Avant qu'Henry ne revienne

Chapitre 20 : The End, partie 3 : Appeal, Handy et Web

1326 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/12/2022 19:09

26 - Appeal (appel)

(après 1960)

Le son du micro qui s'allume et la respiration tenue qu'ils entendaient malgré le fond sonore du Studio les faisaient tous tressaillir. Pourtant, elle ne s'adressait pas toujours à eux pour exiger des choses. Parfois, elle chantait seulement, ou riait, le son beau comme une trille d'oiseau se transformant souvent en un ricanement maniaque à donner la chair de poule. Certains n'écoutaient pas, pas parce qu'ils l'ignoraient volontairement mais parce qu'ils étaient trop loin dans leur propre folie pour être touché par la sienne. D'autres étaient seulement sur leurs gardes, ou vaguement agacés de l'entendre utiliser la radio pour ses futilités. Les perdus ne craignaient plus rien d'elle, car ils ne pouvaient plus lui apporter quoi que ce soit, mais certains se souvenaient d'avoir été ouvert en deux sur une table d'opération et ne pouvaient l'entendre appeler sans trembler. Cependant, ceux qui se recroquevillaient vraiment de terreur en l'entendant étaient les quelques Boris encore entiers oubliés dans le Faux Studio. Le Créateur les avait épargnés, mais l'ange n'aurait pas cette clémence et elle était capable de tout pour les attraper. Personne ne pouvait être complètement insensible à la douceur malsaine de sa voix changeante et aux mots à double tranchant qu'elle utilisait.

Pourtant, il y avait autre chose qui résonnait en eux tous sans avoir à passer par la radio, quelque chose qu'ils craignaient encore plus qu'Alice et plus que le Créateur lui-même. La Voix. On pouvait se cacher du démon de l'encre, fuir devant Alice Angel, combattre les membres du butcher gang ou les pauvres fantômes de ceux qui c'étaient perdus dans l'encre, mais on ne pouvait pas lutter contre la Voix. La Voix n'épargnait personne, ne se laissait pas convaincre ou amadouer. Elle savait tout, elle parlait dans votre tête en se servant de vos propres pensées et savait souffler sur vos angoisses, vos remords et vos pertes pour mieux vous briser. Elle en avait perdu certains en hurlant si fort qu'ils étaient incapables de penser ou de se souvenir de qui ils étaient, et avaient convaincus beaucoup qu'il était inutile d'essayer de se battre et qu'ils étaient condamnés à rester dans ce purgatoire. Elle parviendrait à corrompre tout le monde, petit à petit, une éclaboussure d'encre après l'autre. Ce n'était qu'une question de temps, car on ne pouvait pas lui résister.


27 - Handy (pratique)

(1941)

La machine était fabriquée depuis quelques semaines et les essais avaient commencé dans l'euphorie. Pourtant, l'enthousiasme retomba rapidement, car rien ne fonctionnait malgré les tentatives de plus en plus extravagantes de Joey. Peu après l'échec cuisant de la création de Bendy, tout le monde était tendu et le premier accident arriva : un employé de la GENT tomba dans la cuve d'encre de la machine. Ils ne le ressortirent pas à temps et le pauvre homme se noya. Malgré ce drame, Joey refusa d'arrêter les essais et le lendemain, le travail repris. Mais ce qui sortait de la machine à présent était différent de d'habitude, mieux formé, presque conscient. Thomas comprit le premier que l'encre semblait réagir aux humains, car ils essayèrent avec des animaux morts, sans que cela ne donne quoi que ce soit. Il en fit part à Joey... Et ne cessera de le regretter, pensant à raison qu'il aurait mieux fait de détruire la machine et de démissionner immédiatement. La culpabilité d'avoir accepté de prendre part aux expériences de plus en plus cruelles qui suivront n'abandonnera jamais Thomas, jetant une ombre sur tous les bonheurs de sa vie.


 28 - Web ( toile d'araignée, réseau)

(entre 1950 et 1963)

Au début, les Boris étaient très nombreux, une vingtaine de répliques parfaites en tout point. Mais passé la satisfaction initiale, le Créateur se lassa de ne voir que des loups sortir de la machine. Il était facile de les fabriquer, mais ils étaient presque trop semblables à l'original : impossible de les éduquer pour qu'ils jouent un rôle, ils "étaient" Boris, aussi veules, goinfres et froussards que le personnage dont ils étaient tirés. Absolument inutilisables. Certains d'entre eux se souvenaient de la colère croissante du Créateur envers eux, de son impatience, alors qu'ils ne comprenaient pas ce qu'il voulait et faisaient pourtant de leur mieux pour qu'il soit satisfait. Il finit par ne plus s'occuper d'eux et ils ne surent jamais ce qu'il attendait. Au bout d'un long moment où ils restèrent seuls, le Créateur les laissa sortir et les amena ailleurs. Il y faisait noir et c'était beaucoup plus inquiétant que la pièce lumineuse où ils avaient l'habitude d'être, mais ça ne pouvait qu'être bien. C'était le Créateur qui les y avait mis, non ? Ils avaient confiance.

Le démon de l'encre en attrapa trois la première fois qu'il apparut devant eux.

Après, ils se méfièrent plus, la peur les rendant prudents et attentifs aux éclaboussures noires sur les murs. Ils comprirent qu'on pouvait lui échapper en disparaissant de sa vue et en sortant de l'encre, et prirent l'habitude de laisser des endroits où se cacher aux quatre coins du Studio. L'un d'eux trouva amusant de les appeler des " petites stations miracles" et les autres le laissèrent faire. Ils n'étaient pas encore tous parfaitement semblables, car Boris n'avait pas mangé toute leur personnalité. Cela viendrait lentement.

Ils restaient entre eux, essayaient de se protéger et de s'entraider, mais il arrivait souvent que l'un des Boris s'enfuie brusquement dans le noir au moindre danger. Parfois, il revenait, et parfois, le démon de l'encre arrivait avant. Et puis ceux qui disparaissaient furent retrouvés liés à des tables d'opérations, les yeux en croix et une longue plaie vaguement refermée sur le torse. Il y en eux six qui moururent comme cela, dans le silence et l'incompréhension. Les Boris n'étaient pas assez courageux pour les détacher et certains d'entre eux ne pouvaient que rester stupidement immobiles à regarder ses restes qui leur ressemblaient tellement. Les autres finissaient toujours par les tirer en arrière pour revenir à l'abri. Il ne fallait pas rester là.

Mais cela cessa aussi brusquement que c'était arrivé et plus personne ne fut disséqué.

Et puis elle arriva.

Ils ne surent pas exactement quand est-ce que le Créateur la laissa là elle aussi, ils ne restaient pas au premier étage à cause de la machine à encre qui les terrifiaient tous. Mais ils l'entendirent à la radio. Elle avait une voix extraordinaire, douce comme du miel, tendre comme la promesse d'une caresse. Elle avait l'air si gentille, et si perdue elle aussi que quelques Boris se laissèrent amadouer et allèrent la voir. Ils ne revinrent pas et quand les autres durent pousser plus loin leur recherche de nourriture, ils les retrouvèrent aussi en morceaux. Mais ce n'était pas pareil, c'était beaucoup plus sale et violent, les cadavres étaient laissés les côtes largement écartées et sans organes, parfois avec des membres arrachés ou avec la chair noircie comme s'ils avaient été brûlés.

Il leur fallu d'autres disparitions, et d'autres cadavres pour comprendre que ceux qui allaient vers elle, ceux qui essayaient de faire autre chose que manger et se cacher mourraient entre ses mains. À présent, c'était comme si chacun de leur mouvement pouvait leur coûter la vie, comme si elle pouvait entendre leur pas, deviner leurs présences dans les couloirs. Elle avait mis des pièges partout pour les attraper, allant jusqu'à créer de faux appels à l'aide pour que la compassion les perde : que l'un d'entre eux oublie le danger et elle surgissant soudain pour le saisir.

Ils avaient beau avoir une face de loup, ils avaient l'impression d'être des mouches convoitées par une araignée.


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