L'Exilé d'Albuquerque

Chapitre 1 : L'Exilé d'Albuquerque

Chapitre final

1046 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/04/2020 18:08

Lorsque Walter constata avec soulagement que la pluie neigeuse avait cessé de déferler des cieux, il s’empressa d’aller ouvrir la porte de son chalet dans le même masque de joie qui déguise le visage d’un enfant déchirant l’emballage de son cadeau de Noël. Mais une fois que la porte fut grande ouverte, un vent glacial qu’il n’avait pas du tout prévu vint le gifler avec surprise et stoppa instantanément son entrain. Cette claque de la nature lui déforma son visage cinquantenaire, qui se mit à créer de toutes nouvelles rides lorsque celui-ci se crispa sous le violent impact du froid.


Quand il fut enfin remis de cette si surprenante correction, Walter remarqua avec dégoût qu’un vaste sol enneigé s’étendait devant lui. Après plus de cinq heures cloîtré chez lui à attendre que cette maudite tempête hivernale se calme, rien n’aurait pu l’empêcher de sortir afin d’entreprendre sa balade quotidienne. Néanmoins, et bien que l’on approchait à peine du milieu de l’après-midi, le soleil descendait déjà se cacher derrière les grands arbres. Walter savait bien que dans deux heures au plus tard, la nuit enlacerait le monde.


Il ne lui restait donc pas d’autre choix que de renoncer à quelques étapes de son habituel parcours, afin d’éviter que son chemin du retour ne se fasse sous la voûte nocturne. À contre-cœur alors, et après quelques secondes de réflexion dans l’embrasure de la porte, il décida de directement se diriger vers le point final de son circuit au lieu de suivre la rivière gelée qui menait à la petite colline surplombant la forêt. Et pour se faire, il savait qu’il n’avait qu’à couper à travers les bois.


Après donc s’être chaudement vêtu et avoir clos sa planque à double-tour, Walter s’engouffra expressément dans la forêt, et bien qu’il était très difficile pour lui d’avancer avec cette épaisse neige qui s’accrochait à ses bottes, il parvint néanmoins à maintenir l’allure d’un animal soumis à la traque. Seule sa toux venait de temps en temps ralentir sa marche. Il s’arrêtait alors un instant pour reprendre son souffle, sortait ses mains gantées enfouies dans ses grandes poches de son blouson hivernal, et prenant appui contre le tronc d’un arbre, attendait que les échos de ses toussotements disparaissent avant de reprendre sa route.


Walter dut marcher encore pendant à peu près une bonne quarantaine de minutes avant d’arriver enfin à destination. Mais malheureusement, à peine venait-il d’arriver que la neige du ciel terne recommençait déjà à retomber, et que quelques flocons étaient déjà venus pigmenter sa vieille barbe brune mais aussi le bonnet de laine qu’il portait, qui lui compressait le crâne à la manière d’un casque de bicyclette.


Craignant à juste titre que la tempête ne refasse parler d’elle, Walter se jura de ne pas s’attarder trop longtemps ici. Rapidement, il s’approcha du squelette métallique d’une petite automobile qui reposait-là à l’abandon dans la forêt. Il s’agissait d’une vieille épave, datant très certainement de l’époque de la prohibition d’après les formes si arrondies de sa carlingue. Le grignotement de la rouille donnait à sa peinture originelle une douce couleur rouge comme le sang, qui rappelait à Walter l’ancien véhicule de son acolyte Jesse.


En arrivant à sa hauteur, Walter posa une main presque paternelle sur cet engin. La solitude qui accompagnait son exil était pire encore que la maladie qui lui rongeait les poumons. En effet, elle lui faisait lamentablement prendre conscience de la dureté de son règne d’ancien baron de la drogue, mais aussi et surtout de l’odieux sort qu’il avait été obligé d’infliger à Jesse. Torturé sans doute pendant plusieurs jours par Jack et ses hommes, Jesse était certainement mort depuis longtemps. Néanmoins son souvenir venait le hanter sans cesse durant sa retraite forcée, et la présence de cette voiture si similaire à celle que possédait jadis Pinkman ne l’aidait guère à se débarrasser de son sentiment de culpabilité.


L’esprit de Walter se perdait ainsi facilement lorsque ce dernier demeurait debout près de cette automobile. Régulièrement il imaginait des fins alternatives sur son parcours de criminel, et toutes avaient en commun de donner à Jesse une conclusion bien plus favorable que celle que lui avait offerte la triste réalité. Mais aujourd’hui, la météo ne lui laissait guère le temps de se perdre dans de futiles rêveries.


Inquiet de voir réapparaître soudainement la tempête de neige, Walter se hâta donc de sortir son paquet de cigarettes de sa poche. Encore sous blister, il s’agissait-là de la même marque de tabac que son défunt associé avait la fâcheuse habitude de fumer. Une fois le paquet ouvert et une fois la clope allumée, une fumée bleuâtre s’en échappa pour venir s’enrouler tout autour de ses doigts rougis par le froid, et à cause de la rapide montée du vent, ce bâton de drogue se consuma extrêmement vite.


Pendant quelques secondes seulement, Walter s’autorisa à observer au-dessus de lui l’immense ciel aussi blanc que le tapis de neige sous ses pieds, mais le vent augmentant inexorablement son souffle et annonçant par la même occasion l’arrivée très prochaine d’une nouvelle tempête de neige, il sut qu’il ne pouvait s’attarder davantage.


Aussi, après avoir délicatement posé la cigarette encore allumée sur le tableau de bord du véhicule abandonné, Walter se prépara pour la route du retour, en espérant que le lendemain serait plus fécond pour ses songes.


Et pour clore sa petite promenade, Walter laissa échapper un murmure en portant un dernier regard en direction de la voiture. D’une faible voix légèrement modifiée sans doute par son cancer, il réussit à chuchoter : « À demain Jesse… ».


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