Renaissance

Chapitre 2 : Bleu nuit

Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 09:31

Ce soir, tout est silencieux autour de moi.
La nuit est tombée sur le camp depuis quelques heures déjà. Comme chaque soir, chacun a regagné son hamac de fortune, tissé à la hâte sans la moindre décoration superflue. Le feuillage de ce grand arbre où nous avons temporairement élu domicile paraît tout à coup bien étroit. Des dizaines de hamacs s'entrelacent ici, au gré des branchages. Paisiblement étendu là, mon insomnie m'offre la vue de la tribu endormie.
Dans ce silence profond, la respiration rapide de Mo-at me parvient en contrebas. La clarté du ciel me permet de distinguer clairement son visage. Elle semble paisible, mais le cours des nuits passées m'a appris qu'il ne fallait pas s'y fier. Régulièrement, je l'observe s'agiter dans son sommeil. Elle gémit, soupire, articule quelques mots souvent incompréhensibles ponctués du murmure d'Eytukan.
Contre moi, la respiration régulière de Neytiri me berce, m'apaise. Dans ce ciel limpide, Polyphème (1) s'impose de toute sa puissance et m'aveugle de son rayonnement bleuté. Je ne saurai dire depuis combien de temps je suis là, éveillé, à attendre que le sommeil veuille bien me gagner. Ce dernier semble me fuir depuis quelque temps. Mes journées sont pourtant longues et harassantes mais une fois le soir venu, mon esprit lutte et s'égare dans des songes agités plutôt que d'accueillir un sommeil réparateur.

Tandis que je me perdais dans la contemplation de Polyphème, un claquement sec attira soudain mon attention.
L'oreille aux aguets, j'essayais de scruter l'ombre d'un mouvement dans la végétation environnante. Mais rien ne me parvint. Un second craquement se fit de nouveau entendre, plus net cette fois. Je me redressais lentement, et dans un mouvement habile, me frayais un passage en dehors de notre cocon tissé, en m'efforçant de ne pas réveiller Neytiri.
La tribu n'avait élu domicile au sein de cet arbre que depuis quelques jours, nous n'étions donc pas à l'abri de la visite de quelque animal, surpris de nous trouver ici. Par mesure de précaution, je me devais d'écarter le danger, ou au moins de m'assurer que la tribu ne courrait aucun risque. Les loup-vipères, nombreux dans cette région, se déplacent en horde pour chasser la nuit. Peut-être avaient-ils décidé de nous rendre une visite impromptue cette nuit-là.

Je m'agrippais fermement à la branche la plus proche, lorsque mon regard fut attiré par un halo lumineux, non loin du pied de l'arbre où la tribu s'abandonnait au sommeil. Ma curiosité s'agrandit alors. Oubliant les loup-vipères, je m'interrogeai doublement sur ce qui pouvait bien être à l'origine de cette luminosité qui n'avait pas lieu d'être.
Déferlant agilement le long du tronc, j'observai la lueur se renforcer alors que le sol se rapprochait. Dans un saut léger, j'atterrissais sans un bruit sur un lit de mousse humide qui s'illumina à son tour à mon contact.

Quelques mètres plus loin, un petit feu crépitait au milieu de la prairie clairsemée d'Eyaye (2) qui tapissait les alentours de notre arbre. Je distinguais alors une petite silhouette immobile, accroupie au bord du foyer. J'esquissais un sourire. Le danger ne guettait pas. Je m'approchais discrètement de l'ombre figée et lançais dans un murmure :
- Espèce de skxawng (3) tu veux réveiller toute la tribu ?
L'homme sursauta violemment et se retourna dans ma direction.
- Mec, tu vas finir par me tuer à force de me faire des frayeurs pareilles !
Je franchissais les derniers mètres qui me séparaient de Norman et lui lançai une petite bourrade affectueuse sur l'épaule.
- Tu n'imagines pas à quel point tu es bruyant ! repris-je.
Les lèvres de Norman s'étirèrent dans un large sourire.
- Excuse moi, Ô grand chef du clan Omaticaya de n'être qu'un misérable humain bruyant et ignorant ! m'adressa-t-il d'un air farceur.
- Bruyant et ignorant, je ne dirais pas le contraire ! répondis-je dans un sourire. Mais tu ne dois pas être si misérable que ça pour avoir gagné le droit de vivre ici...
- J'imagine... murmura-t-il, en me fixant de ses petits yeux.

Je m'asseyais à ses côtés, observant la lueur des flammes se refléter sur la paroi de son masque.
- Si tu savais comme j'ai faim... me confia-t-il finalement.
Difficilement, j'essayai d'étouffer l'éclat de rire qui m'envahissait.
- J'imagine que c'est le prix à payer pour pouvoir rester ici sous une forme humaine... lui répondis-je.
- Peut-être... Mais tu n'imagines pas ce que je serais capable de faire pour déguster... un bon vieux plat Terrien, me lança-t-il sur un ton enjoué.
Je comprenais son désarroi. Il est vrai que la nourriture comestible aux humains ne fleurissait pas sur Pandora. Leurs repas se limitaient pour l'instant à quelques grignotages de graines, racines ou d'insectes dans le meilleur des cas. Mais ces quelques mets ne remplissaient apparemment pas suffisamment leurs estomacs. Quoi qu'il en soit, l'acclimatation à la vie sur Pandora ne s'effectuait pas sans difficultés pour les quelques humains rescapés. Nos deux espèces, qui cohabitaient désormais, repartaient chacune de très loin. Aux Omaticayas la recherche d'un nouvel arbre-maison et la réhabilitation d'une terre souillée par des envahisseurs. Aux humains, l'adaptation à un nouveau monde hostile et inhospitalier pour leur espèce.
Pour l'instant, nous n'avions trouvé d'autre solution pour leur confort que d'acheminer deux unités de liaison mobiles, importées de Hell's Gate (4) et postées non loin de l'arbre qui accueillait momentanément la tribu. Cet espace, bien que restreint, leur permettait néanmoins de profiter d'un confort relatif. Quant à l'alimentation, il faudrait de toute façon compter sans les réapprovisionnements acheminés depuis la Terre. L'estomac de Norman n'avait d'autre choix que d'accepter la restriction.

- Relativise, lui lançais-je. Tu as la chance d'avoir ce qu'aucun autre humain n'a ici, tu devrais t'en estimer heureux !
Il me lança un regard complice.
- C'est vrai qu'elle m'apporte beaucoup. Mais jusqu'à preuve du contraire, ça ne nourrit pas vraiment son homme !
J'esquissais un sourire.
- Comment va-t-elle ?
- Pas trop mal. La sève de Croquembouche soulage bien sa douleur. Elle dort.
Effectivement, aucun bruit ne parvenait des deux cahutes.
- Elle s'en remettra le rassurais-je. Il faudra sans doute beaucoup de temps mais Trudy est forte.
Sur ces mots, Norman laissa échapper un profond soupir.

Le corps de Trudy avait été découvert quelques heures après la bataille avec les marcheurs de rêve. Par chance, son masque n'avait pas été détérioré par la chute, ce qui lui avait permis de s'oxygéner pendant qu'elle gisait seule à terre, au milieu d'une multitude de débris. Dans les premiers temps, nous pensions son cas désespéré. Sa chute avait pourtant été grandement amortie par la colonie de Fungimoniums (5) géants qui abondaient dans les environs. Mais son corps, en grande partie recouvert de brûlures profondes la faisait atrocement souffrir. Une expédition dans les bâtiments désormais désaffectés de Hell's Gate nous avait permis de dénicher les remèdes nécessaires aux premiers soins.
De notre côté, après plusieurs tentatives infructueuses nous avions finalement réussi à mettre au point un onguent à base de sève de Croquembouche, non nocif à son organisme et qui avait sensiblement diminué sa douleur. Ainsi recouverte de cette substance gélatineuse à l'odeur nauséabonde, la cicatrisation de sa peau semblait s'amorcer. Sa survie n'était encore pas totalement acquise néanmoins, mais nous avions bon espoir.
Norman ne l'avait pas quitté depuis l'accident. Chaque jour, il veillait au moindre de ses désirs, tentait de la distraire dans les quelques moments où sa douleur était supportable. Il semble que les liens qui les unissaient déjà se soient renforcés dans cette épreuve. La tendresse qui circule dans leurs regards ne peut échapper à personne.

Norman et moi avons finalement passé une bonne partie de la nuit ensemble à bavarder. Les flammes s'amenuisaient au fil des heures et laissaient place à la bioluminescence nocturne de Pandora. Autour de nous, les quelques feuilles éparses d'Eyaye nous encadraient de leur mince rayonnement. Dans cette atmosphère paisible, Norman me livra son projet de reprendre activement les travaux de recherche de Grace. Le matériel informatique des unités mobiles étant totalement fonctionnel, il comptait en tirer partie afin de mener à bien sa tache. Il n'était plus question à présent de communiquer ses trouvailles aux équipes de scientifiques restées sur Terre, mais sa soif de connaissance sur la fantastique terre qu'il foulait à présent n'avait pas de limites. Et Pandora était encore loin d'avoir livré tous ses secrets.
Mais bientôt, le manque de sommeil se fit tout de même ressentir et après une franche accolade, je décidais de rejoindre mon cocon douillet.
Je m'assoupissais finalement aux premières lueurs du jour alors que le clan ne tarderait sans doute pas à s'éveiller.

Ma nuit fut effectivement courte. Mais une caresse affectueuse parvint à me tirer de ma profonde léthargie. J'ouvrais les yeux et découvrais le visage de Neytiri, encore emprunt de sommeil.
- Bien dormi ? me demanda-t-elle de sa voix douce.
- Pas vraiment...
Elle se pencha et déposa un tendre baiser sur mes lèvres.
- Alors j'espère que ton réveil sera plus agréable que ta nuit, me murmura-t-elle.
Son visage, tout proche du mien me faisait face. Malgré mes paupières encore lourdes, je distinguais parfaitement l'ensemble de ses traits, si fins et harmonieux.
Je l'observais silencieusement lorsque quelque chose m'interpella. Je n'aurais su dire ce qui avait changé dans son visage. Peut-être paraissait-elle encore plus douce qu'à l'ordinaire. Peut-être que son sourire était encore plus malicieux que d'habitude, ou ses yeux encore plus éclatants et vifs. Mais non, ce n'était pas cela...
Alors que je continuais de l'observer ainsi, flottant dans le brouillard du sommeil qui m'enveloppait encore, je réalisais soudain l'infime changement qui s'était opéré : les petites taches, ordinairement discrètes qui s'étalaient sur son front, son nez et ses pommettes reflétaient à présent une mince lueur orangée. Imperceptiblement, son visage rayonnait alors d'un éclat mordoré, qui lui allait à merveille.
- Ta peau... lui dis-je en caressant son visage du bout de mes doigts.
- Ma peau ?
- On dirait que... les taches de ton visage changent de couleur.
A peine avais-je prononcé ces mots que Neytiri avait soudainement bondi du hamac. Elle s'était élancée à pleine vitesse et dévalait à présent le tronc en moins de temps qu'il ne faut pour cligner des yeux. Je n'étais pas encore complètement redressé qu'elle avait déjà disparu de ma vue.
- Neytiri ?

Je n'eus pour toute réponse qu'un regard renfrogné de Mo-at, que mon appel vain avait tiré du sommeil.
- Désolé, lui adressais-je.
Dans un long bâillement, je m'extirpais finalement du cocon. Une rude journée s'ouvrait de nouveau à moi.
D'ici quelques heures, la tribu s'affairerait comme tous les jours à débarrasser les alentours du Kélutral abattu des montagnes de débris mécaniques qui s'y amassaient.
Nous ne pourrons sans doute pas nous réinstaller en ce lieu. La puissance d'Eywa n'ayant pas encore le don de ressusciter ce que l'ennemi avait entrepris de détruire avec tant d'acharnement. Mais nous nous devons, pour la puissance symbolique du Kélutral, de lui rendre hommage en faisant disparaître la cause de sa destruction.
Indispensable dessein qui malheureusement, n'effacera pas le traumatisme des mémoires.

_____________________________________________________
(1) Planète gazeuze autour de laquelle gravite Pandora
(2) Fougères
(3) Débile
(4) Vestiges du complexe militaire des Humains
(5) Champignons

Laisser un commentaire ?