The New Substitute
17 Novembre, Clinique Kurosaki, Karakura.
La fin de l’automne était plutôt douce cette année, si bien que le jeune homme à la chevelure étrangement cuivrée ne prit pas la peine de se vêtir plus que de raison. Avalant son petit-déjeuner en grandes trombes, il balança son sac sur son épaule et bondit à l’extérieur, direction le lycée.
Ichigo Kurosaki, dix-huit ans, était au beau milieu de sa dernière année d’études secondaires. En raison de son rôle de Shinigami remplaçant – et des nombreuses batailles auxquelles il avait été mêlé –, son retard scolaire s’était sérieusement fait ressentir depuis quelques temps. Aussi, lorsque le Vandenreich eût été vaincu, il s’était juré de se concentrer davantage sur son avenir. Il avait expressément demandé à son amie Orihime Inoue de suivre son exemple, se sentant responsable de l’avoir entraîné dans tant d’affaires sinistres à ses dépens.
C’est ainsi qu’il arriva devant les grilles du lycée de Karakura, déterminé à ne plus se laisser distraire par les problèmes de la Soul Society. A peine eut-il le temps d’en franchir le seuil qu’un jeune homme aux cheveux châtains se rua vers lui en s’égosillant :
– I-chi-go !
– Lâche-moi, Keigo.
Une arabesque plus tard, Keigo Asano rencontra le mur adjacent avec perte et fracas. Un autre lycéen s’approcha – plus calmement, cette fois – et salua son ami roux.
– Salut, Ichigo !
– Tiens, salut Mizuiro.
– Tu as l’air en forme, ce matin ?
– Hum, grogna Ichigo.
– Tu sais, Keigo ne s’est pas jeté sur toi pour rien. Enfin, cette fois.
– Comment ça ? grommela-t-il, les sourcils perpétuellement froncés.
Avant que le petit brun répondant au nom de Mizuiro Kojima ne puisse s’expliquer auprès du fils Kurosaki, une voix féminine l’interpela :
– Ichigo !
Au comble de l’agacement, celui-ci fit volte-face et considéra les deux lycéennes accourant dans leur direction d’un regard las.
– C’est pas vrai, soupira-t-il. Qu’est-ce que tu me veux, Tatsuki ?
Avec une patience quasiment similaire à celle de son ami d’enfance, un des sourcils de Tatsuki Arisawa s’agita de tics nerveux tandis qu’une veine palpitait sur sa tempe.
– Non mais pour qui tu te prends pour me parler comme ça, crétin ? s’écria-t-elle en brandissant son poing.
Soudain, la voix cristalline d’Orihime perça de sa légèreté dans les oreilles alertes d’Ichigo.
– Tu n’es pas au courant, Kurosaki-kun ?
– Au courant de quoi ?
– C’est ce dont on essayait de te parler, Ichigo, déclara Mizuiro.
– Alors, allez-y ! dit-il à bout de nerfs. Dites-moi ce qui se passe !
– Une jeune femme a été renversée dans la ville d’à côté hier soir, se lança Tatsuki. Le choc a été si violent qu’elle a été propulsée sur plusieurs mètres. Ils ont dû faire appel aux services de soins de Karakura pour tenter d’atténuer ses hémorragies et la transporter à l’hôpital.
Le Shinigami remplaçant, qui l’écoutait religieusement depuis le début de sa narration, observa ses amis à tour de rôle avant de conclure :
– Mince, c’est triste pour elle. Mais en quoi ça me concerne ?
– Enfoiré sans cœur ! pleurnicha Keigo.
– Non mais sans blague, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ?
– On voulait savoir si ton père avait été appelé pour l’aider, et si tu savais où elle a été transport…
_ Inoue, la coupa-t-il, non. Je ne sais pas où elle est, et tu n’as pas besoin de le savoir non plus. Tu te souviens bien de ce dont on a parlé, tous les deux ? On doit se concentrer sur la fin de l’année et les examens d’entrée à l’Université.
– Oui, mais je…
– Il s’agirait de la première élève en Chimie du Japon, intervint Tatsuki, et c’est un modèle pour Orihime. Elle voulait l’aider, c’est tout.
D’abord surpris, il gratifia ensuite son amie à la crinière auburn d’un regard attendri. Dans un sourire qui lui était exclusivement réservé, il apposa sur le dessus de son crâne une main bienveillante.
– Désolé, Inoue. Cette fois-ci, je ne peux pas t’aider. Je n’ai de renseignement ni sur elle, ni sur l’endroit dans lequel elle se trouve.
Redressant son visage insouciant, Orihime lui sourit timidement :
– Ce n’est pas grave, je suis sûre qu’ils prendront soin d’elle.
– Ouais enfin vu la gravité de ses blessures, elle ne doit plus en avoir pour très longtemps, lâcha Keigo.
Sans plus de cérémonie, Ichigo lui fit un crochet du droit en pleine mâchoire, lui faisant mordre sa langue bien trop pendue à son goût.
– Ferme-la, du con ! rugit le roux.
La sonnerie finit par retentir, mettant un terme à la conversation des cinq amis qui furent obligés de rejoindre leur salle de classe.
Durant toute la matinée, Ichigo ne cessa d’observer silencieusement la belle Orihime. Il détestait voir dans ses grands yeux bruns de la tristesse – comme ce fût le cas un peu plus tôt – et aurait retourné ciel et terre pour faire apparaître sur son visage ne serait-ce que l’ombre d’un sourire, un vrai. Malheureusement pour lui, comme il l’avait déjà signalé, il n’avait aucune idée de qui pouvait bien être cette fille, encore moins d’où elle se trouvait en ce moment-même. Il s’était dit qu’il se renseignerait en rentrant chez lui auprès de son paternel si ce dernier ne possédait pas quelques informations au sujet de son transfert et de son état, même s’il devait d’abord trouver son nom exact. Comment était-ce, déjà ? Il était sûr de l’avoir entendu. La lettre « a » y était répétée plusieurs fois, mais impossible pour lui de remettre le doigt dessus. Il fallait se l’avouer : autant il possédait un talent indéniable pour le combat au sabre, autant il n’avait aucun don pour retenir les noms.
Il lui semblait aussi avoir comprit à travers les brides de conversations de ses camarades qu’il avait perçu que l’étudiante avait dix-neuf ans, soit une année de plus que lui. Cela le peinait, il ne pouvait le nier. Le chauffard qui l’avait percuté n’était autre qu’une jeune femme de vingt-et-un ans. Celle-ci avait déclaré aux agents de police qu’elle avait perdu le contrôle de son véhicule et n’avait pu éviter la piétonne. Par chance, elle en était sortie indemne, contrairement à sa victime.
Une fois de plus, Ichigo Kurosaki s’était laissé distraire par tout autre chose que le cours de Japonais que son professeur tentait tant bien que mal de donner, perdu dans ses songes.
Lorsque l’heure du déjeuner arriva, Ichigo fit comme à son habitude et rejoignit ses amis sur le toit du lycée pour y déguster le bento préparé par sa cadette. Alors qu’il portait ses baguettes à sa bouche pour en savourer sa prise, Keigo – dont l’attention était rivée sur son portable à la manière de Mizuiro – cessa d’aspirer bruyamment dans sa paille le jus contenu dans sa brique cartonnée. Les yeux écarquillés et la bouche entrouverte, il en oubliait même de respirer.
– Qu’y a-t-il, Keigo ? s’inquiéta Sado Yasutora.
– C’est… c’est…
– C’est quoi ? s’impatienta Ichigo.
– La… la fille, balbutia-t-il. Elle a disparu.
– Quoi ? fit le roux. Quelle fille ?
– Celle qui a été renversée hier ! cria presque Keigo.
Les quatre lycéens réunis autour de lui restèrent interdits. Alors qu’il venait d’assimiler les paroles de son ami hyperactif, Uryû Ishida intervint :
– Il me semblait qu’elle était grièvement blessée ?
– Ton père ne t’a rien dit ? s’enquit Mizuiro.
– Au cas où tu l’aurais oublié, Ryûken et moi ne sommes pas particulièrement intimes, dit-il en réajustant sa monture.
– On s’en fout des relations entre Uryû et son père ! s’exclama Keigo. Vous ne vous rendez pas compte ? Son pronostic vital était engagé, et ça ne l’a pas empêché de s’échapper de l’hôpital !
– Attends, tempéra Ichigo, t’es sûr que c’est pas des conneries ?
– Elle est activement recherchée par la police, tu crois que je dirai ça si j’étais pas sûr de moi ?
– Il faut avouer que c’est difficile à croire, s’interposa Mizuiro. Avec tous les traumatismes et hémorragies qu’ils lui avaient décelés, elle n’aurait pas pu aller bien loin et serait morte à l’heure qu’il est.
– Tiens-toi bien ! hurla Keigo. Des gens disent l’avoir aperçu près de Karakura dans la nuit !
– Et personne n’aurait eu la décence de l’intercepter et de la ramener ? dit Uryû avec scepticisme.
– Qu’est-ce que j’en sais moi ? s’indigna-t-il.
Tout à coup, sans le moindre bruit, Ichigo se dressa d’un bond sur ses longues jambes et se dirigea vers la cage d’escalier menant au rez-de-chaussée.
– Ichigo, l’interpela Sado, où vas-tu ?
– Voir Inoue, et chercher cette fille, lui répondit-il.
– Tu ne sais même pas à quoi elle ressemble, fit remarquer le Quincy.
– Et alors ? Je ne peux pas la laisser comme ça ! Je vais la retrouver et l’amener à Inoue.
Avant une nouvelle réplique cinglante de la part de son rival, Ichigo dévala les marches et parcourut à grandes enjambées les couloirs du lycée, recherchant énergiquement celle que l’on surnommait aussi la beauté de Karakura.
Celle-ci se trouvait appuyée contre un cerisier tristement dégarni, seule. Le Shinigami suppléant parcourut les derniers mètres qui les séparaient dans un sprint que l’on aurait pu aisément confondre avec un shunpo. Quand il fut à son niveau, il la saisit par son épaule libre et la retourna sans ménagement.
– Inoue ! hurla-t-il, hors d’haleine.
– Kurosaki-kun ? fit-elle surprise.
– Ça va ? s’empressa ce dernier. Tu n’étais pas en train de pleurer ?
– Hein ? Ah non, non, non ! Pas du tout, ne t’en fais pas ! Hé, hé ! Je réfléchissais juste…
– Je pars à sa recherche, l’interrompit Ichigo.
Après un temps de réflexion qu’elle passa à papillonner, Orihime souffla :
– Quoi ?
– Cette fille, là… « Na » quelque chose, je vais la retrouver et te la ramener. Comme ça, tu pourras la soigner.
La lycéenne rougit aux paroles de celui dont elle était éprise depuis elle-ne-savait-plus quand. Semblant ne pas l’apercevoir, il déclara :
– J’y vais !
– Kurosaki-kun, attends ! Elle s’appelle…
Trop tard : il était déjà loin.
Courant à en perdre haleine, Ichigo analysait chaque personne qu’il croisait, demandant çà et là si quelqu’un avait aperçu une jeune femme blessée. Les passants, comprenant à qui il faisait allusion, ne lui apprirent rien de plus que ce que la police avait déjà donné dans son signalement : l’étudiante portait un manteau noir et une écharpe en laine de la même couleur rayée de bleu. Cela ne l’avançait guère, mais il s’en contenta.
A bout de souffle, il ne pût se résoudre à s’arrêter. Revoir un jour le visage bouleversé de son amie était une idée tout bonnement insupportable pour lui, et il savait que si cette fille mourrait sans qu’Orihime n’ait pu lui apporter son aide, elle s’en voudrait éternellement. Après tout, elle était de nature à se sentir responsable de tous les maux du monde. Il ne pouvait donc pas renoncer, pas maintenant.
Tandis que la nuit tombait soudainement, une sonnerie coupa court à ses songes. La reconnaissant, il sortit en vitesse son téléphone portable de sa poche et découvrit le nom de la personne qui tentait de le joindre.
– C’est pas vrai ! bougonna-t-il. Qu’est-ce qu’il me veut, celui-là ?
Agacé – et surtout pressé – il accepta l’appel, porta l’appareil à son oreille et grogna nonchalamment :
– Ouais ?
– Kurosaki-san, quel plaisir d’entendre ta voix si égaillée !
– Trêve de plaisanteries. Qu’est-ce que tu veux, Urahara-san ? J’ai pas le temps, là.
– Oh, oh ! Un rendez-vous galant avec la belle Inoue-san, je suppose ?
– Non mais ça va pas ? rougit-il violemment. Si c’est pour déblatérer des conneries pareilles, je raccroche !
Ichigo commença à associer le geste à sa parole lorsqu’il entendit à l’autre bout du combiné :
– C’est bon, je plaisante. C’est urgent, Kurosaki-san.
– De quoi s’agit-il ? dit-il après avoir ramené l’appareil à son oreille.
– C’est un sujet dont je ne peux te parler au téléphone, tu m’en vois navré. Pourrais-tu passer à la boutique, histoire qu’on puisse en discuter ?
– Tu crois que j’ai que ça à faire ? siffla-t-il. Je t’ai dit que j’étais pressé !
– Je n’en aurais pas pour longtemps, et je suis sûr que ça va t’intéresser.
Ichigo tiqua sous le joug de son agacement, résigné à ne plus espérer ne serait-ce qu’une petite minute de tranquillité ce jour-ci.
– Ouais, c’est bon, j’arrive, soupira-t-il.
– Parfait ! s’exclama Kisuke Urahara. Nous t’attendons, Kurosaki-san !
– Nous ? Mais qu’est-ce que…
Un long et pénible signal sonore indiquant que son correspondant venait de raccrocher teinta dans l’oreille agacée du Shinigami remplaçant. Après avoir rangé son portable dans sa poche, il rebroussa chemin et se dirigea au pas de course vers l’étrange boutique tenue par l’ancien Capitaine de la Douzième Division.
La température avait chuté de quelques degrés et l’obscurité était dorénavant complète lorsqu’Ichigo arriva enfin à destination. Tandis que son front ruisselait de gouttelettes de sueur et que ses poumons le brûlaient, il s’apprêta à frapper énergiquement contre la porte close qui lui faisait face. Avant qu’il n’ait eu le temps de mener son geste à terme, celle-ci se mit à coulisser lentement, dévoilant progressivement deux silhouettes dont une seule lui était familière.
– Bonsoir, Kurosaki-san, dit Kisuke derrière son éventail.
– Mais… mais qu’est-ce que…
– Voici la raison pour laquelle je t’ai demandé de venir.