BioShock Beyond – Tome 3 : Un océan de rêves

Chapitre 16 : Un hiver sans fin

3875 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/01/2022 14:42

Chapitre 16 : Un hiver sans fin

 

« Elles t’ont tout donné, n’est-ce pas ? Et en retour, tu leur as offert ce que tu as toujours donné : la brutalité. Tu as eu ce que tu voulais : tout l’ADAM, tout le pouvoir. Et Rapture a tremblé. Mais, au bout du compte, Rapture, ça ne te suffisait pas. Ton père était terrifié à l’idée que le monde puisse découvrir les secrets de cette ville. Mais pas toi… car toi, tu t’es approprié… les plus terribles secrets du monde. »

Brigid Tenenbaum


****


Elizabeth nous invita à la rejoindre dans la salle des commandes du paquebot, située tout en haut de L’Olympien. Depuis ce promontoire, nous avions une vue imprenable sur l’Océan de Portes, ce qui ne m’empêchait pas pour autant de le trouver toujours trop dérangeant à mon goût. Néanmoins, l’heure n’était plus à la contemplation : il était temps pour tout le groupe d’enclencher la réunion de crise. Elizabeth nous avait promis des réponses, et j’espérais bien les avoir.

Après s’être délestée de sa lourde cape sombre pour révéler une chemise blanche au col amidonné et un pantalon en cuir, elle la posa sur le tableau de bord, s’assit près de la barre du navire et releva ses manches avant de croiser les bras. Elle semblait enfin prête à discuter.

« Je crois que vous avez beaucoup de choses à expliquer, fit remarquer Jennifer, piquée au vif.

— En effet, répondit Elizabeth. Et je vais le faire. Mais avant, j’aimerais que vous me disiez ce que vous savez.

— Qu’est-ce que vous racontez, encore ? s’emporta Mary Elizabeth, qui prenait la parole pour la première fois face à elle. C’est pas plutôt à vous de nous dire ce que vous savez ?

— Calme-toi, ma grande, intervint Jack. Elle sait ce qu’elle fait. »

Elle le fusilla du regard, avec un air méprisant ancré sur son visage.

« Alors, ça y est ? Parce que vous êtes ensemble, tu crois que c’est le bon moment pour la défendre, c’est ça ?

— On va tous se calmer, s’imposa Eleanor en tendant les bras vers les deux parties dans cette dispute. On est tous dans le même bateau, non ? (Elle se tourna vers Elizabeth) Je ne sais pas vraiment ce que vous attendez de nous. Mais si quelqu’un sait quelque chose dans toute cette histoire, c’est bien Sarah. »

Soudainement, tous les regards se ruèrent vers moi. J’avais l’impression d’avoir reçu une patate chaude qui me collait maintenant aux doigts.

« Tu veux parler de l’EDEN ? demandai-je à Eleanor.

— Non ! Je veux parler des rêves étranges que tu m’as raconté. »

J’inspirai un bon coup avant de commencer. Quand il fallait prendre son courage à deux mains…

« J’ai… eh bien… j’ai fait beaucoup de cauchemars il y a un certain temps de ça. Au début, je ne faisais que me balader dans Rapture. Et puis, j’ai commencé à rencontrer Jack. A chaque fois, tout recommençait : je cherchais un ange à récolter, et je tombais sur Jack. C’était comme une boucle temporelle, qui recommençait chaque soir. Puis, il n’y a pas si longtemps, j’ai commencé à faire un autre rêve. Cette fois, c’est Eleanor que je voyais. Cela me semblait tellement réel. Pourtant, dans chacun de mes rêves, quelque chose était toujours différent de la réalité. Jack paraissait trop méchant et trop fou pour être celui que j’avais connu. Eleanor, quant à elle, avait l’air complètement perdue, elle aussi. Elle me disait qu’elle était à la tête des Utopiens et que je devais les empêcher d’entrer dans mon monde. »

Durant le récit de mon histoire, je voyais les émotions changer sur le visage d’Elizabeth, oscillant de l’intérêt à l’illumination en passant par la peur. En définitive, quelque chose avait percuté dans son cerveau.

« Vous savez ce que tout cela veut dire ? » lui demandai-je.

En prononçant ces mots, j’avais l’impression de m’adresser à l’Oracle de Delphes en personne. Elizabeth était puissante, certes, mais pouvait-elle vraiment être le prophète qu’elle prétendait être ?

« Es-tu la seule à avoir eu ce genre de rêve ? questionna-t-elle.

Je m’apprêtais à répondre quand Elena le fit à ma place.

« Non, moi aussi j’en ai fait. J’ai vu des choses que je ne peux pas vraiment expliquer. »

Alors qu’Elizabeth était sur le point de répondre, une voix morne se répercuta dans la salle.

« Moi aussi, m’dame. »

Brusquement, toutes les anciennes Petites Sœurs se mirent à fustiger la pauvre Maura Clune rien qu’avec leur regard, comme si cette simple phrase avait signé son arrêt de mort. Nous étions à l’affût de la moindre parcelle d’information et elle s’était apparemment payé le luxe de nous dissimuler quelque chose de première nécessité. Pourtant, Maura n’était pas du genre à mâcher ses mots.

Fille d’un couple de pêcheurs irlandais, Maura avait été enlevée lors d’une nuit nuageuse par la Grande Sœur au milieu du cottage dans lequel elle vivait, près de Liscannor Bay. Peu après sa disparition, le père de Maura, Eamon, avait tenté d’appâter « le kidnappeur » en promettant dans la presse de lui donner tout ce qu’il possédait comme rançon, sans succès. Au cours des mois suivant sa disparition, Eamon avait tenté de prendre les choses en main en recherchant sa fille lors de ses nombreuses balades en mer, mais il avait échoué.

Ce n’est que bien plus tard que leur fille chérie rentra à la maison, amaigrie et affaiblie. Cependant, lorsqu’elle leur raconta ce qu’elle avait vu, ses parents, de fervents catholiques pratiquants, refusèrent de croire que Rapture n’était pas une légende et arrivèrent à la conclusion que leur fille avait forcément perdu la raison. A peine rentrée de son éprouvant voyage sous la surface, ses parents la forcèrent donc à travailler avec son père sur le chalutier familial, en la faisant voguer près des côtes irlandaises dès son plus jeune âge. Avec les ans, elle avait acquis une force de caractère suffisante pour se défaire de leur emprise et avait rejoint l’Angleterre grâce au prêtre du village, ce dernier ayant accepté de convaincre ses parents du bénéfice que lui apporterait ce départ. A Manchester, elle avait trouvé un poste dans un bar local, qui lui permettait de payer ses fins de mois. Mais tout ce qu’elle faisait vraiment, c’est subsister. Alors, quand elle reçut l’appel de Jack, elle l’y vit l’occasion de faire quelque chose d’autre de sa vie, d’enfin trouver sa voie.

« Pourquoi ne pas en avoir parlé avant ? lui demanda Eleanor, abattue par cette nouvelle.

— Parce que je…

— Parce que ça n’aurait servi à rien, nous confia Elizabeth en prenant rapidement la parole à sa place, tout en lui adressant un clin d’œil. N’est-ce pas, Maura ? »

Cette dernière resta estomaquée. J’imagine qu’elle n’avait pas trop l’habitude que l’on prenne fait et cause pour elle.  

« Qu’est-ce que vous insinuez ? s’enquit Jennifer, qui voyait d’un mauvais œil cette intervention impromptue.

— Je pense avoir compris ce qui cause tous ces cauchemars.

— Ah oui ? Et qu’est-ce que c’est, alors ?

— C’est moi. »

La réponse me laissa bouche-bée, tant par la révérence avec laquelle elle parlait d’elle-même que par la brutale vérité qui apparaissait sous mes yeux. La théorie de Brigid, celle qu’elle m’avait exposée lors de notre discussion avant la téléportation dans les Alpes, semblait se confirmer.

« Quand j’ai débarqué à Rapture – ou plutôt quand ma sœur a fait de même dans votre réalité –, elle a malencontreusement ouvert sur son chemin des passages vers plusieurs univers, qui se sont matérialisées sous la forme de failles un peu partout dans la ville. Par un moyen ou par un autre, j’imagine que ces failles ont fini par vous affecter, produisant en vous des visions de ce qui se cachait derrière les portes. »

En silence, je hochais la tête. Cela résolvait en effet plusieurs interrogations restées jusqu’alors sans réponse. Cette apparition soudaine expliquait certainement pourquoi Dr Suchong avait décidé de prendre ses quartiers au cœur du Silver Fin : ce restaurant était en réalité l’épicentre de l’une de ces failles dans l’espace-temps dont Elizabeth semblait le maître.

Si la cause de mes cauchemars n’étaient désormais plus un secret pour personne, leur signification, en revanche, était bien plus cryptique et énigmatique.

« Alors, tous nos songes ne sont en fait… que des aperçus d’autres univers ? théorisai-je.

— Pas tous, non. Vous n’avez pas toutes été touchées de la même manière. Cependant, il est vrai que j’affectionne particulièrement cette théorie.

— Donc les personnes que j’ai vues quand je marchais dans ces couloirs, Jack et Eleanor, ce ne sont pas celles qui sont ici, avec nous, c’est bien ça ?

— En effet.

— Dans ce cas, qui sont-ils ? »

Les mots paraissaient lourds dans ma bouche, tels des morceaux de béton armé qui craquaient sous mes dents et dont j’avais hâte de me débarrasser. Elizabeth souffla, avant de se mettre à se ronger les ongles frénétiquement. Son regard se perdit dans le vide pendant un instant. Puis, elle caressa ses ongles avec son pouce avant de hocher la tête.

« Il vaut mieux que je vous montre. Une image vaut mille mots, après tout. »

Avec lenteur, elle agrippa la barre du navire et activa les moteurs du bateau, qui commença à se mouvoir sur l’eau sombre aussi sournoisement qu’un prédateur cherchant sa proie. Les phares défilaient maintenant autour de nous, doucement mais sûrement. Dans la nuit noire, ils étaient notre unique source de lumière. Mille après mille, nous slalomions entre ses tours élevées à la grandeur de l’Homme, quand soudainement, Elizabeth décida de stopper le navire près de l’une d’entre elles. Comme tous les phares se ressemblaient, il était difficile de savoir ce que celui-ci nous réservait. Seule Elizabeth pouvait le dire avec certitude.

Elle nous proposa alors de descendre de L’Olympien pour rejoindre les escaliers qui menaient à la porte du phare, ce que nous fîmes non sans une grande appréhension.

En me retrouvant devant cette immense porte dorée, mon cœur se mit à battre à une vitesse phénoménale. C’était comme si je revenais des années en arrière, lorsque Jack nous avait ramené à la surface. Au moment où le souvenir me revenait en tête, j’examinai du coin de l’œil sa réaction pour me rendre finalement compte qu’il m’épiait, lui aussi. Nous partageâmes alors un dernier sourire avant qu’Elizabeth ne déverrouille la porte grâce à une clef que je n’avais encore jamais vue.

 

*

*            *

De l’autre côté, c’est une véritable descente aux enfers qui m’attendait. Je ne le savais pas encore, mais j’allais bientôt découvrir la face sombre de Jack Wynand.

Tout avait pourtant bien commencé : rapidement, il était devenu évident qu’Elizabeth nous avait ramené à Rapture, pour de vrai cette fois. D’après la rouille sur les murs, nous devions être en 1960. La ville avait commencé à sombrer un an plus tôt, et certains tunnels en verre étaient déjà sous l’eau.

Notre retour en fanfare s’ouvrit sur une explosion. Un bruit sourd qui fit trembler les murs. Devant nous, Jack avançait, prudemment, une clef anglaise à la main. Pendant un instant, je peinai à comprendre ce que je voyais. En me tournant vers ceux qui m’accompagnaient, je réalisai que Jack était toujours avec nous. Blême, il analysait lui aussi avec froideur son double qui marchait au-devant des problèmes. Les évènements qui se produisaient face à nous n’étaient qu’un souvenir d’un autre temps et d’un autre lieu.

Soudain, le corps d’un Big Daddy fut projeté à travers la vitre épaisse sur notre droite pour atterrir contre l’une des fenêtres à gauche. Jack sursauta, en maintenant fermement sa clef entre les mains. Alors que la scène se déroulait sous mes yeux, en détaillant le corps du scaphandrier métallique en flamme, un déclic se produisit dans ma tête, comme un bouchon de champagne qui saute au plafond.

Ce Protecteur, c’était le mien. C’était le Videur qui m’avait été assigné alors que je n’étais encore qu’une enfant. Petit à petit, il me suffisait de remettre tous les détails dans le bon ordre pour comprendre ce qui allait suivre.

Jack enjamba mon Protecteur en flamme, passa devant les gros ventilateurs au fond du couloir avant de rentrer dans la pièce de droite par la porte vitrée, qui s’ouvrit face à sa présence. A travers la vitre brisée par lequel mon Protecteur avait été jeté, j’aperçus le chrosôme qui était sur le point de me faire du mal. Le souvenir de la terreur qui poussait mes muscles à agir me remua. Je ressentais cette peur en moi tandis que tout se déroulait comme dans ma mémoire.

Alors que Jack était sur le point d’intervenir, Brigid Tenenbaum le prit de court et acheva le chrosôme d’une balle dans la tête depuis le balcon qui surplombait la salle. Puis, elle pointa son arme vers Jack d’un air menaçant.

« Ne t’approche pas, lui cria-t-elle avec la ferveur d’une mère, sinon ce sera toi le prochain !

— Du calme, Docteur, rétorqua Atlas à travers la radio, essayant de désamorcer le conflit. Il ne fait que chercher un peu d’ADAM, juste de quoi tenir le coup. »

Mais Tenenbaum n’était pas du genre à tuer pour le plaisir, surtout quand nos vies se trouvaient dans la balance.

« Je ne le laisserai pas faire de mal à mes petites protégées ! » continua-t-elle.

Malheureusement, lui non plus n’avait pas dit son dernier mot. Comme un serpent sorti tout droit du Jardin d’Eden, il tentait de pousser Jack à récolter l’ADAM sur mon corps, afin d’en posséder le plus possible pour la suite de son périple. Tant bien que mal, Atlas voulait protéger son investissement à tout prix, comme le monstre sans cœur qu’il était vraiment.

Avec prudence, Tenenbaum mit finalement la main sur une bouteille rempli d’un plasmide rouge dans son sac et le lança en direction de Jack, qui le réceptionna d’une main.

« Il y a un autre moyen, expliqua-t-elle avec une sincère componction. Utilise ceci. Libère-les de leur souffrance. Je trouverai un moyen de te dédommager. »

Un pas après l’autre, Jack s’avança vers moi. La petite fille malingre et chétive que j’étais rampa sur le tapis en poussant des petits cris de frayeur aigus et pathétiques avant de s’adosser contre la malle dans le coin de la pièce de toutes ses forces. J’étais au pied du mur, mon sort complètement laissé entre les mains de cet inconnu qui m’effrayait tant jusqu’à ce que je me rende compte qu’il ne me voulait aucun mal.

A tout le moins, c’est ce qui m’était arrivé. Mais très vite, je compris que cette Sarah n’allait pas avoir autant de chance lorsque je vis avec quelle violence ce Jack-là s’agrippait à elle. Coincée entre ses bras, elle ne pouvait rien faire. Elle tenta de résister, mais c’était sans espoir. Que pouvait faire une petite fille face à un homme aussi déterminé ?

Sans une once d’empathie, Jack enfonça ses mains dans son ventre. Je voulais agir, mais je ne pouvais rien faire. Mes pires cauchemars se réalisaient sous mes yeux éveillés. Sarah voulut crier, mais aucun son ne sortait de sa bouche, pas même un dernier soupir. Tandis que le liquide vert se répandait sur le sol, Jack se mit à extraire la limace de son estomac, comme un arracheur de dents.

C’est à ce moment-là que je cédai franchement à la panique. Il m’était impossible de rester plus longtemps dans cette pièce, pas tant que je ressentais ce que mon double était en train de vivre. Sans réfléchir, je fonçai vers la porte qui devait me mener vers la suite du Pavillon médical de Rapture. Alors que la porte venait à peine de s’ouvrir, Elizabeth tenta de me retenir. Mais je ne l’écoutai pas. Je n’écoutais que mon cœur qui cognait dans ma poitrine, que le sang qui tapait dans mes tempes et que le son de mes pas sur le béton froid qui m’indiquaient que je quittais enfin cet endroit.

Sans jeter un seul regard derrière moi, je passai la porte. Pour me retrouver face à l’océan. En jetant un coup d’œil en arrière, je vis que j’étais de nouveau devant l’immense bloc doré qui servait de porte au phare de Rapture. Sauf que ce n’était pas l’Océan de Portes qui se trouvait devant moi. Le jour s’était à peine levé, mais je distinguais bien un véhicule en métal qui flottait sur l’eau. En plissant les yeux, je repérai des formes sur le navire. Les officiers du sous-marin avaient fait surface et semblaient chercher des traces de vie parmi les décombres de l’avion de Jack.

Ne sachant pas trop ce qui se passait, je tentai de leur faire signe. L’un d’entre eux regarda alors dans ma direction.

« Hé ho ! » hurlai-je.

Mais il m’ignora, préférant vaquer à ses occupations. Je fronçai les sourcils, incapable de comprendre ce qui le retenait de m’aider. C’était comme si je n’existais pas. Il ne me restait plus que deux solutions : soit je retournais derrière cette porte pour continuer ce cauchemar, soit j’allais les voir par moi-même. Etrangement, je choisis la deuxième option.

Mais au moment où je posai un pied dans l’eau, une myriade de bulles se mirent à apparaître tout autour du submersible, comme des furoncles qui poussaient sur la peau de Calypso. Les hommes se figèrent sur place, cernés de toute part. Lentement, des dizaines de bathysphères percèrent à la surface.

Toutefois, ce ne sont ni les Petites Sœurs ni Jack qui en émergèrent, mais bien des chrosômes assoiffés de sang et d’ADAM, des nuées entières de chrosômes qui se jetèrent sur les pauvres officiers enclavés sur le sous-marin. La boucherie qui prenait place devant mes yeux était insupportable. Les chrosômes étaient sans pitié, lacérant leurs victimes comme s’ils s’en prenaient à des carcasses de cochons sur des crochets. J’aurais pu nager vers eux, j’aurais pu les aider. Mais j’étais bien seule face à une telle menace.

Sachant mon sort scellé si je ne reconsidérais pas mon choix, je pris la décision de choisir la première option. Je tournai les talons aussi vite que je le pouvais pour tenter de laisser les hurlements derrière moi. D’un coup d’épaule, je poussai à nouveau la porte du phare.

Derrière, c’est un nouveau cauchemar qui m’attendait. Autour de moi, les gratte-ciels m’encerclaient comme des géants à la dérive. Tout était détruit, tout était en flamme. Au-dessus de moi, le ciel était nappé d’un nuage de cendres qui masquait la lumière du soleil, plongeant le monde dans un hiver qui paraissait sans fin. Les cris que je pensais quitter en poussant la porte se poursuivaient ici avec plus de puissance et de douleur. Une chose horrible avait eu lieu dans cette ville. Au loin, à travers la poussière qui irritait mes yeux, je crus reconnaître le sommet de l’Empire State Building, écrasé au sol. New York avait sombré.

Sous le voile de ce brouillard noir qui avait envahi le paysage, je vis avec dégoût les responsables de cette horreur. Des silhouettes difformes se détachaient en effet de cette masse informe. Ces chrosômes avançaient en ligne, apportant avec eux la mort comme les cavaliers de l’Apocalypse. Des cadavres et des squelettes jonchaient déjà les rues vides de vie. L’odeur de leurs chairs brulées qui régnait dans l’air me donnait la nausée. Les survivants qui avaient vu la fin s’abattre sur eux avant de trouver refuge in extremis n’avaient plus aucune issue. Et ceux qui osaient sortir se voyaient aussitôt exécuter de sang-froid par la ligne d’annihilation qui se profilait devant moi.

Au moment où je m’apprêtais à fuir vers un refuge – ou vers une autre porte–, je distinguai enfin celui qui trônait au centre de ce fléau. Au fond, je ne fus pas surprise. La vision de Jack qui menait avec lui ces monstres me laissait étonnamment de marbre. Tout était clair, à présent. Ce monde était perdu, livré aux mains malveillantes des chrosômes. Jack avait enfin assouvi la soif de pouvoir qui l’avait poussé à me tuer plus tôt dans Rapture.

Soudain, son regard de fou se posa sur moi et s’enfonça au creux de mon âme. La torpeur qui m’envahissait lentement me poussait à céder toute mon énergie. Une partie de moi voulait fuir, mais une autre partie voulait se laisser aller. Mes forces m’abandonnaient. Alors que je venais de poser genoux à terre, une main se posa sur mes épaules. Je ne daignais même pas voir qui allait m’achever.

Une lumière blanche se répandit tout à coup à l’horizon telle une nuée ardente éclatante, m’arrachant à ce mauvais rêve qui n’en finissait plus.

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