L'homme choisit, l'esclave obéit

Chapitre 8 : Chapitre 7

Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/06/2009 15:06

USA, Vingt-quatre ans et onze mois plus tôt

Andrew Ryan tapotait d'un air distrait la table en noyer vernis de sa table. Devant lui, restaient les reliefs d'un repas qu'il avait à peine touché et un verre à moitié vide de vin français. Ryan promena son regard dans la pièce avant de se lasser. Il tendit le bras et écarta les rideaux de la fenêtre. Il la fit coulisser pour sentir un peu d'air frais. Le paysage défilait à vive allure. L'Oregon était vraiment un État magnifique : Andrew était tombé sous le charme de ses forêts et de ses cours d'eau. Il n'avait jamais pris de vacances et s'était octroyé une année sabbatique. N'étant jamais véritablement sorti de l'État de New York, Ryan avait passé des mois à parcourir le pays en train pour découvrir de nouveaux paysages. Mais le tourisme ne venait qu'en seconde position : Andrew cherchait surtout un endroit agréable pour se fixer quand il prendrait sa retraite. Non pas qu'il détestait la Grosse Pomme mais il estimait que la ville bougerait trop vite pour lui quand il serait vieux. Un pied-a-terre dans un cadre reculé lui conviendrait tout à fait. 

Ryan se leva de table et dit au serveur qu'il pouvait débarrasser. Andrew se dirigea d'un pas pensif vers sa cabine en bout de wagon. Il y trouva Petersen en train de dormir sur la banquette. Ryan le réveilla en le secouant

_Magnus ! Debout !

Petersen s'exécuta en grommelant. Il frotta ses yeux rougis de fatigue.

_Désolé monsieur Ryan, s'excusa t-il. C'est le décalage horaire.

Andrew haussa les épaules. Peu importait au fond. Il pris place sur la banquette qui faisait face à son employé. 

_Je crois que j'adore l'Oregon, dit Andrew en regardant par la fenêtre. 

_Monsieur Ryan, rassurez-moi. Nous n'avons pas fait tous ces kilomètres uniquement pour le paysage, n'est-ce pas ?

_Bien sûr que non, siffla Andrew. Vous croyez que j'ai le temps de me préoccuper de ces fadaises ?   

La phrase sonnait faux et Ryan en était conscient. En temps que tout récent milliardaire, il ne pouvait pas laisser dire qu'il était d'un naturel frivole. Lui qui accordait une si grande valeur au travail aurait semblé ridicule aux yeux de l'opinion publique.  Pour ne pas à avoir à se reprendre devant son employé, Ryan se saisit d'un des journaux qui traînaient sur la table basse et commença à le parcourir. Il plissa les lèvres en découvrant certains titres : le New Deal, préconisé par Roosevelt avait le don de dégouter encore plus Andrew de ce monde. Il ne pouvait pas dire que la crise ne lui avait pas été favorable, au contraire même  : devançant le gouvernement et sa Works Progress Administration qui ne serait crée que dans un mois, Ryan avait fourni du travail à des centaines de milliers de personnes. A tel point qu'une sorte de guerre du travail s'était produite avec d'un côté, les travailleurs du gouvernement et d'un autre côté, ceux qui travaillaient pour des entreprises privées comme Ryan Industries.

Andrew reposa le journal avec les autres et soupira. Il était riche, immensément riche et pourtant, il ne se sentait pas à son aise. Mais l'argent n'était pas une fin en soi. Il pensait désormais qu'acheter un bout de terrain dans une région reculée lui ferait du bien.  

Andrew conversa avec Petersen de choses et d'autres jusqu'à ce qu'ils arrivent à destination à la gare d'Eugene, dans le Comté de Lane. Sans perde un instant, Andrew se saisit de sa mallette et suivi par Magnus, se dirigèrent jusqu'à la mairie. Ryan fut reçut rapidement par le maire qui demanda l'objet de leur visite. Ryan alla droit au but :

_Monsieur le maire, je désire acheter l'ensemble des forêts de l'ouest du comté pour mon usage personnel.

_Pardon ? questionna le maire. 

Avec précautions, Magnus répéta au mot près ce qu'Andrew venait de dire. Le maire lissa pensivement sa moustache :

_Je dois admettre que c'est une demande inhabituelle. Il est tout simplement impossible d'acheter ces forêts...elle sont propriété de l'État.

Ryan l'arrêta en levant la main

_Il se trouve que je me suis entretenu avec le gouverneur Charles Henry Martin. Un homme fort sympathique d'ailleurs. Nous nous sommes mis d'accord, j'ai l'aval de l'Oregon, dit-il en sortant un papier officiel signé.

Tout comme le maire, Magnus regarda son patron avec des yeux exorbités. Il avait fait ça ? Il avait réussi à convaincre Martin ? Il était vrai que à l'instar de Ryan, Martin était fermement opposé au New Deal mais de là à le convaincre de céder une forêt à son allié...

Petersen repris la parole

_Puisque nous avons l'aval de l'État, vous n'avez aucun moyen de vous opposer à cette décision. Ne vous inquiétez cependant pas, je suis sûr que monsieur Ryan saura acheter ces terres au prix le plus juste.

Le maire sembla hésiter

_Monsieur Ryan, il est évident que je ne peux pas m'opposer à une décision du gouverneur...mais je vous en prie, reconsidérez votre décision. Cette forêt est considérée comme sacrée par plusieurs églises protestantes. Elles peuvent faire appel au Congrès. 

_Le Congrès ? cracha Ryan. Croyez-vous que le Congrès va s'occuper d'une affaire territoriale à l'autre bout des États-Unis parce que trois religieux l'ont demandé ? Soyons sérieux, monsieur le maire. J'ai ici plusieurs centaines de milliers de dollars pour payer cette forêt. Je ne suis pas un voleur.

Le maire n'eut pas d'autre choix que de rendre les armes et donna l'acte de propriété à Andrew. Satisfait, ce dernier quitta Eugene pour se rendre sur ses nouvelles terres. La forêt qu'il venait d'acheter n'était pas très éloignée de la ville, lui et Magnus y furent en quelques heures. Quand il la vit, Andrew tomba sous son charme : tout lui plaisait en elle. Il adorait ses grands arbres, sa couleur d'émeraude ou le chants des oiseaux. Il se sentait entier dans cette frondaison. Peut-être parce qu'elle lui rappelait leur forêt en Russie, il n'en savait rien. Mais il savait qu'il avait fait une bonne affaire.

Ils étaient dans la forêt depuis de longues heures quand un groupe de personnes, vêtus sobrement s'avancèrent vers eux. Andrew eut de l'antipathie pour eux avant même qu'ils n'ouvrirent la bouche. Le chef du groupe, un homme âgé, parla au nom de autres. Il toisa Andrew et Magnus d'un regard froid et réprobateur.

_Vous êtes sur les terres de Dieu, déclara t-il brusquement.

_Tiens donc ! s'exclama Ryan en prenant un air surpris. Excusez-moi, je croyais que nous étions sur ma propriété.

_Vous n'avez aucun droit de fouler ce sol sacré, annonça un des membres du groupe.

_Vous non plus, clama Ryan. Vous êtes sur une propriété privée et je vais vous demander de partir.

L'individu le plus âgé repris la parole :

_Je vous assure que vous faites une terrible erreur en agissant ainsi. Vous devriez transformer cette forêt en parc national : ne serait-il pas juste que tout le monde en profite ?

Le ton de Ryan se fit cassant :

_Profiter de ma forêt ? Cette forêt que j'ai achetée avec mon argent par mon travail ? Je n'arrive pas à savoir si vous êtes fou ou essayez de détrôner Charlie Chaplin dans son rôle de comique. 

Magnus étouffa un pouffement de rire. Ryan appréciait peu les films de Chaplin, ce n'était un secret pour personne. Mais Andrew était loin d'en avoir fini :

_Maintenant, déclara t-il en détachant chaque mot, vous allez me ficher le camp. Il n'y aura aucun parc ici. Maintenant, bande de parasites si vous ne voulez pas que j'appelle la police pour violation de propriété privée, vous allez déguerpir et plus vite que ça !

Les religieux le foudroyèrent du regard mais durent finalement reculer. Restés seuls, Andrew regarda Petersen et éclata de rire. Un rire invincible, qui le poussa à s'assoir à même le sol pour se calmer.

_Bon sang, siffla t-il quand son hilarité fut calmée. C'était vraiment trop drôle. Franchement Petersen, vous pouvez le croire ?

Magnus ne partageait pas la bonne humeur de son patron

_Monsieur, le maire nous a prévenus que l'Église Protestante tenait à cet endroit. Il faut nous attendre à des problèmes.

_Il n'y aura aucun problème, assura Ryan. Cette forêt m'appartient légalement, non ? Au même titre que Ryan Industries ou mon appartement de Manhattan. 

Petersen opina du chef. Ryan avait raison, une fois de plus. Magnus s'adossa à un arbre et observa la forêt. Andrew avait raison, elle était sublime. Il finit par lui poser une question :

_Dites moi monsieur Ryan, cette forêt...comptez-vous la baptiser ? Elle n'a pas de nom en tant que tel, les gens d'ici l'appellent simplement la Forêt d'Eugene.

Ryan plissa le front un moment. Puis, du bout des lèvres il murmura :

_Elation. Voilà un nom approprié. 

Petersen pouvait facilement comprendre le choix du nom : il est vrai qu'un tel sentiment de plénitude se dégageait de la forêt qu'un titre pareil s'imposait.

_Venez Petersen, dit finalement Ryan en se levant. Je suis curieux de voir ce qu'Elation nous réserve d'autre comme surprises...

¤¤¤

Il n'avait pas fallu un mois aux religieux pour saisir les plus hautes instances et essayer de faire retirer son titre de propriété à Ryan. Ils avaient essayé d'obtenir le soutien des Comtés et de l'État. Ce soutien leur avait été refusé. Ils portaient désormais l'affaire devant le Congrès. L'affaire était enflammée : si le Sénat soutenait majoritairement les religieux et la nationalisation d'Elation, la Chambre de Représentants donnait son aval à Andrew Ryan et son droit à la propriété privée. Ryan avait dû se défendre en personne à Washington, tout en faisant de nombreux voyages à Elation pour surveiller son bien. Il avait même personnellement planté des graines qui dans quelques années, devraient germer.

Le jugement fut rendu en décembre, à quelques jours de Noël. La nationalisation d'Elation fut votée à soixante-dix voix contre soixante-sept. Ryan reçut l'ordre de remettre le titre de propriété au gouverneur de l'Oregon et de vider les lieux au premier janvier. Le soir de la Saint-Sylvestre, Ryan marchait dans ce qui était encore sa forêt pour quelques heures. Il avait refusé que Petersen l'accompagne pour ce voyage. 

Ryan savourait un Havane en regardant les étoiles scintiller au dessus d'Elation. On dirait bien que les parasites avaient gagné...mais Andrew Ryan n'était pas du genre à perdre sans rien faire. Il alla jusqu'à son automobile et en tira deux lourds bidons de kérosène. Il répandit le liquide sur une large surface et laissa les bidons sur place. Ils brûleraient avec le reste. Ryan sortit l'acte de propriété de sa poche et après l'avoir relu une dernière fois, il posa son Havane sur le papier qui se tordit et commença à se consumer. Il jeta le feuillet enflammé dans le kérosène qui flamba sans attendre.

Ryan eut un geste de défense instinctif quand le feu partit et commença à dévorer Elation. Puis, lentement alors que le feu emportait Elation, il retourna à sa voiture, fit vrombir le moteur et s'en alla. Il avait déjà fait plusieurs centaines de mètres quand les bidons explosèrent, scellant le sort de sa forêt dans la tombe. Ryan jeta un œil à sa montre-gousset : il était minuit pile. Elation appartenait au gouvernement à présent. Ce ne fut que lorsque il fut à Eugene qu'il daigna se retourner pour observer les lueurs rouges dans le ciel. Il esquissa un sourire.

_Qu'y a t-il messieurs les parasites ? dit-il en s'adressant aux ombres. N'appréciez-vous pas mon cadeau pour cette nouvelle année ? Navré de n'avoir à vous offrir que des cendres...    

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