Cycle III : Le cycle de Nourasie

Chapitre 5 : Le palais

2371 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 04/07/2017 21:52

La salle du trône était immense. Elle devait mesurer plus d'une cinquantaine de mètres de longueur, et au moins une dizaine de hauteur. Des colonnes dorées, finement ouvragées, s'alignaient de part et d'autre de la pièce pour soutenir le plafond, qui était magnifique. Une gigantesque représentation du système solaire dans lequel était située la Nourasie avait été peinte. Le travail de l'artiste était remarquable.

- Tout cet or..., murmura Stan, presque avec avidité. Un seul de ces piliers et nous pourrions vivre tranquille jusqu'à la fin de nos jours, sur Terre.

- Ce n'est pas de l'or, informa Don Wei. C'est un matériau nourasien qui pourrait être comparé au cuivre de chez nous. Sa valeur est donc moins importante que vous l'imaginiez.

Éva ne se demanda pas comment son père pouvait savoir cela. Il avait sans doute étudié les caractéristiques de la planète pendante leur voyage à bord du vaisseau de la Coalition Terrienne, de manière à avoir le plus d'informations possibles sur leur destination.

Le silence retomba sur le petit groupe tandis qu'ils avançaient à travers la salle. À l'autre extrémité, trois personnes les attendaient. Un homme et une femme étaient assis sur un trône. Lui avait une épaisse chevelure grise, qui formait plusieurs tiges nouées aux pointes, et arborait une tenue à mi-chemin entre l'armure et l'apparat. Son visage, en partie dissimulé par une barbe dense, était marqué par les années et les préoccupations.

Son épouse semblait plus douce, et elle souriait d'un air avenant à ses invités. Ses cheveux argentés pendaient de part et d'autre de son visage et elle portait une longue robe blanche, brodée de dorure. Ses oreilles pointues, typiques des Nourasiens, n'étaient pas perpendiculaires à ses joues, mais penchaient vers le bas.

Quant à Aikka, il se trouvait à la droite de son père. Il se tenait droit, presque avec rigidité, et son habit ressemblait vaguement à celui qu'il revêtait régulièrement sur Arouas, quoiqu'un peu plus élégant. Éva contint l'exclamation qu'elle brûlait de pousser lorsqu'elle l'aperçut, car elle était heureuse de le revoir enfin.

Le prince fit quelques pas à leur rencontre et, sitôt qu'ils furent face à face, il s'inclina devant l'équipe terrienne. Après quoi, d'un geste du bras, il les invita à avancer jusqu'aux souverains. Si Éva fut un peu déçue par son manque de familiarité, elle comprit néanmoins que c'était par égard au protocole.

- Mère, Père, permettez-moi de vous présenter mes amis. Molly, la gagnante de la Grande Course d'Oban. Don Wei, leur chef. Rick, son bras droit. Stan et Koji, les mécaniciens. Et...

- David, lui souffla Éva.

- David, qui est, je suppose, le nouveau tireur. À vous tous, je vous présente ma mère, la reine Maila, et mon père, le roi Kanoï.

Les Terriens s'inclinèrent respectueusement devant les souverains et, après les avoir salués à son tour, le monarque les invita d'un geste de la main à se relever. Son épouse se mit alors debout et, au grand étonnement de tous, se dirigea vers Éva pour la serrer dans ses bras.

La jeune fille était désemparée, mais elle ne chercha pas à échapper à cette étreinte, d'une part parce que cela n'aurait pas été très courtois, de l'autre parce qu'elle appréciait cela. Il y avait, dans le geste de la reine, tant d'affection maternelle que si Éva avait fermé les yeux, elle aurait probablement eu la sensation de retrouver sa mère, l'espace de quelques secondes.

- Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour mon fils, murmura Maila à son oreille d'une voix très tendre. Merci de lui être restée loyale malgré tout. Nous sommes en partie responsables de ce qui s'est passé, car nous lui avons dit de respecter les Crogs et de les servir, mais nous ne le regretterons jamais assez.

- Vous n'aviez pas le choix, majesté. Tout le monde sait comment ces monstres fonctionnent. Kross a prouvé à maintes reprises qu'il aurait été prêt à tuer votre fils s'il ne lui avait pas obéi.

Aikka, qui avait l'air légèrement tendu, s'apaisa lorsqu'il croisa le sourire qu'Éva lui adressa. Maila se tourna vers lui et, sans se départir de sa bienveillance qui semblait naturelle, elle déclara :

- Aikka, puisque ces gens sont tes invités personnels, ne penses-tu pas qu'il serait de ton devoir de les escorter jusqu'à leurs appartements ?

- Vous avez raison, mère. Père.

Il inclina la tête, puis Maila lui céda sa place auprès de l'équipe terrienne. Aikka prit la main d'Éva dans la sienne et la baisa, ce qui la fit rougir. Elle bredouilla quelque chose d'inaudible, avant qu'il prenne la parole :

- Ton père, Rick et toi logerez au palais jusqu'à la veille de la première course. Vous serez ici en tant qu'ambassadeurs de votre planète. Quant à vous trois, ajouta-t-il en se tournant vers Stan, Koji et David, les gardes vont vous conduire jusqu'à l'endroit où vous attend votre stand. Vous pourrez vous y installer et faire comme chez vous. Tout a été prévu de façon à ce que vous ne manquiez de rien. Vos amis vous y rejoindront dans trois jours.

Le trio, loin de s'offenser d'être tenu à l'écart, parut soulagé. Éva pouvait les comprendre. Elle ne connaissait pas encore assez David pour se faire une idée, mais elle n'imaginait pas les mécaniciens à leur place dans ce château. Pas plus qu'elle, d'ailleurs... Cette pensée la fit blêmir.

- Si vous voulez bien me suivre, invita Aikka en désignant une double porte qui se trouvait sur le flanc droit de la salle.

Éva fut la première à lui emboîter le pas, Rick et Don Wei dans son sillage. Un garde ouvrit la porte et ils débouchèrent dans un couloir si long qu'il paraissait ne pas avoir de fond. Sa hauteur, en revanche, était moins impressionnante que celle de la salle du trône. Le plafond ne se situait qu'à trois mètres du sol.

- Pardon pour cet accueil un peu trop protocolaire, Molly, déclara enfin Aikka. À la veille d'une course comme celle que nous organisons, je n'ai pas le droit de faire du favoritisme vis-à-vis des autres participants. Et puis, pour être honnête, je ne m'attendais pas à ce que le peuple réagisse ainsi.

- Tu as vu ce qui s'est passé à notre entrée dans la ville ? s'enquit Éva.

- Je vous observais depuis le palais. Je savais que tout le monde te respectait, mais j'étais loin de m'attendre à ça, même de ma propre mère.

Aikka esquissa un sourire et Éva eut le sentiment de retrouver le Nourasien qu'elle avait connu sur Arouas : accessible, amical et décontracté. À présent qu'elle n'avait plus le sentiment de marcher sur des œufs, elle put se détendre. Son cœur ralentit dans sa poitrine pour retrouver un rythme normal et elle essuya ses mains moites contre son pantalon.

- Tous les domestiques du château sont à la disposition de nos invités de marque, poursuivit Aikka. Vous aurez tous une clochette, dans votre chambre. N'hésitez pas à l'actionner et quelqu'un se présentera à votre porte. Vous pouvez demander n'importe quoi.

- Et est-ce qu'on peut fouiner un peu ? demanda l'adolescente, qu'un regard sévère de son père obligea à reformuler : Je veux dire... Est-ce qu'on a le droit de se promener dans le palais ?

- Oui, bien sûr. Certaines salles sont réservées à la famille royale, mais des gardes sont de toute façon chargés de les surveiller, alors vous ne risquerez pas d'y rentrer par inadvertance. Tout le reste vous est accessible, y compris les jardins.

- Les jardins ?

- Ils sont situés sur l'arrière. Je te les montrerai moi-même, si tu le souhaites.

- Avec plaisir, approuva Éva.

Le silence retomba. Le pas léger d'Aikka n'émettait aucun bruit au contact du sol, ni des marches lorsqu'il s'engagea dans un escalier. Il était aussi vif, agile et rapide que dans le souvenir d'Éva. Si atteindre le sommet ne posa aucune difficulté au prince, elle-même dut dissimuler son essoufflement.

Elle avait un peu rouillé depuis Oban et le regard inquisiteur de Rick braqué sur sa nuque lui indiqua qu'il n'aurait sans doute rien contre le fait de lui infliger l'une de ses séances de sport intensives pour la remettre au niveau, ce qui équivalait à une véritable torture.

Le palier donnait sur un nouveau couloir, tout aussi long que le précédent. Des dizaines de portes s'alignaient de chaque côté, presque toutes identiques. Seuls des symboles, de couleur bleu, les distinguaient les unes des autres. C'étaient les mêmes que ceux qui ornaient les portes des stands, sur Arouas.

- Nous y sommes, indiqua Aikka en dévoilant trois appartements voisins. J'espère que vos chambres seront à votre goût.

Rick et Don Wei remercièrent poliment le prince, tandis qu'Éva lui donnait une tape amicale sur l'épaule. Puisqu'ils étaient à l'abri des regards, elle pouvait se permettre de se comporter avec la même désinvolture que par le passé. Aikka répliqua, lui sourit, puis tourna les talons après s'être incliné brièvement.

La pièce dans laquelle l'adolescente pénétra était magnifique. D'un blanc presque immaculé, elle possédait une grande armoire en bois de Nourasie, un gigantesque lit dans lequel il serait aisé de dormir à cinq et des rideaux en tissu léger qui obstruait une baie vitrée. Éva s'empressa de les écarter pour contempler la vue, qui la laissa sans voix.

Sa chambre donnait sur les jardins évoqués par Aikka. Si elle avait trouvé Oban sublime, avec sa végétation rougeoyante, ce n'était rien comparé à ce qu'elle avait sous les yeux. Une étendue luxuriante s'étendait sur plusieurs hectares, derrière le palier. Des arbres immenses, aussi hauts que le château lui-même, projetaient leur ombrage sur des plantes diverses et variées. Un petit ruisseau coulait au milieu, cerné par milliers de fleurs.

Éva sursauta lorsqu'elle entendit un bruit étrange, contre la vitre, un peu comme un impact. Elle recula, méfiante, avant de repérer sa provenance. C'était une sorte d'insecte qui voletait à ras du verre, le cognant par moment. Il ressemblait un peu à une abeille, jaune et brun avec des ailes argentées, à ceci près qu'il était plus rond et qu'il mesurait cinq bons centimètres.

- Que tu es mignon ! s'exclama Éva. Je t'aurais bien proposé d'entrer, mais je vais quand même attendre de demander à Aikka quel genre de petite bête tu es. Il ne faudrait pas que tu me piques et que mon visage triple de volume avant la course.

La baie vitrée donnait sur un balcon, mais à cause de la présence de l'insecte, Éva s'abstint d'y faire un tour pour le moment. Elle se tourna plutôt vers une porte, à sa gauche. Elle posa la main sur la poignée finement ciselée et l'ouvrit, pour découvrir la salle de bain. Une baignoire, qui avait plutôt la taille d'un jacuzzi, occupait la majeure partie de l'espace. L'eau gouttait le long d'un mur, comme une source naturelle, et disparaissait à travers une grille, dans le sol. L'endroit embaumait d'une délicieuse odeur.

De retour dans la chambre, Éva se laissa tomber sur son lit, pour tester le confort du matelas. Un peu trop mou à son goût, mais jamais elle n'avait connu de draps d'une telle douceur. Tout ici respirait le luxe et la volupté.

Après s'être prélassée pendant plusieurs minutes, l'adolescente décida d'étudier l'armoire de plus près. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle constata que ses affaires, qu'elle avait laissées dans ses appartements du vaisseau de la Coalition Terrienne, étaient déjà là. Des domestiques les avaient probablement transférés ici pendant qu'ils s'entretenaient avec les souverains.

Éva avait tout de même envie de retourner à la navette, ne serait-ce que pour aider Stan et Koji avec l'Arrow-Star. Elle savait que la mécanique n'était pas une option obligatoire, à l'armée, et si David était aussi doué que Jordan dans ce domaine, une paire de mains en plus ne serait pas pour leur déplaire.

Elle quitta sa chambre et referma la porte derrière elle, tandis qu'une autre claquait, sur sa gauche. Elle tourna la tête pour voir Rick, qui venait lui aussi de sortir dans le couloir. Il rajusta ses lunettes de soleil, puis demanda :

- Verdict, p'tite souris ?

- Pas mal. Un peu trop royal pour moi, mais pas mal. Je vais voir si Stan et Koji ont besoin d'aide. Tu m'accompagnes ?

- Où crois-tu que j'allais, à ton avis ?

Éva songea à proposer à son père de venir avec eux, mais elle se ravisa. Il avait toujours fait confiance à son équipe pour se charger de l'installation et, de surcroît, il était probablement en pleine conversation avec le Président de la Coalition Terrienne, pour le prévenir de leur arrivée dans la capitale nourasienne et lui demander des conseils quant à la politique à adopter avec les monarques.

Éva ne se faisait pas trop de souci à ce niveau, pas après l'accueil que leur avait réservé la population, à elle en particulier. C'était de la gratitude qu'ils ressentaient pour l'équipe terrienne, et aussi une pointe de culpabilité dans la famille d'Aikka pour s'être placés au service des Crogs. Leurs liens avec la Terre semblaient déjà tout tracés.

La jeune fille songea que, peut-être, avec un peu de chance, ils fermeraient tous les yeux sur ses difficultés à s'adapter au protocole, à condition qu'elle ne commette pas d'erreurs trop magistrales. Jouer les ambassadrices n'était par pour elle et elle pressa le pas, Rick dans son sillage, trop pressée de redevenir une simple mécanicienne jusqu'au dîner.

Laisser un commentaire ?