BioShock Beyond – Tome 2 : Retour vers les abysses

Chapitre 13 : Le rêve de Rapture est fini

Chapitre final

3023 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/03/2021 16:55

Chapitre 13 : Le rêve de Rapture est fini


           Mon réveil sonnait comme la fin d’un long cauchemar. A ceci près que mon corps ne reposait pas sur un lit douillet, mais sur un sol froid, dur et humide. J’ouvris difficilement les paupières tandis que mon cœur se remit doucement à battre. Mon sang circulait désormais à travers tous mes vaisseaux sanguins, des pieds jusqu’à la tête, et je commençais à nouveau à ressentir chacun de mes membres.

           Allongée sur le ventre, dans une large flaque d’eau, je fus seulement capable de bouger les mains d’abord, un doigt après l’autre ; puis ce fut au tour de ma tête et finalement de tout mon corps de se relever. Je me mis à genou en geignant, soutenue par mes mains tremblantes, avant de cracher l’eau salée qui avait envahi ma bouche. Je tentais encore de comprendre comment j’avais pu survivre après une si brutale exécution.

           Je tournai la tête derrière moi et devinai dans les ténèbres la lumière si caractéristique d’une Vita-Chambre, cachée dans l’une des larges colonnes de la mezzanine du restaurant. Quelqu’un l’avait donc utilisée pour me ramener à la vie. Mais qui ?

           Petit à petit, j’émergeais de ma léthargie latente et je retrouvais à nouveau l’usage de l’ouïe. Je perçus alors un bruit stridant, une alarme infernale couplée à des coups de feu et des explosions, qui avaient lieu plus loin dans la salle d’exposition des bathysphères. Je remis péniblement mon casque, qui se trouvait juste à côté de moi, avant d’entendre un autre bruit à peine perceptible. Un cliquetis mécanique et un bruit de pas métallique, qui résonnèrent dans la grande pièce abandonnée.

           C’est alors que je remarquai deux grands yeux jaunes se dessiner dans la pénombre devant moi. Ils m’évoquèrent immédiatement le regard d’une Petite Sœur. Mais tandis qu’elle s’approchait de moi, se révélant à la lumière de l’océan, je compris alors, après un sursaut d’étonnement, que je n’avais pas affaire à n’importe quelle Petite Sœur. Il s’agissait là de l’une de ces Petites Sœurs robotisées, dont Evelyn m’avait parlé. Leur design particulier rappelait un peu les vieux films de science-fiction.

           Avec encore plus de surprise, une voix inconnue, entrecoupée de grésillements, s’échappa de la petite fille artificielle. Ce n’était clairement pas celle d’une petite fille, mais bien plutôt d’une jeune femme, qui paraissait emplie de panique.

« Sarah ? demanda-t-elle. Sarah Weavers ? Tu dois partir. Maintenant !

— Je… Je ne comprends pas, répondis-je, encore un peu sonnée. Qui êtes-vous ?

— On n’a pas le temps pour ça !

— Mais qu’est-ce qui se passe ?

           La femme à l’autre bout n’eut pas besoin de m’expliquer le problème, car l’alarme qui sonnait depuis plusieurs minutes le fit pour elle. Un vieux disque au son encore correct se mit en marche et une voix féminine, d’une neutralité déroutante au vu de la situation, se fit entendre à travers les haut-parleurs de la ville :

« Alerte de sécurité : Rapture est attaquée par des ennemis venus de la surface. Veuillez rejoindre les sas d’urgence et rallier la station de bathysphères la plus proche. »

           La voix termina son annonce et un bourdonnement chaotique acheva l’enregistrement pour ne laisser que le son assourdissant et régulier de l’alarme.

— Tu dois quitter la ville, répéta la femme. Il n’y a pas de temps à perdre.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? demandai-je avec effroi.

— Les Saturnins sont sur tes traces. Ils savent ce que tu as fait et ils savent ce qui va arriver à la ville. Ils ont lancé plusieurs vagues d’attaque dans toute la ville pour tenter de reprendre le contrôle de Rapture. Ils pensent pouvoir arrêter ce qui va se passer.

— Alors, l’alarme, ce n’est pas de leur fait ?

— Non. C’est Elaine. L’homme qu’elle a amené avec elle, Éric. Il était au courant de son plan depuis le début. Il a amené ces hommes dans le magasin sous les ordres d’Elaine pour récupérer la machine, il y a une heure. Mais ce n’est pas ce qui cause tout ce vacarme : il y a quelques minutes, il a enclenché le lancement d’une bombe nucléaire depuis un sous-marin militaire français pour rayer Rapture de la carte.

           Je détournai le regard de la petite fille, le souffle coupé. Je réalisai à présent qu’Elaine n’avait plus aucune limite. Elle avait franchi tellement de lignes et en franchirait sûrement bien d’autres. Je devais l’arrêter, coûte que coûte.

— Oh mon dieu, murmurai-je, pensive.

— Mais avant de partir, continua la femme derrière le robot, prends avec toi le plan de la machine.

           La Petite Sœur robotisée me tendit alors une feuille de papier enroulée, que je récupérai soigneusement pour la placer dans ma combinaison. Soudain, les bruits d’explosion et les cris s’intensifièrent.

— Je crois qu’ils arrivent, dis-je en évoquant les Saturnins qui semblaient sur le point de forcer l'entrée du restaurant.

— Alors, tu dois t’enfuir !

— Mais comment ? Il n’y a qu’une seule sortie.

— Tu vas devoir casser les vitres du restaurant et t’engouffrer par l’ouverture.

— Pardon ?

— C’est le seul moyen. »

           Je pris une grande inspiration et descendit les escaliers quatre à quatre. Le chaos se faisait de plus en plus présent derrière la porte blindée, je ne devais donc pas traîner. Mais je ne pus m’empêcher d’observer au sol le corps de Stan, couvert de son propre sang, les yeux grands ouverts. Sa souffrance, exacerbée par la trahison de son amie, avait dû être immense. Je voulais sincèrement le sauver, le ramener à la vie, comme l’inconnue l’avait fait pour moi. Mais il était trop tard : l’ennemi était à notre porte, et je n’avais qu’une seule combinaison pour nous sortir de là.

           Avec une peine incommensurable, je me dirigeai vers les grandes vitres du restaurant. Je vérifiai que mon casque était bien hermétique, lorsque j’entendis des coups puissants donnés derrière la porte. Les Saturnins étaient sur le point de débarquer dans le restaurant. Je positionnai la seringue face à la vitre. Avec toute la force qui me restait, je reculai mon bras et l’enfonçai dans le verre ultra résistant. Une petite entaille se forma et une légère fuite apparue.

           Mais ce n’était pas suffisant. Je recommençai l’opération une deuxième fois. L’eau s’engouffra alors avec plus de puissance dans le bâtiment. A nouveau, je frappai et frappai, réussissant petit à petit à briser la vitre. Mais c’est alors que j’entendis derrière moi le bruit de la porte qui se soulevait. Ils avaient réussi à forcer l’ouverture et venaient de pénétrer dans le restaurant.

           Heureusement, grâce à un ultime coup, j’achevai de détruire la vitre et un torrent d’eau se déversa dans la salle, m’emportant avec lui sous la pression. Je me retrouvai alors projetée avec une force inouïe contre le buffet, là où se trouvaient autrefois les cuisines. Lorsque j’osai enfin rouvrir les yeux, je découvris une salle figée dans le temps, habitée par les cadavres de Saturnins, qui semblaient en lévitation dans cette eau glaciale. Ils n’avaient pas résisté à la pression.

           Le choc contre le mur ne m’avait pas blessée, mais je remarquai rapidement que quelque chose n’allait pas en jetant un œil aux cadrans de ma combinaison. En effet, je remarquai avec effarement que ma bouteille d’oxygène avait été touchée par l’impact, car mon niveau d’oxygène diminuait considérablement de secondes en secondes.

           A la vue de mon cadran, dont l’aiguille vacillait lentement vers le rouge, je commençai à paniquer et me mis à prendre de grandes inspirations, comme si chacune d’entre elles était la dernière. Mais je réussis à reprendre le contrôle et à réduire mon stress tout doucement. Je me dirigeai en nage rapide vers la fenêtre et m’échappai par le trou béant que j’avais laissé.

           Au loin, Rapture tenait encore fièrement debout, malgré l’effervescence et l’ébullition qu’elle contenait. Vue de l’extérieur, la ville avait l’air si calme, si paisible. Comme si rien ne pouvait la troubler. Personne ne pouvait imaginer la panique qui venait de s'emparer des habitants restants. Cependant, je savais très bien que c’était la dernière fois que je voyais la ville où j’avais grandi.

           Après m’être attardée à contempler la ville et ses gratte-ciel une dernière fois, j’accélérai mon rythme de nage pour m’éloigner le plus possible de cette cité de malheur. Malheureusement, je saisis durant mon parcours que je n’irai pas jusqu’au bout du chemin. Mes réserves étaient au plus bas et je sentais que mon inhalation se faisait de plus en plus difficile. Mon sang avait de plus en plus de mal à monter jusqu’à mon cerveau. Mes brasses devenaient de plus en plus lentes.

           Bientôt, ma vision se troubla et je commençai à perdre peu à peu connaissance. Ce fut comme si mon corps se débranchait. J’abandonnais progressivement tout espoir de survie, tandis que je me mis à dériver, au gré du courant.

           Soudain, je sentis quelque chose se poser sur ma main. C’était une sensation à peine perceptible, comme un papillon qui viendrait se poser au creux de ma main. Du coin de l’œil, je distinguai une forme humaine derrière le hublot de mon casque. Une forme qui ressemblait étrangement à la combinaison que je portais sur moi. La silhouette m’emporta avec elle, en me tenant par la main. Après cela, le néant pris place au sein de mon esprit et je perdis complètement connaissance. 

 

*

*         *

           Quelques bribes de souvenirs résistèrent à mon évanouissement, mais j’oubliai la plupart des choses qui m’arrivèrent jusqu’à mon réveil. Avec les yeux à moitié clos, je découvris que quelqu’un était penché sur moi, scrutant chaque expression de mon visage avec attention. C’était une jeune femme qui devait avoir à peu près mon âge, avec les cheveux noirs comme l’ébène et les yeux bleu océan.

« Doucement, murmura la jeune femme avec tendresse, tu es en sécurité.

— Je… Où suis-je ? demandai-je, un peu désorientée.

— Tu es sur mon bathyscaphe, répondit-elle.

— Mais qui es-tu ? m’enquis-je, après m’être massé le crâne.

— Je m’appelle Eleanor Lamb, j’ai pu communiquer avec toi par le biais de cette Petite Sœur robotisée.

— Où est Evelyn ? l’interrogeai-je, avec l’espoir qu’elle ait pu trouver un chemin vers la survie, elle aussi.

           Eleanor baissa les yeux avant de hocher la tête de gauche à droite.

— Elle n’a pas survécu. Éric a sûrement dû s’occuper d’elle avant notre arrivée, après avoir reçu l’ordre d’aller chercher la machine.

           Encore une personne de plus à ajouter à la liste des personnes qui avaient péri par ma faute. Je jetai un coup d’œil autour de moi, afin d’analyser mon environnement. Je me trouvais dans une grande cabine circulaire, dotée de plusieurs commandes différentes, posée sur une grande plateforme, qui flottait désormais au-dessus de l’Océan Atlantique. Il y avait aussi des dizaines de Petites Sœurs robotisées désactivées, adossées contre la paroi. Je devinai donc pourquoi Eleanor avait fait un détour par l'Antre de Minerve.

           Cependant, la lumière aveuglante du soleil m’empêcha d’abord de remarquer que quelqu’un d’autre se trouvait avec nous dans le bathyscaphe. La femme qui était jusqu’alors aux commandes s’approcha de moi. Malgré le contrejour, il me semblait reconnaître une figure familière.

— Je vois que ma petite protégée a bien changé, fit remarquer la femme, avec un fort accent allemand. Comment vas-tu ?

           Il ne m’en fallut pas plus pour reconnaître celle qui était, malgré elle, à l’origine de ce que j’étais devenue.

— Maman Tenenbaum ?

           Un sourire chaleureux se dessina sur son visage.

Ja, c’est bien moi, lâcha-t-elle finalement.

           Je ne pus résister à l’envie irrépressible d’enlacer cette femme qui m’avait tant manqué. La scientifique allemande parut surprise par mon geste. Elle pensait sûrement que j’aurais de la rancœur, du ressentiment, ou une certaine animosité à son égard. Mais j’avais eu le temps de réfléchir à ses actes des années durant et j’avais réussi à lui pardonner. Ce jour-là encore, c’était elle qui me sauvait, comme elle l’avait fait en guidant Jack vers le chemin de la lumière, pour nous mener à notre délivrance. Comment pouvais-je en vouloir à cette femme qui avait tant fait pour nous ?

           Je relâchai mon étreinte autour de son cou après plusieurs secondes, malgré l’odeur agréable de sel dans ses cheveux. Je pris un peu de temps pour observer son visage, qui avait bien changé après tant d’années. Les cheveux épars, le visage ridé, les lèvres gercées. Elle n’était plus la même que celle qui résidait dans mes souvenirs. Mais elle avait gardé le charme qui faisait d’elle qui elle était.

           Mais au milieu de ce moment de bonheur, un bruit sourd et grave retentit à l’extérieur, faisant trembler tout le bathyscaphe. Eleanor, Brigid et moi nous précipitâmes hors de la cabine du bathyscaphe, afin de voir ce qui causait ce vacarme assourdissant. Nous posâmes nos mains sur le bastingage et observâmes l’horizon, pour y découvrir l’énorme masse d’eau, déplacée en hauteur par le souffle de la bombe. On aurait dit un véritable raz-de-marée, déchirant le ciel et la mer. La masse d’eau resta longtemps en suspension dans l’air, formant une sorte de montagne éphémère, avant de retomber doucement vers l’océan.

— Et voilà, lâcha Eleanor, la larme à l’œil. Le rêve de Rapture est définitivement fini, cette fois. »

           Et elle avait raison, en un sens. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser à Elaine. Son plan machiavélique, mû par un amour inconditionnel, était en train de se mettre en place, pièce par pièce. Si elle réussissait, elle aurait le pouvoir d’anéantir le monde et même de ramener Rapture à la vie, avec tous les cauchemars qu'elle abritait. Il fallait que je l’arrête à tout prix.

           Elaine disait pouvoir obtenir des alliés grâce à sa machine. Mais j’avais désormais, moi aussi, des alliés de taille à mes côtés. Des alliés qui pourraient m’aider dans ma quête.

           Le rêve de Rapture était peut-être terminé, mais notre mission pour sauver notre monde, et tous les autres, était loin de l’être.

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