BioShock Beyond – Tome 2 : Retour vers les abysses

Chapitre 1 : Tous les souvenirs remontent à la surface

2785 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/07/2021 16:48

Chapitre 1 : Tous les souvenirs remontent à la surface 


J’émergeai de mon sommeil mouvementé dans une chambre d’hôtel, par un sursaut inévitable. De la sueur perlait sur mon front et une chaleur désagréable m’avait envahi, j’étais en nage.

D’aucun aurait pu penser que c’était cette chambre d’hôtel, inhabituelle et étrangère, qui me donnait tout cette agitation. Mais le fait est que je faisais ce même cauchemar presque tous les soirs depuis plusieurs années, à quelques variantes près. Cependant, celui-ci avait été particulièrement éprouvant. J’avais bien cru que j’allais manquer d’air pour de bon.

Je jetai un coup d’œil au radio réveil posé sur la table de chevet. 9h12 du matin. Pas trop tard, mais j’avais pris du retard sur ce que je comptais faire à cet endroit.

Je tentai de reprendre mon souffle posément. Cela me rappela des souvenirs—heureux, pour une fois. Je me souvenais de la première fois où mon père, Sam, m’avait appris à nager. J’avais longtemps été réticente à cet apprentissage, qui me semblait dispensable, surtout au vu de mon lourd passé…aquatique. Mais mon père, qui avait vécu à la surface, m’avait assuré que dans la société normale dans laquelle on vivait, c’était toujours bon de savoir nager. Pour commencer mon entraînement, il m’avait appris à retenir ma respiration pendant plusieurs secondes, avant de commencer la pratique et de nager. Je n’avais pas beaucoup nagé dans ma vie, mais son entraînement sur la respiration m’avait plus d’une fois sauvé la mise lors de mes examens.

Une fois calmée, je m’assis sur le bord du lit et contemplai la petite photo que j’avais emmenée avec moi et posée sur le guéridon. Dessus, on pouvait y voir mon mari, Derek, une grimace sur le visage, et moi, à ses côtés, un verre de bière à la main. On avait pris cette photo lors de l’une de nos soirées étudiantes, en 1972.

« Bon dieu, pensai-je, c’était le bon vieux temps »

Il fut un temps où l'on se voyait encore, tous les deux, un temps où l'on s’amusait, le temps où Rapture n’était devenu qu’un souvenir au fond de ma mémoire, le temps de l’insouciance de l’adolescence. Malheureusement, rien ne dure éternellement, et les souvenirs, en grandissant, avaient progressivement refait surface, les uns après les autres, avec leurs lots de traumatismes. Les cauchemars s’étaient faits de plus en plus présents, et pesants. Toute ma mémoire de petite fille, que j’avais essayé d’enfouir au fond de moi était réapparue petit à petit, empoisonnant ma vie. Évidemment, Derek était là, il essayait de m’aider à surmonter mes épreuves. Mais il ne savait rien de mon histoire. Je lui avais toujours raconté que mon enfance n’avait été qu’une banale vie de petite fille, comme il y en a des millions. Lui cacher la vérité me coûtait énormément, mais c’était le seul moyen de nous protéger.

Finalement, une chaîne d’événements, qui devait me permettre de tourner la page définitivement s’était mise en marche, une chaîne qui m’avait obligé à prendre la route. Une chaîne qui, je l’espérais, devait se terminer juste à l’extérieur de cet hôtel, en plein cœur de Londres.

*

*         *


Tout avait commencé par la diffusion d’un reportage à la télévision, deux mois auparavant, le 3 octobre 1982. Je venais d’avoir 30 ans, et Derek et moi venions d’acheter notre petite maison, en Californie. Nous avions à peine déballé les cartons, mais la tentation de sauter dans le canapé et de ne rien faire avait été trop forte.

Derek préparait alors le pop-corn dans la cuisine. A vrai dire, j’adorais le pop-corn, mais l’odeur me rappelait implicitement certains souvenirs désagréables que je souhaitais oublier. Tandis qu’il s’affairait dans la cuisine, je changeais de chaîne afin de trouver un programme à peu près convenable. Il n’y avait pas tant de chaînes que cela à l’époque, mais on faisait avec.

Finalement, je tombai sur une émission qui m’intrigua, dès le départ. Un logo s’afficha à l’écran, puis, le générique se mit en marche, c’était un simple fond étoilé multicolore, au sein duquel la caméra recula jusqu’à révéler le titre du documentaire. Il s’agissait d’une émission nommée Les faits du mythe, créée par un certain Myles Bloom.

Jusque-là rien d’anormal, il s’agissait sûrement d’un énième documentaire complotiste attrape-nigauds, qui allait nous dire que la terre était plate ou que l’Homme n’avait jamais marché sur la Lune. Mais ce n’est que lorsque je vis le sujet du reportage que je compris de quoi il en retournait. Un frisson me parcourut le long du dos lorsque je remarquai le nom du documentaire en question. Il s’intitulait « Rapture : une Atlantide des temps modernes ? ».

Rapture. Les gens de la surface connaissaient donc Rapture ! Bien-sûr, d’après ce que disait le documentaire, la ville restait à l’état de légende. Mais le problème est qu’il y a toujours quelqu’un pour croire aux légendes. Et tôt ou tard, quelqu’un trouverait cette Atlantide moderne, ce n’était qu’une question de temps.

Alors que je suivais le reportage avec attention, je ne savais pas encore que le plus impressionnant restait à venir.

Le documentaire annonça que les journalistes avaient retrouvé une personne ayant habité et vécu à Rapture. La tension qui montait en moi me faisait craindre le pire. Les journalistes sonnèrent à la porte de cette personne. Une jeune femme blonde ouvrit la porte. Bien qu’ils aient caché ses yeux, je n’eus aucun mal à reconnaître mon amie d’enfance, Sally.

Sally avait donc survécu, elle aussi ! Je ne pouvais le croire. Je l’avais connu petite fille, à Rapture, où nous étions presque inséparables. Désormais, elle était devenue une jeune femme accomplie et vivait dans l’Etat de New-York, sur la côte est. Cette nouvelle agit comme un électrochoc sur moi, ce fut un vrai déclic, une révélation. J’étais à la fois euphorique et complètement abasourdie, ce que ne manqua pas de remarquer Derek, qui venait d’arriver sur ces entre faites, un pot de pop-corn rempli de beurre dégoulinant à la main.

« Euh, tout va bien ? demanda-t-il, un peu décontenancé.

—     Tout… va bien, réussis-je à articuler tant bien que mal. Je… Il faut que… Je dois y aller. » 

Je me sentais complètement déboussolée, j’avais l’impression que plusieurs émotions se confrontaient en moi, une excitation mêlée à un stress presque imperceptible. Ce documentaire m’avait retourné, mais il avait surtout ravivé des souvenirs, quelques bons souvenirs, certes, mais surtout les souvenirs douloureux que j’avais emportés de cette ville avec moi. Je sortis du salon en tremblant et me dirigeai vers les escaliers menant à la cave, en enjambant les cartons qui n’étaient pas encore déballés. Je descendis les marches quatre à quatre. Plus je m’enfonçais dans les méandres de la maison, plus l’odeur d’humidité emplissait mes narines.

Une fois en bas, mon regard se porta sur les quelques cartons que nous avions eu le temps d’entreposer au sous-sol, posés sur un vieil établi qui se trouvait-là. Je retirai le premier carton et le déposai à mes pieds pour voir celui qui se trouvait en dessous. Une inscription, « Mes affaires persos, ne pas toucher », était écrite sur la boîte au feutre noire. C’était le carton que je cherchais. A l’intérieur, j’y avais dispersé les quelques babioles que j’avais rapporté de cette ville maudite, la petite partie des souvenirs qui trouvaient encore grâce à mes yeux. J’avais gardé ma vieille robe bleue toute sale, désormais partiellement en lambeaux. J’avais aussi conservé les jouets que m’avaient donné maman Tenenbaum, dans son repaire, sous les Hauteurs d’Olympie, après qu’elle m’eut soigné. Mais ce qui m’intéressait le plus, c’était la poupée, qui m’avait suivi jusqu’ici. Une poupée aux cheveux blonds comme les blés, et à la robe noire habillée d’un nœud rose.

Cette poupée, c’était Sally. Enfin, c’était comme cela que je la voyais. A l’époque, nous avions chacun la nôtre. Sally avait une poupée qu’elle avait appelée Sarah. Et moi, une poupée que j’avais appelée Sally. C’était notre petit jeu. De revoir ce petit jouet en plastique, de savoir que Sally était en vie, tout cela en même temps me donna les larmes aux yeux.

Je reposai délicatement la poupée au fond du carton, m’assis au bord de l’établi et me mis à cogiter.

Il fallait absolument que je revois Sally si je voulais en finir avec tous ses souvenirs qui me déchiraient le cœur. Mais comment la trouver ? Je savais qu’elle habitait dans l’Etat de New-York. Mais où exactement ? Je n’en avais aucune idée. Le reporter n’avait rien précisé du tout.

Qu’importe ! Je devais me rendre là-bas. Je ne pouvais pas rester comme cela, sachant qu’une partie de ma vie était encore présente sur cette Terre. Je n’avais qu’à prendre des billets d’avion, et m’envoler à l’autre bout des Etats-Unis. Rien de plus simple.

J’étais sur le point de m’engager dans une quête qui avait pour but de changer ma vie et de m’aider à laisser le passé derrière moi, en l’affrontant de pleine face. Mais avant, je devais demander l’avis de mon père.

Sam habitait en Alabama, à des centaines de kilomètres de Californie. La distance qui nous séparait était un crève-cœur, mais je n’avais pas eu le choix. Je devais vivre de mon côté. Et lui du sien. C’était comme cela que la vie fonctionnait, à la surface. Cependant, lorsque j’avais vraiment besoin de lui, il était comme un phare dans la tempête. En chuchotant et en faisant attention à ce que Derek n’entende pas notre conversation, je lui racontai toute l’histoire, le documentaire, Rapture, et surtout Sally. Ses paroles, qui sonnèrent comme une délivrance, me rassurèrent dans mon intention : mon père savait l’importance qu’avait eu Sally dans ma vie, et, après mûre réflexion, il m’assura que je devais y aller, si c’était mon choix. Alors, c’est ce que je fis.


*

*         *


Comme je l’avais prévu dans mon plan—aussi fin qu’un cheveu— j’achetai un billet pour l’Etat de New-York en classe économique. Un vol de près de 6 heures, qui, je l’espérais, ne déboucherait pas sur une déception. Malheureusement, je ne voulais pas que Derek vienne avec moi. Bien qu’il m’eût été d’un grand secours psychologique, mon but était qu’il n’apprenne rien de mon passé. Je n’avais pas envie de changer la vision qu’il avait de moi. Que ferait-il en apprenant que j’avais été un jour une petite fille armée d’une seringue, arpentant une ville sous-marine, à la recherche de cadavres accompagnée par un scaphandrier ? Je finirais enfermée, tout simplement. Je prétextai donc un rendez-vous professionnel de dernière minute, qui m’obligeait à superviser la construction de navires de la Navy à l’autre bout du pays. Il fût quelque peu surpris, mais étonnamment, il accepta la nouvelle avec une grande diligence.

Le vol fut long, extrêmement long. Mais le voyage m’importait peu, ce qui m’importait le plus était la destination. Pendant tout le vol, je pensais à mon père, qui avait réussi à se reconstruire à la surface. Il avait vécu l’enfer dans les profondeurs, mais avait retrouvé le paradis à la surface. Pour ma part, l’adaptation avait été plus compliquée : même si venir à la surface était l’une des meilleurs choses qui me soit arrivée, Rapture avait été ma maison pendant tellement de temps, j’y avais vécu une bonne partie de mon enfance et la quitter n’avait pas été chose facile. Mais, si je voulais faire fi de tout ça, comme mon père, il me fallait apprendre à oublier complètement la ville qui m’avait vu naître.

Arrivée à destination, sous une pluie battante, je me rendis dans une cabine téléphonique, à l'abri de la foule, afin d’appeler Derek et d’étudier l’annuaire dans le but de découvrir où habitait Sally. Le problème est que je me rendis rapidement compte que je ne connaissais pas son nom de famille. La trouver me prendrait des heures.

Heureusement pour moi, j’avais noté l’adresse et le numéro du studio qui avait produit le documentaire, la société PHE. Je le décidai à les contacter avant de comprendre au fond de moi que je ne savais pas quoi leur dire. Peut-être n’accepteraient-ils pas de me laisser connaître l’adresse de Sally ? Je regardai autour de moi, toujours bien à l’abri dans la cabine. L’aéroport était plein à craquer, le trafic était intense autour de la cabine. Mais personne ne semblait faire attention à moi. Je tentai donc le tout pour le tout.

« Société PHE, en quoi puis-je vous aider ? demanda une interlocutrice à l’autre bout du fil.

— Bonjour, répondis-je. Je… Enfin voilà. J’ai vu votre reportage à la télévision l’autre jour à propos de… (je jetai un coup d’œil derrière moi pour être sûre que personne ne m’espionnait) … de Rapture. Je voulais simplement vous dire que moi aussi je connais la ville. J’y ai vécu.

— Excusez-moi ? s’interrogea l’interlocutrice.

— Je connais Rapture. Et je connais la jeune femme qui est passée dans votre reportage. Tout ce que je veux savoir, c’est son adresse.

La dame resta un moment silencieuse. Je supposai qu’elle devait sans doute discuter avec ses collègues.

— Désolé, mademoiselle, nous ne donnons pas ce genre d’information. Au revoir.

— Non, attendez ! m’écriai-je. Je peux vous dire tout ce que vous voulez. En échange, je veux que vous me confiiez l’adresse de la jeune femme dans le reportage.

Un silence à nouveau, puis l’interlocutrice téléphonique daigna me donner une réponse.

— Elle habite au 399, Mallard Drive, Pittsburgh, au nord de l’Etat de New York.

— Oh merci ! Merci infiniment ! criai-je avec une voix étouffée afin de rester discrète.

— Avant que vous ne partiez, il faut que l’on convienne d’un rendez-vous, me rappela l’interlocutrice d’une voix grave.

Ma joie m’avait pratiquement fait oublier que j’avais fait une promesse. Ils m’avaient bien eu sur ce coup. Je sentis le stress monter en moi. J’hésitai un instant à raccrocher le combiné, mais je pris le parti d’être honnête avec eux. Après tout, ils m’avaient bien facilité la tâche.

— Eh bien, je suis en voyage professionnel actuellement. Que diriez-vous de me retrouver dans deux semaines, le lundi, à 10h, à San Diego, près de la base navale de la Navy ?

— Très bien, répliqua la femme, avec froideur, nous allons étudier votre proposition. Nous vous recontacterons dans cette cabine dans deux jours, à 20h30. C’est d’accord ?

— D’accord, acquiesçai-je. Ici, dans deux jours. C’est noté.

— Bien. Dans ce cas, je vous souhaite une bonne journée.

— Au revoir. »

Je restai quelques secondes au téléphone, à écouter le bip qui s’en échappait, puis je raccrochai délicatement. Je n’avais aucune idée de ce dans quoi je m’embarquai en acceptant ce rendez-vous. Et je le savais.

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