Ils étaient donc prêts à se condamner aux yeux des humains, mais quels divinités pouvaient donc mériter un tel honneur ? 

 

Une chose seulement était certaine pour moi : jamais je ne les imiterais. Tuer en l’absence de guerre ou de motif légitime était trop criminel, trop impur. A l’époque, bien sûr, je n’avais pas encore entre les mains toutes les données du problème. Et ne pouvais juger mon mentor qu’à l’aune de mes enseignements civils. Exactement de la même nature que ceux, en fait, qui se déployaient à Sidé le lendemain de ce premier entretien. 

 

*

 

Phasis fait figure d’infâme bourbier en comparaison de Sidé. Bien sûr, cette colonie grecque à la limite entre l’Asie et la Cilicie n’a rien d’exceptionnel. Ni monuments merveilleux, ni passé très prestigieux. Mais lorsque les portes furent rouvertes au petit matin, et qu’aussitôt Homây me réveilla, me retira mes chaînes, et me fit entrer dedans cette ville, je fus subjuguée par la richesse se dégageant de la civilisation grecque.

Un monde riche, donc, et par son bâti avant tout. Mais aussi par sa culture et sa religion, poussées par l’évergétisme et l’esprit de compétition animant toutes les cités de cette partie du monde. La pauvreté ? Tous mes camarades pirates s’accordent à dire qu’elle n’a jamais été aussi présente que de nos jours, ou ils ne seraient pas en train d’écumer les mers, mais bien auprès de leurs familles et de leurs amis, menant une vie paisible de « véritables » citoyen. Or, à Sidé comme dans toutes les villes un tant soit peu animée par l’esprit de compétition, les urbanistes grecs déploient des trésors d’architecture pour dissimuler cette misère. Les bas-quartiers sont ainsi soigneusement camouflés par le faste aveuglant et tapageur des immenses avenues aux colonnes de marbre et aux galeries foisonnant de biens, tous à vendre, venus de toutes les parties du monde. Sans compter les statues et les fontaines encombrant les agoras au point de vous faire perdre vos repères.

           Et puis, je suis arrivée au meilleur moment pour témoigner de la puissance civilisatrice du monde grec ; au beau milieu des Dionysies. On ne pouvait pas changer d’avenue sans tomber sur une splendide procession, se rendant à tel ou tel temple en l’honneur du dieu du vin et de la liberté. Ces cérémonies prenaient des allures quasi-mystiques, la population s’écartant respectueusement à leurs passages, ou bien y prenaient part, le tout dans un décor de fête, toutes les galeries et les maisons étant décorées. Mais ce qui me surprit le plus, dans tout ce delirium de célébrations, ce fut de constater la prépondérance des femmes au sein des charges liturgiques ; elles comptaient pour au moins la moitié des processionnaires en draps blancs. Peut-être n’allais-je, dans ce monde, finalement par être broyée par mon sexe.

*

           En définitive, je ne vis rien de la misère ambiante, jusqu’au moment où Homây se décida à nous faire gagner le port. Là où se mêlent, quoi qu’il arrive, jour faste ou non, les effluves de poissons à celles de la sueur. Là, sur les quais encombrés et mal entretenus, je pus avoir un bref aperçu de la pauvreté latente. Les tavernes ne désemplissaient pas, et il en émanait des sons et des odeurs pour le moins originales. Pour tout dire, ils étaient les établissements les plus fréquentés si du moins l’on exceptait les bordels, si dignement indiqués par un phallus de bois en guise d’enseigne. Au sein de ce marasme, les hommes ivres s’écroulaient dans les rues –ils fêtaient le dieu thrace avec autant de ferveur que s’ils eussent été du pays- et dans l’instant, finissaient dépouillés par les rôdeurs de passage.

Moins pittoresque, nombreux furent les miséreux et estropiés de toutes sortes à nous faire la manche. Homây, défenseur des humiliores mais visiblement lui-même sans problèmes financiers, leur faisait toujours l’aumône d’une piécette, à l’inverse de Lugos.

Dois-je également m’attarder sur les pervers me tirant par le bras pour m’attirer dans des recoins sombres ? Dès l’instant où ils prenaient conscience de mon statut d’objet mouvant, ils s’éclipsaient plutôt que d’encourir des poursuites pouvant être potentiellement engagées par mon propriétaire. Tout de même, le statut d’esclave te dote d’avantages non négligeables !

           Nous ne fîmes halte qu’une fois à proximité des jetées. Homây pesta, il souhaitait de toute évidence y accéder. Mais le chemin menant à chaque ponton était condamné. Ceinturé par une cohorte entière de militaires, équipés tout comme les vigiles, soldats en tunique rouge et casques gaulois, mais bien plus athlétiques que ces derniers, et armés jusqu’aux dents de cottes de mailles, de glaives courts et de grands boucliers concaves.

Le nouveau préteur se faisait une haute idée de lui-même, une prétention semble-t-il confortée par les bons soins du gouverneur. Il avait fait appel à fort parti pour l’accueillir : tout ce que la pseudo-province[8] devait compter de légionnaires. Ou peut-être le gouverneur veillait-il simplement à déployer sa puissance, par peur de celui qui bientôt accosterait ?

           Il ne nous fallut pas attendre longtemps avant de voir apparaître, au détour de la rade, une imposante force navale. Les curieux s’étaient déjà rassemblés devant le cordon de sécurité, auxquels s’ajoutaient toute une bande de larrons particulièrement menaçants, lançant quolibets et insultes à l’égard des Romains.

-         Ouh ! Y sont tout frais ! Trop mignons ! On en mangerait !

-         Et alors, les poulettes ? On attend le coq en chef ?

…Et autres spiritualités sur lesquelles je passe. Mes lecteurs en ont l’habitude.

Tout d’abord, un groupe de trois énormes quinquérèmes[9] vint se ranger le long des quais, vidés à l’occasion des bateaux de pêche, suivies d’une bonne dizaine de trirèmes[10] manœuvrant gauchement pour s’éviter les unes des autres.

-         Par Pluton, qu’est-ce donc que cela ? S’impatientait Lugos.

-         Lucius Cornelius Sylla a été envoyé ici pour lutter contre la piraterie, non ? Lui murmura son maître. Il est logique qu’il fasse appel à quelque chose qui flotte pour cela.

-         Mais lui, où est-il ?

-         Le ponton où se trouve le gouverneur est toujours inoccupé. Même si ses ordres sont depuis longtemps arrivés, le navire du préteur est donc, lui, toujours en mer.

-         Ou bien un piège nous est aujourd’hui tendu…

-         Tiens donc ? Et d’où-te viens cette soudaine suspicion?

-         Un publicain sur notre chemin, un cordon de légionnaires, les portes de la cité fermées la veille de notre arrivée…

-         Le gouverneur était sur place, la municipalité a veillé à prendre toutes ses précautions. Et toutes nos informations nous ont été confiées par notre frère à Sinope.

-         Justement, c’est bien ce qui m’inquiète ; peut-on qualifier de « frère » ce triste individu qui passe son temps dans ses palais d’ivoires, entre des concubines et des festins décadents ?

-         Plutôt que de fustiger l’ensemble du Cosmos, ami, je te suggère de réapprendre à observer le monde qui t’entoure. Car si j’en juge la prétention naturelle des Romains - et j’entendis distinctement Lugos marmonner « ce n’est pas de la prétention, c’est normal de déployer sa puissance » - ce qui nous arrive là a tout lieu d’être le navire amiral de Sylla.       

             De fait, une énorme heptère fit à son tour son entrée dans le port. Sur son pont étaient juchées deux tours supportant des scorpions[11]. Recouverte d’une teinte bleu pastel, couleur de l’aristocratie romaine, bordée de larges hoplons, ses rames recouvertes de nervures d’argent, et chargée d’archers, l’immense galère voguait pesamment vers le plus grand embarcadère, celui où, outre le gouverneur, l’attendaient le préteur en titre, ses licteurs et ses esclaves avec armes et bagages, quasiment prêts à rembarquer sur le champ. La passation des pouvoirs allait être aussi mémorable que fugace.

Le pesant navire, du haut de son château avant, supportait une petite troupe de gardes prétoriens et un colossal officier romain en armure noire et à la cape rouge. Le nez au vent et les poings sur les hanches, il semblait ravi de pouvoir bientôt en découdre avec les maîtres de la Mare Internum… Les pirates qui infestaient la Cilicie. C’était, à n’en pas douter, le préteur Sylla.

 

-         Présomptueux que je fus ! Se mortifia alors Homây. Sans doute avais-tu raison, mon ami… Pourquoi amener autant de soldats sur le pont ? Tout cela ne me dit rien qui vaille. Il n’est pas logique qu’une telle force soit déployée simplement pour accueillir un magistrat à imperium inférieur. 

-         Compte tenu de la posture de la plèbe, le contredit Lugos, permets-moi d’en douter. Il y a probablement un piège quelque part, mais il n’est pas là.

-         La « plèbe », Lugos, se fait menaçante parce que leurs oppresseurs font de même.

-         Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas agir pour le moment. Il va falloir attendre que toute cette soldatesque se disperse.

Les pupilles d’Homây se dilatèrent avant de s’égarer dans tous les coins du port. Pour la première fois, l’aristocrate perse semblait réellement paniqué.

-         Oui, tu étais dans le vrai, Lugos… Il est vrai que Sylla a connaissance de notre existence, et de nos tâches… Il y a de quoi se méfier… Je vais effectuer une reconnaissance approfondie avant d’agir. Seul.

-         Et moi ? S’enquit Lugos.

-         Toi ? Tu te fais le plus discret possible le temps que j’éclaircisse la situation. Quitte le port pour ne pas te faire repérer, mais reste là où il y a foule. Le théâtre, par exemple. Et n’oublie pas d’emmener Tanaïs avec toi. 

-         Pardon ? S’étonna alors, avec une pointe d’impertinence dans le ton, le Gréco-romain[12].

Homây, malgré sa connaissance pointue du monde grec, en omettait parfois les codes fondamentaux.

-         Ah oui, j’oubliais…

Aussitôt, il se plaça face à moi, rabattit ma capuche et mon foulard, masquant mes traits, avant d’ajouter, à l’attention de Lugos :

-         Et si l’on te pose la question, dis qu’il s’agit d’un adulescens n’ayant pas pu faire partie du chœur et qui cherche à satisfaire les dieux malgré son manque de dispositions.

-         Ce n’est pas la question, protesta, pour changer, le disciple. Enfin, malgré tout, si, mais… Tu ne vas pas te charger tout seul de l’homme qui a capturé Jugurtha?

-         Ce discutable fait d’armes ne l’a pas rendu plus résistant à mes lames. A présent, va, c’est un ordre.

 

*

 

             Donc, afin de rester inaperçu, mais sans doute également dans l’espoir de me distraire de mes aspirations à l’escapade, Lugos, frustré, me conduisit jusqu’au théâtre de Sidé. Tous ceux par lesquels il s’est laissé voir auront été surpris de sa forme peu orthodoxe, l’édifice n’étant pas adossé à une colline du fait de l’aplanissement du terrain. Mais son architecture « à la romaine », avec toutes ces parois si richement décorées, ne le rend que plus somptueux. 

Soit dit en passant, mon gardien faillit s’empoigner avec le vigile gardant l’entrée des alcôves.

-         Comment ? Je dois PAYER pour assister à la représentation ? Je dois PAYER pour honorer Dionysos ? Les places sont gratuites depuis toujours, voyons !

-         ‘Faut pas t’en prendre à moi ! La cité est trop endettée, elle a hypothéqué l’amphi à un publicain qui a jugé bon, pour renflouer les caisses, de…

-         Oui, j’imagine. Mais moi, je suis citoyen romain, respectueux du mos maiorum depuis que mon père m’a reconnu et…

-         Ouais, ça va, ça va, allez, entrez, toi et ton… Euh…

-         Un bon conseil, vigile. Je suis un ami du préteur Sylla. Alors, si tu tiens à ta tête, pas de commentaires. 

 

             Comme les lieux étaient bondés, nous dûmes nous installer sur les plus hautes marches des gradins. J’avais déjà escaladé des sommets hauts de plus de dix stades, et pourtant, je fus prise de vertiges. Il devait bien y avoir là huit-mille personnes contemplant une œuvre exécutée par seulement trois acteurs et leur chœur, s’exhibant sur une scène minuscule.

Je n’en fus pas moins passionnée par la représentation. Je n’ai pas tout compris, évidemment, mais, comme toute personne assistant pour la première à ce type de spectacle, mon attention fut particulièrement retenue par deux choses : la gestuelle compliquée des hommes masqués tout en bas, et surtout, les réactions de ceux les surplombant. Le moindre des éloges que je puisse faire de cette coutume, c’est, qu’assurément, elle fait preuve d’un dynamisme  éloquent ! Je m’attendais à un silence religieux pour rendre hommages aux Dieux, mais à un moment donné, un acteur était jugé si mauvais que le public est descendu sur scène pour le virer ! Le tout sous des cris et des gestes obscènes à la limite de l’inénarrable.

C’était génial !

 

*

 

             Hélas, les meilleures choses ont une fin, et, assez vite, Homây vint nous retrouver. Après avoir payé sa place, j’imagine. Son attitude était toujours emprunte de ce sang-froid héroïque capable de transcender toutes les épreuves. Mais dans sa voix, transparaissait une pointe d’angoisse.

-         Content de vous trouver à l’endroit convenu. Nous nous en allons.

-         Alors ? Demanda Lugos.

-         C’est bien ce que je craignais. Les légionnaires n’étaient là que pour attirer l’attention. En réalité, les obligés de Sylla n’attendaient que son ordre pour nous tomber dessus. Il devait s’attendre à ce que nous le traquions jusqu’en Asie.

-         Ses « obligés » ? S’enquit Lugos. Quels obligés ?

-         Les auxiliaires galates[13], précisa le Perse. Ils ne font preuve d’aucune discrétion, mais sont d’excellents gardes du corps. Je n’aurais pas dû m’aventurer jusqu’aux quais. Ils m’ont repéré et…

-          Ils nous cherchent ? Le coupa son disciple, visiblement plus à même d’agir que de regretter.

-         La ville sera bientôt en état d’alerte. Nous devrions partir au plus vite.

-         Nous ne leur échapperons pas. Le voyage nous a épuisés.

-         Un Assassin épuisé est un Assassin mort, Lugos de Brindisi. Maintenant, en avant !

 

L’esprit vivifié par cette angoissante remarque, je ne me fis pas prier pour quitter les gradins et emboîter le pas des deux « Assassins », puisqu’il me fallut dès lors lier mes maîtres à ce patronyme, qui bousculaient les spectateurs et se frayaient un chemin jusqu’à la sortie. Une fois au bas de l’hémicycle, nous entreprîmes de marcher vers les portes, lorsque deux auxiliaires barbares en uniforme romain sans manteau, mal dégrossis de leur culture celtique, portant encore tous deux la barbe en temps de campagne, nous firent signe de nous arrêter.

-         Eh, toi ! Tu étais sur le port, tout à l’heure ! Tu t’es barré avant qu’on n’ait pu t’avoir ! Le chef de la turme a un mot à te dire !

Homây nous adressa un coup d’œil inquiet, puis nous fit signe de nous éloigner de lui. Nous nous exécutâmes, et lorsque la soldatesque, impatiente, lui empoigna la cape…

 

« Schlink ».

 

             De nouveau, sa main gauche sembla transpercer, sans aucune difficulté, la tête du premier Gaulois. Le second n’eut même pas l’occasion de se remettre de sa surprise. Le tueur avait saisi son épée pour lui percer les entrailles.

 

             Malheureusement, à une telle heure d’affluence, en pleine rue, la scène eut de nombreux témoins. Et, si les alliés des Romain n’avaient pas eu l’occasion de donner l’alerter, une foule de citoyens « bien attentionnés » s’empressèrent de le faire.

-         Filons d’ici en vitesse ! M’invectiva –inutilement- Lugos en m’entraînant à sa suite, engageant une course folle contre un ennemi encore invisible.

Mais pas inaudible.                                                                                                                       

 

-         Assassins parasites ! Tonna avec frénésie une voix désincarnée et bestiale. Vous n’échapperez pas au furor celticus !

-         C’est Sylla, cela ? S’interrogea Lugos, sans ralentir son rythme.

-         Pas exactement, lui répondit Homây entre deux expirations. Il s’agit seulement de son animal de compagnie.

 

             Mon entraînement me permettait de tenir la distance avec nos poursuivants, mais pas avec mes « propriétaires », bien plus aboutis que moi dans le domaine de la fuite. Je fus stupéfaite de découvrir qu’en l’espace d’un instant, ils pouvaient s’évanouir de mon champ de vision… Et me voilà perdue et éperdue, inspectant du regard les rues étriqués et les boutiques pouilleuses, ne sachant où mes bien étranges protecteurs ont pu passer… Après tous ces efforts pour me maintenir sous leur joug, ils ne pouvaient m’abandonner à mon sort !

J’en étais à les maudire devant Artémis, mais mes exécrations tournèrent court, car après la disparation des Assassin, voici qu’apparaissaient les auxiliaires galates ! Ayant omit de rabattre mon capuchon sur ma nuque, idiote que j’étais, je me fis immédiatement repérer. Je me mis aussitôt à courir droit devant moi, m’égarant dans un dédale suintant de charrières on ne peut plus encombrées… Sans trop savoir de quelle manière, je finir derrière l’arrière-cour d’un sombre atelier de poterie, où s’entassaient des amphores à peine modelées.

Comme je venais de perdre tous mes repères, je me décidai, après un instant de panique, à me dissimuler sous un auvent où trônaient d’imposantes pièces d’artisanat ; j’attendrai là que passe l’orage, afin de filer d’ici en vitesse pour gagner les faubourgs. Et quitter à tout jamais, maîtres ou pas, ce lieu de rêve qui s’était si vite mué en lieu de cauchemars.

 

Mais bien entendu, c’eut été trop facile.

-         Par ici ! Il y en a un qui est entré là !

-         Je vais m’en occuper, reprit la voix rauque d’outre-tombe. Ces êtres sont dangereux. Vous, poursuivez le reste des fuyards.

-         Bien, Majesté.

 

             Des bruits de pas qui se rapprochent. Un pas lourd, rythmé par le cliquetis d’un arsenal bringuebalant. Mon cœur bat la chamade. De là où je suis, je ne puis qu’entrapercevoir une sombre silhouette zoomorphique, une sorte de prédateur bipède à forte toison, se déplaçant lentement dans l’enceinte de l’atelier, levant la tête de temps à autre comme pour flairer ma présence.

-         Où es-tu, Assassin ? Susurra-t-elle suavement. Je sens ta puanteur… Sors donc de l’ombre, bats-toi en guerrier ! Affronte Galatiorix !

Pour une Thrace, cette proposition était tentante, mais je n’étais pas folle non plus. Je me recroquevillai donc le plus possible dans mon coin, espérant que la monstruosité passerait sans me voir.

-         Non ? Poursuivit-elle alors. Il va donc me falloir… TE FAIRE SORTIR DE TON TROU !

 

Aussitôt, l’immense silhouette d’une spatha s’abattit sur la rangée d’amphores qui m’était toute à fait adjacente. Une tempête de bris se déclencha alors, un tourbillon de tessons coupant la peau, et ce semble-t-il sans discontinuer, la « chose » abattant son épée avec la force d’Achille, transférant toute sa fureur dans ses bras.

             Bientôt, pour ne pas finir déchiquetée, je dus me découvrir, courant droit dans le sens opposé au traqueur.

Trop tard. Une énorme main noirâtre me retourna une claque qui, tout en me projetant à terre, m’assomma à moitié. La force de la bête était telle que, dans les semaines qui suivirent, je fus gratifiée d’un gonflement phénoménal de la joue et de l’œil.

Tu comprends dès lors mieux qu’une fois les quatre fers en l’air, je ne distinguai même plus les contours du paysage.

-         Tu n’es même pas un apprenti ! Tonna alors l’espèce d’ours bipède, apparemment surpris. Quel dommage, j’entendais livrer un vrai combat… Mais, peut-être…

 

             Et comme il s’apprêtait à abattre sur moi sa spatha, une flèche vint lui percer le cuir. La créature poussa un grognement rauque, et, de ma vision altérée, je la vis reculer de quelques pas. Aussitôt, un nouveau trait l’atteignit, et une ombre rouge vint se placer entre elle et moi.

-         Tu ne la touches pas ! Articula-t-elle en appuyant chaque syllabe.

Le nouvel arrivant, qui venait à peine de jeter de son arc à terre sans même tirer ses armes blanches, exécuta un grand moulinet du bras, et un morceau scintillant d’or ou d’argent sauta de la tête de mon assaillant, comme s’il c’eut agi d’un automate. La machine en question continua à se débattre en beuglant, tandis que sans plus lui prêter attention, mon sauveur me traînait hors de l’atelier. Et alors que ses deux bras puissants m’emportaient, je perdis connaissance.

*

 

             Lorsque je consentis à retourner parmi les vivants, j’étais adossée contre une pierre, à même le sol, le tumulte désormais lointain de Sidé parvenant à peine à mes oreilles. Après avoir fait basculer ma nuque sur le côté le moins boursouflé de ma personne, je pus distinguer les pans rouges et blancs des manteaux respectifs d’Homây et Lugos. Nous nous en étions tous sortis. Car comme me le susurrait mes oreilles depuis un moment déjà inondées des meuglements bovins et du chant des grillons, nous avions gagné le saltus, nous nous étions extirpé du traquenard de Sidé. Comme mon premier acte fut de gémir en portant la main à ma joue gonflée, le Perse crut que je souffrais.

La douleur était loin d’être insurmontable. Simplement, j’avais le pressentiment que nous allions repartir pour un interminable périple à travers les montagnes.

 

Pressentiment vérifié.

             

             Une fois remise sur pied, après quelques heures de repos, Homây m’annonça sans détour, comme à son habitude, que nous serions bientôt poursuivis. Et celui qui allait s’adonner à cette tâche vouait une haine personnelle à la confrérie à laquelle appartenaient mes deux « propriétaires ». A présent qu’il nous avait repérés, il ne nous lâcherait jamais.

Alors, m’expliqua-t-il, il fallait à nouveau nous diriger vers le septentrion, vers la Mer Euxin. D’après le Perse, seulement deux semaines de marche forcée si je me tenais bien, et nous serions en des contrées où nous pourrions savourer une douce sécurité, et nous reposer de toutes ces péripéties.

Nous partions donc pour le royaume du Pont.








[1] L’ancienne route royale des empereurs perses, toujours usitée à l’époque.

[2] Nous sommes alors vraisemblablement en 93 av.J.C.

[3] Importante cité à cheval entre la Lycie et la Cilicie, située au Sud-Ouest de l’actuelle Turquie.

[4] Le « territoire ».

[5] Sous la République romaine, Les cothurnes de cuir rouge sont réservés aux patriciens, l’ancienne aristocratie du temps des rois.

[6] De même, Les chevaliers portent un anneau d’or, et les sénateurs un anneau de fer.

[7] « Second » d’un « gouverneur » dans une province, doté d’un imperium mineur. Il est théoriquement élu pour un an, comme le gouverneur.

[8] La province de Cilicie n’est pas encore complètement réduite, à l’époque. Du fait des pirates avant tout, mais aussi du désintérêt des élites romaines…

[9] Quinquérème : navire à cinq « rangs » de rameurs, là où les quadrirèmes en comptent quatre, et les heptères sept. Plus il y a de rangs, plus la galère est imposante. Ceci étant, les reconstitutions archéologiques ont démontré la difficulté de concevoir des galères de plus de trois rangées de rameurs. En fait, il semble que là où sur une trière, on a trois rangées de rameurs à rames individuelles, sur une heptère par exemple, on a deux rangées de rames maniées par trois rameurs, plus une troisième, la plus haute, où les pelles sont actionnées par un seul rameur. Ce n’est qu’un exemple : le système est facile à comprendre, le rang varie en fonction du nombre de rameurs par rames, et non de la superposition des rangs.

[10] Quasi-équivalent des trières grecques.

[11] Engins de siège de petites tailles, reprenant les principes de l’arbalète, pouvant également être déployés sur les champs de bataille. On compte théoriquement un scorpion par centurie, mais il s’agit d’armes peu maniables, très peu répandues dans l’armée de terre et plus utiles dans la marine.

[12] Les n’ont pas le droit d’entrer au théâtre, lieux que nous pourrions qualifier de "liturgiques". Même parmi les acteurs : ce sont des hommes qui interprètent les rôles féminins.

[13] Les Romains et les Grecs confondent souvent « Gaulois » et « Galates ». En effet, les seconds disposent d’une culture très semblable à celle des premiers, du fait de leur origine commune. Les Galates sont installés en Anatolie depuis les grandes « invasions » du IIIème siècle av.J.C. . Les « Gaulois d’Orient » auraient été plusieurs centaines de milliers au Ier siècle av.J.C. Une chose est certaine : ils étaient suffisamment nombreux pour tenir une puissante société, qui n’avait rien à envier en termes de perfectionnement à celle de leurs cousins des Gaules.



Laisser un commentaire ?