La fête des mères

Chapitre 1 : La fête des mères

Chapitre final

4770 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 14/07/2020 11:52

Ce one-shot participe à jeu d'écriture sur le thème "Famille" et "Métiers sortant de l'ordinaire"


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La Fête des mères

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Elle attendait depuis trois bonnes heures, assise sur les marches de l'escalier teinté noyer, les yeux fixant l'entrée. Ses fesses étaient endolories mais depuis son poste d'observation, elle était sûre de ne pas le rater. Les mains sur les côtés des genoux, elle se tenait un peu courbée, mais il n'y avait plus personne pour lui dire de se tenir mieux… A sa droite, le salon était silencieux, tous ses autres « colocataires » étaient partis faire Dieu savait quoi. Sans elle. Un flash de gyrophare zébra les fenêtres et le bruit d'une sirène retentit au dehors. Le son décroissant la fit rire, comme lorsqu'elle était petite.

Les autres s'occupaient si peu d'elle ces temps-ci qu'elle se faisait l'effet d'être transparente. Leurs sourires étaient distants au point qu'elle les trouvait factices. L'humeur basse, elle se demandait si elle ne ferait pas carrément mieux de fuguer. S'en apercevraient-ils ? Oui, peut-être mais au bout de combien de jours ? Le tapis floral rouge foncé à ses pieds fit injustement les frais de son abattement, elle le trouva très moche sur le parquet en imitation chêne. Mais elle s'en fichait totalement de leur mochitude. Parquet et tapis compris, c'était sa maison. Sa maison, pas la leur. Elle avait toujours vécu dans cet environnement sombre égayé par des lumières douces aux tons chauds et...

Mon dieu, mais qu'est-ce qu'il fichait ?

Son ventre devait faire cinq centimètres cubes à présent ! Évidemment qu'elle avait peur qu'il dise non ! Il faudrait le convaincre. Pas par des arguments (ou alors un tout petit peu), mais par ce subtil chantage qu'elle mettrait dans un battement de cils, un tremblement de lèvre, des yeux embués… Elle sourit mais le cœur n'y était pas. Elle n'aurait pas besoin de feindre, en fait...

Dé-pêche-toi ! Allez, tu seras sur le perron dans... cinq, quatre, trois, deux, un… Maintenant !

Elle gémit d'impatience en trépignant. Si l'une ou l'autre des sorcières décidait pour une fois de rentrer d'ici une demi-heure, ce serait fichu. Jamais elle ne pourrait obtenir l'autorisation de ressortir, et certainement pas pour faire ce qu'elle avait envie de faire. Besoin de faire, tellement fort.

Elle enfonça ses ongles vernis de rose dans le tissu de son pantalon de velours côtelé bordeaux. Qu'est-ce qu'il était moche lui aussi !… Mais comme elle n'avait pas tellement grandi (ni grossi) et que l'argent manquait vraiment, et bien elle avait gardé les mêmes vêtements que l'an passé, eux-mêmes hérités de l'année d'avant… Ce qui expliquait qu'elle avait encore des pulls bicolores aux teintes invraisemblables qui n'allaient… avec rien. Cela ne la dérangeait pas il y a deux ans. Deux ans seulement et l'impression que c'était il y a mille ans.

Elle fit des flexions du genou pour étendre ses jambes. S'il ne venait pas tout de suite, elle ferait du trampoline sur le canapé, ses coussins kaki en en avaient vu d'autres.

Pendant qu'elle considérait très sérieusement cette option, un déclic se fit entendre et la porte s'ouvrit lentement. Un homme lourdement chaussé de godillots, vêtu de noir mais couronné d'or entra comme s'il portait le poids du monde. Elle se releva d'un bond et sauta à pieds joints sur le tapis, avec un large sourire.

Spike ! Tu es enfin là !

Et elle jeta ses bras autour de lui. Avec un petit rire hésitant entre la satisfaction et le soulagement, elle frotta sa joue contre son épaule. Il sentait le vieux cuir, le cuivre, le tabac, les feuilles, l'air de la nuit, et une odeur bizarre qui n'appartenait qu'à lui et qu'elle avait fini par trouver rassurante…

Après trois secondes, il la repoussa avec maladresse, la retenant par les deux brindilles qui lui servaient de bras pour la tenir un peu à distance hors de sa zone personnelle. Il n'y n'acceptait plus grand monde.

— Allons Globule, dit-il avec un peu de reproche bougon, ça va les effusions, je ne suis parti qu'une journée… Où sont les autres ? Le Buffybot ?

— Sortis.

— Depuis longtemps ?

— Une éternité ! soupira-t-elle avec exagération. Depuis que je suis rentrée des cours...

Le vampire renifla avec une petite grimace furtive qui disait assez ce qu'il pensait de leur attitude. C'était marrant, mais elle aurait penché pour "foutue bande d'irresponsables". Venant de lui, c'était tout de même quelque chose.

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Elle sautilla à sa suite lui pendant qu'il se rendait dans la cuisine, juste après l'escalier. A grands pas, il alla droit vers le frigo et ouvrit largement pour en scanner le contenu. Il est toujours grincheux quand il a faim, temporisa-t-elle. Sur les clayettes, il y avait trois poches de sang, mais pas grand-chose d'autre… Il en attrapa une, referma et fit la moue après une gorgée. Elle se doutait qu'il allait faire ça. Alors elle lui avait lavé un mug exprès et il trônait près du micro-ondes. Sans faire de commentaire à cette prévenance touchante, il versa le contenu du sachet dedans tout en demandant :

— Toi, t'as mangé quoi ?

— Une part de pizza qui restait d'hier. Et une pomme. Pour les fibres.

Décidant d'ignorer la remarque fibreuse et son utilité pratique, il tata son manteau comme s'il cherchait quelque chose. Lorsqu'il jeta sur le comptoir un rouleau de billets épais comme trois doigts, elle essaya de ne pas voir qu'il y avait des taches de sang dessus.

— Tiens, chaton. Et tu les planques.

Elle baissa les yeux, attrapant les billets délicatement entre le pouce et l'index pour ne pas toucher le sang. Elle essaierait de le faire partir après. Il y aurait bien un tuto sur internet « comment nettoyer des taches suspectes sur un billet de banque ? ».

— Merci Spike, je ne sais pas ce que je ferais sans toi…

— Hmgmf, fit-il. Ce ne devrait pas être à moi de jouer les baby-sitters. C'est pas un job pour les mecs comme moi. Je suis une créature maléfique moi, j'ai autre chose de louche à faire. Je dois continuer à me faire respecter dans le Sunnydale underground, figure-toi ! Et c'est mal barré si on apprend que je joue les nounous.

Elle le considéra avec un petit sourire mignon et patient, montrant qu'elle ne croyait pas un seul instant à ses salades. Depuis la mort de Buffy, il était venu la voir tous les jours, ou presque tous les jours, même pas longtemps, pour s'assurer qu'elle allait bien et ne manquait de rien. A part bien sûr d'une famille…

— Et s'ils me demandent d'où vient l'argent ? Ils vont bien voir que j'ai fait des courses…

Il haussa les sourcils deux fois en sortant un bout de langue pour caresser ses incisives.

— T'as qu'à leur dire que tu les as fait apparaître par magie. Ça devrait les faire réagir.

Le coup d'œil oblique qu'il lança vers le petit jardin à travers par la partie vitrée de la porte arrière, l'informa qu'il s'en allait déjà.

— Si tu as déjà mangé et fait tes devoirs, je pense que tu ferais mieux de regarder un peu de télé et de te coucher.

— Oh non, pitié ! Trois heures, je l'ai regardé cette fichue télé et y a rien ! Rien. Rien. Et encore un peu de rien. Non, ce soir je dois sortir. Et je crois que t'aurais bien envie de venir avec moi, déclara-t-elle avec assurance en le regardant bien en face.

— Au Bronze ?! Certainement pas !... Je peux pas t'accompagner, Muffin. J'ai un rendez-vous important ce soir.

— Bah moi aussi ! Mais si tu veux pas, tant pis, j'irai toute seule. Va, va. Va faire ton truc super important.

Elle prit soin de compter mentalement plutôt lentement. Cinq, quatre, trois, deux, un… Déjeté sur une hanche et en appui sur le comptoir haut, il se passa une main dans les cheveux avec un brin de lassitude.

— Un rendez-vous avec qui ? T'es bien trop jeune pour que je laisse un mecton poser ses sales pattes sur toi. Pour sa santé, il vaudrait même mieux qu'il quitte la ville… Pourquoi tu te marres ?

Attendrie, elle secoua la tête en souriant.

— J'ai pas rendez-vous avec un garçon… Et si ça avait été le cas, tu crois que t'aurais eu la moindre chance de tenir la chandelle ?...

Elle désigna un petit bouquet enveloppé dans une feuille de papier cristal, qu'il n'avait pas vu d'abord tant il avait faim. Il plissa les yeux en attendant qu'elle s'explique.

— Je vais au cimetière. Je veux aller voir Maman.

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Dans ses yeux bleus, flasha un éclair d'incompréhension. Il fronça les sourcils, les mâchoires durcies à la nouvelle qu'il n'avait manifestement pas anticipée. Si ça se trouve, il repensait à la fois où elle avait fait ce truc vraiment stupide, comme de rencontrer un type vraiment louche et vraiment de Grosméchantville…

— Un autre jour.

Elle baissa le nez en regardant son bouquet. Elle le lança par terre et shoota dedans, avant de quitter la pièce. Elle grimpa l'escalier où elle l'avait inutilement attendu, pour aller s'enfermer à clé dans sa chambre.

Après tout, c'était là que tout le monde voulait qu'elle soit. Enfermée, à surtout ne vouloir rien, n'avoir besoin de rien. Elle essuya les larmes de ses poings. Peut-être que ça faisait beaucoup cette semaine. Elle avait fait des heures de soutien à des petits après la classe pour être sûre d'avoir assez d'argent pour acheter des fleurs. Des fleurs normales mais avec des myosotis.[1] Elle se força à respirer calmement mais ça ne fit qu'empirer. Une fois que les premières larmes tombaient, c'était fichu. Les chutes du Niagara.

Elle entendit un grattement à la porte. Comptez sur Spike pour ne faire aucun bruit pour monter les marches.

— Va-t'en ! cria-t-elle.

Il ne dit rien pendant quelques secondes, puis tenta une autre approche.

— Tu sais que je peux défoncer cette porte… ou la crocheter si besoin, n'est-ce pas ? (pas de réponse). Dawn, tu ne fais jamais de caprice d'habitude. Tu n'auras qu'à y aller demain après l'école…

Elle expira. Ce fut comme si elle venait de prendre un coup de pied dans la poitrine. Un caprice ? Un caprice ! Elle se releva et alla ouvrir sa porte comme une furie.

— JE NE FAIS PAS UN CAPRICE !

Et elle la reclaqua en faisant trembler les murs. Ce n'était sans doute pas très convaincant, du coup.

Dans sa tête, elle fomentait déjà un plan. Attendre qu'il s'en aille. Mettre un blouson et une grosse écharpe. Ce n'était pas la saison mais au moins, si un vampire voulait la mordre, ça ferait un peu tampon. Reprendre le bouquet. Aller jusqu'au cimetière en passant par les jardins des maisons – ce serait toujours plus discret qu'en prenant par les rues. Oui, c'était un bon plan… Zut ! Penser à prendre un pieu aussi, évidemment. Elle se demanda pourquoi elle ne l'avait pas mis plus haut dans sa liste… Elle fouilla dans son tiroir à linge et le passa dans sa ceinture… Pourquoi, pourquoi les gens faisaient-ils toujours ça dans les films ? Ça faisait cool mais c'était vraiment pas confortable !

Elle attendit dix minutes, colla l'oreille à la porte et n'entendit rien. Elle attendit encore cinq minutes de plus. Lorsqu'elle rouvrit tout doucement, elle ne vit personne dans le dégagement qui menait aux deux autres chambres et à la salle de bains. Roger. La voie était libre. A pas de loup, elle redescendit l'escalier. Il y avait tout ce qu'il lui fallait dans le placard à manteaux, elle mit des baskets au cas où il faudrait courir.

Dans la cuisine, elle ramassa le bouquet par terre. En le voyant tout piteux, son cœur se serra. Elle avait abimé les pétales et cassé des tiges. Elle tendit encore l'oreille mais il n'y avait toujours aucun bruit dans la maison. Confiante, elle affermit sa prise sur la base du bouquet et ouvrit la porte.

Il était là à fumer, adossé à l'un des piliers carrés de la mini-pergola. Sans la regarder, il observait le ciel où la nuit claire permettait de voir des étoiles. Il attrapa la cigarette distraitement et souffla la fumée.

— Parce que tu pensais vraiment que tu avais la moindre chance ? Si c'est pas un caprice, alors qu'est-ce que c'est ?

Elle baissa la tête en regardant son pauvre bouquet déplumé avec un certain désespoir.

— Mais c'est la Fête des mères. Tu regardes jamais le calendrier ? C'est pas hier, c'est pas demain. C'est aujourd'hui. Comprende ? Au-jour-d'hui… Je me doute que toi tu t'en fiches de la tienne, parce qu'elle doit être morte depuis je sais pas combien de temps, mais moi non... Maman, tu l'aimais bien, non ? (Pas de réponse). Je sais que les autres t'ont envoyé bouler quand tu as voulu apporter des fleurs pour elle. Mais là, y aura personne pour t'en empêcher, pas vrai ?…

Il fit tomber sa cigarette avant de l'écraser. Il leva les yeux vers elle et ses iris, bleus d'habitude, étaient plus sombres que jamais.

— Non. Personne.

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Durant tout le trajet nocturne, elle avait gambadé nerveusement autour de lui. Incertaine, parce qu'il l'accompagnait mais sans rien dire. Peut-être qu'il faisait la tête parce qu'elle l'avait empêché de faire un truc vraiment important ? Elle réalisa tristement qu'elle avait été égoïste et n'osait plus demander ce qu'il ratait, parce qu'elle avait honte.

— Est-ce que... ?

— C'est rien, répondit-il avant même qu'elle ait pu finir sa phrase.

— Mais j'ai pas... ?

— C'est pas difficile à deviner.

— Ouf. J'avais peur que ce soit une phéromone de la honte...

La remarque réussit à lui arracher un bref sourire.

Mais c'était vrai, quoi. Spike disait toujours que la peur avait une odeur (et pas une odeur de pet... comme elle croyait au départ). Mais pas que la peur. En espionnant, elle l'avait entendu tourmenter Buffy, en affirmant qu'il sentait l'odeur de son désir pour lui. Elle pouvait donc se raconter ce qu'elle voulait, il savait que c'était un mensonge. Pour le coup, Dawn était vachement contente que la honte ne sente rien. Car là, elle était à fond, en ajoutant ce souvenir.

— On arrive.

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Spike alla d'emblée s'asseoir en haut d'une grosse pierre tombale et alluma une autre cigarette en regardant ailleurs. Elle se figura qu'il faisait ça parce qu'il n'avait pas envie d'être là. Puis elle pensa qu'il voulait lui donner un peu d'espace, au moins faire semblant de ne pas l'écouter (même s'il entendait tout très bien). Et puis une troisième idée beaucoup plus maligne arriva enfin : il surveillait les environs, regardant et écoutant tout autour, pour voir s'il y avait une menace. S'il y en avait une, elle ne donnait pas cher de sa dignité. Il la transporterait sûrement à l'épaule comme un sac à patates... Il n'y avait plus qu'à prier pour que tout se passe bien.

Elle posa son bouquet près de la pierre tombale de Joyce Summers, en l'arrangeant de son mieux (compte tenu de son petit accident) et puis s'assit dans l'herbe à côté de l'emplacement. Elle aurait trouvé ça trop bizarre de s'asseoir juste au-dessus. Pas très poli.

Une fois là, elle commença à lui parler, et lui expliquer tout ce qui s'était passé depuis son absence. Gloria la tordue, ses moines demeurés, les chevaliers crétins, Tara devenue un légume tout docile pendant quelques temps, le Buffybot. Elle n'insista pas trop là-dessus, car pas trop sûre que la poupée gonflable de Spike soit une chose que sa mère aurait aimé entendre. Pourtant c'était dommage, parce que le Buffybot patrouillait maintenant à sa place. Ça faisait croire que la ville était encore protégée. Dawn priait pour que le robot n'ait pas un gros bug un jour (car ce serait la cata). Elle lui jura solennellement qu'elle ne confondait pas le robot avec sa sœur.

Puis elle lui posa tout bas des questions que Spike fit encore plus semblant de ne pas entendre, en jouant avec le loquet de son Zippo. Est-ce qu'elle était au Paradis ? Est-ce qu'elle voyait Buffy là-bas ? Elle lui demanda aussi pardon pour avoir essayé de la ressusciter, parce qu'elle était trop triste. Lui avoua qu'elle espérait vraiment que ça ne lui ait pas fait peur de revenir à moitié. Elle n'avait pas pu aller au bout en réalisant brusquement que ça signifierait qu'elle soit un zombie décomposé...

Enfin elle termina en disant qu'elle ne devait pas s'inquiéter parce que Spike était là, à faire genre qu'il écoutait pas mais qu'il écoutait quand même, et qu'il était gentil avec elle. Enfin, autant que pouvait l'être une créature maléfique qui aimait faire des trucs trop louches dans l'underground sunnydalien. Elle ajouta aussi qu'elle n'était pas certaine qu'il ait vraiment envie de lui parler en personne – parce que ça devait être l'un des rares trucs pour lesquels il était timide – mais qu'elle pouvait considérer que le bouquet venait d'eux deux.

Elle se leva et enleva les brins d'herbe de ses fesses avant de retourner vers Spike qui regardait toujours ailleurs.

— J'ai fini. J'ai essayé de faire court.

— Pas de problème, chaton. Rentrons maintenant avant que Willow ne déclenche un sort de localisation.

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Elle opina silencieusement, et mit les mains dans les poches de son blouson en essayant de marcher à la même vitesse que lui. Après quelques dizaines de mètres, elle osa demander :

— Il y avait des méchants ?

— Pas trop.

— Ils étaient où alors ce soir ?

— Peut-être au Comité Annuel de tous les Méchants de Sunnydale, en lice pour élire le big boss de la ville ?

— Ah, c'est ça... Tu boudes parce que tu seras pas élu président cette année...

Ce n'était même pas une question. Il la regarda de côté avec un air ronchon qui disait qu'elle ne devait pas avoir tapé loin. Elle sourit largement et se permit de passer un bras autour de sa taille pour le réconforter un peu. Elle allait l'enlever quand un claquement de canette roulante se fit entendre plus haut dans la rue. Elle figea son mouvement. Il releva la tête pour humer l'air.

— Tu voulais des méchants. Et bien les voilà ! … T'inquiète pas, c'est des petits nouveaux.

Dawn savait d'expérience qu'ils n'étaient pas trop difficiles à tuer mais ils devaient être quatre ou cinq à s'approcher avec leur super vitesse flippante.

— Hey, mais t'es Spike !

Manifestement, l'un d'entre eux était mieux au courant. Elle se dit qu'elle devait tenter de s'écarter pour qu'il puisse se battre. Elle essaya de récupérer son bras le plus naturellement possible et avertit sans desserrer les mâchoires :

— J'ai un pieu sur moi.

A quoi il répondit pour être sûr d'être entendu, même de loin :

— Et moi j'ai trente-deux dents. Deux seulement me suffisent pour faire de gros dégâts.

Le petit groupe patibulaire avait déjà vampé et s'approcha plus prudemment, en essayant de les encercler.

— Et toi t'es la Tueuse. Fais pas cette tête, tout le monde sait que Spike fricote avec l'ennemi, hein les gars ? Quel déplorable exemple tu donnes à la jeunesse, déclara le plus vieux désignant ses camarades du geste.

— Je m'en remettrai. Dégagez. Je ne suis pas d'humeur ce soir.

— Oh, pauvre Spike, t'as la migraine ? Ta puce électronique dans le crâne, peut-être ?

Dawn en resta baba. Quand Spike avait-il appris à résister à la provocation ?

— Mais… tu vas pas le laisser dire ça ? s'offusqua-t-elle. Démonte-lui sa face de rat !

Le vampire vêtu d'immondes fringues des années 80, avec des épaulettes pires que celles de Michael Jackson, fit briller ses crocs dans le noir.

— Oh, je vois. Vous vouliez rentrer tôt pour faire couiner le sommier. Notez que je ne dirais pas non, si elle aime autant avoir un vampire entre les…

— Ta gueule.

Dawn ouvrit la bouche et resta les yeux ronds. Couiner le… Beurk ! C'était dégoutant ! Elle sortit son pieu et se croisa les bras en essayant d'imiter l'œil furibond de sa sœur.

— Hey mocheté, si tu n'as pas envie de bouffer tes insinuations et finir éparpillé sur le bitume, je te laisse une longueur d'avance. Tu as une chance de m'échapper ce soir. Demain par contre, je te promets rien.

Elle leva ledit pieu du geste le plus menaçant qu'elle put. Les plus jeunes hésitèrent et reculèrent d'un pas. Cinquante pour cent attitude, songea-t-elle.

— T'as entendu la dame ? renchérit Spike assez amusé. C'est une vraie bête furieuse quand elle s'énerve. Je serais toi, je saisirais l'offre. Si elle lâche sa fureur sur toi, tu seras pas beau à voir. Enfin, je veux dire… pire.

— Spike, murmura-t-elle toujours sans desserrer les dents. C'est toujours vrai cette histoire de sentir la peur ? Parce que là, je vais pas faire illusion très longtemps.

— Pourquoi est-ce que t'aurais peur, bébé, puisque je suis avec toi ? répondit-il avec un sourire qui se fit vite, très littéralement, carnassier.

Il bondit immédiatement à l'assaut, et les deux premiers vampires furent réduits en poussière en deux temps et trois mouvements. Apparemment, Spike aussi avait un pieu sur lui. C'était un peu la logique des choses, en même temps. L'air terrorisé, le troisième parvient à arrêter le fatal morceau de bois et en profita pour s'enfuir sans demander son reste. Dawn fit semblant de s'ennuyer en se curant les ongles.

— Cesse de jouer avec eux Spike, finissons-en. On a des monstres à tuer... dans l'underground.

Il afficha un large sourire toujours trop plein de dents. Et avec des moulinets exagérés de danseur fanfaron, il fit « d'un piquet de fer deux coups », en réduisant en cendres d'abord le quatrième et dans le même élan, le chef derrière qui s'en servait comme bouclier.

Spike balança le morceau de métal pointu par-dessus son épaule, en revenant vers elle, un peu boudeur.

— Et voilà. Bien trop facile.

— Et celui qui s'est enfui ? Tu vas l'attraper ?

— Nan. Je te ramène chez toi, c'est pas une heure pour être encore dehors.

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Elle suivit quand ils reprirent leur marche silencieuse sur le trottoir. Il s'était un peu animé lors de cette petite bataille de rien du tout, mais à présent il était de nouveau maussade. Au bout de quelques mètres, elle allait prendre la parole et il l'interrompit.

— Non, il est toujours là. Il nous suit. J'aime pas trop l'idée qu'il te piste jusqu'à la maison.

— Bah, fais-lui changer d'avis !

— De là où je suis ? Comment je fais ça ?

Par souci de crédibilité, et quoique le sommier n'ait vraiment rien à craindre, elle lui adressa un sourire un peu malicieux, le ceintura sous le grand manteau… et il n'eut pas trop d'autre choix que de la prendre par l'épaule.

— Vam-pire moooche ! chantonna-t-elle tout fort sans se retourner. On sait que t'es là. Tu veux mourir ce soir ? Profite de ta chance et barre-toi ! Dernier avertissement !

Elle avait remarqué que quand les gens restaient le dos tourné devant une grosse menace, c'était pour faire croire qu'ils n'avaient pas peur ou rien à craindre. Des types qui continuent de marcher au ralenti alors qu'il y a une grosse explosion derrière eux... C'était n'importe quoi, le souffle aurait dû les aplatir. Mais par contre, ça faisait vraiment très cool.

Elle sentit son accompagnateur se décrisper légèrement, ce qui devait signifier que le curieux s'était éloigné. Spike laissa son bras autour d'elle encore quelques secondes, le temps d'embrasser furtivement le haut de sa tête alors qu'ils arrivaient en vue de chez elle. Elle soupira en s'écartant.

Il gardait son masque impassible et ses yeux insondables en toquant à la porte de la maison, pour savoir si quelqu'un avait daigné rentrer... Willow ouvrit aussitôt précipitamment, toute embarrassée.

— Dawn ! Dawn est rentrée ! cria-t-elle vers l'intérieur de la maison. Tu nous as fait peur. Mais où étais-tu ?

L'adolescente regarda Spike d'un air faussement désolé.

— Au temps pour le sort de localisation, t'as perdu.

— On a fait une balade, répondit le vampire toujours nonchalant.

La rouquine fit entrer la jeune fille et le vampire tourna les talons sans chercher à s'imposer. Il haussa le col de son cuir en refaisant le chemin en sens inverse. Dawn l'observa pendant qu'il s'en allait tranquillement. Pour sûr, aucun d'entre eux n'était une grosse menace.

— Mais où étais-tu ? Alex s'est rongé tous les ongles des mains...

— Au cimetière. J'ai tanné Spike pour qu'il m'emmène. Il en a profité pour patrouiller.

— Mais il est malade ! intervint Alex. Je l'ai toujours dit, ce type est un taré. Vous avez tort de lui faire confiance. Il faut lui réinterdire l'accès à la maison.

Au milieu du salon, Dawn le regarda avec une profonde déception. Alex avait toujours été son héros. Dans leur groupe, l'un comme l'autre n'avaient aucun pouvoir, ce qui les avait rapprochés. Ils essayaient de se rendre utiles, c'était tout et c'était peu.

Elle ferma les yeux avec une petite moue tremblée. Quand elle les rouvrit, elle sentit sur elle le regard bienveillant de Tara. Pour les phéromones, elle ne savait pas mais ce qui était sûr, c'est que l'aura avait une couleur… La gentille sorcière blonde devait être pile en train de lire la sienne en ce moment...

Dawn laissa Willow raconter doctement qu'elle allait s'en occuper. Qu'elle fasse donc ça. La rouquine pouvait bien restaurer autant qu'elle voulait la barrière de protection, cette maison ne lui appartenait pas. Et si la jeune fille voulait inviter ce vampire à entrer dans sa maison, elle le referait autant de fois que nécessaire…

La main sur la hanche, ses longs cheveux châtain lisses rejetés derrière l'épaule, elle questionna innocemment :

— Alors vous êtes rentrés tard parce que vous avez fait un crochet par le supermarché ? C'est cool parce que j'ai trop faim, ça fait trois jours que je mange des restes !

Gênée, Willow qui s'était imposée comme leur nouveau leader, consulta les autres qui faisaient des têtes intéressantes. Toutes signifiaient qu'ils n'y avaient pas pensé. Pas besoin d'un pouvoir pour détecter la culpabilité.

— Demain matin, sans faute. Ce soir on avait… une livraison importante, à la boutique de magie. Un vase très rare… tu comprends ?

Dawn battit lentement des paupières et recula en prévenant qu'elle montait se coucher. Tout en grimpant très doucement, elle entendit Tara demander timidement s'ils étaient bien sûr de « vouloir faire ça » et Willow répondre fermement qu'ils « étaient tous d'accord, et que ça règlerait tous les problèmes, y compris celui de Dawn ».

L'adolescente serra les dents. Formidable. Elle était un problème maintenant. Entre le caprice et ça, elle avait tout gagné ce soir…

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Dans sa chambre, elle fit coulisser la fenêtre pour s'asseoir dans l'embrasure et regarder la nuit.

Là-bas, des créatures rôdaient, le mal prospérait dans les tréfonds de la ville. Tout au fond d'elle-même, elle espérait que si Spike voulait absolument régner sur cette petite cour des miracles, c'était aujourd'hui moins par soif de puissance que pour la protéger plus efficacement…

En se repassant le film de ces derniers mois, elle se demanda pourquoi le méchant vampire taré et réticent était pourtant celui qui s'en tirait le mieux dans le rôle du grand frère. A cette idée, elle pouffa en soufflant par le nez.

A dix contre un, il aurait râlé en disant que ça non plus, c'était pas un job pour lui.

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FIN

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Notes

[1] En anglais le nom de cette fleur est « forget me not » (ne m'oublie pas).

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Les mystères que font Alex, Willow et Tara sont en rapport avec la préparation du rituel de résurrection de Buffy.

Merci de m'avoir lue.

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