BioShock Beyond – Tome 3 : Un océan de rêves

Chapitre 9 : Le paradis ou la perdition

3218 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/10/2021 23:29

Chapitre 9 : Le paradis ou la perdition


« Pour chacun de nos choix, il y a un écho. Avec nos actes, nous changeons le monde. Un homme a choisi une ville. Une ville sans loi, ni dieu. Mais d’autres ont choisi la corruption, et la ville a sombré. Si le monde devait renaître à ton image, serait-ce le paradis ou la perdition ? »

Sofia Lamb


****


Il était temps de faire un choix.

Après une vague de messages qui ne concernaient que des évènements secondaires bien qu’inquiétants, une ancienne Petite Sœur enlevée par Lamb, Jennifer Walker, venait enfin de mettre le doigt sur un élément intéressant. Grâce à son don fraîchement retrouvé, elle avait pisté l’odeur de l’ADAM de la Pennsylvanie jusqu’à New York, au cœur de Manhattan, devant un bâtiment appartenant à une société pharmaceutique dénommée Wang Laboratories. D’après Eleanor, si une ancienne Petite Sœur connaissait bien la Grande Pomme, c’était elle : c’est là qu’elle passait la plupart de ses vacances chez sa grand-mère, qui vivait dans le quartier.

Lorsque le point indiquant le repaire de Pennsylvanie sur l’écran de la maison de Jack clignota, Eleanor sut immédiatement que les coordonnées du lieu en question émanaient d’elle. Le message qui les accompagnait était empreint d’un sentiment d’urgence. La réunion des anciennes Petites Sœurs devait se tenir le plus rapidement possible.

« Il faut qu’on la rejoigne, affirma-t-elle, tandis qu’elle pointait ces mêmes coordonnées du doigt.

— Comment peut-on être sûres que ce n’est pas encore une fausse piste ? demandai-je, tandis que mon esprit était agité par toutes sortes de questions.

— Parce qu’elle a de bonnes raisons. »

A mon grand étonnement, ce n’est pas Eleanor qui me répondit. Je tournai la tête et aperçus Cindy Meltzer, qui ouvrait lentement la porte du bureau.

Je dois bien avouer que je n’avais pas fait cas à elle à mon arrivée. Perdue dans la foule des visages qui m’étaient inconnus, elle n’avait pas particulièrement attirée mon attention. Pour être honnête, elle était d’une apparence commune et n’avait pas l’air de prendre soin d’elle. Une grande timidité se lisait dans ses traits tendus et perplexes. Vêtue d’un chandail beige, d’un haut marron et d’une robe noire, elle ressemblait à une bibliothécaire enfermée dans un éternel labyrinthe de livres. Les lunettes épaisses en forme de losange sur son nez ne faisaient qu’aggraver le portrait peu flatteur qu’un regard extérieur pouvait porter sur elle. Pourtant, je ne pouvais pas la blâmer : chacun affrontait les traumatismes à sa manière, et le repli sur soi était une option plutôt alléchante.

« Je vivais à Montauk, avec mon père, expliqua Cindy, d’une voix presque inaudible à cause de sa posture fermée. Je connais plutôt bien New York. Et je crois que ce nom ne me dit rien. »

Je ne lui laissai pas le temps de poursuivre, exaspérée par son manque de précision.

« Tu crois ou tu en es sûre ? » lui demandai-je, avec gravité.

La posture de Cindy se referma de plus en plus, comme une fleur qui se clos quand vient l’hiver, tandis qu’un long bégaiement s’échappa de sa bouche. En reprenant son rôle d’ancienne protectrice envers elle, Eleanor se sentit obliger d’intervenir et posa sa main sur mon avant-bras, avec un regard aussi dur et affûté que l’acier.

« Sarah, s’il-te-plaît, essaye de la ménager un peu, d’accord ? »

J’étais sur le point de lui répondre de me laisser faire, lorsque je réalisai ce que je venais d’accomplir : rien, à part enfoncer un peu plus cette femme dans les abysses de sa névrose.

« Je suis désolée, répondis-je, gênée. Je suis un peu à fleur de peau, ces temps-ci.

— On l’est tous », renchérit Cindy, qui tentait d’afficher un sourire, mais qui ne parvenait qu’à montrer une grimace à peine semblable au résultat qu’elle escomptait.

En retour, j’affichai un sourire qui, je l’espérais, ressemblait déjà plus à un sourire.

« Vas-y, lançai-je à Cindy. Je te laisse reprendre.

— Eh bien, poursuivit-elle, en remontant ses lunettes sur son nez, je ne connais pas chaque emplacement de la ville, mais au vu des coordonnées, et si mes souvenirs sont exacts, je dirais qu’il y avait des bureaux à la place de cette société, la dernière fois que j’ai visité la ville, il y a deux ans. Ce qui signifie que Jennifer doit avoir raison.

— Et moi, je connais Jen, ajouta Eleanor en vitesse. Je sais qu’elle ne donnerait pas l’alerte si la menace n’était pas réelle. Elle ne vend jamais la peau de l’ours avant de l’avoir tué. »

Toutes ces déclarations de bonne foi me laissaient pensive. Mais le ton du message était ce qui me faisait le plus réfléchir. Et si c’était un piège ? Et si Fontaine leur avait mis le grappin dessus et avait envoyé un message par le biais du Penseur pour nous attirer à lui… et nous tuer ?

Pendant un instant, cette pensée me traversa l’esprit à la vitesse d’un avion supersonique. Puis je compris tout aussi vite que mon esprit, rongé par la paranoïa ambiante, me jouait des tours. C’était impossible : leur repaire était protégé par l’intelligence artificielle la plus sophistiquée au monde. L’urgence du message était une preuve de plus de la sincérité de mes compagnonnes.

« Très bien, finis-je par annoncer, allons en Pennsylvanie. »     

 

*

*            *

Nous emportâmes les armes de Jack avec nous et prîmes la route vers Kansas City. Nous traversâmes à nouveau le centre-ville d’Overlook, animé par quelques travailleurs qui cherchaient un endroit où manger pendant leur pause déjeuner. Les quelques boutiques ouvertes semblaient toujours bien vides et faisaient pâle figure à côté de l’énorme centre commercial devant lequel nous venions de passer quelques minutes auparavant et qui avait ouvert ses portes trois heures après notre arrivée. Situé aux limites du centre-ville, on aurait dit qu’il avait poussé au beau milieu des champs, comme un champignon qui ne faisait que s’étendre.

Je n’y avais pas prêté attention à mon arrivée, bien trop préoccupée par ce qui m’attendait au bout du chemin. Mais en analysant cette carcasse de béton, d’acier et de verre, j’avais enfin saisis que ce centre était la raison même qui poussait les boutiques du centre-ville à fermer leurs portes. Le monde changeait petit à petit ; le capitalisme prenait ses marques, même dans les endroits les plus reculés.

Si ce vieux Ryan voyait ça, il en serait enchanté, pensai-je, en souriant.

Durant notre passage par le centre-ville, je remarquai un petit garçon, qui téléphonait depuis le même téléphone que j’avais utilisé pour contacter Derek. Un homme se trouvait à côté de lui, et le regardait avec un large sourire, une main posée sur ses épaules. Le garçon devait sûrement appeler sa mère, parce qu’il riait de bon cœur. Avec sa casquette de toutes les couleurs, sa salopette en jean et son pantalon trop large, on eût dit qu’il avait choisi ses vêtements dans une friperie. Son attirail le rendait plutôt mignon.

En fait, je ne pouvais m’empêcher de m’identifier à cette famille, reliée par des fils qui circulaient à travers tout le pays. Pendant un quart de seconde, je désirai être à la place de celle qui était au bout de ce fil, imaginant que le petit garçon était mon fils. Je voulais tellement le voir le grandir, le voir s’émerveiller devant une nature aussi belle qu’au premier jour, l’entendre rire à mes blagues, même les plus nulles.

Hélas, Eleanor accéléra à la sortie de la ville et je perdis ce garçon et son père de vue. Durant la suite du chemin, je tentai donc de passer à autre chose. Contrairement à ces inconnus, il était important de ne pas perdre de vue notre objectif. Après tout, c’était pour ma famille que je faisais tout ça. L’espoir de léguer un monde pacifié à mon fils était tout ce qui me maintenait à flot.

 

*

*            *

L’abri de Pennsylvanie n’était rien de plus qu’un vieux bunker, enterré au fond des bois. Un ancien abri antiatomique laissé à l’abandon, que Tenenbaum avait réhabilité pour en faire quelque chose qui conviendrait à ses expériences. Par sa taille, il n’avait rien d’une salle de réunion pour une quinzaine de personnes, mais nous improvisâmes tout de même un conciliabule d’urgence, malgré les conditions inadéquates.

Jack, Eleanor, Cindy et moi étions présents. Les douze anciennes Petites Sœurs étaient là, elles aussi. Bien que la plupart d’entre elles n’ait rien trouvé de réellement concluant, elles rapportaient des informations plutôt préoccupantes : grâce à leur sens de Petite Sœur, plusieurs d’entre elles avaient assisté à des trafics de drogue qui ressemblaient à n’importe quel trafic, à ceci près que ce qui passait de main en main n’était pas de la cocaïne ou de la marijuana, mais de l’ADAM. Ce que redoutait Charles était en train de se produire : l’ADAM était en train de se déverser dans les rues comme un poison, et cela n’avait rien d’étranger aux enlèvements qui avaient eu lieu. Aucun débordement n’était à signaler pour le moment, mais tout n’était qu’une question de temps.

Tout à coup, le siège de la société Wang Laboratories apparaissait comme l’option de la dernière chance pour celles qui avaient été victimes de ces kidnappings. Et Jennifer Walker en faisait partie.

Jennifer avait vécu dans les environs durant sa jeunesse. Jusqu’à ce jour de juin 1967 à Puerto Rico, au cours duquel elle avait disparu sans laisser de traces, enlevée par la Grande Sœur de Lamb. Après cela, les choses n’avaient plus jamais été pareilles. Ses parents avaient déménagé sur la côte Ouest, hantés par le souvenir de leur fille qu’ils n’avaient pas pu retrouver malgré leurs recherches intensives. Lorsqu’elle avait réapparu à la surface en 1968, Jennifer était rentré chez elle, en Pennsylvanie, seulement pour découvrir une maison à vendre, remplie de souvenirs, mais vidée de ses occupants. Eleanor avait pris soin d’elle et l’avait déposée à l’orphelinat de Jack, dans lequel elle avait grandi avec les autres Petites Sœurs.

Aujourd’hui, Jennifer Walker n’était plus la petite fille fragile qu’elle était autrefois. Professeure de sport dans le club de musculation et d’aérobic qu’elle avait fondé à Los Angeles, elle avait la carrure d’une athlète et le physique d’une surfeuse, avec son teint halé et ses cheveux châtains qui faisaient tous les deux ressortir ses magnifiques yeux bleus. Tandis que je me tenais debout parmi les autres anciennes Petites Sœurs à l’observer, je songeai au fait qu’elle avait définitivement les proportions parfaites pour enfiler la tenue de Grande Sœur que j’avais portée pour atteindre le Silver Fin, lors de mon dernier séjour à Rapture. Cette même tenue que je regrettais d’avoir laissé à mon père après ce séjour prolongé dans la ville sous-marine. Nous n’étions pas resté en très bon termes depuis ma dernière visite chez lui. Et puis surtout, cette tenue m’aurait été bien utile pour nous sortir de la fortification.

« Je crois que ça y est, m’annonça Jennifer avec un regard déterminé. On les tient.

— On ne peut pas se baser que sur notre instinct, répliquai-je. Il faut qu’on soit absolument sûre que la machine est là, parce que personnellement, je doute fort qu’ils aient réussi à cacher une machine de ce genre aussi facilement dans une si grande ville. »

C’est en laissant échapper ces mots que je pris conscience de la faille qui entaillait le plan que nous avions eu, Eleanor et moi : l’ADAM que nous pistions n’était peut-être qu’un leurre. Il n’y avait aucun moyen d’être sûre que l’ADAM rapporté par Elaine, Fontaine et ses chrosômes était stocké au même endroit que la machine. En dépit de notre intelligence et de notre débrouillardise, nous ne pouvions pas connaître l’emplacement de la machine avec certitude. J’avais fait déjà commis l’erreur de croire Mandy, je ne pouvais pas me permettre de recommencer ; il y avait déjà eu assez de morts comme ça.

« Elle doit être là-bas ! rétorqua Jennifer, avec virulence. Il le faut ! Ma fille a disparu, Sarah, et chaque minute compte. Je ne veux pas qu’il lui arrive quelque chose parce que je n’ai rien fait pour la sauver à temps.

— Je comprends, Jennifer, mais…

— Non, tu ne comprends pas, justement ! Ton fils est chez toi, bien au chaud sous ses couvertures. Ma fille, elle est livrée à elle-même, au milieu de ces psychopathes ! Je ne sais même pas si elle va bien. »

La douleur qui poignait dans sa voix ne m’était pas inconnue, mais je ne pouvais pas me vanter de la connaître vraiment. Car elle avait raison : mon fils était en sécurité. Sa remarque me laissa ainsi sans voix. Je tentai de dire quelque chose, mais je ne fis que bafouiller, avant de me raviser.

« Fontaine est un fou ! continua Jennifer. Il serait prêt à brûler le monde entier si cela pouvait lui faire gagner un centime de plus. Qui sait ce qu’il a déjà accompli jusqu’ici ? Non, je ne peux pas le laisser s’en tirer comme ça.

— Tu ne connais pas Elaine, répliquai-je enfin, sans le soupçon d’autorité que je glissais artificiellement dans ma voix auparavant. Quand elle a un plan en tête, elle s’y tient jusqu’au bout, quitte à commettre des atrocités. Je le sais, parce que j’étais là. Même si elle tient beaucoup de son père, elle n’est pas aussi imprévisible que lui. Et je sais qu’elle ne le laisserait pas tuer vos filles sans une raison valable.

— Elle est de la même trempe que lui ! Elle a quand même eu les couilles de te tuer, je te rappelle ! »

Je levai les sourcils, surprise par son manque de tact. En même temps, rien ne m’étonnait au vu de son parcours : on ne montait pas un club sportif sans se confronter aux hommes et à leurs manières qui laissaient souvent à désirer. Néanmoins, cette vulgarité eut l’effet d’un électrochoc sur moi. Car au fond, je me rendais bien compte que je n’avais vu Elaine sous sa véritable identité que pendant très peu de temps. Le reste n’était que tromperie et écran de fumée. Je n’avais eu finalement qu’un aperçu de la véritable Elaine.

Au surplus, il était clair que nous n’avions vraiment pas les moyens de rechigner sur les pistes qui s’offraient à nous. Elles étaient si minces et si peu nombreuses qu’une corde aurait suffi pour les dissimuler toutes. Je ne pouvais pas continuer à ne penser qu’à moi et à ma famille, comme une petite fille nombriliste et arrogante.

Voyant que j’étais assaillie par le doute, une autre femme intervint. C’était Mary Elizabeth Sarsfield, une autre rescapée de Rapture, qui avait lié une profonde amitié avec Jennifer au fil du temps. La supplique qu’elle me fit ne m’étonna donc guère.  

« Sarah, tu nous as fait venir ici parce que tu savais ce que tu faisais, parce que tu avais un plan pour sauver nos enfants. Il est temps de nous prouver que l’on avait raison de te faire confiance. »

Le silence qui suivit était lourd, presque aussi pesant que les tonnes de métal qui nous entouraient. Toutes les filles n’attendaient que mon accord pour partir en guerre. Même Eleanor, qui possédait un lien particulier avec les Petites Sœurs, avait décidé de se mettre en retrait. Tandis que je réfléchissais, je pris conscience de tous leurs regards. Je ne voulais pas être leur cheffe, je n’en avais pas l’âme. Mais on aurait dit qu’elles en avaient décidé autrement. Alors, en dépit de la peur qui transcendait mon corps, j’acceptai leur décision. Le choix que je ferais pouvait sceller notre sort, mais j’étais persuadée que c’était le bon.

« Vous avez raison. Il est temps de répliquer. Mais on va avoir besoin de plus d’armes. Beaucoup d’armes.

— Que veux-tu de plus ? On a les armes de Jack, répondit-elle en le désignant d’un geste de la main, ça devrait suffire, non ?

— Non. Je sais où on peut trouver tout ce qu’il nous faut. Eleanor, il faut que tu contactes Charles Milton Porter. En plus de ta vieille armure, il doit forcément avoir d’autres armes avec lui, des armes qui viennent de l’Antre de Minerve. Je suis sûr qu’il pourra aussi nous aider à infiltrer leur réseau informatique, afin de désactiver leur système de sécurité. »

Eleanor acquiesça, sans dire mot, alors qu’elle était assise sur le bureau devant l’écran du Penseur. A travers son regard, je croyais voir une sorte de fierté. Elle semblait satisfaite de voir que je prenais mon rôle à bras-le-corps. Je hochai la tête, en lui adressant un sourire. Je coulai ensuite un regard vers Jack, qui approuva lui aussi mon choix d’un clignement d’œil.

« Et toi, qu’est-ce que tu vas faire ? » me demanda Mary Elizabeth. 

Je pris mon temps pour répondre. Je terminai d’attacher mes cheveux et leur tournai le dos, avant de me diriger vers le téléporteur, d’un pas vif, armée d’un regard acéré.

« Je vais rendre visite à mon père. »

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