BioShock Beyond – Tome 2 : Retour vers les abysses

Chapitre 3 : Interlude douloureux

2146 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/12/2020 23:21

Chapitre 3: Interlude douloureux


L’énorme monstre de métal, qui m’avait permis tant bien que mal de rendre visite à Sally, se posa sur la piste de l’aéroport de San Diego, vers 1h du matin, non sans quelques secousses. Je sortis de ses entrailles et me dirigeai vers les tapis à bagages afin de récupérer les quelques affaires qui m’attendaient après ce long voyage. N’ayant pas de miroir sous la main, je ne pouvais qu’imaginer mon visage, qui devait être affreux. Ma seule envie, à cet instant précis, était de rentrer chez moi.

Je m’hâtai de quitter cet aéroport de malheur et appelai la société de taxi sur l’une des cabines téléphoniques. Après quelques minutes à attendre, assise sur un banc en métal, dans la nuit à peine éclairée par les lumières de la ville, un taxi presque flambant neuf débarqua devant l’aéroport. Une fois à son bord, le chauffeur, un jeune latino d’une vingtaine d’année, se mit en route en direction de ma maison.

La joie de revoir enfin mon foyer était immense, et l’excitation gronda en moi, comme le rugissement d’un lion. Je me dépêchai de m’extirper de ce taxi un peu trop petit avant de récupérer mes affaires dans le coffre. Je payai le chauffeur, qui s’en alla après m’avoir gratifié d’un sourire impeccable.

La nuit était un peu fraîche mais le souffle du vent nocturne me faisait beaucoup de bien, après le long voyage que je venais d’effectuer, enfermée dans une boîte de conserve pressurisée à plusieurs centaines de mètres au-dessus du sol. Ma maison était juste devant moi, elle n’avait pas bougé d’un pouce, depuis le temps.

Quelques cartons traînant devant ma demeure me rappelèrent l’état dans lequel je l’avais laissée, encore encombrée de dizaines de cartons, remplis à ras-bord de souvenirs de jeunesse. Je n’avais pas pour habitude d’être procrastinatrice, mais il était bien trop tard pour que je m’occupe des cartons.

J’ouvris la porte avec le double des clefs que j’avais emporté avec moi et entrai dans ma maison avec une certaine satisfaction. Je n’avais pas prévenu Derek de mon arrivée à cette heure-ci, je ne savais donc pas du tout s’il m’attendait ou pas. Mais je supposai que c’était le cas lorsque je vis de la lumière émanant dans la cuisine.

« Derek ? me risquai-je à demander, à voix basse.

Personne ne répondit.

Je m’avançai donc vers la cuisine et découvris avec étonnement qu’il se trouvait là, assis à notre table, un verre d’eau à la main, déjà paré d’un magnifique pyjama.

— Derek ? demandai-je. Tout va bien ?

            Il ne répondit rien. Un silence pesant s’installa, tandis qu’il resta là, les yeux dans le vide.

— Qu’est-ce qui se passe ? continuai-je.

Il leva finalement le regard vers moi, un regard empli d’une colère refoulée.

— Où étais-tu passée ? me questionna-t-il.

La suspicion qui animait son visage m’indiquait clairement que quelque chose le troublait.

— Je te l’ai dit, chéri, j’étais en voyage pour le boulot, répondis-je, en essayant d’être la plus convaincante possible.

— Non, lâcha-t-il simplement.

Une peur sous-jacente s’infiltra dans mon corps, comme des dizaines de fourmis croulant sous ma peau.

— Derek ?

            Il se leva en faisant grincer la chaise derrière lui.

— J’ai appelé la base dans laquelle tu bosses. Ils m’ont affirmé que tu avais pris des congés et que tu ne bossais pas pour eux. Pas cette fois.

            J’étais accablée. Que pouvais-je dire pour me défendre ?

— Derek, écoute, je sais que tu ne me crois pas mais je peux t’assurer que j’ai vraiment parcouru tout le pays pour…

— Pourquoi, hein ? explosa-t-il en haussant clairement le ton, un ton que je l’avais vu prendre très rarement. Qu’est-ce que tu fichais alors, à l’autre bout du pays ? Il y a quelque chose que je dois savoir, pas vrai ?

           Bien que je ne me sentisse pas prête à lui avouer la vraie raison de mon voyage, je n’avais pas l’intention de me laisser faire et je répondis au quart de tour, avec mon sang-froid habituel.

— Il n’y a rien à savoir, Derek, je t'en prie, mêle toi de tes oignons ! Je suis allée voir une amie ! J'ai le droit d’avoir ma vie privée, moi aussi, non ?

Derek me fixa avec des yeux emplis de trahison.

— Non mais est-ce que tu t’entends parler, au moins ? Est-ce que tu te rends compte de la façon dont tu me parles ? Je te rappelle que c’est toi qui pars des jours toute seule pour faire je-ne-sais-quoi à l’autre bout des Etats-Unis. Et c’est toi qui me dis de ne pas m’en mêler ?

           Avec un geste de rage, il renversa la chaise qui se tenait derrière lui, qui toucha le carrelage dans un fracas impressionnant qui me fit sursauter, et se dirigea vers les escaliers menant à l’étage.

— Non, Derek, attends ! criai-je, essayant de recoller les morceaux, après avoir reconsidéré mon erreur. Je ne peux pas t’expliquer, c’est impossible ! Tu ne comprendrais pas !

            Il se retourna fissa.

 — Je croyais qu’on était un couple, Sarah. Je croyais qu’on devait tout se dire ! Comment veux tu que je te fasse confiance si tu me fais des coups comme ça ?

           Couverte d’opprobre, je baissai les yeux. Il fallait me rendre à l’évidence.

— Tu ne peux pas. »

           Derek se retourna et monta les marches quatre à quatre. Chaque pas qu’il faisait m’éloignait un peu plus de lui et de la confiance qu’il m’accordait autrefois.

           Je m’assis en pleurs sur l’une des marches de l’escalier.

           J’avais véritablement été horrible avec lui. Je lui avais menti, je l’avais laissé dans notre nouvelle maison pendant plusieurs jours avant de me disputer avec lui, tout cela parce que je n’avais pas le courage de lui avouer mes origines et d’enfin lui faire confiance. Tout était ma faute.

           Mais si je voulais terminer ce que j’avais commencé, je devais le faire sans lui. Je ne voulais pas l’embarquer là-dedans, j’étais persuadée qu’il n’avait pas à connaître les tréfonds les plus sombres de mon passé. Je voulais avancer pour enfin pleinement pouvoir vivre dans le présent, avec lui. Mais il ne le comprendrait que lorsque j’aurai achevé ma quête personnelle.


*

*        *

           Les jours qui suivirent furent longs et douloureux. Derek ne voulait plus me parler, il rejetait tout ce que je pouvais bien essayer de lui dire. Nous vivions l’un à côté de l’autre, tels deux inconnus, deux coureurs dans nos couloirs respectifs, continuant nos chemins sans jamais nous rejoindre.

           Alors que mon propre mari ne voulait plus m’adresser la parole, je ne pouvais m’empêcher de penser à l’adresse que Sarah m’avait donnée, lorsque je l’avais vu pour la dernière fois. L’adresse d’une entreprise spécialisée dans le développement de jeux vidéo, située à Londres.

           Toute cette histoire trottait dans ma tête jour et nuit. Je n’arrivais même plus à faire mon boulot correctement, et les remontrances de mes supérieurs s’accumulaient.

           La vie que je menais était ingérable. Ce mensonge permanent empoisonnait inexorablement chaque parcelle de mon existence. Pourtant, cette quête était aussi ce qui me tenait en haleine, chaque instant. Il me fallait faire un choix : renoncer à découvrir plus de choses sur mon passé afin de tourner la page, ou tenter de refaire ma vie dans l’ignorance la plus totale, mais auprès d’un mari aimant, que j’avais trop souvent trahi.

           Les jours se transformèrent en mois, tandis que Noël pointait le bout de son nez. Plus le temps passait, plus la tentation de rejoindre Londres devenait forte, alors même que la relation avec mon mari ne s’était pas améliorée d'un pouce.

           Le 17 décembre 1982, quelques jours avant Noël, après avoir tenté de peser le pour et le contre, je décidai de quitter à nouveau la maison pour rendre visite à cet étrange personnage qui m’attendait là-bas. Je préparai mes affaires, encore une fois, espérant réussir à obtenir un billet d’avion, tant convoité à cette époque de l'année.

           Alors que j’étais en train de fourrer une laine dans mon sac déjà bien rempli, Derek entra dans la chambre et se plaça dans l’entrebâillure de la porte. Je levai les yeux vers lui. Son regard sombre était empreint d’une certaine curiosité malsaine, il semblait attendre une réaction de ma part.

« Ecoute, Derek, je pars pour quelques jours. Je serai de retour avant Noël.

           Pas un son ne sortit de sa bouche. Je soupirai, agacée par son comportement insipide, avant de tirer la fermeture éclair de ma vieille valise. Derek s’écarta et je pus sortir de ma chambre. Il me suivit jusqu’à l’entrée. J’attrapai la poignée de la porte avant de me stopper net. L’hésitation et le doute m’envahirent pendant quelques secondes. Faisais-je réellement le bon choix ? Sally n’avait-elle pas raison, après tout ? Ne devais-je pas tout simplement en parler avec lui, finalement ?

           Puis, je me remémorai encore une fois tout ce que j’avais vécu dans cet enfer, les cadavres, les protecteurs de métal, les habitants déformés, qui s’entretuaient sans pitié. C’est alors que je me rendis à l’évidence : tout ce que j’avais vécu, aucune personne de la surface ne pouvait le comprendre.

           Résignée, je tournai la poignée et ouvris la porte. A ce moment-là, Derek, debout dans les escaliers, prononça les derniers mots que j’entendis de sa bouche, dans un calme et une assurance à toute épreuve.

— Si tu quittes cette maison aujourd’hui, si tu passes le pas de cette porte, Sarah, tu ne me reverras plus jamais. »

           Une amertume intense apparut au fond de ma gorge et se déposa au fond de mon estomac. La sensation était étrange, comme un mauvais pressentiment. D’une certaine manière, je savais que ce que j'allais regretter ce que j'étais en train de faire. Tout ce qu'il attendait, c'était des explications, de simples explications. Il suffisait de ne pas céder à la lâcheté et de prendre les choses à bras le corps.

Mais je fis mon choix : je passai le pas de la porte. Je laissai à nouveau ma maison et l'homme de ma vie, sans même me retourner, les larmes aux yeux et le cœur aussi lourd qu'un boulet enchaîné à mes pieds.

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