BioShock Beyond – Tome 2 : Retour vers les abysses

Chapitre 11 : Réouverture en grande pompe

5363 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/03/2021 02:07

Chapitre 11 : Réouverture en grande pompe


           Le plan était simple : commencer par entrer dans le magasin, en passant par le quai de l’aire d’essai, réservée aux clients désireux d’essayer leur bathysphère personnelle flambant neuve ; ensuite, se mettre en route vers le Silver Fin, récupérer la machine en question, et filer de là en vitesse.

           Simple, en théorie. Mais à Rapture, rien n’est aussi simple que tout le monde veut bien le croire. Et les ennuis ne tardèrent pas à faire surface.

           J’avais alors pour mission de partir en éclaireur. Grâce à ma nouvelle tenue de Grande Sœur fraîchement acquise, je pouvais passer par le sas, situé devant le cimetière de machines. Quant à Stan et Elaine, ils me suivraient de très loin, depuis le sous-marin d’Éric et de ses soldats. En effet, notre sous-marin nous avait rendus service à plus d’un titre, mais au vu de sa carlingue criblée de balles, le consensus sur lequel nous étions tous tombés était qu’il avait fait son temps.

           Enfiler cette tenue avait eu quelque chose d’intimidant. Sa lourdeur pesante et son casque oppressant me donnaient des sueurs froides. Plus que tout, elle me rappelait à quel point nous étions des cibles de choix. Même derrière cette armure digne d’une princesse tragique surpuissante, la mort pouvait pointer le bout de son nez à tout moment.

           Avant de partir et d’ouvrir la porte du sas, Evelyn daigna me confier malgré tout quelques conseils.

« Surtout, prend garde à tout ce qui bouge, à l’extérieur, comme à l’intérieur. La tenue est résistante, mais elle n’est pas incassable. N’oublie pas que tu as toujours ta seringue et ton harpon, que tu peux utiliser comme arme, en cas de pépin, mais aussi le Capt’air.

           Je hochai la tête, tentant de m’habituer à la respiration difficile à laquelle me contraignait le casque. Je vérifiai une dernière fois que le Capt’air était bien accroché à ma ceinture. Evelyn appuya sur le bouton d’ouverture du sas. La porte rouillée se souleva en grinçant.

— Il y a une radio dans ton casque, je vais essayer de te guider comme je le peux. A ce propos, d’ailleurs, j’ai peut-être une idée pour pouvoir t’aider à l’intérieur. Mais je dois voir avec mes gars si c’est toujours réalisable. Ne t’inquiète pas, tout va bien se passer.

           Je pénétrai dans le sas, les jambes flageolantes malgré ces bonnes paroles d’encouragement. D’un geste déterminé, en dépit de mon cœur battant la chamade, je tirai le levier de contrôle, après avoir pris une grande inspiration. La porte se referma lentement sur la silhouette d’Evelyn, tandis que l’eau commença à s’infiltrer dans le sas. Elle remonta le long de mon corps pour finalement le recouvrir entièrement. La pression se fit de plus en plus intense.

           La porte extérieure du sas s’ouvrit enfin, laissant apparaître un paysage sous-marin recouvert de composants électroniques. Un calme apaisant planait tout autour de moi. Je n’entendais plus que le son de ma respiration saccadée. Mon premier pas hors du sas me permit de m’habituer à me mouvoir sous l’eau, à marcher sur le fond marin. Un pas après l’autre, je commençai à me balader dans ce cimetière sous-marin, avant d’être interrompue dans ma découverte par la voix d’Evelyn, résonnant dans ma combinaison.

— Sarah ? Tu m’entends ?

— Je te reçois cinq sur cinq, Evelyn.

— Bon. Le magasin se trouve quelques kilomètres plus loin, sur ta gauche, au-dessus d’une fosse océanique. Il va falloir que tu nages jusque-là. Ensuite, on avisera.

— Bien reçu, acquiesçai-je.

           Je m’exécutai avec hâte, et quittai le cimetière à la brasse, pour me retrouver dans la bordure extérieure de la ville, dans un coin sombre et sauvage, peuplé de vie sous-marine. En ce moment précis, je remerciai du fond du cœur mon père, Sam, qui m’avait appris à nager des années auparavant. C’était comme s’il avait toujours su que ce moment allait arriver. Bien que la combinaison fût lourde, la nage était plutôt aisée. Elle n’était pas comme celle des Big Daddies, elle était bien plus légère et facilitait amplement les mouvements. Mais elle pesait tout de même son poids.

— Au fait, c’est quoi ton idée pour m’aider une fois à l’intérieur ? demandai-je, un peu essoufflée par la nage.

           Les grésillements se firent entendre avant d’écouter à nouveau sa voix.

— Il y a quelques mois, on a commencé à envoyer des Petites Sœurs robotisées dans l’enceinte du magasin…

— Des Petites Sœurs robotisées ? Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Oh, trois fois rien, s’amusa Evelyn, simplement le plus gros échec de l’entreprise McClendon Robotics ! Ses locaux en sont remplis ! Ryan avait passé commande d’une centaine d’unité pour plusieurs centaines de milliers de dollars. Manque de bol, les Protecteurs n’ont jamais réussi à se lier à elle.

— Ça, c’est pas de chance, opinai-je.

— Pas de chance pour lui, précisa Evelyn, mais une aubaine pour nous !

           Après avoir dépassé plusieurs épaves, je survolai un plateau rocheux, recouvert de végétation phosphorescente, avant d’apercevoir au loin une silhouette vaguement familière : un grand bâtiment, dont le sommet ressemblait à une statue de Poséidon, relié à deux autres bâtiments en formes d’hippocampes. Pas de doute, c’était le magasin que nous cherchions.

— Et qu’est-ce que vous en faites de ces trucs-là ? m’enquis-je, en évoquant à nouveau les Petites Sœurs robotisées.

— Principalement du repérage, des missions de reconnaissance, ce genre de choses. Pourquoi ?

— Elles peuvent combattre ? demandai-je avec intérêt.

— Elles ne sont pas programmées pour le combat. Elles sont censées être des petites filles, après tout ! Mais grâce au contrôle à distance, on devrait pouvoir arriver à nos fins.

           Plusieurs minutes de nage furent nécessaires pour parvenir à atteindre ce lieu sinistre. Vu de plus près, le magasin était vraiment imposant. Il représentait véritablement selon moi la mégalomanie de son architecte, Frank Fontaine. Un bâtiment à la hauteur de ses ambitions.

           Malheureusement pour lui, il n’avait pas été ouvert très longtemps, Ryan l’avait rapidement transformé en prison pour Atlas et ses hommes. Frank Fontaine s’était alors retrouvé prisonnier de son propre magasin. L’ironie du sort pouvait parfois frapper très fort. Néanmoins, il n’avait pas tardé à s’en échapper sous les traits d'Atlas. Et c’est ainsi que la Guerre civile avait commencé. L’attentat du Kashmir d’abord, puis ça avait été la dégringolade. Rapture n’avait fait qu’empirer d’années en années, jusqu’à ce que Jack débarque et nous sorte de là. Cependant, cela n’avait pas signé la fin de Rapture pour tous les autres, qui n’avaient pas eu la chance de s’enfuir, loin de là.

           Un simple coup d’œil au magasin, survivant d’une époque révolue, me permit de comprendre à quel point notre tâche n’allait pas être simple. Le complexe à l’envergure immense flottait ainsi au-dessus d’une énorme fosse océanique, qui me donnait le tournis par sa profondeur et sa noirceur. En revanche, il n’y avait aucun signe des Aquas. Cela n’augurait rien de bon : un ennemi caché est bien plus difficile à combattre.

           Je n’avais pas besoin de me diriger vers le bâtiment principal, mais plutôt vers le département des électroménagers, dans lequel se trouvait la section des Bathyspheres DeLuxe. C’est là, au cœur de la salle des expositions, à l’intérieur du restaurant Silver Fin, que résidait notre objectif.

           Mais avant toute chose, je devais trouver l’entrée. Evelyn m’avait conseillé de passer par le quai de l’aire d’essai, car il possédait un sas, qui me permettrait de décompresser avant d’entrer dans le bâtiment. Après avoir fait le tour, je repérai ce fameux sas de décompression. C’était une sorte de tunnel, fermé de chaque côté par un opercule hermétique en métal, aux dimensions d’une bathysphère. Il suffisait de tourner la vanne.

— Evelyn ? appelai-je. Je crois que j’ai trouvé l’entrée.

           A coup de brasses, je louvoyai jusqu’à arriver devant le quai en question. Je commençai par tenter d’ouvrir la vanne manuellement, mais elle ne bougea pas d’un pouce. Elle n’avait pas été conçue pour une ouverture manuelle, elle devait simplement pivoter au passage d’une bathysphère. Il y avait sûrement des commandes quelque part, mais elle était sans doute à l’intérieur.

           Mais tandis que je m’échinais à percer le secret de cette porte blindée, je ne remarquai pas la créature qui venait de se faufiler derrière moi, jusqu’à ce que j’entende le brassement de l’eau non loin de moi. Pensant surprendre celui qui comptait s’en prendre à moi, je fis volte-face en un clignement d’œil. Mais il n’y avait personne.

           Soudain, en une fraction de seconde, je me retrouvai happée par l’une de ses créatures, venue de ma gauche. Elle s’agrippa à moi et attrapa mes bras avec ses immenses doigts palmés et crochus, en me regardant droit dans les yeux ; son visage, vaguement humain, était caché derrière la poche d’air translucide qui lui permettait de survivre. Je tentai de contrecarrer son attaque, en donnant un coup de pied dans son torse, mais il était fort difficile de donner de l’impact à ses coups sous plusieurs mètres cube d’eau.

           Notre combat pris alors des allures de ballet aquatique. J’essayais tant bien que mal de me défaire de son emprise, en vain. Le chrosôme aquatique se mit alors à asséner des coups de têtes désespérés contre mon casque, serrant toujours mes bras avec force, enfonçant ses griffes dans ma combinaison, qui tenait pourtant bon. J’avais l’impression de revenir quelques heures en arrière, lors de mon combat contre Cronos et Artémis. Mais cette fois-ci, j’avais la nette impression que ma défaite était imminente. Je ne pouvais plus utiliser mes plasmides, ayant dépensé toute ma réserve d’EVE lors du combat précédent. Que me restait-il, à part la volonté ?

           Alors que j’étais sur le point d’abandonner, ma volonté reprit le dessus et une décharge d’adrénaline se répandit en moi. Je ne voulais pas et je n’allais pas périr là. J’utilisai alors les forces qui me restaient afin d’écarter ses mains de mes bras, dans un effort éreintant. D’un coup désespéré, j’enfonçai ma seringue au fond de sa poche d’air, jusque dans ses organes. L’eau s’infiltra dans sa poche et se mélangea à son sang visqueux, qui s’échappa de sa plaie béante. Son regard sembla lentement s’évanouir dans le néant, l’étincelle de vie qui l’animait venait de le quitter.

           Le chrôsome lâcha complètement son emprise sur moi et se mit à dériver. Doucement, son corps inanimé plongea dans la faille sous-marine, tandis que ses bulles d’oxygène remontèrent lentement à la surface. Je me permis quelques minutes de répit. Une voix familière résonna enfin à l’intérieur de mon casque.

— Sarah ? Sarah, ça va ? demanda Evelyn, paniquée.

— Ça va. Je vais bien. Je viens de tuer l’un de ces chrosômes.

— Eh bien, s’étonna Evelyn. Espérons simplement que ce soit le dernier.

           Je l’espère aussi, pensai-je, toujours mal à l’aise à l’idée du meurtre.

           Mais en y réfléchissant, ce combat avait peut-être porté ses fruits. Je jetai un œil à la quantité de sang, que j’avais récupéré sur le chrôsome. Grâce à cela, je devais pouvoir retrouver mes pouvoirs, pour quelque temps du moins. A partir du gantelet, j’injectai le contenu de la fiole dans mes veines. La sensation était nettement moins intense que la première fois, mais elle restait fort agréable. Je ressentais le pouvoir à l’état brut courir sous ma chair. Mes pouvoirs enfin retrouvés, je réussis sans problème à bouger la valve par la pensée, grâce à la Télékinésie, et à ouvrir le lourd couvercle de métal.

           Je m’engouffrai dans le sas en aluminium en prenant soin de refermer le couvercle derrière moi, puis me mis en quête des commandes d’urgence, afin de mettre en route les pompes de façon manuelle. Après avoir mis la main dessus, je tentai de les activer, sans succès. Je devais trouver la raison de cet échec. C’est alors que je remarquai que de l’eau fuitait dans le bâtiment à travers l’opercule, par le biais de très légères fentes sur ses bords. Cela expliquait donc la raison de ce refus : si une fuite était détectée, le mécanisme se bloquait automatiquement.

           Il me fallut me creuser la tête pour trouver une solution, sans véritablement d’outil sous la main. Mais lentement, une idée commença à faire son chemin dans mon esprit. Encore une fois, elle impliquait de recourir aux plasmides : je pouvais utiliser mon plasmide Houdini afin de déplacer mes molécules par la fente jusqu’à l’intérieur de l’aire d’essai. Cela pouvait marcher.

           Je pris du temps pour me concentrer sur mon objectif. La méditation m’aida à faire le vide dans mon esprit, jusqu’à le laisser complètement vagabonder. Soudain, je me retrouvai de l’autre côté du miroir, en chair et en os. J’analysai mes mains, mes jambes, mon corps, tout y était.

— Ça y est Evelyn, j’ai réussi à rentrer !

— Parfait ! s’exclama-t-elle. Alors, que vois-tu ?

           Après avoir retiré mon casque, je me mis à détailler à Evelyn mon point de vue : une pièce remplie de plusieurs centimètres d’eau, une grande table et des caisses disposées tout autour, sur lesquelles reposaient un peu partout les affiches d’Atlas et de sa bande, à peine reconnaissables après toutes ces années à macérer dans l’humidité. Un escalier sur la gauche menait à une porte blindée de fortune, placée entre plusieurs morceaux de bois, avec, en son centre, un judas doté d’une trappe amovible.

— Il va falloir que tu prennes l’escalier, m’expliqua Evelyn. Tu devrais te retrouver dans la salle d’exposition des bathysphères. Ensuite, cherche la zone de réparation. Stan et Elaine devraient arriver dans quelques instants.

           Effectivement, au bout d’un long couloir, après être passée devant une zone pour employés et une publicité pour le plasmide buvable Hiver d’Antan, je découvris un grand hub, qui semblait relier tous les points importants présents au sein du magasin Bathyspheres DeLuxe. Partout, de vieilles réclames, légèrement effacées par le temps, peintes derrières des aquariums immenses ou le long des escaliers, vantaient les mérites de l’achat d’une bathysphère. Des slogans, tels que « Elle ne détournera pas le regard », ou encore « Découvrez le meilleur du luxe », tapissaient les murs un peu partout.

           Deux bathysphères trônaient encore dans des grands tubes en verre remplis d’eau. Mais l’eau avait coulé sous les ponts depuis le temps où les clients pouvaient encore poser les yeux sur elles, et l’une d’entre elles, celle du milieu, avait chuté depuis son piédestal brisé et s’était retrouvée au sol, explosée en plusieurs morceaux parmi les flaques d’eau.

           Les quelques néons qui indiquaient le nom de différentes zones, sans doute clinquants et brillants dans leur jeunesse, clignotaient désormais par petites touches, donnant à cet endroit des airs de ruelle sombre mal fréquentée. Malgré la distance, je reconnus au loin face à moi le nom de l’endroit par lequel Stan et Elaine devaient débarquer : Service Bay, la zone de réparation, derrière le reste de l’ancien tube en verre. A ma droite, il y avait un escalier qui menait à l’étage, sans doute vers le Silver Fin.

— Dis à Stan et Elaine que je pars les rejoindre, annonçai-je à Evelyn.

— D’accord, répondit Evelyn. Fais attention à toi.

           Evelyn avait raison. La salle d’exposition semblait vide, mais je devais rester sur mes gardes. Cette armure me protègerait surement, mais je n’avais pas les qualités surnaturelles d’une Grande Sœur qui allaient de pair. Je reposai le casque sur ma tête et traversai donc la grande salle à pas de loup, pataugeant dans l’eau froide et poisseuse. Le silence tout autour était troublant. Seul le bruit des gouttes sur le sol donnait un semblant de vie à cette pièce. Une fois les morceaux de verre, qui provenaient de l’énorme tube, furent évités, je continuai mon chemin jusqu’à atteindre l’entrée de la zone de réparation.

           Mais avant de pénétrer dans cette zone, un détail m’interpela : au pied d’une ancienne Farandole des prix, un cadavre gisait-là, la main droite remplie de pièces. Je remarquai aussi que la machine émettait une lumière verte intrigante et devinai sans mal que l’homme avait utilisé Possession sur la machine, avant de perdre la vie et d’avoir pu profiter de son butin. Heureusement pour moi, cela pouvait faire mon affaire. Après avoir vérifié que le chrosôme était bel et bien mort, je récupérai hâtivement les pièces depuis sa main, avant d’acheter une bouteille d’EVE à la Farandole des prix et de la récupérer pour plus tard.

           Derrière les portes de la zone de réparation, une ancienne salle d’attente réservée aux clients m’attendait. Devant la réception en bois, des dépliants décrivant les modèles de bathysphères jonchaient le parquet moisi, éclairés par une lumière vacillante. Je contournai la réception par la droite, et découvris avec effroi un cadavre totalement décomposé, assis au bureau d’une petite salle, située derrière le comptoir. Je poursuivis ma route en chassant de mon esprit cette vision d’horreur pour me retrouver devant un ascenseur, qui semblait être la seule issue possible.

           Je redoutai un instant que l’ascenseur puisse être hors d’état marche, après toutes ces années à croupir sous des tonnes d’eau, ce qui eut été bien contraignant. Mais après avoir franchi ses portes et appuyer sur le bouton, elles se refermèrent lentement en grinçant, avant que l’ascenseur ne s’enfonçât vers les profondeurs du bâtiment.

           Arrivée au sous-sol, je dus forcer l’ouverture des portes de l’ascenseur, celles-ci étant restées entrouvertes. J’avançais petit à petit, essayant de me repérer dans ce grand atelier, où l’on réparait autrefois les bathysphères. Plusieurs anciens modèles de bathysphères privées étaient encore pendus dans différentes stations par des énormes pinces, le long de la voie de réparation qui menait jusqu’à la baie.

           Enfin, je me retrouvai sur une plateforme en métal qui surplombait la baie de réparation, dans laquelle étaient entreposées les bathysphères en maintenance, placées sur des supports. En face de moi, de l’autre côté de la salle, une ouverture à la vitre brisée donnait sur ce qui ressemblait à une salle de contrôle. Apparemment, l’endroit était désert.

— Evelyn ? rappelai-je, en chuchotant. Je crois que la voie est libre.

— Tu es sûre ? Stan et Elaine me disent qu’ils ont vu quelque chose bouger près de l’entrée des bathysphères de la zone de réparation.

           Je jetai alors un œil à travers les grilles au sol et vis que je me trompais : deux chrosômes aquatiques étaient assis au bord de l’une des stations de bathysphères de la baie, celle de gauche étant libre, contrairement à l’autre, occupée par une vieille bathysphère en piteux état. D’après ce que m’avait dit Evelyn, plusieurs d’entre eux devaient sans doute se cacher sous l’eau. Pour le moment, je devais m’occuper des deux premiers.

— Dis-leur de venir quand même. J’ai un plan.

           Silencieusement, je sortis de ma ceinture le Capt’air, qui m’avait déjà permis de commettre mon premier meurtre. Je ne faisais pas ce que je faisais par plaisir, mais par pure volonté de survie. Comme mon père avant moi, j’avais pris des décisions dont j’avais horreur, mais qu’il m’était nécessaire de prendre. Et pourtant, j’agissais désormais comme si j’avais fait cela toute ma vie. L’accoutumance au meurtre devenait pour moi bien trop banal pour que ce soit normal. Cette ville avait fait de moi en monstre, littéralement d’abord. Puis, petit à petit, le sang que j’avais versé en ce jour m’avait transformé en un autre genre de monstre. Le genre qu’on ne fait pas disparaître par un simple plasmide. J’étais devenue un assassin malgré moi.

           Fallait-il pour autant que je regrette mes actes ? La rédemption m’attendait-elle au bout du chemin ? Je n’en avais aucune idée. Mais pour le savoir, il fallait déjà que j’arrive au bout de ce long chemin. Et si pour y arriver, je devais commettre des actions qui me rendraient inexcusables aux yeux de tous, alors qu’il en soit ainsi.

           D’un bond, je sautai sur le crochet de l’une des nombreuses appliques d'éclairage ornementales, qui se trouvaient sur les piliers en fer, grâce au Capt’air, qui s’y agrippa comme un aimant. J’eus alors une meilleure vue sur mes adversaires, dont les pieds palmés faisaient bouger l’eau du bassin en rythme. Ils ne semblaient pas alertés par ma présence.

           Je relâchai alors l’emprise du Capt’air sur le crochet et atterris derrière le chrosôme de gauche, en roulant et en m’accroupissant au dernier moment pour éviter le bruit. Je m’approchai lentement de celui-ci. Il était temps de mettre mes talents et ma tenue à profit : j’enfonçai ma seringue dans le cou du premier, qui commença à se débattre en faisant remuer ses pieds dans l’eau. Je l’assommai avec le Capt’air avant de m’occuper du second en lui envoyant mon harpon dans l’œil. Il tenta de crier derrière sa poche d’air mais ne put rien dire. Je le ramenai à moi brutalement et l’assommai lui aussi d’un coup de Capt’air dans le visage.

           Je laissai les deux chrosômes se vider lentement de leur sang, puisque mon plan n’était pas terminé. Je m’accrochai à nouveau à l’un des crochets et me déplaçai ainsi de crochet en crochet jusqu’à arriver sur le rebord de la fenêtre de la salle de contrôle. Je m’infiltrai par l’ouverture, laissée par l’ancienne vitre brisée, et passai par-dessus les commandes.

           Je me tournai vers ces dernières et tentai de me repérer parmi tous leurs boutons et tous leurs leviers. Rapidement, je commençai à comprendre les fondamentaux pour déplacer les grues à l’endroit souhaité. Je bougeai alors la grue au-dessus de la station par laquelle devait arriver le sous-marin de mes compagnons.

— Evelyn ? Je suis prête. Où sont…

— Vite, Sarah, me répondit-elle. Ils arrivent, et ils ne sont pas tous seuls !

— Oh, génial ! répliquai-je.

           C’est alors que j’aperçus des bulles se profiler au loin parmi le bassin. Grâce au levier, je descendis alors la grue à son niveau. La bonne nouvelle, c’est que le sous-marin apparut enfin. La mauvaise, c’est qu’il était recouvert de chrosômes belliqueux, frappant de toutes leurs forces sur la paroi.

           Je remontai le sous-marin aussi vite que je le pus, et me préparai au combat. Je sortis la bouteille d’EVE et la bus d’une traite, avant de reprendre en main mon Capt’air et de remettre mon casque. Je m’accrochai à nouveau au crochet le plus proche et me déplaçai ainsi, comme Tarzan sur ses lianes, jusqu’à arriver devant le sous-marin.

           Je repérai l’un des chrosômes, placé au-dessus du sous-marin, essayant à tous prix d’entrer par la trappe. Je penchai mon corps d’avant en arrière afin de prendre de l’élan et m’éjectai hors de l’emprise du crochet avant de fondre sur ma cible et de lui asséner un bon coup de Capt’air. Le chrosôme, hors d’état de nuire, glissa sur la paroi du sous-marin et tomba sur le sol quelques mètres plus bas.

           Mais le combat n’était pas fini : d’autres chrosômes, agrippés à la paroi du sous-marin, escaladaient toujours. Je tournai mon regard vers la trappe et la soulevai avec peine par la pensée, avant de l’envoyer vers le chrosôme le plus proche, qui tomba aussi à la renverse. Je tendis la main à l’intérieur.

— Venez ! criai-je à Elaine et Stan.

           Elaine fut la première à attraper ma main. Je l’extirpai à la hâte hors du sous-marin. Mais alors que ses pieds touchèrent la paroi, un chrosôme m’attrapa par derrière et commença à s’attaquer à mon casque avec ses griffes. Ne suivant que mon instinct, je lui donnai plusieurs coups de coude, afin de me libérer. Lorsqu’il sembla enfin lâcher son étreinte, je me tournai vers lui et lui flanquai un bon coup de pied qui le projeta dans les airs jusqu’à atterrir sur le béton. Pendant ce temps, Elaine avait aidé Stan à sortir de là. Le bruit des mains crochues sur le métal nous empressait de fuir.

           Mais un autre bruit fit son apparition, un bruit plus préoccupant encore : la grue était sur le point de lâcher.

— Accrochez-vous ! hurlai-je à mes compagnons.

           Dans un ultime effort, je sautai en direction de Stan et Elaine et les attrapai entre mes bras. La scène me paraissait irréelle, comme si je bougeais au ralenti. Dès l’instant où je sentis leurs corps sur le mien, je fermai les yeux et utilisai mon pouvoir en nous désintégrant en cendres pour nous projeter sur le balcon en métal qui dominait la baie, deux mètres plus loin.

           Nous nous effondrâmes sur le sol. Je tournai la tête et vis avec soulagement la grue vaciller, en grinçant comme un animal blessé, avant de laisser le sous-marin s’écraser lourdement sur l’eau en contrebas. Je me relevai en grognant.

— On n’a pas de temps à perdre, leur lançai-je. Il faut aller à l’ascenseur, maintenant !

           Stan et Elaine se relevèrent eux aussi avec difficulté, mais ils me suivirent jusqu’à l’ascenseur. J’appuyai sur le bouton, et nous pûmes alors souffler un peu.

— Oh bordel ! siffla Elaine. J’ai bien cru que j’allais y rester.

— Je crois qu’on peut remercier Sarah, renchérit Stan.

— Ne me remerciez pas encore. On a encore quelques mètres à faire avant d’arriver à l’objectif.

— J’espère que ça en vaut la peine, lâcha Stan, le regard fuyant.

— Oh que oui, répondit Elaine, plein d’assurance. »

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