BioShock Beyond – Tome 2 : Retour vers les abysses

Chapitre 9 : Tous les chemins mènent au Penseur

3440 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 25/07/2021 12:19

Chapitre 9 : Tous les chemins mènent au Penseur


           Je voulais tout arrêter. Je voulais rentrer chez moi. Retrouver Derek, lui dire que j’étais désolée, et tout lui raconter, de A à Z, sans lui mentir, sans rien lui cacher. Surtout, je voulais oublier, effacer de ma mémoire ce que je venais de faire. Mais je savais pertinemment que rien de tout cela ne serait simple.

           Stan, le reste du groupe et moi rejoignîmes nos sous-marins, en passant devant les corps des Saturniens, dont Éric et ses soldats s’étaient déjà occupés, mais en prenant bien soin de ne pas alerter ceux qui ne nous avaient pas encore repéré. Notre arrivée dans le repaire de Tenenbaum sonnait comme une délivrance pour moi. Nous allions enfin pouvoir quitter cet enfer. Mais Elaine ne l’entendait pas de cette oreille.

« Où va-t-on, alors ? demanda Éric, attendant que ses hommes montent dans leur sous-marin.

— A l’Antre de Minerve, répondit Elaine. Il me manque encore quelque chose.

— Quoi ? m’écriais-je. Non !

— Pas maintenant, Sarah. On verra ça dans le sous-marin.

           Je la dévisageai un instant, essayant vainement de ne pas laisser paraître la colère qui m’habitait, en serrant les dents et les poings. Sa façon de me traiter comme une enfant était tout bonnement insupportable. Elaine cherchait quelque chose, cela ne faisait aucun doute, mais ne voulait pas m’en faire part. Malgré la réussite apparente de notre entreprise, Rapture n’avait pas encore assouvi tous ses besoins.

           Elaine reprit les commandes, avec Stan et moi à ses côtés. Les ballasts se remplirent d’eau, afin de descendre le long du tunnel et de repartir vers les grands fonds marins. Stan en profita pour analyser mon nez cassé. Il nettoya le sang qui restait avec ce qu’il avait trouvé dans le sous-marin et appliqua un pansement dessus. Mais il ne pouvait rien faire de plus : même si la fracture n’avait pas l’air grave, il fallait attendre que l’œdème se résorbe avant de pouvoir la traiter. Stan était décidément un très bon soigneur.

           Mais en voyant le visage concentré d’Elaine, tandis qu'il finissait de s’occuper de mon cas, je sus alors que je devais la raisonner.

— Elaine, je t’en supplie, remontons à la surface, maintenant. Tout ce que je veux, c’est rentrer chez moi.

— Non, Sarah, répliqua-t-elle, sans une once d’empathie, alors qu’elle s’affairait sur les commandes. Tu dois me conduire à l’Antre de Minerve. C’est très important.

— Sarah a raison, Elaine, avoua Stan, qui venait de se rassoir à sa place. On a tout ce qu’il nous faut. Avec les limaces de mer, les végétaux, et l’ADAM qu’on a récupéré dans leur repaire de fous, on a de quoi étudier pour les dix prochaines années.

— Je ne partirai pas sans ce truc ! lâcha Elaine, courroucée.

— Mais qu’est-ce que tu cherches, à la fin ? s’emporta Stan.

           Elaine arrêta le sous-marin, qui se mit à flotter dans l’immensité des profondeurs, perdu dans la noirceur abyssale. Elle souffla, et baissa les yeux, avant de lever vers lui un regard désespéré.

— Je ne peux pas te le dire. C’est… confidentiel.

— Confidentiel, ou personnel ? s’enquit Stan, en la fixant du regard.

— Ecoute, c’est une mission du centre, Stan. Je ne peux pas la refuser.

— Alors pourquoi je ne suis pas au courant ?

— C’est le principe d’une mission confidentielle, non ? répliqua Elaine, en haussant les épaules. Pour l’instant, tu ne dois rien savoir.

— Pour l’instant ? répéta Stan, outré. Non, mais qu’est-ce que c’est que cette histoire, hein ?

— Tu le sauras bien assez tôt, dit Elaine.

           Elle reprit les commandes en main et remit en marche le sous-marin, avant de se tourner vers moi.

— Sarah, je t’en prie…

— Non, rétorquai-je sèchement. Pas avant que tu nous aies dit quoique ce soit.

— C’est une machine que je veux ! D’accord ? Tu m’as bien dit que l’Antre de Minerve était le lieu qu’il me fallait, non ? Alors, montre-moi la voie et je nous sortirais d’ici avant même que tu n’aies eu le temps de souffler.

           Un lourd silence s’installa, tandis que Stan et moi nous nous regardâmes dans les yeux, troublés par son attitude froide et agressive.

           Je connaissais peu Elaine. A vrai dire, je ne savais rien de sa vie, ou presque. Mais je commençais un peu à la connaître. Et comme me l’avait signifié Stan, sur le bateau avant notre descente dans cette horreur, quand Elaine avait quelque chose en tête, elle n’arrêtait que lorsqu’elle atteignait son objectif.

           Sa pugnacité l’avait sans aucun doute conduite à devenir la jeune femme qu’elle était, la chef d’un groupe de recherche privé très influent, mais elle me causait surtout des problèmes. Des problèmes qui paraissaient insurmontables. Cependant, si je voulais revoir la lumière du soleil, il valait mieux accepter sa proposition.

— Très bien, dis-je, après plusieurs secondes de réflexion. Je te conduis à l’Antre de Minerve, tu trouves ce que tu cherches et on file tous d’ici en vitesse.

           Un sourire radieux se dessina sur le visage d’Elaine.

— Marché conclu, dit-elle. »

 

*

*         *

           L’Antre de Minerve était un endroit assez reculé, situé à l’écart du centre de la ville, tout près du siège de Fontaine Futuristics et non loin de la Pointe Prométhée.

           Comme Charles Milton Porter me l’avait expliqué, cet Antre abritait le Penseur, le cerveau de Rapture, au sein même de Rapture Central Computing. L’Antre avait cependant bien d’autres usages : stockage de données et d’archives, recherche dans le domaine de la robotique… Cet endroit était une véritable mine d’or de l’informatique, un domaine qui s’était incroyablement développé à l’aide de l’ADAM.

           A la fin des années 60, Charles était revenu dans l’Antre, quelques années après sa transformation en Sujet Sigma. Il a dû surmonter de nombreux obstacles, mais il est parvenu à atteindre le Penseur et à copier son code, dans le but de le ramener à la surface. Cela a permis de le sauver.

           Au moment de notre visite, j’ignorais totalement l’état dans lequel serait l’Antre lors de notre arrivée. Soit il gisait dans les fonds marins, submergé par les eaux, soit il était encore en parfait état, mais sans doute peuplé de quelques chrosômes et Lanciers encore en état. Pas de quoi s’alarmer, au demeurant.

           Les quelques minutes de trajet en sous-marin me permirent d’admirer la beauté morbide de cette ville, désormais en piètre condition, mais toujours debout, telle une vieille femme aigrie, rongée par le temps et les regrets.

           Soudain, la forme des gratte-ciels et d’un grand complexe, qui semblait encore correctement entretenu se dessina au loin. Un énorme panneau d’affichage annonçait la couleur : « L’Antre de Minerve, le centre technologique de Rapture ».

           Mais alors que nous approchions de l’endroit, quelques ombres furtives firent leurs apparitions çà et là, non loin de notre sous-marin. Je n’y prêtai pas beaucoup attention, au début, trop occupée à observer l’Antre, après en avoir si souvent entendu parler.

« Alors, par où on entre ? demanda Elaine, préoccupée.

— Eh bien, expliquai-je, le mieux serait de passer par derrière. Charles devait avoir un quai privé, à la sortie de son bureau. Il ne reste plus qu’à le trouver.

— Génial ! commença Elaine. Combien de temps on va encore devoir…

           Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase.

           Car au même moment, le sous-marin fut percuté par un objet non-identifié. Stan, Elaine et moi nous regardâmes successivement les uns les autres, essayant de deviner l’origine du bruit. Était-ce un rocher ? Un poisson ? Ou même pire, le calmar géant, qui revenait tester notre courage ? Un nouveau bruit métallique se fit entendre le long de la coque, comme si quelque chose se frottait au sous-marin, à l’extérieur de l’habitacle.

           Intriguée, je positionnai doucement ma tête face au hublot. Je regardai à droite puis à gauche, mais je ne vis rien du tout sur la coque du submersible ou aux alentours. Mais alors que je m’apprêtai à reculer ma tête, un visage immonde, recouvert d’une sorte de voile transparent et gélatineux, apparut subitement derrière le hublot, et me fit sursauter et hurler de terreur.

           Aussitôt, la créature disparut dans l’obscurité en ondulant comme une anguille, comme si elle n’avait été que le pur produit de mon imagination. Mais je savais ce que j’avais vu, et manifestement, Stan et Elaine aussi.

— Bordel de merde ! cria Stan. Qu’est-ce que c’était que ce truc ?

— J’en sais rien du tout, avoua Elaine, mais il vaudrait mieux se dépêcher.

           Tout à coup, Elaine se mit à accélérer la cadence. Mais les bruits, au lieu de s’éloigner progressivement, comme les bruits d’une sirène sous l’effet Doppler, se firent de plus en plus présents, à plusieurs endroits sur la coque, autour du sous-marin. Bientôt, nous nous sentîmes totalement encerclés par ces mystérieuses créatures venues des abysses.

           Alors que nous survolions l’Antre, le sous-marin commença dangereusement à dévier de sa trajectoire sous l’impulsion de ces monstres à visage humain. Des grincements inquiétants se firent entendre à l’extérieur du sous-marin, qui semblait désormais se diriger vers les bâtiments, sur notre gauche.

— Tourne ! hurlai-je, à Elaine.

— J’essaye ! répondit-elle, luttant avec les commandes.

           Rapidement, je posai la main sur les commandes en même temps qu’Elaine, suivit de près par Stan, dans le but de faire tourner le sous-marin. Grâce à nos trois forces réunies, nous fûmes en mesure de dévier la trajectoire du sous-marin. C’est à ce moment-là que j’aperçus enfin l’entrée de l’Antre, à quelques mètres plus loin en-dessous de nous, dissimulée dans une sorte de renfoncement dans la roche.

— Là ! indiquai-je à Elaine, en montrant le quai du doigt.

— Très bien, annonça Elaine. On va devoir foncer.

           Armée d’une confiance à toute épreuve et avec une maîtrise impressionnante, Elaine prit les choses en main pour arriver à bon port. Elle savait qu’elle devait faire plonger le sous-marin. Pour cela, elle devait remplir les ballasts d’air. Une fois cela fait, le sous-marin se mit alors à descendre rapidement, sans s’incliner. Les crissements sur la coque se faisaient toujours entendre, mais la force de ces créatures, qui tentaient de déstabiliser le sous-marin en touchant aux gouvernes, ne pouvaient rien contre le poids des ballasts et la poussée d’Archimède.

           Le sous-marin arriva finalement au fond et Elaine put le diriger tant bien que mal dans le tunnel menant à l’entrée des bathysphères, alors que nous retenions tous notre souffle, toujours accaparés par l’agitation qui faisait rage tout autour de notre vaisseau. Le sous-marin remonta le long du tunnel et émergea hors de l’eau, ce qui nous permis de nous détendre. En revanche, notre apaisement fut de courte durée car notre calvaire n’était pas terminé.

           Des dizaines de coups de feu retentirent à côté de notre sous-marin, tandis que sa coque commença à être criblée de balles. Acculés, nous étions dans l’incompréhension la plus totale. Je jetai un coup d’œil à travers le hublot et aperçus l’une de ces créatures à la forme vaguement humaine être touchée par une balle, avant de tomber dans l’eau comme une poupée jetée à la mer.

           Les tirs cessèrent enfin, après une fusillade de tous les diables, qui nous laissa tremblants et ébranlés. Le silence pesant fut brisé par une voix forte, qui s’éleva derrière l’épaisse paroi du sous-marin.

— Vous, dans le sous-marin ! cria une femme. Sortez ! Les mains en évidence !

           Elaine se résolut à ouvrit la trappe située au-dessus de nos têtes. Elle leva les deux mains en l’air au-dessus du sous-marin, avant de prendre la parole.

— On ne veut vous aucun mal ! cria-t-elle à notre ravisseur.

— Ouais ! approuva la femme. On verra ça !

           Elaine passa la première et descendit le long de l’échelle. Stan passa en deuxième position avant que je ne sorte à mon tour du sous-marin. Je fis de mon mieux pour ignorer le sang bleuâtre, qui maculait désormais les barreaux de l’échelle. Cependant, je ne pus décemment pas ignorer ce que je découvris avec stupeur juste à côté de moi.

           C’était le corps de l’une de ces créatures, adossée contre la coque du sous-marin. Une créature humanoïde longiligne, flanquée de longs bras aux immenses doigts palmés. Ses jambes aussi étaient immenses, et pourvues de pieds palmés aux extrémités. Mais le plus étonnant était son tronc, qui contenait plusieurs organes, visibles derrière une sorte de poche d’air gélatineuse, d’un bleu translucide. Cette poche d’air, percée par plusieurs balles, s’étendait de son aine jusqu’à son crâne et recouvrait entièrement son visage, sorti tout droit d’un cauchemar.

           Je me tournai vers nos opposants, qui venaient mine de rien de nous sauver la vie, en gardant toujours les mains bien hautes. Six personnes se tenaient face à nous, un fusil à pompe ou une mitrailleuse Tommy gun dans les mains.

           Moulés dans des chemises blanches délavées et déchirées, la tête surmontée d’un borsalino sombre, ils arboraient une sorte de détendeur autour du cou, relié à un système de respirateur, lui-même relié par un tuyau à des bonbonnes d’oxygène, cachées derrière leurs dos. Des renforcements, faits d’un épais scotch gris, étaient situés au niveau de leurs articulations : aux genoux, aux coudes, et même au niveau de leurs tailles et de leurs chevilles. Leurs yeux étaient dissimulés par des lunettes rondes, bien accrochés autour de leurs têtes.

           Ils s’avancèrent et se mirent à nous fouiller. L’un d’entre eux trouva le pistolet d’Elaine, qui sembla à la fois gênée et énervée par cette découverte, et le lui confisqua, avant de faire place à la personne qui semblait être leur chef.

           Sur le quai en métal faiblement éclairé, parmi tous ces hommes, une femme blonde aux cheveux sales, nous jaugeait d’un air dédaigneux. D’une physionomie élancée, ses sourcils affinés, ses cils étirés et sa bouche en cœur lui donnait un air séduisant, mais son regard traduisait en elle une sévérité flagrante, qui paraissait disproportionnée vue ses frêles épaules. Ses vêtements crasseux semblaient indiquer qu’elle survivait dans ce coin depuis très longtemps, comme tous les autres.

           Affichant une mine austère, elle plaça les mains sur ses hanches et s’adressa à nous.

— Bon sang ! Vous vous pointez ici, et vous ramenez la peste avec vous comme les rats sur un navire !

           Elle désigna la créature d’un hochement de tête.

— Ça fait des années qu’on lutte contre ces saloperies de chrosômes aquatiques, et vous n’avez trouvé rien de mieux à faire que de les inviter ici ?

Des chrosômes aquatiques ? pensai-je. Ces créatures-là sont humaines?

           La femme releva notre air désemparé, nos regards effarés et notre allure pitoyable. Puis, elle parut reconsidérer la menace que nous représentions.

— Qui êtes-vous ? Et comment êtes-vous arrivés ici ? demanda-t-elle, sur un ton froid et monotone.

— Je m’appelle Sarah Weavers, répondis-je. Je suis née et j’ai vécu à Rapture, il y a des années. J’étais une Petite Sœur, jusqu’à ce qu’on me sorte de ce gouffre.

           Mon explication sembla détendre la femme, qui croisa les bras et se mit à se gratter le menton.

— Ma pauvre ! s’exclama-t-elle avec sarcasme. Tu t’es mise dans un sacré pétrin, aujourd’hui ! Qu’est-ce qui t’a pris de revenir dans cette ville de malheur ?

           Je jetai un regard à Elaine.

— Disons simplement que j’avais une promesse à honorer, déclarai-je.

           Elaine, qui supposa que j’avais la situation en main, reprit confiance et se risqua à s’adresser à notre sauveuse, pourtant peu commode.

— Et vous, qui êtes-vous, exactement ?

           La femme la dévisagea, en levant les sourcils, offusquée par son manque de tact, avant de lui répondre.

— Je suis Evelyn Klein. C’est moi qui dirige ce trou, depuis quelques années. Enfin, moi et les autres Survivants.

— Les Survivants ? m’enquis-je.

           Sur ses traits ridés et froncés, un sourire discret et fugace se dessina, avant de disparaître.

— Venez, ordonna-t-elle. Je crois que vous avez de choses à rattraper. »

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