Quand souffle le vent d\'automne...

Chapitre 9 : Quand on est au bord du lac...

Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 04:23

 

   Yuna fronça les sourcils.

   Elle allait y arriver…

   Yuna serra les poings.

   Elle allait le faire…

   Yuna tendit les doigts.

    …

   La plante demeura immobile en face d’elle, ses petites feuilles faiblement agitées à par la brise lourde qui s’emmêlait dans les branches de l’arbres contre lequel elle était assise.

  Soupirant d’agacement, la fillette laissa retomber son bras et ses yeux fusillèrent la pousse innocemment plantée dans la terre.

  • T’es frustrante, tu savais… ? , lâcha-t-elle.

   Cela l’aurait fortement étonnée que la plante lui réponde. Mais celle-ci se contenta de subir le reproche en silence, comme toute plante qui se respecte le ferait, semblant la narguer parce qu’elle était incapable de faire appel à son pouvoir.

  Yuna leva la tête et ses yeux se perdirent vers les petits nuages qui parsemaient le ciel d’un bleu profond.

  Les rosées matinales qui mouillaient les jambes de Yuna lorsqu’elle allait à l’école trahissaient les premières agonies de l’été, et les fraîcheurs du soir sonnaient l’arrivée de l’automne. Bientôt, les jours commenceraient à raccourcir et les feuilles des arbres tomberaient pour former un épais tapis de feuilles éclatantes sur le sol. Mais les milieux de journées restaient toujours aussi chauds, et la torpeur qui prenait la ville était agréable aux yeux de Yuna. Elle n’avait pas cours et, sa mère étant au travail, elle s’était glissée hors de la maison pour aller se réfugier au parc un peu plus haut dans la rue. A présent, elle était adossée au tronc de son arbre préféré, qui avait une forme particulière et originalement tordue. Yuna l’avait appelé « le Gardien », car elle l’avait toujours connu, et que sa cime était visible même hors des grilles du parc, ce qui donnait l’impression qu’il surveillait le lieu.

  Sian n’était pas revenu depuis sa première « leçon », au printemps. Yuna se rappelait s’être endormie dans ses bras, puis s’était réveillée sur son lit, le lendemain matin, très tôt. La fillette avait examiné l’encadrement de la fenêtre, ayant du mal à croire que quelqu’un de la carrure de Sian puisse passer par là, et avait souri en voyant les légères éraflures que son armure d’os avait faites lorsqu’il était rentré dans la pièce pour la déposer et repartir.

   Le Hollow, avant qu’elle ne sombre dans les bras de Morphée, lui avait cependant expliqué beaucoup de choses, sur les Shinigamis et l’énergie spirituelle en elle-même. Désireuse de se rappeler de toutes ces informations, la fillette avait écrit dans un cahier tout ce dont elle se rappelait, mais était sûre qu’il lui manquait des choses et certains points. A présent, le précieux recueil avait trouvé refuge sous son lit, dans une caisse cadenassée dont elle gardait la clef autour du cou. Pas qu’elle ait peur que l’on découvre ce que ce carnet contenait (qui la croirait, de toutes manières ?), mais elle ne voulait pas le perdre tout simplement, et la présence de cette clef sur elle la rassurait quant à la localisation de ce qu’elle protégeait.

  Les lèvres de Yuna formèrent un sifflement, sans qu’elle s’en rende vraiment compte. C’était Papoun, son grand père, qui lui avait apprit à siffler, à son grand plaisir. Un petit air dont elle n’arrivait pas à se rappeler le nom lui trottait dans la tête…

  Elle étendit les jambes et ferma les yeux. Elle s’était sentie plus seule que jamais, ces temps ci. La classe s’était remise aux brimades à son encontre, comme si les vacances avaient inspiré ses bourreaux et Yuna attendait à présent les week-ends avec impatience…

  Tout comme les visites de Sian.

  Il ne lui rendait pas assez visite à son goût ! Il lui manquait aussi, avec ses humeurs indéchiffrables, sa patience et son calme parfois brisé par sa puissance. Yuna aurait bien aimé lui demander une démonstration de ses pouvoirs, mais elle hésitait. Et si c’était dangereux ? Pourtant, elle était curieuse. Et pour satisfaire ça, il faudrait bien qu’elle lui pose la question un jour…

  • Aïe !

  En sentant une douleur désagréable lui vriller le coté du crâne, la fillette se passa une main sur la tempe et ramena ses doigts légèrement couverts de sang. Le coupable de cette blessure était une pierre, tombée près du genou de la petite.

  Mais les pierres ne volent pas.

  Alors qui… ?

  Sans savoir qu’elle possédait de tels réflexes, Yuna baissa la tête pour éviter le second projectile qui lui effleura les cheveux et alla finir sa course dans le lac tout près en créant des ondes qui vinrent troubler la surface liquide.

  Yuna fronça les sourcils et sentit la peur lui empoigner l’estomac en voyant 4 silhouettes sortir d’un bosquet tout près et s’approcher d’elle.

  Etrange, non ? Elle se liait d’amitié avec l’incarnation de la mort même et avait peur…

  De camarades de classe.

  Quatre garçons parmi ses ennemis les plus acharnés s’arrêtèrent en cercle autour d’elle. Ils cachaient la lumière du soleil et elle avait du mal à distinguer leurs visages à contre jour.

  • Alors, mocheté ! , ricana le premier, le plus à droite en croisant les bras avec supériorité, Tu dormais ? C’est poétique, dis moi !
  • Ouais ! , ajouta son voisin en donnant un coup de pied dans le talon de la fillette, Une petite sieste au pied d’un arbre ! C’est la belle au bois dormant !

  Ils se mirent à rire de leur blague idiote en se tapant dans les mains. Yuna aurait voulu être une petite souris pour pouvoir s’enfuir et se cacher dans un tout petit trou, très loin d’ici.

  Seulement, c’était impossible.

  • Fichez moi la paix…, lâcha-t-elle du bout des lèvres.

  Grosse erreur. Les garçons reportèrent leur attention sur elle.

  • C’est la belle au bois dormant aux cheveux bizarres !
  • T’es trop nullarde ! Pauvre cloche !

  Yuna se recroquevilla sous leurs sarcasmes. Elle ne voulait qu’une chose : qu’on la laisse tranquille.

« Sian… »

  • Tiens, j’ai une idée ! , s’exclama l’un d’entre eux avec un mauvais regard, C’est la belle au bois dormant, et bin elle va aussi être la cloche à l’eau dormante ! Aidez moi, les gars !

  Les garçons se jetèrent sur elle et l’agrippèrent avec brutalité malgré ses cris et ses protestations. En la traînant et en la portant à moitié, ils s’approchèrent rapidement du bord du lac. L’un d’entre eux lui tira méchamment les cheveux, ce qui lui arracha des larmes en sentant son cuir chevelu la brûler. La fillette essaya de leur donner des coups de pieds, mais l’un d’entre eux lui tordit les doigts avant qu’on ne l’attrape par les chevilles et les poignets. Yuna sentit son corps se soulever du sol et, paniquée, ferma les yeux en se sentant commencer à balancer.

  • A la une… A la deux…
  • A la trois !

  Yuna entendit soudain les cris de ses tortionnaires et ils la lâchèrent. La rencontre avec le sol fut rude, notamment pour son genou gauche, mais au moins ne termina-t-elle pas dans le lac. Elle rouvrit prudemment les yeux, semblant avoir reconnu la voix, et les écarquilla davantage en voyant les garçons partir à toute vitesse, prenant les jambes à leur cou en hurlant qu’ils avaient été attaqués par un fantôme aux ordres de Yuna. L’un d’entre eux était encore plus effrayé en regardant un point au dessus de la tête de Yuna, puis s’enfuit à son tour. Ce qu’il avait vu avait dû lui donner une peur bleue.

  La fillette se retourna.

  Jamais encore n’avait-elle vu Sian de ce point de vue là, mais elle devait s’avouer que, pour qui ne le connaissait pas, il offrait une parfaite vision de cauchemar. Prostrée sur le sol en terre battue du chemin, elle se sentait plus que minuscule à coté de lui. Son armure blanche lui conférait une aura inquiétante, les pics de sa tête donnant à son ombre l’air d’un parfait prédateur, tout comme les longues griffes de ses mains crispées aux doigts écartés en une attitude menaçante. Sa queue fouettant furieusement l’air exprimait parfaitement sa colère.

  • Petits déchets ! , siffla-t-il en les regardant partir, les yeux étincelants de rage.
  • Sian !

  La petite se releva précipitamment et se jeta à son cou, tant pour le calmer que pour exprimer sa joie de le revoir. Elle le sentait très crispé, ses muscles tendus et raides, comme s’il s’apprêtait à leur courir après pour les tuer.

  • Sian ! Calme toi, je t’en prie !
  • Ils… Ils… Sales petits… Si je pouvais leur…
  • Mais tu peux pas ! , coupa fermement Yuna, Regarde moi, Sianadel !

  Ca faisait longtemps qu’elle ne l’avait plus appelé ainsi. Le Hollow plongea ses yeux brûlant de colère dans ceux, alertes et inquiets, de sa protégée. Au bout de ce qui sembla être un très long moment, même si cela ne dura que quelques minutes, il se détendit légèrement.

  • Ils ont eu la punition qu’ils méritaient, continua la fillette, Faire des vols planés dans les airs à cause de quelque chose qu’ils ne peuvent pas voir a dû pas mal les ébranler, Sian. Et je crois que l’un d’entre eux t’a vu, si j’en crois son expression… Il aura été encore plus puni que les autres… Ce n’est pas la peine de les faire souffrir, ce ne sont que des enfants…
  • … Ta douceur et ta magnanimité peuvent te perdre, un jour, Yuna…
  • Je sais… Mais pas aujourd’hui… En plus, tu leur a donné des coups de griffes !
  • Et ils le méritaient.
  • Je ne pense pas.
  • Et pourtant…
  • Sian.

  Le Vasto Lorde grommela encore un peu, mais Yuna fronça les sourcils et posa un doigt autoritaire sur les dents tête de mort du Hollow, ce qui acheva de le faire taire.

  Lorsqu’elle fut sûre qu’il était bien calme, elle descendit de ses bras et alla se laisser tomber au bord de l’eau pour regarder l’état de son genou. Bon, éraflé… Ce n’était pas trop grave, encore. Ca aurait pu être pire…

  Sian la regardait faire en ruminant sa mauvaise humeur. Puis il s’assit à son tour. Quel spectacle, pour ceux qui pouvaient voir cette scène dans leur ensemble, qu’un Hollow imposant blanc comme de l’os assit près d’une gamine menue aux profonds cheveux d’or !

  • … Tu aurais du me laisser faire…, grommela le Vasto Lorde.
  • Ils sont plus bêtes que méchants…

  Sian lui jeta un regard expressif et Yuna leva les yeux au ciel en avouant :

  • Même si j’aimerais bien leur donner une bonne leçon, moi aussi !
  • Ca fait longtemps que c’est comme ça ? Avec les autres humains ?

  Yuna garda le silence quelques instants. Devait-elle en parler ? Après tout, Sian lui avait confié des choses, lui… Elle devrait lui rendre la monnaie de la pièce.

  Même si sa vie était bien différente !

  • Avec les adultes, je sais pas si c’est mieux… Ou pire. Ils le montrent pas beaucoup, mais je sens bien que ça les gêne. Autant j’aime la franchise, autant là, je préfère lorsque personne n’aborde ce sujet. Je sais pas d’où et de qui me viennent ces cheveux, mais j’aurais bien souvent aimé avoir la même couleur que les autres… Parce que les enfants, eux, ne se gênent absolument pas pour me faire savoir ce qu’ils pensent de moi… Je compte plus le nombre de fois où je suis revenue à la maison avec les cheveux souillés. Au début, j’ai essayé de me battre, mais ils continuaient, encore et encore, et j’ai fini par abandonner, attendant que la vague passe…

    Yuna avait tout lâché d’un coup, et dut s’arrêter pour reprendre son souffle. Sian l’écoutait en silence, attendant qu’elle ait fini de parler, tout en sentant une sourde colère réveiller sa faim qu’il réfrénait d’une poigne de fer.

  • Du coup, je n’ai jamais eu un seul ami, continua la fillette en fixant son regard sur les reflets de l’eau tranquille du lac, Jusqu’à maintenant, parce que toi, tu t’en fiche de ma couleur de cheveux, et de mes yeux bizarres, tout comme moi, j’en ai rien à faire que tu sois un monstre, parce que je sais que tu es gentil…
  • … Je ne m’en fiche pas du tout.

  Yuna sursauta et le regarda avec des yeux où la peur et l’incompréhension se mêlaient.

  • Tes cheveux sont les plus beaux qu’il m’ait été donné de voir. Ce n’est pas la peine de t’apitoyer sur ce que tu es, Yuna. Je suis Hollow, tu es une humaine aux cheveux blonds et aux yeux magnifiques, comme je suis sûr qu’il y en d’autres dans le monde, comme en Europe, par exemple… On est ce qu’on est, c’est ce que tu m’as dis, et personne n’a le droit de nous juger par notre nature…

  Yuna eut les larmes aux yeux et se jeta au cou de son ami avec une telle force qu’il vacilla légèrement, surprit de son initiative.

  • …Merci.
  • Je sens que je vais beaucoup l’entendre, ce mot là, avec toi…

  En pouffant, Yuna lui donna une tape sur la tête, puis reposa pieds sur le bord de l’eau et ramassa une pierre ronde.

  • Puisque c’est ça, on va voir si t’es aussi fort que moi au ricochet !

  D’un mouvement fluide, elle lança le caillou qui rebondit sur l’eau 5 fois avant de sombrer.

  Le Hollow se leva à son tour, puis se pencha et ramassa une pierre à son tour. Jamais il n’aurait cru faire ça un jour !

  Sous les yeux exorbités de Yuna, la pierre de Sian rebondit 8 fois, 9 fois, 10 fois… Elle en perdit le compte, mais entendit très bien un arbre grincer à l’autre bout du lac.

  • Maieuh ! , rouspéta-t-elle, Tu triches ! T’es beaucoup plus fort que moi ! Et puis, le but, c’est pas d’essayer de déraciner l’arbre à coups de pierre !
  • Mauvaise perdante.
  • Ah ouais ? Tu vas voir !

  Elle se pencha à nouveau et relança sa pierre, sous l’œil amusé de Sian, qui se prit également au jeu.

  Au bout d’une demi-heure de jeu, Yuna, épuisée et les membres douloureux, mais un grand sourire sur le visage, se laissa de nouveau tomber par terre.

  • C’était cool ! , haleta-t-elle avec un grand sourire, On refera quand tu reviendras ?
  • Non. Quand je reviendrais, il va falloir qu’on travaille ton pouvoir, fillette…

  Yuna perdit aussitôt son sourire.

  • Mais pourquoi ?
  • Parce qu’il faut que tu t’entraînes.
  • … Et moi qui espérais qu’il avait oublié…
  • A présent, je dois partir, Yuna. J’ignore quand je reviendrais, mais je vais tâcher de faire vite…
  • Sian, att…

     Trop tard. Yuna était seule au bord du lac, avec pour seule preuve du passage de son ami les profondes marques de griffures dans le sable…

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