Comment êtes-vous morts ?

Chapitre 1 : Comment êtes-vous morts ?

Chapitre final

7183 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 15/08/2021 23:45

Comment êtes-vous morts ?

 

Les Shinigamis : âmes puissantes des défunts qui se sont élevées à la Soul Society et qui veillent aujourd'hui à la protection des vivants. Éliminant les mauvais esprits assoiffés d'énergie vitale, ces guerriers invisibles étaient devenus le quotidien du groupe de lycéens.

Si l'expérience d'Ichigo au cours des dernières années avait été à la hauteur de sa réaction, la jeune Orihime avait toujours des difficultés à s'adapter à ce monde mystique et mystérieux.

Assise sur son banc lors d'une promenade sous un ciel dégagé, ou à la nuit tombée seule dans son lit, la rouquine se posait les mêmes questions sans relâche. Un cycle sans fin qui portait son esprit loin de la réalité, l'épuisant physiquement et mentalement.

Lors d'une énième nuit blanche passée devant la lune sous son châle nuageux, une réalisation frappa Orihime de plein fouet. Morts. Les Shinigamis étaient morts. Rukia, avec son corps svelte, ses mèches rebelles et son visage d'adolescente, était une personne décédée. Quel âge avait-elle réellement ? Avait-elle perdu la vie quinze ans auparavant lors d'un accident de la route ? Avait-elle failli au combat lors des guerres féodales ? Jamais ses questions n'étaient venues perturber la détermination d'Ichigo, mais elles étaient essentielles aux yeux de la jeune femme. Elle voulait comprendre, voir la profondeur de l'humanité qui demeurait dans ces spectres devenus ses amis.

Les nuages blancs devinrent gris, puis aussi sombres que le ciel et se délestèrent de leurs eaux, offrant à Karakura Town une douce pluie d'automne. Emportée par la mélodie des gouttes qui jouaient des percussions sur le toit, Orihime força son esprit à trouver des réponses. À chaque impact, les mots résonnaient tel un écho : "Morts", "Quand ?", "Comment ?".

Finalement, le silence se fit en elle, toutes les questions s'assemblèrent, à haute voix, elle se décida à formuler réellement sa demande :

« Comment êtes-vous morts ? »

Des mots simples, mais suffisants. La jeune femme avait trouvé la force en elle d'oser apporter une réelle réponse à cette unique question. Sans plus tarder, elle se releva de son matelas et enfila un épais manteau azur par-dessus son pyjama.

Vivant seule, elle quitta aisément l'appartement et marcha ainsi sous la pluie pendant plusieurs minutes, attirée comme un aimant par le seul quartier à contenir des réponses.


La boutique de l'intriguant Urahara Kisuke était isolée. Au fond d'une allée se trouvait une cour éclairée à tout heure par une lumière accueillante qui perçait à travers la fine porte de la devanture. Officiellement, ce magasin était clos. Officieusement, le propriétaire énigmatique vendait divers objets suspects supposés aider les Shinigamis à s'accoutumer du monde humain lors de leur mission.

Urahara était un homme peu impressionnant, des cheveux blonds en bataille au-dessus des épaules, un rasage qui démontrait un faible entretien et surtout un bob zébré de vert tout à fait ridicule. C'était l'exacte description qu'Orihime s'était faite du personnage avant de croiser son regard. Les yeux malicieux, toujours dissimulés par l'atypique couvre-chef et le sourire en coin qui régnaient sur le visage d'Urahara Kisuke n'étaient que le faible reflet de son côté fourbe et calculateur d'un ancien capitaine shinigami.

Dans de rares moments, l'homme semblait tout à fait sympathique. Il sortait habituellement le matin, bol de lait à la main pour nourrir une chatte noire aux poils soyeux. Un instant attendrissant. Orihime n'aurait jamais pu se douter de la véritable nature physique de l'homme. Il était peu ordinaire et pourtant il ressemblait à une personne quelconque. Mais en apprenant que l'animal n'était même pas humain et également une Shinigami métamorphe spécialisée dans l'espionnage, l'étrange méfiance envers Urahara Kisuke d'Orihime ne fut que renforcée et justifiée. Qui serait assez inhumain pour s'appuyer sur un chat espion ? Ces animaux étaient l'incarnation même de l'amour aux yeux de la rouquine !

Orihime n'avait rien contre la Shinigami métamorphe cependant. La jeune femme, si on pouvait l'appeler ainsi (en tout cas, elle en avait l'apparence), portait le nom chantant de Shihōin Yoruichi. Elle avait véritablement l'allure d'une combattante habile et pleine d'entrain. Une peau basanée sur un corps élancé accompagnée d'une affriolante queue de cheval violette. Sur les côtés de son visage, des mèches solitaires partaient en pointes et soulignaient agréablement son regard félin. Orihime la trouvait à la fois inspirante et très énergique. Un caractère très opposé à l'image que renvoyait son confrère sournois.

Si Yoruichi quittait très souvent la boutique en journée, elle était toujours aux côtés d'Urahara Kisuke le soir, tous deux assis sur des coussins verts devant une table de bois vernis, profitant simplement d'une tasse de thé.

En y repensant, Orihime se posa de nouvelles questions, comment ces deux-là ressentaient-ils le goût ? Avaient-ils faim et soif ? Ou était-ce simplement pour le plaisir ? Cette dernière option conviendrait parfaitement aux manières soutenues que le duo employaient lorsqu'il s'agissait d'herbes et d'eau chaude.

Craignant une rupture cérébrale, Orihime chassa ses nouvelles pensées distrayantes et tapa fermement du poing sur la porte de la boutique. La première fois, personne n'ouvrit – sans doute étaient-ils occupés ? Mais ils étaient présents, la jeune femme n'en doutait pas, alors, elle insista. Avant qu'elle ne frappe une troisième fois, le visage étonné de Yoruichi lui apparut.

L'ancienne Shinigami faisait face à un tableau assez inédit. Depuis le cadre de la porte, elle découvrit un visiteur inattendu. Les longs cheveux orange d'Orihime étaient trempés, ils tombaient lourdement sur ses épaules et l'eau gouttelait depuis des pointes qui se dressaient ici et là. Derrière les mèches collées à la peau claire de son visage, les doux yeux verts d'Orihime fixaient intensément Yoruichi. Avec son accoutrement surprenant, l'ancienne Shinigami aurait pu penser qu'elle était perdue, mais il y avait bien trop de détermination dans les yeux de la jeune femme. Sans saluer celle qui se trouvait devant elle, Orihime parla franchement et se libéra finalement du poids qui pesait sur elle :

« Comment êtes-vous morts ? »

Une question évidente pour l'humaine, mais une surprise qui laissa Yoruichi figée dans le temps, quelque part entre le choc et les souvenirs d'un autre temps.

Sans prononcer un mot, la femme-chat fit signe à Orihime d'entrer. Elle allait inviter la jeune femme à rejoindre le groupe à l'intérieur, car cette question ne lui avait jamais été posée ! Ni à elle, ni aux autres et quelque part, elle avait profondément envie d'y répondre et de partager cela autour de sa boisson favorite : le saké.

Orihime s'inclina en signe de remerciement, sachant désormais que les réponses viendraient et qu'elle pourrait retrouver le sommeil et la tranquillité. Avec l'appel du chaud et du sec, elle hâta le pas et se dirigea vers l'intérieur en profitant d'une serviette offerte par Yoruichi.

Un petit coup d'œil vers le salon provoqua chez elle un sursaut de surprise. Au lieu de simplement croiser le regard perçant du maître de maison, Orihime se retrouva face à trois paires d'yeux supplémentaires tout aussi étonnées qu'elle. Ce soir-là, Rukia, Ichigo et Renji étaient également présents, sans aucun doute là pour discuter d'affaires de la Soul Society.

« Je, je peux repasser plus tard, marmonna-t-elle timidement.

— Non, non, reste Orihime, affirma Yoruichi. Quoi qu'en disent ces deux-là (pointant du doigt Renji et Rukia, seuls véritables Shinigamis ici), ta question est plus intéressante que leurs complaintes. »

 

Enrobée dans une serviette et trempée de la tête aux pieds, Orihime avait réellement l'impression d'être mal tombée. Avec hésitation et maladresse, elle prit place autour de la petite table, au milieu du reste des invités. Elle se réconforta en s'asseyant aux côtés d'Ichigo. C'était un jeune homme téméraire, partageant la même couleur de cheveux peu commune, elle le fréquentait depuis plusieurs années ; aux yeux des autres, ils entretenaient une relation des plus fraternelles. Pour Orihime, c'était bien plus que ça. Ichigo n'était pas seulement un ami et un protecteur, il était le seul sur lequel elle comptait dans les moments les plus sombres. Le sourire confiant qu'il lui adressait était le souvenir qui séchait ses larmes. La rouquine s'apaisa d'autant plus lorsqu' Ichigo passa ses mains dans son dos, visiblement pour la réchauffer et l'aider à se sécher.

Assis à leur droite sur les genoux, le dos bien droit et le menton relevé, comme les dignes guerriers qu'ils étaient, se trouvaient Rukia et Renji. Rien ne laissait penser qu'ils n'étaient plus de ce monde, mise à part leur kosode et leur hakama noirs, ils étaient tout à fait ordinaires. Du moins, surtout Rukia : des cheveux noirs, des yeux sombres, ni signe distinctif, ni élément étrange. Il n'y avait que son éducation et ses manières, semblables à celle des familles fortunées, qui venaient contraster avec son comportement léger et son rire enfantin. Si la Shinigami passait inaperçue, Orihime ne pouvait pas en dire autant d’Abarai Renji. Le jeune homme abordait une chevelure écarlate. Noués sur sa tête par un bandeau blanc comme les feuilles d'un ananas, ses cheveux formaient de nombreuses pointes et incarnaient le chaos en personne. Un point commun qu'il partageait avec Ichigo et une source de moquerie appréciée par beaucoup.

Comme si cette coupe, rappelant celle de la vedette de l'équipe de basket locale, n'était pas déjà assez mémorable, le Shinigami flamboyant avait des sourcils épais à la forme électrique et portait des tatouages tribaux sur l'intégralité de son buste. Ces derniers remontaient comme des éclairs sur sa nuque, un écho parfait avec ses yeux noirs, fins et plissés, parfaitement assortis à son sourire à la fois supérieur et plein d'assurance. Orihime l'avait vu quelques fois à l'œuvre en pleine bataille, il avait l'exact physique de sa personnalité : un sauvage, toujours au front, qui employait la force brute et ne jurait que par l'attaque en comparant ses exploits à ceux de ses camarades.

Manquant de glousser tant ce duo soudé était éclectique, Orihime détourna le regard et observa Yoruichi s'installer face à elle, une fameuse bouteille de saké en main. Il n'y avait plus que l'hôte autour de la table, mais la jeune femme préféra ne pas tourner les yeux dans sa direction. Les mains sur le torse, elle se contenta de s'incliner poliment devant la table dans son ensemble.

« Pardonnez cette visite tardive.

— Allons, mademoiselle Orihime, vous êtes toujours la bienvenue ici. Qui plus est, mes invités commençaient à m'ennuyer, annonça Kisuke.

— Elle a une question qui devrait vous plaire ! » s'amusa Yoruichi en entamant sans attendre un verre bien rempli.

La femme-chat connaissait bien les différents invités, car ils fixèrent tous la rouquine, au grand désarroi de celle-ci qui regretta presque d'avoir franchi le seuil de la porte.

Comment allait-elle reposer cette question ? N'était-ce finalement pas trop intrusif ? Qui était-elle pour demander quelque chose d'aussi personnel à des fantômes ? Ses pensées se bousculaient, formant une mixture trouble qui la figea un instant, yeux et bouche grands ouverts face au vide.

« Orihime ? »

Son prénom prononcé par Ichigo était une douceur dont elle ne se lassait jamais. Une petite bouchée de son gâteau favori, le soir, dans le confort d'un plaid doux et pelucheux. La véritable détente, oui, c'était ce que lui apportait l'appel d'Ichigo.

« Je… Comment êtes-vous morts ? » murmura-t-elle courageusement.

Les trois Shinigamis restèrent étonnés alors que Yoruichi se servait son second verre. La question assez inattendue semblait avoir son effet : ils affichaient tous des expressions très différentes, un écho évident aux pensées qu'avaient fait naître l'innocente demande.

« Je veux dire… Vous êtes, ou étiez, reprit Orihime, des Shinigamis. Vous vivez au ciel, non ? Et vous êtes tous…

— Décédés, » conclut pour elle l'homme au bob.

La jeune femme acquiesça en baissant les yeux, toujours mal à l'aise quant à l'indiscrétion de la demande.

« Hé bien ma chère Yoruichi, tu avais raison. Voilà une question très intéressante, » affirma Kisuke.

Son bras se tendit naturellement vers la gardienne du saké, coupelle à la main, afin de réclamer sa part. La soirée promettait d'être agréable. Pourtant l'angoisse commença à croître chez Orihime. Il n'était pas là. Ce sourire du malin, signe de la malice d'Urahara Kisuke. L'homme avait un air tout à fait sérieux. Ni rictus sournois, ni yeux plissés dans l'ombre, simplement un petit coin tombant sur le côté des lèvres et un regard qui se perdait dans le liquide entre ses mains.

Ah ! Cela pouvait paraître tout à fait stupide, mais, pour Orihime, l'absence même de signe inquiétant venant de cet homme était véritablement l'élément le plus stressant.

« Je comprends ton interrogation, avoua Rukia, on s'est introduits dans vos vies et oui, nous sommes très différents. J'image que pour toi, demander ça, c'est comme demander à un nouveau camarade d'où il vient. »

Les paroles de Rukia sonnaient justes. Orihime avait toujours fait preuve de beaucoup de curiosité et de compassion, elle connaissait presque la totalité de sa classe. Leurs peurs, leurs plats préférés, leurs espérances. Ne rien savoir de ces personnes dont elle se sentait aujourd'hui proche était anormal. Elle fit une petite moue, mais répondit finalement au sourire radieux de Rukia par un similaire.

 « Tu dois savoir que même si ta question nous parle, nous n'aurons pas tous la réponse, s'excusa presque Renji.

— Il a raison, surenchérit Yoruichi, à cause des règles et de la forme même de la Soul Society beaucoup d'entre nous n'ont aucun souvenir de leur vie d'avant, seulement des images floues... quelquefois. Pour les plus chanceux.

— Ou les plus malchanceux, la coupa Urahara. Je te rappelle que les familles sont séparées à leur arrivée. Père, mère, parents, toutes ces personnes que beaucoup d'humains espèrent retrouver dans la vie d'après ne sont qu'un mirage. »

La réponse instantanée de la Shinigami métamorphe arriva sous la forme d'un poing propulsé avec violence dans l'épaule de son confrère, qu'Orihime pouvait désormais définir également par "cynique". Yoruichi semblait fortement désapprouver le partage d'éléments aussi négatifs.

« Évidemment, il ne pouvait pas renvoyer une belle image de la Soul Society ! se plaint aussi Renji.

— Mademoiselle Orihime nous a posé une question, je pense qu'elle mérite une réponse honnête. »

Le pauvre Ichigo manqua de s'étouffer avec son thé lorsque Yoruichi gloussa. Le terme "honnête" n'était pas vraiment celui qu'on associait en premier à Urahara Kisuke.

« Et déprimer de jeunes gens en leur rappelant qu'ils ne retrouveront sans doute jamais leurs proches, c'est uniquement pour l'honnêteté ? répliqua Renji. Avouez que vous ne portez pas la Soul Society dans votre cœur et que vous appréciez seulement pointer du doigt ses quelques dysfonctionnements.

— Oh ! Oh ! Quelques dysfonctionnements ? Voyez-vous ça… Quand l'un d'entre eux vous frappera, venez donc me voir. »

Et elle était finalement là, cette mimique inquiétante, celle qui vous faisait comprendre qu'Urahara en savait plus que vous, peut-être même trop pour sa situation. Orihime n'avait jamais su pourquoi, mais l'ancien capitaine avait été brusquement banni du royaume d'au-dessus. Même si Ichigo et Yoruichi semblaient avoir pleinement confiance en la fourbe personne qu'il était, Orihime avait tendance à se demander si cela n'était pas justifié quelque part.

« On se calme les enfants, interrompit Yoruichi. J'aime beaucoup cet endroit, je préférerais qu'il reste encore un peu debout. Et vous vous éloignez totalement de la question de notre invitée.

— Soit, commença alors Rukia, prenant le relais pour calmer la situation. Ce ne sera peut-être pas à la hauteur de tes attentes, mais laisse-moi te raconter ce dont je me souviens de ma vie, avant la Soul Society et aussi loin que je me souvienne. »

Comme l'avait mentionné plus tôt Kisuke, Rukia faisait partie de ces nombreuses âmes à être arrivée sans passé. Peu importe à quel point la Shinigami tentait de remonter dans sa mémoire, le décor des tableaux ne changeait pas. Avant l'école de Shinigami et le Seireitei, cœur lumineux de la cité, elle était déjà dans les quartiers de la Soul Society. Avant sa rencontre avec Renji et les autres enfants avec lesquels elle avait noué des liens, elle déambulait dans les rues étroites du Rukongai, quartier des âmes perdues où les affamés étaient nombreux.

Elle avait été adoptée très jeune par la famille Kuchiki, célèbre et puissante au sein de la Soul Society, mais si elle avait aujourd'hui plus d'un frère, elle savait grâce à l'un d'entre eux qu'elle avait également perdu une sœur.

Était-ce une véritable sœur ? Une qui l'avait accompagnée de son vivant ou une personne qui l'avait protégée par la suite ? Rukia avoua à l'audience qu'elle n'était, sans aucun doute, qu'un nourrisson à son entrée dans la Soul Society. Une image l'avait toujours accompagnée, celle d'une ombre, une ombre immense courbée au-dessus d'elle, accompagnée d'une sensation de douceur. Ce souvenir, s'il n'était pas un rêve, lui évoquait un bébé que l'on berce lentement. La faim, oui, il y avait aussi la faim, c'était une chose dont elle se souvenait parfaitement, un manque qu'elle avait connu trop longtemps pour en oublier la sensation.

« C'est sans doute comme ça que je suis morte, je pense, finit Rukia.

— Tu es morte de faim ? répéta Ichigo.

— Mais c'est affreux, si... si cette femme était une proche, peut-être ta mère ou une sœur ! s'exclama Orihime.

— Alors elle est sans doute morte aussi. Elle résiderait alors à la Soul Society depuis, je suppose. »

Rukia fit une courte pause, elle s'était très rarement posé cette question. Avait-elle un proche dont elle ne savait rien à la Soul Society ? Quelqu'un qu'elle croisait tous les jours sans le savoir ? Mais elle chassa la pensée aussi vite qu'elle était arrivée. Elle était heureuse, elle avait tout ce dont elle avait besoin, comme beaucoup, elle s'estimait être chanceuse.

« La Soul Society m'a donné une famille. Même si je souffrais de la faim au début, même si Renji et moi avons perdu des amis, je ne reviendrai pas en arrière, je ne renoncerai pas à mes frères et à cette vie.

— Tu as perdu des amis ? On meurt dans la Soul Society, je veux dire… Autrement qu'au combat ? demanda Orihime.

— Malheureusement. La Soul Society n'est pas réellement une ville pour les morts, ou un droit au repos. C'est plus un nouveau départ, affirma Yoruichi. Une seconde vie.

— Beaucoup d'entre nous ont tout autant à perdre qu'Ichigo et vous-même, certains ont quelquefois vu leur monde disparaître une seconde fois, ajouta Urahara. »

Orihime écouta les réponses avec attention, elle comprenait dorénavant bien mieux d'où lui venait cette sensation, ce sentiment de fréquenter des personnes tout aussi humaines qu'elle. Un Shinigami en mission craignait de ne jamais revoir ses proches, tout comme elle s'inquiétait de voir Ichigo revenir blessé, ou ne pas revenir à elle. Cette idée l'attristait, elle l'esquiva en relançant sa demande.

« Et vous ? lança-t-elle en fixant Yoruichi. Avez-vous toujours été un chat ? Ou, est-ce venu après votre décès ? »

Quelque chose lui disait que l'histoire de la femme métamorphe aux cheveux violets serait peut-être plus joyeuse que celle de Rukia. Sans parler du fait qu'il valait mieux lui poser la question tant qu'elle était en état d'y répondre. Yoruichi semblait bien partie pour abuser du saké, elle commença à raconter son histoire alors qu'elle finissait son cinquième verre. Les risques qu'elle divulgue des informations qu'elle aurait préféré taire étaient alors élevés.

« Si je le savais, je te répondrais avec plaisir. »

Yoruichi n'avait en réalité que peu de choses à dire sur son passé et sur une éventuelle vie avant la Soul Society. La jeune femme était en fait très âgée. Si Renji et Rukia étaient centenaires à quelques dizaines d'années près, Yoruichi n'avait aucune idée du temps qu'elle avait passé au Seireitei. Avant ses années au Gotei 13, son affiliation à la section de combat furtif et de renseignements et la grande époque d'entraînements et de complicité avec Urahara Kisuke, il n'y avait rien. Issue d'une famille de la haute Soul Society, Shihōin Yoruichi était une véritable princesse.

L'énergie en elle, comme pour beaucoup de membres issus de familles puissantes, était naturellement forte. Chercher ses origines n'avait aucune importance pour Yoruichi, elle avait toujours appartenu au monde d'au-dessus, elle y était sans doute née. Comment ? Seul le Roi de la Soul Society pourrait y répondre, si toutefois il existait véritablement. Il était comme un dieu légendaire que personne n'avait jamais vu, à l'exception de quelques sages dans les anciennes archives. Si certains défiaient son autorité et doutaient de sa présence, Yoruichi n'y prêtait aucune attention.

Elle avait vécu des centaines d'années dans la Soul Society au milieu des siens, sa vie était agréable, pleines de connaissances et de rituels qu'elle affectionnait. Comment était-elle morte ? Elle n'avait peut-être jamais été réellement vivante. Pourtant, il y avait quelque chose de similaire dont elle se souvenait. Elle se gardait de le raconter à quiconque, mais elle avait eu le sentiment de mourir, une première ou une seconde fois peu importe, lorsqu'elle avait abandonné tout ce qui faisait son monde pour secourir Urahara Kisuke d'une injustice et d'un bannissement des plus sévères. Si le duo prospérait désormais dans le monde des humains, ils n'en restaient pas moins des parias et, aux yeux de certains, des traîtres. Heureusement pour eux, Rukia et Renji ne s'attachaient pas à cette histoire du passé, seule l'aide apportée par les résidents de la boutique Urahara leur importait.

« Je pense quand même pouvoir affirmer être la plus ancienne autour de cette table ! cria joyeusement Yoruichi à la fin de son récit avec les joues rosées. Et toi Renji, y-a-t-il un visage réconfortant dans ta mémoire ? »

Laissant la Shinigami presque ivre ouvrir une seconde bouteille de saké, Renji prit réellement le temps de réfléchir.

« Je ne crois pas me rappeler de ma mort, annonça-t-il. Mais il y a bien des images... Après j'ai peut-être tout inventé moi-même ! »

Renji avait eu beaucoup de compagnons de son âge au Rukongai, entre Rukia et les autres, ils étaient comme des frères. Mais il avait cru voir, une fois dans ses rêves, trois grandes ombres au bord de la rive d'un fleuve.

Quelque part, Renji était persuadé que ces silhouettes floues étaient ses véritables grands frères. Il n'avait rien de plus pour appuyer cette théorie à la frontière du désir... Si, peut-être en y réfléchissant bien, un jour lors d'un affrontement contre un Hollow, il avait chuté d'une falaise et s'était retrouvé immergé dans un lac. Les bulles d'air s'échappant au-dessus de lui, la force du courant et cette sensation de sombrer lentement lui avaient paru familières. Mais pourquoi Renji serait-il tombé dans ce fleuve ? Pourquoi ses frères l'auraient-ils laissé se noyer ? Comme le scénariste de sa propre histoire, le Shinigami avait trouvé une réponse : un Hollow. D'une façon ou d'une autre, lui ou l'un des siens avait dû subir l'attaque d'un Hollow.

« Ma mère a perdu la vie comme ça, le coupa Ichigo. Un Hollow nous a attaqués au bord du fleuve qui traverse la ville... elle m'a défendu. »

Pourquoi Ichigo tenait-il à partager cette information ? Il ne savait pas vraiment, mais au fond il sentait que Renji, malgré son statut de Shinigami, malgré cette vie différente qu'il appréciait, avait besoin d'avoir des origines humaines. À l'inverse de Yoruichi et Rukia, il s'était questionné sur son existence, il s'était peut-être inventé une famille. Un entourage qui avait dû le rassurer et qui justifiait aujourd'hui son côté protecteur et toutes les actions qu'il avait faites pour les jeunes du Rukongai. Alors le Shinigami sourit simplement à son reflet capillaire et d'un léger mouvement de la tête, il le remercia d'avoir partagé son histoire et d'avoir apporté une forme de crédibilité à la sienne.

« Et vous, monsieur Urahara ? » finit par demander Orihime.

La situation répondait à ses attentes, la jeune femme se sentait en confiance, maintenant sèche, profitant d'une agréable boisson chaude (même si elle avait préféré le thé au saké). Alors pourquoi pas ? Pourquoi ne pas tenter de passer outre l'inconfort et la méfiance que l'homme lui inspirait ? Intérieurement, Orihime paria qu'il n'en avait pas la moindre idée, sans doute presque aussi âgé que Yoruichi, il ne devait appartenir à la Soul Society depuis trop longtemps pour n'avoir plus que des images floues.

« Alors Geta-Bōshi ? Y avait-il déjà un chapeau sur votre tête avant votre mort ? » rit librement Ichigo.

Une pique qui porta ses fruits puisque qu'un regard enflammé sous un chapeau vert se tourna instantanément vers Ichigo. Kisuke, pour défendre l'honneur de son couvre-chef, s'apprêtait à répondre très volontairement à la demande d'Orihime lorsque Yoruichi le coupa net.

Bien imbibée, la Shinigami prit plaisir à répondre à la place même de son ami de longue date.

« Il n'en sait rien. En fait, pire que rien, il a aucun souvenir précédent son arrivée au Seireitei. Certains y ont même veillé. »

Un aveu très blessant pour Urahara Kisuke qui avait espéré raconter une autre version de son histoire, une qu'il avait inventée de toute pièce durant la conversation. Malheureusement, l'intervention de Yoruichi avait enflammé ses nerfs. Il garda extérieurement son calme, mais, même si c'était regrettable pour ses autres convives, l'hôte avait un excellent remède contre l'abus de boisson et la glissade proférés par la Shinigami. C'était avec joie qu'il viendrait fracasser la réalité sur la tête de la métamorphe et tant pis pour la gentille ambiance dans laquelle Orihime se plaisait.

« Oooooh, ainsi donc tu faisais partie de l'équipe ? souleva-t-il en haussant un sourcil. Orihime, tu es bien chanceuse car je connais mon décès dans les moindre détails. »

L'étonnement du groupe fut vite balayé par le son guttural désagréable de Yoruichi qui venait d'avaler de travers.

« Tu n'es pas censé, commença-t-elle.

— Me rappeler ? Ah oui, grâce à vous, grâce au Central et ses méthodes, pestiféra-t-il en agitant les bras pour souligner la grandeur des institutions. Voyez-vous, chère Orihime, je suis ce que la Soul Society a nommé le rapport CM302. »

Pour la Soul Society, toutes les morts étaient les mêmes. Accident, maladie, meurtre, personne ne s'intéressait à la façon dont vous arriviez parmi eux.

Il y avait cependant des événements que ni les Shinigamis du Gotei 13, ni le Central 46 (grand conseil décisionnaire) ne pouvaient ignorer. Ces derniers étaient classifiés avec l'acronyme "CM", pour "Catastrophe Massive". Il s'agissait des grands accidents, naturels ou non, qui frappaient les humains sans prévenir. Un navire qui sombre, un générateur qui explose ou un village ravagé par la guerre. Ces événements avaient la particularité de ne laisser partir qu'un faible fragment des âmes. La majeure partie des victimes restait prisonnière du monde des humains. Entre les Hollows naissant, ceux qui erraient, l'âme enchaînée dans l'espoir d'apercevoir un proche parmi les survivants, ceux qui étaient incapables de s'élever, rongés par la culpabilité ou par le désir de vengeance, tous avaient besoin de l'aide des Shinigamis pour tourner la page.

Une fois les âmes libérées de leurs fardeaux, celles-ci voyaient les portes des Enfers ou de la Soul Society s'ouvrir à eux selon leur vie précédente. Malheureusement, la chaîne qui les avait retenues laissait parfois des traces invisibles, une marque qui pouvait devenir un souvenir amer et douloureux. Un risque de voir émerger un Hollow au sein même de la Soul Society.

C'est pourquoi le Central 46 et le Gotei 13 avaient décidé de contrôler ces âmes et d'annuler ce risque en veillant soigneusement à ce que ceux qui les avaient rejoint n'aient aucune chance d'entrevoir un jour ne serait-ce qu'un fragment brumeux de leur vie précédente.

 

L'incident CM302 correspondait précisément à celui au cours duquel Urahara avait perdu la vie.

« Vous vous rappelez de tout ? s'étonnèrent alors Ichigo et Orihime en harmonie.

— Tu ne devais jamais savoir, tu n'aurais jamais dû retrouver la mémoire, s'énerva lentement Yoruichi en pointant Kisuke du doigt.

— Oh mais je ne me suis jamais rappelé, se vanta acerbement l'homme. J'ai fait bien mieux. Vois-tu, nous sommes venus dans le monde humain. »

Urahara Kisuke était sans doute l'esprit le plus intelligent de la Soul Society. Si certains comme Aizen pouvait oser le défier, il surpassait de loin le reste des Shinigamis. Lorsqu'il avait entamé ses recherches et ses expériences à la tête de la douzième division, les archives étaient devenues une seconde maison. Un endroit où il avait consulté, des années durant, les avancées passées, couronnées de succès ou abandonnées. Un lieu où il avait maladroitement appris l'existence des rapports CM, même si ces derniers n'y étaient pas classés physiquement. Ainsi, il s'était efforcé de comptabiliser, recenser et retrouver tous les Shinigamis ou résidents de la Soul Society qui étaient arrivés à une période donnée dans le flou total. Un interrogatoire par ici, une archive par-là, un passant qui se souvient d'un visage... Et un jour, ses recherches avaient apporté des réponses : tout un groupe de personnes, sans mémoire, précédant des âmes qui nageaient dans un brouillard plus commun, étaient arrivés à la Soul Society dans la même fenêtre que lui. Une fois assuré d'appartenir à l'un de ces rapports classifiés, Urahara avait estimé la date de l'accident. Sans pouvoir consulter les documents scellés à l'abri dans un bastion du Central 46, l'homme avait tout de même obtenu le titre du dossier.

 

« S'il le savait, le Shinigami qui m'a donné l'information s'en voudrait… Je l'ai approché en gigai, dans la tenue d'un membre du Central. Il m'a suffi d'évoquer vaguement le rapport et la période associée pour qu'il me réponde.

— Tu as obtenu le dossier ? s'alarma Yoruichi. Kisuke…

— Non, malheureusement. Le Shinigami m'avait proposé d'amener le dossier qu'il nomma "CM302" lors du prochain conseil, je pensais le dérober mais je fus banni avant cela. »

Le bannissement inattendu avait bloqué tout espoir de consulter l'archive. Cependant, Urahara y avait trouvé, à l'époque, la solution évidente à ses recherches.

Il se leva et prit la direction du couloir adjacent, derrière un vase, il activa un mécanisme caché qui dévoila un petit rangement dans un mur.

« L'ère actuelle est une bénédiction pour ceux et celles qui recherchent l'information, laissez-moi vous présenter ma pièce maîtresse. »

L'homme revint dans la pièce avec un ancien journal, le papier avait jauni et l'encre légèrement blanchi, mais l'écriture était toujours parfaitement lisible. Il le posa avec un sourire triomphant sur la table juste devant Yoruichi. C'était sa façon à lui de lui faire payer ces années d'omissions et le rôle qu'elle avait joué dans la perte artificielle de sa mémoire d'humain.

« Erreur au laboratoire : explosions à Okara Town, lut alors la Shinigami à haute voix. Kisuke… As-tu lu l'article ?

— Évidemment, annonça cette fois tristement le désigné, qui n'aurait pas envie de savoir d'où il vient ? »

 

Orihime se précipita alors sur le journal, le saisissant des mains tremblantes de Yoruichi. Cette dernière se leva, visiblement pour parler, peut-être apaiser Urahara, dont la colère était lisible dans les yeux. Mais l'homme au chapeau évita son amie, il n'acceptait son implication dans ce qu'il avait subi. Quelque part, il avait l'impression que leur complicité était comme une immense tour. Chaque évènement où ils avaient dû s'entraider correspondaient à des étages s'empilant vers les cieux. Mais il y avait cette arche parmi les fondations de la tour, une arche fissurée qui menaçait de s'écrouler si quiconque la secouait un peu trop. Yoruichi se résigna alors à laisser Urahara disparaître au fond du couloir, il allait certainement s'isoler dans le sous-sol, semblable à une fausse plaine rocheuse, qu'ils avaient construit ensemble pour les entraînements.

 

De son côté, la rouquine partageait avec les autres personnes présentes sa lecture. Il y avait plus de deux cents ans, un centre de recherche avec une annexe hospitalière avait été entièrement détruit, soufflé par une violente explosion qui avait brisé la fragile structure. Les morts et blessés s'étaient comptés en centaines. Les rescapés interrogés parlaient d'un fracas soudain, de la poussière qui s'était élevée comme une brume et des hurlements retentissant dans les couloirs. Une véritable panique générale et un jour noir pour le pays.

L'accident aurait été déclenché depuis l'aile scientifique, où des chercheurs tentaient de développer un nouveau rayonnement pour soigner plus efficacement certaines formes de maladies. Le centre était à l'époque un véritable rassemblement d'esprits fins et déterminés. Énergies nouvelles et médecines de pointes émergeaient tous les mois des équipes qui y travaillaient. Cependant, ce jour-là, un scientifique isolé, dont le nom était censuré par le journal pour des raisons de sécurité, avait commis une erreur.

« Les machines se sont emballées, lu Orihime en citant un rescapé parmi l'équipe de recherche. Nous ne contrôlions plus rien. Le circuit énergétique a été déconnecté et le générateur s'est auto-alimenté jusqu'à la surcharge. L'électricité traversait la pièce comme des éclairs, j'ai vu des collègues mourir et tirant la sonnette d'alarme, nous avons fui. Il (le journal précisa qu'ici le responsable était mentionné) a tenté de tout arrêter. Alors que nous prenions les escaliers de secours, je l'ai aperçu à la console de commande. Le… Le plafond s'écroulait, les malades hurlaient ! Nous n'avons pas réussi à les faire sortir ! Pas à temps ! »

Si le nom du chercheur qui avait commis l'erreur ne fut jamais écrit, Orihime comme les autres devina avec aisance de qui il s'agissait. Ce dernier était mort dans l'accident. Le journal offrait aussi l'interview d'une jeune femme effondrée et en larmes, présentée comme la sœur cadette du défunt scientifique, celle-ci avait simplement répété une simple phrase en boucle à tous les journalistes et aux forces de l'ordre :

 « Il souhaitait seulement sauver des vies ! »

Orihime décortiqua ensuite l'intégralité de l'article, laissant Rukia et Renji débattre en fond de la moralité des incidents CM avec une Yoruichi totalement brisée.

Il n'y avait que peu d'informations supplémentaires, principalement les retours de rescapés effrayés et la colère des proches qui avaient perdu des membres de leur famille dans l'incident.

Ichigo, de son côté, s'éclipsa lentement et chercha à rejoindre son mentor. Même s'il désapprouvait quelques fois ses actions ou méthodes, Ichigo avait le sentiment de devoir beaucoup à Urahara. En retour, il sentait qu'il apportait une forme d'espoir de rédemption dans la vie de l'ancien capitaine Shinigami.

Alors, sans dire un mot, le jeune homme s'assit sur un rocher dans le sous-sol, à côté de Kisuke, qui se tenait appuyé sur sa canne le regard dans le vide. Une position qui en disait long sur l'état mental de l'homme. Dans cet appui banal se cachait en réalité une lame très particulière. Portant le nom de Benihime, elle était le Zanpakuto du Shinigami Urahara. Un Zanpakuto était une arme vivante, avec parole et volonté. Celle-ci ne s'adressait qu'à son Shinigami et formait un écho parfait de ses pensées et de sa personnalité.

Urahara aimait sentir son alter-égo à ses côtés quand son esprit le travaillait, il trouvait en Benihime l'interlocutrice parfaite pour répondre à ses réflexions et le comprendre. En s'asseyant ainsi à ses côtés sans le forcer, Ichigo espérait devenir le substitut de la lame le temps d'un instant. Lorsqu'Urahara Kisuke décida de s'asseoir à ses côtés, Ichigo fut envahi d'une grande fierté.

« Je ne me souviens pas d'elle. Je pensais qu'apprendre m'aiderait à comprendre, c'est ainsi que je fonctionne, que mes recherches ont toujours fonctionné. Mais aujourd'hui, je ne sais rien de ma sœur, je n'ai qu'un retour du mal que j'ai fait.

— Je ne suis pas d'accord, assura Ichigo. Ce journal vous apprend tout ce que vous deviez savoir d'elle.

— Oh ? Vraiment ? Kurosaki Ichigo en sait plus que moi, voilà quelque chose de nouveau.

— La jeune femme de cette article, elle vous soutenait. Les rescapés ne parlent que du désastre, sans mentir, certains vous jettent la pierre. Mais elle, elle ne disait qu'une seule phrase. Je pense qu'elle croyait réellement en votre bonne volonté.

— Je ne connais même pas son nom… avoua tristement Urahara. Je l'ai cherchée, mais suite à l'incident elle a disparu, sans doute pour se protéger. »

Lorsque le silence s'installa à nouveau, Ichigo ne le brisa pas. Il était là pour épauler, pour écouter tout ce que Urahara Kisuke accepterait de lui dire. Les secondes passaient, peut-être même une ou trois minutes s'écoulèrent avant que l'ancien Shinigami ne retire son chapeau. Il le garda entre ses mains et l'observa longuement, puis parla finalement au jeune homme à ses côtés.

« Penses-tu que je sois une mauvaise personne, Ichigo ? »

Comment Ichigo pouvait-il espérer répondre à ça ? Instinctivement, la négation lui vint à l'esprit, mais cette réponse ne serait pas suffisante pour Kisuke. Il lui fallait plus qu'un oui ou un non, il lui fallait des détails, une justification, presque des preuves. Ichigo connaissait suffisamment le parcours de l'ancien capitaine pour savoir qu'il était parsemé de regrets. De terribles évènements avaient vu le jour suite à des créations d'Urahara ou à des décisions qu'il avait prises. Bien évidemment, rien de tout cela n'avait été bercé par de mauvaises intentions, mais des personnes, comme Aizen, les avaient exploitées pour causer du tort et faire beaucoup de mal. Avant qu'Ichigo ne puisse apporter sa réponse, Urahara compléta sa réflexion.

« J'ai conversé avec le capitaine Ukitake Jūshirō après mon bannissement et mes découvertes, il m'a toujours vu d'un bon œil. »

Le capitaine Ukitake était un homme sage, parmi les plus anciens Shinigamis. Il était à la fois juste et très respecté, ses paroles devaient peser énormément aux yeux d'Urahara.

« Il m'a avoué avoir été présent lors de la mission à Okara Town.

— Il était là ? s'étonna Ichigo involontairement.

— Oui, c'est même lui qui est venu me libérer de ma chaîne. D'après ses propres paroles, lorsque celle-ci s'est fendue, les deux portes se sont ouvertes à moi. »

Ichigo comprenait alors le fond de la pensée de l'homme. La porte des Enfers s'ouvrait à la fois à ceux dont l'âme était mauvaise, qui avaient commis des crimes avant même leur éventuelle transformation en Hollow et à ceux qui n'arrivaient pas à trouver une forme de bien en eux. Si une âme se refusait à suivre la voie, alors la Soul Society ne leur forcerait pas la main.

« Ukitake m'a dit qu'il m'avait vu hésiter. À l'époque, ses paroles auraient été "Ce n'est pas parce que le mal arrive autour de toi que tu en es la source".

— Ça ressemble effectivement à des paroles du capitaine Ukitake, avoua Ichigo.

— Puisque je suis là, il avait dû me convaincre qu'elles étaient vraies.

— Vous en doutez aujourd'hui ?

— Un peu plus chaque jour. »

Urahara Kisuke ne s'était jamais ouvert autant à Ichigo, il avait pourtant joué avec la vie de l'enfant, car à ses yeux c'est ce qu'il était, dans l'espoir de voir naître un Shinigami qui pourrait corriger toutes les erreurs qu'il avait commises. Certes, c'était également pour lui sauver la vie, mais les deux raisons se côtoyaient. Quel bien y avait-il à ça ? Il n'avait pas toujours été calculateur, mais dernièrement, toutes ses actions, aussi douteuses pouvaient-elles être, avaient toujours été longuement réfléchies.

« Vous savez, j'ai également une petite sœur, dit Ichigo tirant Kisuke de ses pensées, elle ne sait pas ce que je fais en détails, elle ne comprend pas tout, même si elle entend les esprits. Mais comme toutes les petites sœurs, elle est honnête et a toujours raison. »

Le jeune homme rit en prononçant ses mots, il devait avouer que sa petite sœur était des plus têtues.

« Elle m'a dit une fois que j'étais un bon grand frère et quelqu'un de courageux. Depuis, je m'efforce de l'être, parce que si elle le dit, alors c'est vrai.

— C'est subtil de ta part, Kurosaki.

— Ce n'est pas à vous ou à moi de décider si vous êtes ou non une mauvaise personne. Votre petite sœur vous voyait comme quelqu'un qui ne cherche qu'à aider. C'est à vous de vivre à la hauteur de cette définition. »

Ichigo se leva alors, sachant qu'il était temps pour lui de laisser son mentor penser à cela seul. Ce dernier remit d'ailleurs son couvre-chef en place et retrouva sa position debout, Benihime dans ses mains. Mais avant de quitter la pièce, Ichigo se retourna une dernière fois, il n'avait pas trouvé de réponse plus élaborée depuis, mais il avait tout de même une réponse à donner.

« Pour ce que ça vaut, je pense que vous êtes quelqu'un de bien. »

Une fois certain qu'Ichigo se trouvait hors de portée, Urahara Kisuke leva la tête vers le plafond peint à l'image du ciel et autorisa ses yeux à pleurer lentement. Il n'avait pas ressenti l'humidité des larmes depuis au moins une centaine d'années.

 

Merci à BakApple pour la relecture



Laisser un commentaire ?