Quand souffle le vent d\'automne...

Chapitre 7 : "Pourquoi n'as tu pas peur de moi ? "

Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/11/2016 18:38

 

  Elle courait.

  Après quoi, au juste ? Des rêves ? Des chimères ? Des morts ? Des vivants ? Elle l’ignorait.

  Mais elle courait.

  Parce qu’elle le devait. Parce qu’Il était derrière elle. Elle pouvait sentir le souffle chaud sur sa nuque tandis qu’Il se rapprochait jusqu’à pouvoir la toucher avant de reperdre du terrain.

  Mais elle fatiguait. Ses jambes protestaient de cette trop longue course, lui envoyant des signaux de souffrance qui devenaient de plus en plus difficiles à ignorer…

  Alors elle décida tout simplement que c’en était assez. Elle pila et se tourna, prête à faire face… à Lui faire face.

  Elle n’avait pas encore vu le visage de son poursuivant, mais ce qu’elle découvrit alors lui coupa le souffle.

  C’était une silhouette fantomatique, juchée sur quatre pattes puissantes et armée de griffes acérées à peine discernables dans l’enchevêtrement brumeux de ce corps astral. En fait, seul ses yeux étaient nets.

  Et ils étaient impressionnants.

  D’un bleu intense, profond comme la nuit, sombre comme la nuit, luisant comme le clair de lune, ce qui faisait ressortir, au fond d’un océan de colère et de danger comme celui que l’on voyait dans ces iris inoubliables, l’étincelle de douleur de celui qui devait supporter sa condition sans espoir de rédemption.

  Elle se pencha, jusqu’à ce retrouver à quelques centimètres des puissantes mâchoires qu’elle arrivait à deviner, et murmura d’une voix parfaitement assurée :

  • Je n’ai pas peur de toi.

  La silhouette parut surprise, interloquée par une telle réponse. Puis, elle entendit un souffle d’air discret, comme lorsqu’on prend une inspiration. La bête ouvrit la gueule et…

  • Bon Anniversaire, Yuna !

  La fillette fut subitement tirée du sommeil par l’exclamation joyeuse de sa mère et cligna des yeux.

  Le froid soleil de Novembre éclairait la chambre de l’enfant d’une lumière tiède, éclaboussant le parquet de rayons pales. Yuna se frotta les yeux et sourit à Hotaru qui venait d’entrer, les bras chargés d’un plateau contenant tout ce qu’elle préférait comme plats sucrés. Elle posa son chargement sur la table de nuit et s’assit sur le bord du lit, ce qui freina les ardeurs de Yuna à profiter du fumet qui se dégageait de ce cadeau surprise.

  • Déjà 7 ans ! Je me rappelle lorsque tu n’étais encore que mon petit bébé… Le temps passe si vite ! , soupira-t-elle.
  • Maman… Tu as l’intention de me dire ça à chaque fois que c’est mon anniversaire ? , pouffa Yuna.

  Hotaru fronça les sourcils, mais lâcha un éclat de rire et dégagea une boucle blonde qui s’était égarée sur le nez de la petite.

  Hotaru était une grande femme, assez belle pour attirer le regard des autres hommes malgré ses futurs 38 ans, qu’elle ne faisait absolument pas. Aussi brune que  sa fille était blonde, ses longues mèches bouclées et ondulées avaient toujours suscité l’admiration de Yuna pour leur longueur et leur brillance. L’enfant avait d’abord cru qu’elle tenait ses yeux gris de sa mère, mais Hotaru les avaient bien plus sombres, plutôt couleur granit, tandis que ceux de Yuna pétillaient d’étincelles argentées. Leurs traits étaient néanmoins bel et bien les mêmes, et Yuna promettait d’être une femme élégante et désirable en grandissant.

  La fillette bailla à s’en décrocher la mâchoire, puis son attention pour le plateau redoubla d’intensité et elle commença à piocher dedans, tandis que sa mère démêlait quelques nœuds dans ses cheveux avec ses doigts.

  • Alors, qu’est ce que tu veux faire, aujourd’hui ? , demanda-t-elle, Après tout, c’est toi la Reine de la journée !

  Tout en mastiquant, Yuna réfléchit, levant pensivement les yeux au plafond à la recherche d’une activité possible.

  Aller au cinéma ? Elle préférait la lecture.

  Au parc d’attractions ? Il faisait vraiment trop froid.

  A la piscine ? En novembre !

 …

  Au zoo !

  Lorsqu’elle proposa ça à Hotaru, celle-ci accepta de bon cœur avant de se lever en lui disant d’être prête dans une demi-heure.

  Sitôt la porte fermée, Yuna sauta hors de son lit et termina le plateau en vitesse avant de retirer son pyjama et d’enfiler culotte, pantalon, tee-shirt, chaussettes et pull. Tout en s’habillant, elle repensa à son rêve bizarre. Elle se rappelait avoir couru – elle avait d’ailleurs légèrement mal aux jambes, comme après une course – poursuivie par quelque chose sans substance, comme de la brume blanche… qui pouvait tuer. Quand elle s’était retournée, elle lui avait dit…

  Je n’ai pas peur de toi.

  Mais qu’est ce que ça voulait dire ?

  Et qui était ce poursuivant, pour lui sembler si familier ?

  Sian ?

  Non ! Sain se déplaçait sur deux jambes, la bête sur quatre, comme un fauve. Mais en même temps, est ce que c’était parce que Sian lui avait révélé sa vraie nature qu’elle faisait un rêve comme ça ? Il lui avait dit ce qu’était un Hollow en Juin, et on était à présent en Novembre… Pourquoi seulement maintenant ?

  Je n’ai pas peur de toi…

  Ce devait être un rêve stupide ! Elle en avait déjà fait, pourtant !

  Pourtant… Oui, pourtant…

  Ces yeux…

  Yuna sut alors que des yeux pareils, elle ne les oublierait pas de sitôt. C’était tout simplement impossible.

  Mais pourquoi bleus comme ceux de… ?

  La fillette se secoua en attrapant son manteau. Autant oublier cette histoire ! Ce n’était qu’un rêve ! Elle avait trop mangé, hier, tout simplement…

  20 minutes plus tard, elle était en bas, avec son plateau vide qu’elle posa dans la cuisine. Elle enfila ses baskets et attendit sa mère en frétillant d’impatience.

-  D’accord, d’accord ! , ria Hotaru, J’ai compris, on y va !

  Elle fit grimper sa fille dans la voiture après avoir fermé la maison et elles partirent.

  En ce dimanche matin, le zoo de Karakura fourmillait de visiteurs venus en familles ou entre amis pour admirer les animaux qui s’y trouvaient. La fillette n’en pouvait plus de la file d’attente et lorsque sa mère prit enfin les billets, Yuna la tira par la manche avec enthousiasme vers l’entrée imposante en fer forgé où se pressaient les futurs visiteurs…

  Yuna n’était jusqu’alors allée qu’une seule fois au zoo, et en avait gardé un souvenir marquant. Voir tous ces animaux ici l’avait impressionnée, d’autant plus qu’elle avait été persuadée qu’un crocodile sortirait de sa cage pour la manger…

  Enfin, pas étonnant, vu qu’il s’agissait alors d’une sortie scolaire et que ses camarades de classe avaient été particulièrement odieux.

  La mère et la fille parcoururent une allée agrémentée d’arbres qui longeait l’enclos des grands mammifères terrestres herbivores. Eléphants, girafes, rhinocéros, gnous, zèbres, lamas… C’étaient des animaux calmes, qui se contentaient d’ignorer le regard curieux des visiteurs en continuant leur vie comme s’ils étaient seuls au monde, sans barrières ni chaînes…

  Après avoir vu les animaux aquatiques, les petits animaux comme les lapins et les chèvres et autres que les enfants pouvaient nourrir, les reptiles et sauriens (Et Yuna refusa tout net de s’approcher des crocodiles…) et les singes, elles se dirigèrent vers le secteur des grands fauves.

  Une forte odeur de musc emplit leurs narines lorsqu’elles poussèrent la porte qui gardait la chaleur à l’intérieur du bâtiment. Il y avait pas mal de monde, et leurs conversations se mêlaient pour créer un incessant brouhaha assez agaçant.

  Laissant sa mère quelques instants, Yuna dût jouer des coudes, aidé par sa silhouette menue et élancée, pour pouvoir arriver au premier rang.

  Devant elle, à deux mètres à peine, simplement séparé des visiteurs par une épaisse vitre, un énorme tigre somnolait paresseusement sur un gros rocher, sa longue queue rayée se balançant de droite à gauche avec lenteur. Il était blanc, ses rayures noires tranchant avec la couleur immaculée de sa fourrure.

  Yuna avait oublié la foule autour d’elle, oublié les cris et les pressions que les gens exerçaient autour d’elle.

  Seule restait le tigre endormi.

  Et le souvenir de son rêve.

  Et elle.

  La lente respiration de l’animal le soulevait comme une montagne se déplacerait. Il remuait de temps à autre le bout du nez, ce qui agitait ses moustaches blanches. En voyant les muscles épais rouler sous sa peau, Yuna fut certaine de reconnaître à présent, la bête qui la poursuivait dans son rêve.

  La silhouette d’un tigre. Blanc comme la neige.

  Ou la mort.

  La fillette se sentit alors étrange. Elle ressentait…

  Quoi ?

  Honte ?

  Tristesse ?

  Remord ?

  … Solitude ?

  Un peu de tout ça, en fait.

  Elle tressaillit soudain lorsque le géant ouvrit les yeux et qu’il les braqua sur elle.

  Ils étaient bleus.

  Bleus sombres, pas autant que ceux de son rêve, mais qui s’approchaient plutôt des teintes bleu marine.

  Un bleu si familier…

   Le félin se leva alors et descendit de son perchoir avec souplesse. Il émanait de lui une telle puissance ! Comme une vague d’énergie ravageuse, qui intimidait n’importe qui croisant sa route.

  Il était dangereux.

  Et il le savait.

  Pourtant, Yuna n’avait pas peur. Elle était contemplative, un peu impressionnée peut être, mais pas effrayée.

  Le tigre s’étira, sortant ses griffes extrêmement acérées et bailla, exhibant ses crocs luisants à la lumière synthétique. Il avait tout pour tuer, déchirer, déchiqueter…

  Mais lorsqu’un soigneur arriva pour rajouter de la paille fraîche à sa litière, le tigre ne sortit pas ses armes. Au contraire, il trottina vers l’homme et se frotta à lui comme l’aurait fait un simple chat en quête de caresses.

  Yuna n’esquissa pas un mouvement lorsque l’animal revint ensuite à sa place initiale et plongea son bleu dans son gris argent. Ils semblaient dire :

« Pourquoi n’as-tu pas peur de moi ? »

  Yuna eut un petit sourire et murmura comme en réponse :

  • Parce que… Parce que…

  Elle posa son front contre la vitre fraîche et appuya et appuya ses paumes sur le verre en soupirant. Puis elle eut un sursaut.

  Ca recommençait.

  La fillette ressentit de nouveau la vibration entre ses doigts et cette vague se répercuta contre la vitre en fondant vers le sol. Quelques instants plus tard, ce qui se passait dans la cage arracha un cri de stupeur aux visiteurs.

  Les plantes disposées ça et là avaient subi une formidable poussée de croissance et étaient d’un luxuriance presque exubérante tant elle resplendissaient, donnant à l’endroit l’apparence d’une furieuse forêt tropicale.

  Le tigre, lui, se leva en fouettant l’air de sa queue et s’enfonça dans les épais buissons d’un vert sombre et brillant pour échapper aux regards des gens. Il avait l’air heureux et Yuna fut sure que le dernier mouvement de queue fut adressé à son encontre avant qu’elle ne disparaisse dans le feuillage.

  Mais la tête de la petite tournait et elle n’avait à présent plus qu’une envie : rentrer à la maison.

  En espérant que son prédateur d’ami serait là, car elle voulait lui parler.

  Luttant contre sa fatigue soudaine, Yuna tituba hors de la foule qui s’était approché de la cage du tigre blanc pour tenter de comprendre ce qui se passait, même s’il n’y avait plus rien d’autre à voir que des plantes vertes et finit par apercevoir sa mère qui poussa un soupir de soulagement lorsqu’elle attrapa sa manche pour attirer son attention.

  • Maman ? On peut rentrer ? , demanda-t-elle d’une petite voix.
  • Déjà ? Mais on n’a pas fini de visiter, tu es sûre de toi ?
  • Oui je… Je ne me sens pas très bien…, balbutia la petiote en se sentant ses jambes légèrement vaciller.

  Hotaru n’insista pas et elles repartirent, quittant le bâtiment alors que des gens commençaient à se pousser assez violemment pour rentrer les premiers et voir ce prodige, dont la nouvelle s’était répandue de bouche à oreilles.

  Dans la voiture, Yuna colla sa joue contre la vitre et regarda le paysage flou d’un air rêveur tandis que la morsure froide du verre lui brûlait la joue. Elle se sentait, malgré ses vertiges, apaisée. Parce qu’elle avait entendu la question qu’elle aurait du entendre dans son rêve, même si elle n’avait pas pu y répondre correctement sur le coup.

  Pourquoi n’as-tu pas peur de moi ?

  … Parce que tu es mon ami.

  • J’espère que tu iras mieux demain… On va chez Papoun et Mima…
  • Je pense que ça ira… Je veux quand même les voir ! , insista Yuna en songeant à ses adorables grands parents.

«   Sian, où es tu ? Je voudrais te voir, te parler de ce que je peux faire… »

  Parce qu’elle avait refait de la magie, mais cette fois ci, elle n’en reparlerait pas à sa mère, mais plutôt à quelqu’un qui serait à son écoute pour ce genre de choses.

  Quelqu’un comme Sian.

  Lorsqu’elle regarda de nouveau dehors, la petite écarquilla les yeux en voyant les petits points blancs duveteux qui s’évanouissaient en touchant le sol.

  De la neige.

  Alors Yuna eut un petit sourire joyeux, parce qu’elle sut, sans comprendre pourquoi, que quelqu’un l’attendrait sur le toit, ce soir…

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