La rive de sang

Chapitre 1 : La rive de sang

Chapitre final

3048 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/09/2021 22:27

La rive de sang


Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture de Fanfictions.fr (juin 2018), "La Belle et la Bête"




Ne vous êtes-vous jamais demandé quelles sont les raisons qui poussent un Zanpakuto à choisir une forme plutôt qu'une autre ? Beaucoup pensent qu'ils sont un complément. Comme une moitié qui nous manquait et nous guide ; écho de notre vie passée ou projection de notre potentiel futur.

Devenir Shinigami, c'est puiser dans la force même de son âme. Au fond, nous nous transformons nous-mêmes en arme. C'est pour cette raison pure et simple que les Zanpakutos ne sont pas de banals sabres ou des compagnons de guerre, mais qu'ils sont en réalité notre reflet.

Pourquoi certains obtiennent-ils alors un Zanpakuto avec une personnalité opposée à la leur ? Le reflet est-il déformé ? Mal reconduit ? Non. C'est simplement le Shinigami qui ne parvient pas à s'accepter. Parmi les capitaines, plusieurs ont un Zanpakuto du sexe opposé. Une façon pour l'esprit de la lame d'accroître ce fossé entre le Shinigami et la partie de lui qu'il rejette.


Bien sûr, pour accéder au Shikai, il nous faut tous accepter la présence de cette autre nous. Cette version que nous voulions peut-être oublier. Mais accepter l'existence notre part sombre et s'autoriser à y céder sont deux choses très différentes. Lorsque notre voix intérieure se présente, nous pouvons boucher nos oreilles et feindre de ne pas l'entendre, mais tôt au tard, il faut regarder dans le miroir sans détourner le regard.


Habile au kido, génie de sa promotion, intelligent et apprécié, avec une attitude légère et une nonchalance légendaire. Quel mal aurait pu me faire mon reflet ? 

Accéder au titre de Shinigami, c'était quitter le Rukongai. Laisser derrière moi ces ruelles emplies de faim et de désespoir. J'avais si souvent observé les grands murs ivoire depuis une table bancale posée au milieu d'une allée de sable, que je rêvais de vivre dans cette tour immense - ignorant alors que le Senzaikyu était une prison -, tant elle me paraissait majestueuse . Derrière ces portes fermement gardées se trouvait une vie différente. Un lieu de respect, d'importance et de sens. J'étais prêt à donner tout mon possible pour échanger mes caisses poussiéreuses contre un futon étalé au sol d'une division.

Lorsque l'on m'a tendu mon sabre pour la première fois, je n'ai pas eu peur et j'ai pensé au futur qui s'ouvrait à moi. J'étais persuadé de connaître jusqu'aux plus lointains aspects de ma personnalité.


J'avais tort.


C'est la première chose que m'a fait comprendre la voix féminine qui s'est présentée à moi. Elle m'a pris de haut, pendant plusieurs jours, elle m'a murmuré que je ne valais rien à ses yeux. J'étais trop compatissant, trop réfléchi, trop bon. Elle, elle voulait le chaos, la supériorité, le sang.


Pour accéder au Shikai j'ai dû plier à ses demandes, elle voulait trancher alors je l'ai fait. Des entailles profondes et nettes libérant des chutes sanglantes. Puis elle a voulu se nourrir de l'essence même de nos ennemis. Alors je lui ai donné. C'est là que je l'ai entrevue pour la première fois : la peau pâle, un sourire de dents blanches et pointues contrastant avec le liquide écarlate qui ruisselait depuis ses lèvres sombres. Sa vue me glaça le sang, elle était monstrueuse.

Chaque filet pourpre était un festin, chaque mort à ses pieds n'était rien face à sa grandeur. Les lèvres teintées de grenat et les mains morbides tachées de la chair de nos ennemis, elle se tourna pour me faire face. Et alors, elle m'a souri.


Comme un enfant surpris, je me suis enfui. J'ai détourné les yeux et j'ai ignoré ses paroles. Une part de moi voulait se rapprocher d'elle, voir ce qu'elle pouvait m'offrir. Je savais déjà qu'elle pourrait me porter bien plus haut que je ne l'espérais. L'autre m'imposait la prudence. J'avais déjà le Shikai, je pouvais être un Shinigami respecté et vivre dans la meilleure moitié de notre société. J'avais peur qu'elle me domine, qu'elle m'utilise comme un simple serviteur. Puis, j'ai finalement compris le regard qu'elle m'avait lancé. Il n'était pas le sourire satisfait d'un maître rassasié, non. Je n'étais plus l'homme qui fuyait la bête en laissant quelques offrandes. Je l'avais laissé voiler mon éclat et avais participé volontairement à ses projets. Finalement, j'étais devenu digne de son funeste regard.


Les jours suivants, quand au milieu du champ de bataille mon cœur s'est emporté, quand j'ai découpé mon adversaire au lieu de l'achever simplement, quand j'ai ressenti une forme de plaisir à ôter la vie, à démontrer ma puissance, j'ai compris ce qu'elle était. Et j'ai eu peur.


Peur de cette facette de moi, peur de recommencer - je ne souhaitais rien de plus. Mon monde était tel une pluie de sang et je me tenais en dessous, la bouche ouverte, me délectant. À chaque goutte dont je m'abreuvais, son estime de moi grandissait. Un jour, elle m'a donné son nom, son titre et ses derniers m'ont donné des frissons. Elle était un homme que je ne voulais pas être, que je n'aurai jamais dû être. Mais nous étions ainsi.

Au grand jour, je gardais le sourire en vagabondant entre deux divisions, feignant aux yeux de tous une harmonie et une concordance parfaite entre nos deux personnalités. En réalité, je n'étais qu'une façade fragile. En moi sommeillait une bête qui n'attendait qu'une étincelle pour briser les murs que j'avais hissés.


J'en voulais plus. Être Shinigami ne m'apportait pas la satisfaction que je cherchais. Une vie paisible comme la mienne manquait de sens. Comment pouvais-je avoir le sentiment d'accomplissement si je n'étais que la moitié de ma personne ? Alors j'ai choisi d'avancer.

Acquérir le Bankai ne signifiait pas simplement accepter l'autre côté de la pièce, mais voir plus profond. Ne pas seulement découvrir qui je suis, mais qui j'aurais pu être et accepter de le devenir.


L'âme me rappelle trois fleuves ruisselants le long d'une montagne.


Le premier, c'est vous. Tel que vous vous aimez, tel que vous souhaitez paraître aux yeux de tous. Une eau claire et sans remous. Chaudes et apaisantes, elles sont votre petit refuge.


Le second, c'est cette eau trouble que vous n'aviez jamais goûté auparavant. Désormais, vous l'appréciez, elle est comme une drogue. Un petit plaisir qui ne vous fait aucun mal, mais que vous n'osez pas avouer. Après quatre, cinq plongeons, la satisfaction n'est plus suffisante. Vous doutez, et si elle était empoisonnée ? Et si son goût amer finissait par teinter les autres aliments que vous savourez ? Au fond, vous avez peur d'y retourner craignant ce que les autres pourraient en penser.

Le dernier est comme le fond des abysses. Sombre, angoissant, vous ne voulez pas y tremper ne serait-ce qu'un pied. Vous êtes effrayé, effrayé qu'une mâchoire monstrueuse ne vous emporte au plus profond. Là où il n'y a rien à l'horizon, ni couleur, ni bruit. Loin de la lumière et de ce rôle dans lequel vous vous complaisez. Terrifié à l'idée de vous noyer dans l'obscurité de ces eaux, d'être écrasé par la pression sur le sol sans couleur et de ne plus retrouver la surface, vous n'osez même pas les approcher.


Seulement tous les fleuves s'unissent à la fin, ensemble, ils forment un courant puissant qui se dirige vers la mer. Et quelle belle mer. La houle parfaitement rythmée reflète le soleil sans pour autant agresser les rivages. Pour atteindre la symbiose ultime avec son Zanpakuto, un Shinigami a besoin de la puissance des trois fleuves.

S'il construit un barrage d'acier - préférant laisser les eaux qui lui déplaisent en chemin -, il renonce aussi à une partie de sa force, un fragment de son âme. Nombreux sont ceux qui ont levé les ponts il y a très longtemps et qui se sont tournés vers des arts moins éprouvants.

Pour d'autres, les fleuves sont faits d'eaux claires. Quelques torrents, ici et là, forment un peu de remous, sans plus. L'eau est teintée, mais le risque n'est pas si grand. Que nous soyons très jeunes ou très âgés, nous n'avons pas peur du miroir. Soit nous avons tout à découvrir, soit nous connaissons déjà la moindre ride de notre cœur.


Pour une fois, j'aurai préféré l'ignorance.


Pour ma part, je faisais face à un fleuve de sang. À l'écart des deux précédents s'étendait une plaine albinos. L'herbe y était courte, blanche et il n'y avait ni buisson ni fleur à perte de vue. Seulement un grand arbre, ancien, avec l'écorce dénuée de couleurs. Il pliait dangereusement au-dessus de ce fleuve écœurant. Le sillon écarlate propageait sa couleur néfaste sur la pureté du lieu. Les remous et projections teintaient la rive, mais épargnaient le vénérable bois. Ce dernier avait des feuilles lisses, semblables à des pétales, aux couleurs de l'automne. La majeure partie feuillage arborait un rouge des plus vibrant. Contrairement au cramoisi qui ruisselait en dessous, je trouvais cette couleur-là noble.


C'était comme si une partie de mon âme ne m'appartenait pas. J'avais l'impression de contempler le royaume d'un autre, loin de mes décors habituels. Un domaine sordide et repoussant. Et pourtant fascinant et, en quelque sorte, surnaturel, même pour un monde intérieur.


J'ai longtemps observé cette rive sanglante, semblable à une veine dans la terre, sans la toucher. Je ne craignais pas seulement de m'y noyer ou de descendre dans les abîmes ; j'étais dégoûté à l'idée de m'y baigner, de tremper ma tenue de Shinigami que je portais avec fierté et de la voir, elle aussi, se tâcher de rouge.

Mais malgré l'horreur que m'inspiraient ces eaux, je venais continuellement les fixer, observer les vagues à l'écume rosée depuis le tronc du grand chêne que j'aimais tant.

Car il y a quelque chose que je ne vous ai pas encore dit : dans ce fleuve flottait une femme.


Le teint pâle, de longs cheveux pourpres, portant une couronne d'argent, un simple anneau de ronces autour de son front. Ses doigts, comme son corps, étaient minces comme la mort et les os de ses phalanges façonnaient sa peau lisse. Elle me semblait presque dépourvue de chair. Étendue en étoile, elle portait sur elle un kimono blanc.

En dépit du sang dans lequel elle baignait, ce dernier demeurait immaculé. Se laissant porter par le fil du fleuve, elle dérivait lentement depuis le haut de la vallée blanche jusqu'à la souche du chêne. Bien souvent, elle s'agrippait à une racine pour demeurer à l'ombre des feuilles écarlate. Elle était envoûtante dans sa monstruosité et j'ai longtemps lutté contre son attraction.


Refusant de tout mon être de rejoindre ce courant, j'ai pensé, créé et finalement inventé un artifice pour forcer mon Zanpakuto à partager avec moi ses secrets et atteindre le Bankai — dernière étape pour accéder à ma place de capitaine du Gotei 13.

Ma création fut un succès. J'avais contraint le monstre à m'affronter. Quelle erreur ce fut. Jamais je n'avais vu la femme écarlate aussi déçue de moi. Peu importe les journées passées à l'ombre de ma silhouette sous l'écorce blanche. J'étais redevenu un inconnu. Elle a pris plaisir à m'humilier, à me blesser. Elle osa même atteindre ceux qui m'étaient chers, laissant le sang de ma fratrie s'étendre sur le sol devant moi...


L'esprit est une chose fascinante. Vous pouvez haïr une pensée de tout votre cœur, il suffit de rompre une des ficelles qui vous maintient pour que le château s'effondre et que vous perdiez la raison.

Mon amie gisait inconsciente à même le sol à mes pieds, voyageant lentement vers une mort certaine. Et la dame pâle riait. M'empêchant d'approcher de celle qui avait besoin de moi, elle léchait le plasma sur ses doigts osseux en jouant avec sa lame. Toujours aussi souriante.

À cet instant, les murs se sont écroulés, tous les barrages que je m'étais juré de maintenir avaient cédé. Les flots infects se sont déversés, la rive sanglante s'est propagée jusqu'aux plaines émeraudes - jusque-là protégées - et les eaux de sang ont rejoint les autres fleuves. La mer en moi n'était qu'un abîme écarlate secoué par les flots de la vengeance.

Je fis preuve d'une violence que je n'avais jamais pensé posséder. Dans un ballet de rage, nous échangions coup pour coup, en ignorant le monde autour de nous. Lacérant nos chairs le sourire aux lèvres. Nous aimions ça, l'un comme l'autre. Nous ne demandions qu'à tuer.


Certains me prendront pour un fou, mais mon amie sauvée, j'ai pardonné à mon Zanpakuto aussi vite que j'ai compris la leçon qu'il venait de m'enseigner. Je la voyais comme un monstre, une abomination qui ne reflétait en rien qui j'étais. Jamais je ne m'étais autant trompé. Je ne devais pas craindre les profondeurs qui me terrorisaient, je n'avais aucune raison de penser m'y noyer. Ce fleuve n'était pas là pour me blesser, rien dans ce monde pâle n'était fait pour m'emprisonner. Et comme la femme aux cheveux de sang, je devais me laisser porter par l'afflux qu'il procurait.


Lorsque la dite femme m'a offert une branche du chêne, similaire à une rose et assorti au sordide environnement, m'invitant à la rejoindre, je l'ai acceptée. Sans crainte, je me suis simplement allongé à ses côtés sur les eaux de sang. Avec sa tiare étincelante et sa grâce morbide, elle m'était enfin apparue comme ce qu'elle était : une princesse.

Son sourire était éclatant, sa peau froide mais douce. J'ai alors découvert pour la première fois ses pupilles rubis. Ses yeux renfermaient une fragilité que j'ai très vite reconnue. Celle de ce verre dont j'étais constitué, celui qu'elle avait aisément ébréché et que nous devions protéger ensemble. Elle était parfaite. Peu importait si le rouge avait teinté ma tenue pure. J'ai laissé chaque aspect de la haine, de la colère, de l'avarice et de l'orgueil laisser sa marque sur mon âme. Ces émotions que je craignais étaient une arme affûtée que je n'avais plus peur d'employer. Je me suis senti vivant et pour une fois, complet. À la dérive sur le fleuve sanglant, nous étions désormais égaux.


Je n'ai jamais révélé mon Bankai à quiconque, j'ai toujours annoncé qu'il n'était pas fait pour être utilisé lors d'entraînements ou en public. Certains ont douté de son existence, d'autres ont pensé que j'en avais peut-être honte.

Il y a des capitaines parmi les Shinigamis qui ont fait marche arrière. Face à la réalité de leur Bankai, ils ont préféré rebâtir les murs et fermer les yeux. À quoi bon se voiler la face ? Une fois que l'on connaît la vérité, tenter de s'éloigner de notre découverte ne peut que nous empêcher d'avancer. Le jeune Ichigo, lui l'a bien compris. Il a accepté l'opposition et la force que lui offrait son Bankai, tout en comprenant les risques et ce que cela pouvait révéler sur qui il était au fond.


Employer un Bankai en public, c'est se mettre à nu. Accepter qu'ennemis comme alliés entrevoient les fleuves qui ruissellent dans votre cœur. Je n'ai jamais réellement menti quant aux restrictions de mon Bankai. Mes ennemis peuvent bien contempler ma fureur et ma princesse écarlate : ils n'auront ni yeux, ni avenir pour en informer le monde. Mes proches, mes camarades, amis guerriers de la Soul Society, eux ne peuvent voir ce qui se cache derrière les façades que je renvois.


Les alliés sont censés tout accepter. Vous accepter, car ils vous connaissent et pensent au mieux pour vous. Ils en sont certains. Jusqu'à ce que vous portiez sur vous le visage de leurs ennemis et que vous acceptiez, ce qu'ils refusent de tolérer. Il y a des personnes de confiance à qui j'ai montré le vrai visage de mon âme et il y a ceux qui pourraient souhaiter ma mort si je le faisais. Je ne prendrai pas le risque de les tenter.


Quand je prononce les ordres fatidiques du Bankai, je sais que j'expose la princesse écarlate - incarnation de ce que je suis de bien et de mauvais - aux regards de tous. Quand nous attaquons à l'unisson, elle apparaît à mes côtés. Une figure géante qui me surplombe et me protège. Cela avait toujours été son unique but. Des mains décharnées qui me guident avec des fils d'acier et referment mes plaies saillantes. Ses longs cheveux pourpres forment sous nos pieds une flaque rougeoyante qui se nourrit de nos ennemis. J'ai toujours eu cette violence en moi. C'est en acceptant de voir ce qu'était vraiment la bête du fleuve que je l'ai compris. Peu importe la pluie de sang qui tombe sur nous, peu importe les cris d'effroi que je sème, je ne crains pas d'être associé à la terreur que nous procurons. Je m'y complais sans honte et je rirai de voir l'expression décomposée de mes compères devant notre harmonie sanguinaire.


Mais ma princesse a un trou. Au centre même de son buste, sa chair pâle se creuse en un cercle noir. C'est une marque qui signerait ma condamnation et notre séparation si elle devait être vue. Un Shinigami peut avoir un Zanpakuto du sexe opposé ; un alter ego à l'opposé total de ses apparences ; être représenté par deux esprits, si son âme est indécise. Mais jamais son reflet ne devrait être un Hollow.


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